La España democrática y la Conferencia de Seguridad y de Cooperación en Europa (CSCE) (1983)

L’Espagne et le processus de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe


Francisco José Rodrigo Luelmo



L’actuelle Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a pour origine la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Sa première réunion est la conférence d’Helsinki, qui s’est étalée de 1973 à 1975. Cette rencontre diplomatique marque un point d’inflexion dans la période de détente que traverse alors la guerre froide. Ses deux principaux fondements sont la consolidation du statu quo né en 1945 (revendication des États communistes) et du respect des droits de l’homme (sur proposition de l’Occident).


L’Espagne envoie elle aussi des représentants à Helsinki afin de participer activement à cette conférence, un effort qui dépasse ses possibilités du moment, surtout si l’on tient compte des difficultés internes et externes que connaît le pays à cette période. La dictature du général Franco se trouve devant une occasion unique: c’est la première fois que l’Espagne est invitée à participer à un grand forum international depuis la fin de la Guerre civile en 1939. Madrid est ainsi la première nation à répondre affirmativement à l’offre lancée en 1969 par le bloc socialiste concernant la tenue d’une Conférence sur la sécurité sur le Vieux Continent, cela malgré l’antagonisme idéologique enraciné entre le franquisme et le communisme.


L’Espagne apporte d’importantes contributions aux «consultations préparatoires» d’Helsinki, qui commencent le 22 novembre 1972 pour s’achever le 8 juin 1973 avec l’approbation des recommandations finales. Ce texte, également connu sous le nom de «livre bleu», détermine tant la thématique que les procédures à suivre lors de la future Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Durant celle-ci, le choix de la langue officielle de travail se porte sur l’espagnol, grâce aux démarches accomplies par la délégation espagnole sous la direction de l’ambassadeur à Helsinki, Nuño Aguirre de Cárcer, un intervenant actif dans cette phase préparatoire. Soulignons en outre qu’Aguirre de Cárcer et les autres diplomates espagnols qui participent aux consultations (et au reste de la conférence) agissent en toute indépendance par rapport aux directives de leur gouvernement, cela parce que l’Espagne se préoccupe beaucoup plus des questions intérieures que des thèmes de politique étrangère. Par la suite, Laureano López Rodó, le ministre espagnol des Affaires étrangères, participe à la première phase de la CSCE, menée du 3 au 7 juillet 1973 dans la capitale finlandaise. Cette phase a pour but l’adoption des recommandations finales.


La deuxième phase de la conférence, où les experts cherchent à négocier le texte final de la réunion, a lieu à Genève du 18 septembre 1973 au 21 juillet 1975. L’Espagne, dont la délégation est dirigée par l’ambassadeur Miguel Solano, joue un rôle actif dans la ville suisse car elle devient le médiateur entre les deux blocs de la guerre froide. Toutefois, pour ce qui est de la position de la diplomatie espagnole dans les diverses commissions ou «corbeilles», elle est, dans cette phase, plus proche du Pacte de Varsovie sur des questions telles que la défense du statu quo établi en 1945, la non-ingérence dans les affaires intérieures de chaque pays et le droit de chaque peuple à déterminer son propre régime politique. L’Espagne se montre également favorable à la modification pacifique des frontières, à l’inviolabilité et à l’immunité territoriale des États. En revanche, Madrid défend, comme l’Occident, la multilatéralité des relations internationales.


Néanmoins, l’Espagne a joué un rôle important dans les quatre domaines suivants: le tourisme, l’émigration, Gibraltar et la Méditerranée. Concernant le premier domaine, l’Espagne est à ce moment déjà une puissance touristique internationale de premier plan; en outre, Madrid abrite depuis peu le siège de l’Organisation mondiale du tourisme. L’Espagne étant désireuse de partager avec le monde son expérience en tourisme, sa délégation figure parmi celles qui auront présenté le plus de propositions dans ce domaine. Sur le terrain de l’émigration, l’Espagne compte alors des millions de citoyens résidant hors de ses frontières. Il est donc naturel que la délégation espagnole à la conférence milite en faveur d’une amélioration des conditions de vie des émigrants. Signalons cependant que si l’Espagne appuie l’ouverture Est-Ouest pour la coopération sur ces deux thèmes, entre autres, ce n’est pas au nom de la liberté de circulation des pensées et des idées.


En ce qui concerne Gibraltar, Madrid déclare à Genève que l’acceptation du statu quo européen par l’Espagne ne signifie pas que le pays renonce à ses droits de souveraineté sur le rocher, qui sont reconnus par les Nations unies puisqu’il s’agit d’un cas de décolonisation. Le gouvernement espagnol fait donc valoir le principe de modification pacifique des frontières, qui sera ensuite repris par l’Acte final.


