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INTRODUCTION Les relations internationales engendrent souvent des désaccords et des conflits. Un événement du 20e siècle, la création de la Communauté économique européenne (CEE), ne fait pas exception. Signé le 25 mars 1957 sur le mont capitole à Rome par la République fédérale d'Allemagne (RFA), la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas, le traité de Rome a longtemps été critiqué par la Grande-Bretagne. Quelques années plus tard, le positionnement de celle-ci par rapport à la CEE a brusquement changé. C'est pour mieux comprendre et expliquer le phénomène que nous posons les questions suivantes : pourquoi la Grande-Bretagne a-t-elle si longtemps tenté d'empêcher la création de la Communauté économique européenne et qu'est-ce qui l'a poussée à y déposer sa candidature, quelques années plus tard? La structure du texte sera la suivante : d'une part, les raisons qui poussent la Grande-Bretagne à faire obstacle au projet de communauté européenne sont d'ordre psychologique, voir idéologique, et économique. D'autre part, la candidature britannique est justifiée par une sous-évaluation des bénéfices de la CEE et par une surestimation de son alliance avec les États-Unis d'Amérique. Nous terminerons en évoquant la position de la France du Général Charles De Gaulle qui déposera par deux fois son veto pour s'opposer à l'adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté économique européenne. Les raisons qui poussent la Grande-Bretagne à faire obstacle au projet de CEE La Grande-Bretagne et ses intérêts s'étendent bien au-delà du continent européen. Nos pensées vont au-delà des mers, vers les nombreuses communautés envers lesquelles notre peuple joue un rôle dans tous les coins du monde. Telle est notre voie, sans laquelle nous ne serions rien d'autre que quelques millions de personnes vivant dans une île au large des côtes de l'Europe. (TORRELLI, 1969, p. 8) Cette façon de penser, exprimée par le Premier ministre britannique Eden, reflète les sentiments de grandeur et de supériorité qui ont longtemps affecté les décisions de la Grande-Bretagne vis-à-vis du reste du monde. À cette époque, le système politique britannique ressemblait à une gérontocratie, étant donné le nombre élevé d'anciens généraux qui siégeaient à la tête du pays; la plus grande partie de ces personnages étaient très conservatrice et désintéressée par l'Europe. Ce manque d'intérêt pour l'Europe se poursuit sous la direction de Winston Churchill. Celui-ci nourrissait une vision de monde tout à fait particulière. En effet, selon lui, le monde était composé de trois cercles qui gravitaient autour de la Grande-Bretagne : le Commonwealth, l'Amérique et l'Europe (BERTHAUD, 1991, p. 32). Les colonies de l'empire britannique permettaient à celui-ci d'échapper à l'isolement causé par sa situation géographique. L'Amérique, elle, constituait pour Churchill un partenaire idéologique et économique de choix. Par exemple, les deux pays « étaient unis face au problème de la défense contre l'U.R.S.S.).» (TORRELLI, 1969, p. 9) Après la Seconde Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a l'impression d'être la troisième puissance mondiale de par le fait qu'elle croit avoir été d'une aide majeure aux deux superpuissances, les États-Unis et l'U.R.S.S., et par la fabrication de la bombe A et de la bombe H. (SAMPSON, 1967, p. 1-5) « Dès lors, la décision de construire une union plus étroite avec les pays continentaux aurait semblé une renonciation à ce rang de grande puissance.» (TORRELLI, 1969, p. 9) Dans un autre ordre d'idées, la Grande-Bretagne jouit depuis plusieurs centaines d'années de l'économie la plus développée et la plus puissante du monde. Son impérialisme fait en sorte que ses colonies lui fournissent de grandes quantités de matières premières, et ce, à bas prix. Pour l'empire britannique, elles constituent des marchés pratiquement intouchés. Celui-ci tire donc avantage d'une absence presque totale de concurrence. À preuve, « après la deuxième guerre, le marché des Six dépassait à peine le septième du total des exportations de l'Angleterre, 12 ou 13%, chiffre bien faible si on le compare avec celui de 45 à 50% qui constitue la part du Commonwealth dans