L'apport de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes


La Cour de justice a contribué pleinement au développement de l'ordre juridique communautaire. Sa jurisprudence créatrice a comblé les lacunes existantes dans les Traités constitutifs, en complétant et précisant leurs dispositions.


La reconnaissance des principes de base tels que l'applicabilité directe du droit communautaire (arrêt Van Gend en Loos du 5 février 1963, 26/62) et la primauté du droit communautaire sur les droits nationaux (arrêt Costa/ENEL du 15 juillet 1964, 6/64) a été la contribution la plus importante à la construction communautaire. Sur la base de ces principes les particuliers peuvent invoquer le droit communautaire devant les juges nationaux et demander l'inapplication d'une norme nationale contraire au droit communautaire.


À défaut d'un catalogue écrit des droits fondamentaux dans les Traités et aux fins de sauvegarder la primauté et l'application uniforme du droit communautaire, la Cour a été amenée à construire un système de protection de ces droits sur la base des principes généraux du droit communautaire. Tout en s'inspirant des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme, la Cour assure la sauvegarde des droits fondamentaux dans le champ d'application du droit communautaire (arrêts Stauder du 12 novembre 1969, 29/69 et Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, 11/70).


Au nom de la pleine efficacité des normes communautaires et de la protection des droits des particuliers, la Cour a déclaré la responsabilité financière des autorités nationales en cas de violation du droit communautaire imputable aux États membres et l'obligation de réparation des dommages (arrêt Francovich du 19 novembre 1991, C-6/90 et 9/90).


La Cour a eu à trancher sur la délimitation des compétences communautaires. Dans l'arrêt Commission/Conseil du 31 mars 1971 (AETR, 22/70), à propos d'un accord international en matière de transport, la Cour a établi le principe de parallélisme des compétences internes et externes, selon lequel à la compétence de définir une politique commune correspond la compétence de conclure des accords internationaux dans ce domaine. Le régime des mesures internes à la Communauté est lié à celui des relations extérieures (avis 1/76 du 26 avril 1977). La Cour reconnaît ainsi le principe du caractère évolutif des compétences communautaires dans les relations extérieures.


Outre l'interprétation extensive des dispositions relatives aux compétences communautaires, la Cour contrôle l'exercice des compétences par les États membres dans le cadre des Traités. Ainsi, l'usage que les États font de leur pouvoir de déroger aux dispositions relatives à la libre circulation est soumis aux autres règles du Traité et au contrôle judiciaire (arrêt Rutili du 28 octobre 1975, 36/75) et ne peut pas servir à réserver certaines matières à la compétence des États membres (arrêt Simmenthal du 9 mars 1978, 70/77). Cette jurisprudence a consolidé la Communauté.


L'importance de la jurisprudence de la Cour comme source de droit apparaît aussi en rapport avec les politiques communautaires. La Cour a été amenée à préciser des concepts contenus dans le Traité instituant la Communauté européenne (CE) tels que les "mesures d'effet équivalent" à des restrictions quantitatives à l'importation (article 28) ou les "pratiques concertées" entre entreprises et la "position dominante" sur le marché commun en matière de concurrence (articles 81 et 82).


En ce qui concerne la libre circulation des marchandises, la Cour a élargi la portée de l'article 28. Elle a considéré comme "mesure d'effet équivalent" à des restrictions quantitatives à l'importation "toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce communautaire" (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74). Dans l'affaire Cassis de Dijon (arrêt du 20 février 1979, Rewe-Zentral, 120/78) la Cour a établi le principe selon lequel "tout produit légalement fabriqué et commercialisé dans un État membre, conformément à la réglementation et aux procédés de fabrication loyaux et traditionnels de ce pays, doit être admis sur le marché de tout autre État membre" (principe de la reconnaissance mutuelle des réglementations nationales). Néanmoins, la Cour a exclu du champ d'application de l'article 28 une législation nationale interdisant la revente à perte, pourvu qu'elle s'applique à tous les opérateurs exerçant leur activité sur le territoire national et pourvu qu'elle affecte de la même manière la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres (arrêt Keck et Mithouard du 24 novembre 1993, C-267 et C-268/91).


L'arrêt Van Duyn du 4 décembre 1974 (41/74) a affirmé l'applicabilité directe de la libre circulation des travailleurs (article 39 du Traité CE). Dans l'arrêt Bosman du 15 décembre 1995 (C-415/93), la Cour a rappelé que la libre circulation des travailleurs constitue une liberté fondamentale dans le système des Communautés et a déclaré que l'article 39 s'oppose à l'application de règles édictées par des associations sportives qui obligent les clubs de football à aligner un nombre limité de joueurs professionnels ressortissants d'autres États membres.


Dans l'arrêt Reyners du 21 juin 1974 (2/74), la Cour a jugé que l'article 43 du Traité CE (liberté d'établissement) comportait une interdiction des discriminations par des raisons de nationalité qui pouvait être directement invoquée par les particuliers. L'effet direct de la libre prestation des services a été reconnu par la Cour dans l'arrêt Van Binsbergen du 3 décembre 1974 (33/74).


L'article 141 du Traité CE (principe de l'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins pour un même travail) a été interprété comme disposition conférant aux personnes privées des droits qu’ils peuvent invoquer directement devant les tribunaux (arrêt Defrenne du 8 avril 1976, 43/75).


Le bilan de l’activité de la Cour de justice dès sa création ne peut être que positif. Son œuvre jurisprudentielle a permis d'avancer dans l'intégration, tout en préservant "l'acquis communautaire" et en faisant de la Communauté européenne une "Communauté de droit" (arrêt Les Verts du 23 avril 1986, 294/83).

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