Negociaciones de adhesión de España a las Comunidades Europeas (1975-1985)

Les négociations d’adhésion de l’Espagne aux Communautés européennes


Vanessa Núñez Peñas



Pour une partie très importante de l’Espagne de la transition, les Communautés européennes ont toujours constitué un idéal de liberté et de démocratie à poursuivre résolument. On est cependant conscient que les portes resteront fermées jusqu’à la tenue d’élections libres. De fait, après les premières élections démocratiques depuis l’époque de la Seconde République, qui se sont soldées le 15 juin 1977 par la victoire du parti Union centre-démocratique (UCD) d’Adolfo Suárez, le 28 de ce même mois, le ministre des Affaires étrangères, Marcelino Oreja, présente à Bruxelles la demande d’adhésion espagnole aux Communautés. Le chemin ne sera cependant ni facile ni court.


Les négociations officielles se font attendre jusqu’au 5 février 1979, et la première réunion n’a lieu que le 15 juin de la même année. Les autorités espagnoles, surtout en la personne de Raimundo Bassols, ambassadeur auprès des Communautés, sont conscientes du fait que l’adhésion espagnole pourrait susciter beaucoup plus de méfiance que celles de la Grèce et du Portugal, dont les demandes ont déjà été soumises à Bruxelles en juin 1975 et mars 1977 respectivement. Dès lors, elles tentent d’emblée de jouer la carte des négociations simultanées, bien que nettement différenciées et sans former un ensemble, cela afin d’éviter le risque de décrochage. Tant l’agriculture que certains secteurs industriels espagnols pourraient imposer une dure concurrence à quelques-unes des économies européennes.


À peine un mois après l’approbation de la demande espagnole, pendant la réunion du Conseil européen de Luxembourg (18 octobre 1977), les difficultés au travers desquelles les négociations d’adhésion de l’Espagne allaient devoir passer sont mises sur la table. La France demande en effet à la Commission de présenter une étude approfondie de la situation économique des trois pays du Sud candidats ainsi qu’une évaluation des coûts possibles de l’élargissement. La France montre une position ferme en affirmant qu’un nouvel élargissement ne peut s’entreprendre sans réaliser une étude préalable de ses répercussions sur l’agriculture méditerranéenne ni garantir la sauvegarde de certains intérêts des pays susceptibles d’être affectés par ces répercussions. Face à cette situation, la République fédérale d’Allemagne (RFA) commence déjà à évoquer d’éventuelles compensations économiques pour les États membres affectés.


C’est ainsi que, très tôt, avec le deuxième élargissement européen, apparaissent des conflits entre les intérêts nationaux particuliers et les relations entre les pays déjà membres. Pour cette raison, la Commission entame immédiatement une étude complète des conséquences prévues, qu’elle présentera au Conseil le 20 avril 1978. Ces «réflexions générales relatives aux problèmes de l’élargissement» seront connues sous le surnom de fresco (fresque). Il s’agit d’une analyse à grands traits qui s’efforce de donner une impression d’ensemble – d’où son surnom – des difficultés susceptibles d’apparaître dans les politiques économique, agricole, énergétique, sociale et régionale, sans jamais remettre en cause la nécessité d’un élargissement vers le Sud. On prévoit également des difficultés concernant le fonctionnement des institutions, la cohésion économique et monétaire ainsi que les relations avec l’extérieur.


Sur la base de ce document et des entretiens réalisés avec les autorités espagnoles, le 29 novembre 1978, la Commission soumet au Conseil son avis sur la demande d’adhésion de l’Espagne. Ce document recommande d’ouvrir au plus tôt les négociations d’adhésion, même s’il consiste surtout en une analyse de l’impact que cette adhésion produira sur les divers secteurs de l’activité économique. À cet égard, la fixation des délais transitoires revêt une grande importance. Si pour des questions telles que le désarmement tarifaire, l’application de la politique agricole commune ou l’impôt sur la valeur ajoutée, on évoque la nécessité d’une résolution dans les plus brefs délais, la réalisation de la libre circulation des marchandises et des personnes peut prendre jusqu’à dix ans, durée de la période transitoire.