le total de son commerce extérieur.» (TORRELLI, 1969, p. 10) Ainsi, l'idée d'une communauté économique européenne n'était pas alléchante aux yeux de la Grande-Bretagne. De plus, la visée d'une économie dynamique de la France n'était pas compatible avec celle du Royaume-Uni de par le fait que ce dernier croyait que certains pays devaient se concentrer sur l'agriculture, alors que d'autres avaient comme vocation la production industrielle. (MARCHAL, 1958, p.265) Cela est une des raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne ne désire pas s'intégrer à la CEE. Bref, c'est en raison de différents économiques et de l'importance du Commonwealth que l'empire britannique est réticent à l'idée d'une communauté économique européenne. Les raisons qui poussent la Grande-Bretagne à déposer sa première candidature à la CEE Nous voulons d'abord souligner que la première candidature de la Grande-Bretagne est le fruit d'une évolution de la pensée des Premier ministres britanniques. En effet, on remarque que Macmillan, réticent au départ, est ensuite beaucoup plus ouvert à l'Europe que ses prédécesseurs Eden et Churchill. Le gouvernement conservateur de Macmillan constate : que les Traités de Rome comportent moins d'entraves à l'exercice des souverainetés nationales qu'ils ne l'avaient d'abord cru; que les avantages du Marché commun pour ses membres sont beaucoup plus grands que ceux de l'AELE [Association Européenne de Libre-Échange, instituée par le Traité de Stockholm en novembre 1959. Elle concerne la Suède, la Norvège, le Danemark, la Suisse, l'Autriche, le Portugal et l'Angleterre. (BERTHAUD, 1991, p. 33)]; que les échanges du Royaume-Uni se développent plus rapidement avec les «Six» qu'avec ses partenaires de l'AELE; que le Royaume-Uni n'est pas pour les États-unis l'allié privilégié qu'ils pensaient et que leur intérêt est de se rapprocher du continent. (MOREAU, 1992, p. 24) Les Américains préféraient le Marché commun de la CEE à la zone de libre-échange que proposait la Grande-Bretagne. Aussi, les pays du Commonwealth en viennent à la conclusion que l'influence économique des États-Unis est supérieure à celle de la Grande-Bretagne et que leurs intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de la métropole. (TORRELLI, 1969, p. 19) Au même moment, un certain nombre de crises économiques soulignent à l'évidence qu'il est impossible pour l'Angleterre de se développer dans l'isolement. L'application du droit de veto de Charles De Gaulle Le Général Charles De Gaulle explique, lors d'une conférence de presse le 14 janvier 1963, que les Britanniques entretiennent des relations trop étroites avec les États-Unis d'Amérique et que le Royaume-Uni n'est pas en mesure de respecter les règles établies par le Traité de Rome (MOREAU, 1992, p. 28). Si ces derniers en venaient à joindre la Communauté économique européenne par l'entremise de la Grande-Bretagne, De Gaulle est convaincu que les États-Unis prendraient en charge la CEE et que celle-ci deviendrait dépendante des Américains. Comme l'écrit Berthaud, « la conclusion est nette : dans le « cheval de Troie » britannique se cachent les USA.» (BERTHAUD, 1992, p. 34) En plus de cela, les raisons de l'utilisation du droit de veto du général De Gaulle portent à la fois sur des considérations politiques et économiques : la politique agricole britannique d'aides directes aux agriculteurs (deficiency payments) est radicalement opposée à la PAC [Politique Agricole Commune]; la fragilité de la livre, monnaie de réserve internationale, risque de menacer la stabilité monétaire de la CEE indispensable au bon fonctionnement de la PAC; l'équilibre politique de la CEE risque d'être rompu; le Royaume-Uni entend conserver des liens étroits avec les États-unis (accord de Nassau de décembre 1962) et des rapports commerciaux privilégiés avec les pays du Commonwealth. (MOREAU, 1992, p. 28) Les raisons qui entraînent la Grande-Bretagne à déposer sa seconde candidature à la CEE Lors de la deuxième tentative d'intégrer la CEE, le Royaume-Uni se trouve dans une situation plus favorable qu'en 1961. Cela s'explique par de meilleures relations économiques entre le Royaume-Uni et la CEE. D'un autre côté, les rapports économiques et politiques entre les trois acteurs