Pour ce qui est de la sécurité en Méditerranée, l’Espagne insiste devant la conférence sur l’importance de garantir la paix dans cette région. Madrid craint en effet que le «dégel» en Europe centrale n’entraîne une escalade de tensions dans la région méditerranéenne. À Genève, l’Espagne soutient une plus grande participation des pays de la rive sud à la commission constituée spécialement pour débattre de toutes les questions liées à la Mare Nostrum.


Une autre polémique importante dans laquelle l’Espagne se voit prise à Genève concerne l’expression «minorités nationales», qui est proposée par la Yougoslavie et que Madrid rejette en raison du problème territorial de l’État espagnol. En fin de compte, grâce aux démarches diplomatiques de la délégation espagnole, l’Acte final d’Helsinki accepte aussi le concept de «cultures régionales».


Finalement, Carlos Arias Navarro, président du gouvernement espagnol, se rend à Helsinki pour participer à la troisième phase de la conférence qui, du 30 juillet au 1er août 1975, réunit les chefs d’État et de gouvernement des pays participants en vue de la signature de l’Acte final négocié au niveau des experts à Genève. Arias Navarro, dans le discours qu’il prononce devant la plénière des dirigeants mondiaux, réaffirme l’engagement de l’Espagne en faveur de la continuité du processus lancé à Helsinki, et présente à nouveau les principales positions défendues par son pays au long des diverses phases de cette première réunion de la CSCE. Le Premier ministre espagnol, qui préside la délégation de son pays, profite de ce voyage à Helsinki pour entamer de nombreux dialogues bilatéraux avec les dirigeants internationaux les plus importants du moment. De même, Arias Navarro tire parti de sa présence dans la capitale finlandaise pour tenter de résoudre certains des principaux problèmes de la politique étrangère de l’Espagne du moment, notamment le conflit du Sahara, les négociations compliquées pour conclure un nouveau concordat avec le Saint-Siège et le renouvellement des accords de défense avec les États-Unis. Enfin, la participation d’Arias Navarro à la troisième phase de la conférence a également pour but d’améliorer son image à l’intérieur du pays. C’est en effet la première intervention d’un chef de gouvernement espagnol devant un forum international de renom depuis l’instauration de la dictature franquiste en 1939.


La conférence d’Helsinki constitue donc un premier pas vers le retour de l’Espagne dans la communauté internationale. Toutefois, la bonne impression laissée par le pays lors de la CSCE est annulée par le durcissement de la répression qu’exerce le régime franquiste peu après la signature de l’Acte final d’Helsinki. Ce durcissement se manifeste par l’exécution de cinq terroristes de l’ETA et du FRAP (deux organisations armées d’extrême droite) le 27 septembre 1975, lors des derniers instants du franquisme. Avec cet acte, l’Espagne apparaît devant l’opinion publique mondiale comme le premier pays qui enfreint de façon explicite l’esprit et la lettre du texte signé dans la capitale finlandaise.


L’Acte final d’Helsinki convoque tous les pays participants à la CSCE à une réunion ultérieure, la conférence de suivi à Belgrade, qui commence le 4 octobre 1977 et dont l’objectif est d’analyser le degré de mise en œuvre des engagements contenus dans le texte signé en 1975. La réunion de Belgrade se solde néanmoins par un véritable échec à un moment où la détente commence à s’effondrer. Dans ces conditions, personne ne s’étonne de l’absence d’accord dans la capitale yougoslave lorsque la conférence se termine le 9 mars 1978. Entre-temps, l’Espagne, dont la délégation est dirigée par l’ambassadeur Juan Luis Pan de Soraluce, parvient à obtenir des appuis internationaux pour le processus de transition vers la démocratie qui se déroule dans le pays. D’ailleurs, les diplomates espagnols réussissent à faire en sorte que Madrid accueille la prochaine réunion principale de la CSCE.


Conformément au texte final obtenu dans la capitale yougoslave, une série de forums spécialisés sont organisés dans le cadre de la CSCE avant la conférence de Madrid, des forums auxquels l’Espagne participe également: le règlement pacifique des différends de Montreux (Suisse), entre octobre et décembre 1978; le forum de la coopération méditerranéenne de La Valette (Malte), tenu en février et mars 1979, durant lequel l’Espagne est l’un des rares pays, à côté de la délégation du pays organisateur, à présenter des propositions; et le forum scientifique de Hambourg (Allemagne), qui est mené entre février et mars 1980 et que l’Espagne considère comme une «répétition générale» de la toute proche conférence de Madrid.