Après l’accord reçu du Conseil en décembre 1978, l’ouverture des négociations s’effectue à Bruxelles le 5 février 1979. À cette occasion, Leopoldo Calvo Sotelo et Marcelino Oreja président conjointement la délégation espagnole en tant que ministres chargés respectivement des relations avec la Communauté européenne et des affaires étrangères. Le côté communautaire est représenté par Jean-François Poncet, ministre français des Affaires étrangères, la France assumant alors la présidence du Conseil. Un double processus commence à ce moment. D’un côté, on lance l’étude du droit dérivé, dont l’objectif est de veiller à la compatibilité de la législation espagnole avec toutes les règles communautaires. De l’autre, on entreprend l’identification et la définition des problèmes, la première étape des négociations à proprement parler. Dans cette phase, chacune des parties expose son avis sur la façon dont le pays candidat devrait adopter l’ensemble de la législation communautaire. D’emblée, le rythme s’avère plus lent que prévu.


Bien que les réunions se tiennent avec une certaine régularité, presque tous les deux mois, elles ne donnent lieu qu’à de maigres progrès. En fin d’année 1980, les tentatives de Lorenzo Natali, vice-président de la Commission européenne, de fixer un calendrier pour faire avancer les négociations ne parviennent pas à dissiper l’impression de stagnation. Il faut attendre la présidence belge, au premier semestre de 1982, pour voir l’adoption d’un nouveau rythme.


En janvier, pendant la visite officielle de Leopoldo Calvo Sotelo à Bruxelles, déjà en qualité de nouveau président du gouvernement espagnol, un ambitieux programme de travail est fixé. Ce document fait de la réunion ministérielle du 22 mars la date limite pour clôturer les chapitres transports, mouvements de capitaux, questions économiques et financières, rapprochement des législations, politique régionale, droit d’établissement et libre prestation de services. Cette réunion se traduit non seulement par l’atteinte des objectifs fixés mais également par l’établissement d’une nouvelle ligne d’information réciproque entre le Conseil et les deux pays candidats de la péninsule ibérique concernant les questions de coopération politique.


L’optimisme sera de courte durée. La réunion ministérielle du 21 juin marque le début d’une nouvelle période de ralentissement, pendant laquelle le processus d’élargissement reste bloqué par les préoccupations des États membres à l’égard des coûts financiers que l’élargissement pourrait générer. À peine une semaine après, le Conseil européen se réunit à Bruxelles: les ministres de tous les États membres font le leur le souci de la France d’opérer une réforme de la Communauté avant un nouvel élargissement. On charge alors la Commission de réaliser une étude des conséquences possibles de l’adhésion, tant de l’Espagne que du Portugal, en particulier sur les ressources propres et le financement du budget communautaire, les produits agricoles méditerranéens, la libre circulation des travailleurs et la pêche.


Dans le contexte de cette nouvelle paralysie, le 28 octobre voit des élections anticipées en Espagne, qui donnent une large majorité absolue au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) dirigé par Felipe González. La nouvelle équipe de négociation socialiste, avec Fernando Morán comme ministre des Affaires étrangères et Manuel Marín en charge du secrétariat d’État pour les relations avec les Communautés européennes, ne participe aux négociations qu’à partir de la réunion ministérielle du 13 décembre, à peine quelques jours après que le Conseil européen de Copenhague a examiné l’inventaire réalisé par la Commission au sujet de l’élargissement de la Communauté.


À cet égard, on réaffirme l’engagement en faveur de l’élargissement de la Communauté à l’Espagne et au Portugal en soulignant l’importance de faire progresser les négociations. Plus concrètement, il est demandé de faire progresser «le plus rapidement possible et avant mars 1983 la révision des dispositions existantes relatives à certains produits agricoles méditerranéens», en invitant la Commission «à explorer avec les deux pays candidats l’introduction d’un certain nombre de mesures internes avant l’adhésion, afin de préparer leur économie dans des secteurs particulièrement sensibles».