suivants : le Commonwealth, la Grande-Bretagne et les États-Unis d'Amérique, se sont affaiblis. Depuis, l'opinion britannique a évolué et, de son côté, l'opinion européenne est davantage en faveur d'un rapprochement avec le Royaume-Uni. La deuxième application du droit de veto du Général De Gaulle La candidature du Royaume –Uni, si elle est devenue absolument incontournable, n'en pose pas moins des problèmes sérieux tant chez les Britanniques que chez leurs futurs partenaires. D'abord, l'adhésion de la Grande Bretagne au Marché commun provoquerait inévitablement une hausse substantielle des prix des produits alimentaires britanniques (entre 15 et 20 %). On imagine facilement que c'est une situation à laquelle aucun gouvernement ne souhaite être confrontée. Par ailleurs, l'affaiblissement continu de la valeur de la livre sterling stimule les craintes des futurs partenaires dans la mesure où elle pourrait perturber gravement le fonctionnement du Marché commun. C'est dans ce contexte que, le 16 mai 1967, le Général De Gaulle rejette à nouveau la candidature de la Grande Bretagne. On comprend facilement que la dévaluation de la livre, en novembre 1967, ne fera que raffermir sa conviction. Ce nouveau refus de la France entraîne son isolement et accentue les appréhensions au sein de la CEE. Dès lors, le refus de la France apparaît comme un combat d'arrière-garde et nous amène à conclure que tôt ou tard le Royaume-Uni fera son entrée dans le concert des nations européennes. CONCLUSION Le 1er janvier 1973, après un vote à la Chambre des Communes, la Grande-Bretagne fait officiellement son entrée à la Communauté économique européenne. À partir de cette date, plusieurs pays se joignent à la CEE, notamment l'Irlande et la Norvège. L'entrée de la Grande-Bretagne à la Communauté européenne comporte des bienfaits, mais aussi des désavantages pour la CEE. En fait, le Royaume-Uni met à disposition de l'Europe sa puissance industrielle, sa capacité commerciale et son système bancaire, qui est le plus perfectionné du monde. Toutefois, la Grande-Bretagne amène aussi avec elle des problèmes : son taux de croissance est inférieur à celui des autres membres de la CEE, nombre de ses secteurs industriels sont en cris et sa monnaie est l'une des plus faibles (MOREAU, 1992, p. 50). Malgré cela, la création de la Communauté économique européenne amena la création de l'Union européenne (UE) avec le Traité de Maastricht et, plus tard, la mise en place d'une monnaie européenne commune, l'Euro. BIBLIOGRAPHIE 1. Livres ou monographies: BERTHAUD, Claude. Le Marché Commun : des origines à nos jours. 2e éd. Paris, Milan, Barcelone, Bonn : MASSON géographie, 1991. Collection Géographie. 340 p. MOREAU, Gérard. La C.E.E. 6e éd. Paris : Éditions Sirey, 1992. 316 p. TORRELLI, Maurice. La Grande-Bretagne et l'Europe des Six : l'échec d'une négociation. Montréal : Les Presses de l'École des Hautes Études Commerciales, 1969. 76 p. 2. Les articles d'encyclopédie et de dictionnaire : VAÏSSE, Maurice. « Communauté économique européenne (CEE) » dans Dictionnaire des relations internationales au 20e siècle. Paris : Armand Colin, 2000. p. 65-68. 3. Les articles de périodique : MARCHAL, André. « Marché commun européen et zone de libre échange ». Revue économique. Vol. 9, no 2. Paris (Mars 1958), p. 255-266. CASSEN, Bernard. « L'Europe minimale de Mme Thatcher ». Le Monde diplomatique. (juin 1989), p. 20-21. SAMPSON, Anthony. « La Grande-Bretagne s'engage vers l'Europe ». Le Monde. [En ligne]. (19 octobre 1967), n° 7 081, p. 1; 5. Dans European Navigator. 4. Documents autres provenant d'ENA.LU « Caricature de Cummings sur les difficiles négociations d'adhésion du Royaume-Uni à la CEE (30 juillet 1962) » Daily Express. [En ligne]. (30 juillet 1962), n° 19 336, p. 4. Dans European Navigator. BLIESENER, Erich. Europäische Integration als Thema der Karikatur. Heidelberg: Moos. [En ligne]. 1962, p. 90. Dans European Navigator. MICHEL, M.-L. (sous la dir.). 300 caricatures de 50 dessinateurs/De Gaulle. [En ligne]. Paris: Cérès, 1967. Dans European Navigator. BEHRENDT, Fritz. Bitte recht freundlich, Ein Rückblick auf das Jahr 1968 gesehen und aufgezeichnet von F. Behrendt. [s.l.]: Fritz Behrendt, 1968. [En ligne]. Dans European Navigator.