C’est ainsi que, en septembre 1980, commencent dans la capitale espagnole les sessions préparatoires de la deuxième réunion de suivi de la CSCE, dans un contexte international rendu plus compliqué par la réactivation de l’antagonisme entre les deux blocs de la guerre froide. L’exécutif espagnol doit faire preuve d’habileté diplomatique lors des consultations préalables, en septembre et octobre 1980. L’URSS et ses alliés ne sont pas disposés à poursuivre le processus lancé à Helsinki s’il n’y a pas de garanties que les tensions de Belgrade ne réapparaîtront pas à Madrid; ils ne veulent traiter que du thème du désarmement. Pour sa part, l’Occident rejette cette proposition car il existe d’autres forums internationaux où l’on débat de ce thème; il propose par contre d’approfondir la question des droits de l’homme. Les consultations préalables sont donc sur le point d’échouer avant de commencer. Cependant, les sessions préparatoires sont finalement entamées avec l’approbation du «livre violet», et les réunions de la conférence commencent le 11 novembre 1980 sans s’imposer de date limite afin d’éviter la répétition du fiasco de Belgrade.


En ce qui concerne le rôle du pays organisateur, il faut souligner que les démarches diplomatiques accomplies par l’Espagne permettent de sauver les réunions préparatoires de la conférence de Madrid. Elles ont en effet pour résultat que l’on accepte la possibilité tant de revoir l’Acte final d’Helsinki que d’envisager de nouvelles questions par rapport au texte de 1975. La délégation espagnole à la CSCE de Madrid est présidée par le jeune diplomate et député de l’UCD, Javier Rupérez et, à partir de novembre 1982, par l’ambassadeur Pan de Soraluce qui, comme nous l’avons vu, avait déjà tenu ce rôle à Belgrade. Par ailleurs, il importe de souligner le fait que, en octobre 1982, à la même période que la tenue de la Conférence, l’Espagne vit une alternance politique avec l’arrivée au gouvernement du Parti socialiste de Felipe González. L’exécutif précédent de l’Union centre-démocratique avait utilisé les premières sessions de la réunion de la CSCE à Madrid pour se faire une idée des possibilités pour l’Espagne d’adhérer à l’OTAN. Toutefois, même au prix de l’affaiblissement de son rôle de médiateur, qui résulte de son orientation définitive et officielle favorable au bloc occidental, au grand désagrément des Soviétiques, la délégation espagnole constituée sous l’exécutif UCD avait réussi à clôturer les thèmes les moins polémiques du texte final de Madrid. Avec les socialistes au pouvoir, le pays organisateur exerce à nouveau un rôle médiateur clé entre les blocs, cela en raison des réserves que le nouveau gouvernement espagnol affiche à l’égard de l’Alliance atlantique. Dès lors, la proposition présentée par le président Felipe González à la Conférence en juin 1983 suscite une série d’initiatives qui prendront forme dans le mandat définitif de la réunion. De la sorte, le rôle fondamental de l’Espagne à la conférence de Madrid apparaît clairement: le pays agit comme organisateur et médiateur, évite l’échec de la réunion à de multiples occasions et permet à la CSCE de survivre malgré la délicate situation internationale.


Après trois années de réunions, le mandat final de la Conférence de Madrid, signé le 9 septembre 1983, marque des progrès importants par rapport à l’Acte final d’Helsinki, par exemple: la première condamnation internationale du terrorisme, (sur proposition de l’Espagne), le soutien aux libertés syndicales et d’association (coïncidant avec l’opposition entre la dictature communiste de Pologne et le syndicat indépendant Solidarnosc) ou la défense de la liberté de culte. Autre nouveauté importante: on annonce pour 1984 une conférence à Stockholm sur des mesures destinées à encourager la confiance, la sécurité et le désarmement en Europe, dans le cadre de la CSCE, ce qui répond en partie aux demandes soviétiques dans ce domaine. Sur la question méditerranéenne, les États participants décident de poursuivre les activités des forums spécialisés. De même, dans le domaine des contacts humains, quelques progrès sont enregistrés en matière de culture et d’éducation. Finalement, concernant la continuité du processus lancé à Helsinki, le texte final de Madrid favorise de multiple forums spécialisés et convoque tous les États de la CSCE à la troisième conférence de suivi, qui débutera à Vienne en 1986. Du mandat approuvé à Madrid, on peut donc souligner certaines nouveautés ainsi que les progrès accomplis par rapport au contenu de l’Acte final d’Helsinki, ce qui démontre que le texte conclu en 1975 pouvait être modifié et adapté aux changements de l’époque.