Au premier semestre de 1983, sous la présidence allemande, les négociations acquièrent enfin un rythme nouveau. Les bonnes relations entre Felipe González et Helmut Kohl sont sans aucun doute très utiles pour donner un élan définitif aux négociations, mais si le gouvernement socialiste n’avait pas appréhendé la situation dans son ensemble, cet élan n’aurait pas été possible. D’emblée, on aborde le sujet en ayant à l’esprit que l’élargissement de la Communauté européenne ne peut être mené à bon terme sans trouver de solution à la crise agricole et budgétaire de celle-ci. Or, comme la RFA apporte la plus grosse contribution à la Communauté, la solution de tous les problèmes doit venir de Bonn.


Pendant le Conseil européen de Stuttgart, les 18 et 19 juin 1983, considérant que la seule solution au manque de moyens de la Communauté est l’augmentation de la proportion de TVA destinée aux caisses communautaires, la RFA, qui apporte la principale contribution, propose d’augmenter de 1 à 1,4 % le taux de base de la TVA, à la condition que se réalise de façon définitive l’adhésion de l’Espagne et du Portugal. Même si aucune date précise n’est fixée, cette proposition sert sans aucun doute de point d’appui pour imprimer un élan définitif aux négociations. En outre, afin de progresser à la fois vers la réalisation de la réforme interne et l’élargissement, on convient d’organiser de façon régulière, au cours du semestre suivant, des conseils spéciaux, à savoir des réunions entre les ministres des Affaires étrangères, des Finances et de l’Agriculture des Dix.


Le 21 juin, une nouvelle session de négociations au niveau ministériel permet de conclure, pour la première fois depuis le 22 mars de l’année précédente, un nouveau chapitre: la fiscalité, étant entendu que l’Espagne acceptera l’application de la TVA dès l’entrée en vigueur de son adhésion. Au cours des réunions suivantes, d’autres chapitres seront clôturés: monopoles (15 juillet), Ceuta et Melilla (18 octobre) et EURATOM (19 décembre). Il ne reste plus qu’à clôturer dix chapitres sur un total de 21, à savoir: relations extérieures et brevets, union douanière, CECA, agriculture, pêche, affaires sociales, ressources propres, institutions, îles Canaries et relations Espagne-Portugal.


Néanmoins, la conviction d’avoir atteint une phase aisée des négociations d’adhésion est brutalement confrontée à la réalité du Conseil européen d’Athènes. Déjà en novembre, il apparaît évident que les réunions du conseil spécial lancées à Stuttgart ne seront pas couronnées de succès: les divergences entre les États membres sont très profondes, les tendances opposées se révélant chaque fois au sujet de la façon de mener la réforme de la politique agricole commune et du financement.


C’est dans ce contexte que commence la présidence française, suscitant une grande appréhension dans l’opinion publique espagnole. Dans une déclaration prononcée devant le Parlement européen, Claude Cheysson, président en exercice du Conseil et ministre français des Affaires étrangères, rappelle que les négociations doivent se conclure aussi vite que possible, ce qui nécessitera «la volonté résolue de tous». Le succès des négociations dépend, en grande partie, de la résolution préalable des problèmes internes de la Communauté. À la surprise générale, c’est à la fin de ce premier semestre de 1984 que les négociations prennent enfin une bonne tournure.


En février, un sommet hispano-français se tient à Rambouillet pour essayer de rapprocher les positions des deux pays en matière d’agriculture et de pêche; le 21 de ce mois, la réunion ministérielle permet de faire avancer les négociations d’adhésion en fixant la position communautaire sur le chapitre de l’agriculture. Aucun accord n’est conclu, mais, au moins, la phase d’«exploration sur les positions mutuelles» est considérée comme achevée. Il faudra attendre le mois de mai pour que, après l’approbation par le Conseil de la Communauté des nouveaux règlements horticoles, la France se déclare disposée à aborder le chapitre agricole de l’adhésion espagnole.


Si lors de la réunion ministérielle du 10 avril, le chapitre «relations extérieures et brevets» est clôturé, celle du 19 juin permet enfin d’entamer véritablement la dernière ligne droite. Aucun chapitre n’est clôturé à cette occasion, mais les communautaires impriment un élan important aux négociations en cédant, dans une certaine mesure, sur les questions industrielles en échange de la même attitude de l’Espagne concernant les questions agricoles. Il semble que, peu à peu, les chapitres restants vont se débloquer dans les mois suivants.


Quand commence la présidence irlandaise, au deuxième semestre de la même année, Peter Barry se fixe le 30 septembre comme date finale des négociations d’adhésion. Les chapitres qui restent à clôturer sont cependant les plus litigieux, en particulier ceux ayant trait à l’agriculture, à la pêche et au désarmement tarifaire. Seul est atteint un accord de principe quand, après le Conseil de Dublin des 3 et 4 décembre, la réforme du marché communautaire des vins est approuvée. À la fin, le gouvernement grec déclare cependant qu’il acceptera l’élargissement de la Communauté uniquement en cas d’adoption d’une position satisfaisante sur les programmes intégrés méditerranéens (PIM). Une semaine plus tard, la réunion ministérielle du 18 permet enfin de clôturer les chapitres «union douanière», «CECA» et «institutions».


Les négociations tirent à leur fin, comme en témoigne le fait que cette dernière conférence de négociations convient également de constituer un groupe de rédaction chargé d’élaborer l’accord définitif d’adhésion. Il ne reste plus que six chapitres qui, comme le désire expressément le Conseil, devraient être clôturés définitivement au mois de mars suivant.


Au premier semestre de 1985, c’est l’Italie qui assume la présidence. Au début du mois de janvier, Gaston Thorn laisse la présidence de la Commission aux mains de Jacques Delors, Lorenzo Natali continuant ses fonctions de vice-président. Début février, cette nouvelle Commission présente un paquet de propositions en matière d’agriculture, de pêche et d’affaires sociales, mais les États membres n’arriveront à un accord définitif sur la position communautaire dans ces domaines que plusieurs réunions plus tard. L’écueil principal est la pêche. Au cours des négociations, les tensions atteignent un tel degré que Fernando Morán et Felipe González vont jusqu’à déclarer en public que la date prévue pour l’adhésion ne pourra pas être respectée.


Face à cette nouvelle impasse, Giulio Andreotti, ministre italien des Affaires étrangères, redouble d’efforts. Entre les 17 et 21 mars, on voit simultanément des réunions du Conseil et des sessions ministérielles avec l’Espagne et le Portugal, durant lesquelles le paquet proposé un mois et demi avant par la Commission est proposé à la délégation espagnole. Finalement, au moment où l’approbation paraît proche, la France bloque à nouveau la situation en demandant un réexamen des aspects relatifs à la commercialisation des vins espagnols et à la pêche. Devant cet échec, Andreotti propose, pour le 28 et le 29, un nouveau «marathon» de négociations, au terme duquel, à quatre heures du matin, on parvient finalement à conclure un accord définitif et à clôturer tous les chapitres en suspens.


Ce même soir voit la réunion du Conseil européen de Bruxelles: une fois conclu l’accord sur les programmes intégrés méditerranéens au bénéfice des régions méridionales, la Grèce retire ses réserves et l’accord sur l’élargissement devient effectif. Se félicitant de la résolution finale des négociations, le Conseil appelle les partenaires à achever au plus vite les travaux de rédaction des traités d’adhésion, dans l’espoir que la nouvelle Communauté puisse voir le jour au 1er janvier 1986. Effectivement, le 12 juin 1985, les traités d’adhésion sont signés à Lisbonne et à Madrid, un événement que la presse saluera par un «Bonjour l’Europe» dans ses premières éditions de 1986.

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