C’est ainsi que le processus né dans la capitale finlandaise peut se poursuivre. Conformément aux dispositions du mandat de Madrid, la CSCE tient une série de réunions spécialisées avant Vienne. Le premier forum, le plus long et le plus important, est la Conférence sur les mesures de confiance et de sécurité et sur le désarmement en Europe, qui a lieu à Stockholm. Les travaux de cette conférence dureront de janvier 1984 à septembre 1986, quand les États participants atteindront un accord définitif. Le texte approuvé approfondit les mesures de confiance militaires. Bien que ce texte ne soit pas juridiquement contraignant, les États signataires s’engagent à en faire une application obligatoire, à la différence du volet militaire de l’Acte final d’Helsinki. L’Espagne, qui a intérêt à ce que le forum de Stockholm se solde par une réussite puisque l’initiative en est née à la conférence de Madrid, y participe à nouveau de façon active. Pendant la réunion, la délégation espagnole est dirigée par Máximo Cajal et José Manuel Allendesalazarles, ambassadeurs en Suède. Par ailleurs, Felipe González, président du gouvernement espagnol, est, avec Olof Palme, le seul dirigeant de la CSCE à participer à des sessions de la réunion tenue dans la capitale suédoise.


La diplomatie espagnole est également présente dans les autres forums spécialisés qui se tiennent préalablement à la conférence de Vienne, comme celui consacré au règlement pacifique des différends, qui a lieu à Athènes en mars-avril 1984, ou celui sur la coopération en Méditerranée, organisé à Venise en octobre 1984. De plus, l’Espagne participe aux trois réunions qui, afin de compenser l’intérêt communiste pour la réunion de Stockholm, étudient les thèmes de la CSCE qui présentent le plus d’intérêt pour l’Occident: droits de l’homme, à Ottawa (mai-juin 1985); culture, à Budapest (octobre-novembre 1985); et contacts humains, à Berne (avril-mai 1986), des réunions qui connaîtront un succès variable.


L’arrivée au pouvoir en URSS de Mikhaïl Gorbatchev a pour effet de redynamiser la CSCE. Dans un contexte international plus détendu que lors de la conférence de Madrid, celle de Vienne débute le 4 novembre 1986. Les étapes finales de la conférence de Vienne vont d’ailleurs coïncider avec le début de la fin de la guerre froide, puisque la conférence se conclut le 19 janvier 1989, quelques mois avant la chute du mur de Berlin. Javier Villacieros est l’ambassadeur à la tête de la délégation espagnole à cette réunion. Le texte final de Vienne concrétise d’importants accords en matière de droits de l’homme: il contient des obligations de respect de ces droits et évoque le droit de regard sur la conduite des gouvernements dans ce domaine. De même, ce document envisage l’ouverture imminente de négociations en vue de la réduction de l’armement conventionnel en Europe. Entre-temps, grâce à l’initiative de l’Espagne, une troisième réunion d’experts de la CSCE sur la Méditerranée est organisée à Palma de Mallorca en septembre 1990. Celle-ci traite davantage de questions économiques que de sécurité.


Enfin, l’effondrement du totalitarisme communiste en Europe de l’Est et la fin de la guerre froide provoquent une série de changements historiques au sein de la CSCE, que l’Espagne a vécus au même titre que les autres États. Le 19 novembre 1990, réunis dans la capitale française, les chefs d’État et de gouvernement de 34 pays de la CSCE, avec parmi eux l’Allemagne récemment réunifiée, signent la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, qui proclame la fin de la division du Vieux Continent et crée les premiers organes permanents de la conférence: un Secrétariat à Prague, un Centre de prévention des conflits à Vienne et un Bureau des élections libres à Varsovie. Le point culminant de cette institutionnalisation intervient lors de la conférence de suivi de Budapest, entre octobre et décembre 1994, qui décide de transformer la CSCE en l’actuelle Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).


Depuis lors, l’Espagne a participé activement à l’OSCE, y apportant des fonds et du personnel de divers types, notamment des observateurs pour des missions internationales et pour la surveillance de processus électoraux. De plus, l’Espagne peut se targuer d’avoir assuré son tour de présidence de l’OSCE en 2007, une fonction marquant le summum de la contribution apportée par le pays à l’organisation qui a pris la relève du processus lancé à Helsinki en 1975.

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