Organisations européennes: genèse, évolution et interrelations

Les organisations européennes


Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un contexte de division et de pénurie, les dirigeants politiques des États européens ressentent le besoin de nouer des rapports pacifiques avec leurs voisins afin de jeter les bases d’une sécurité et d’une prospérité durables.


Parmi les premières formes de coopération entre les États d’Europe occidentale, il faut citer celles promues par les États-Unis d’Amérique dans un environnement international marqué par les débuts de la Guerre froide. Elles donnent lieu aux organisations de coopération euro-atlantique. L'Organisation européenne de coopération économique (OECE) est créée en 1948 dans le but de gérer l’aide financière proposée par le Plan Marshall dans un programme de relèvement européen. L'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) est instituée en 1949 en tant qu’alliance de défense militaire sous l’égide des États-Unis vis-à-vis du bloc communiste. Ces deux organisations trouvent leur réplique en Europe orientale avec la création, sous les auspices de l’Union soviétique, du Conseil d’assistance économique mutuelle (Comecon) en 1949 et du Pacte de Varsovie en 1955. À partir de 1989, avec l’effondrement des régimes communistes, les organisations euro-atlantiques auront l’occasion de développer davantage leur vocation intercontinentale en intégrant les États sortant des organisations orientales.


Les organisations de coopération à vocation européenne naissent avec la signature à Bruxelles, le 17 mars 1948, du traité de collaboration en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense collective par la Belgique, la France, les Pays-Bas, le Luxembourg et le Royaume-Uni. Dans le cadre de l’organisation fondée par le traité de Bruxelles — l’Union occidentale —, les Cinq répondent d’ailleurs à l’appel du Comité international de coordination des mouvements pour l'unité européenne et décident de créer, en 1949, une deuxième organisation de coopération, le Conseil de l’Europe. L’Union occidentale, se transformant en 1955 en Union de l’Europe occidentale (UEO), accueille l’Italie et la République fédérale d’Allemagne (RFA) — les anciens adversaires — et favorise le réarmement progressif de cette dernière dans un cadre surveillé.


L’UEO, malgré son élan initial, va toutefois jouer un rôle secondaire par rapport aux autres organisations européennes. En 1959, cette organisation transfère l'exercice de ses activités sociales et culturelles au Conseil de l'Europe. Quant à ses compétences économiques, elles pâtissent d’abord de la création par les Six (Belgique, RFA, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas) des Communautés européennes (notamment de la Communauté économique européenne en 1957), et ensuite de la création — comme alternative britannique à la CEE — de l’Association européenne de libre échange (AELE) en 1960. Les compétences économiques de l’UEO perdent définitivement leur raison d’être avec l’adhésion du Royaume-Uni aux Communautés en 1973. Jusqu’à cette date, l’UEO va tout de même offrir un cadre structuré aux négociations entre le Royaume-Uni et les États membres des Communautés. En tant que stricte alliance militaire, ayant comme objectif principal la légitime défense collective de ses membres (article V du traité), l’existence de l’UEO sera éclipsée par celle de l’OTAN, organisation dont elle va largement dépendre. Elle connaîtra néanmoins un renouveau à partir des années 1980 avec la naissance d’une dimension européenne de défense, qui se veut autonome par rapport à l’Alliance atlantique.


Les organisations à but politique — le Conseil de l’Europe dès 1949 et les Communautés européennes à partir de 1951/1957 dans leur chemin vers l’Union européenne — sont celles qui vont opérer les changements les plus profonds sur le continent en réalisant une convergence progressive des ordres juridiques. Leur création répond à maints égards aux demandes des mouvements européens partisans de l’unification du continent. Elles reflètent, au fur et à mesure des évolutions géopolitiques en Europe, le degré de compromis atteignable entre les courants souverainistes, partisans de la méthode de coopération intergouvernementale entre nations indépendantes, et les courants fédéralistes, partisans de l’intégration de certaines compétences étatiques dans le cadre d’une instance supranationale.


Ainsi, les Communautés européennes, sous l’impulsion du couple franco-allemand, naissent en tant qu’organisations d’intégration. À la différence des organisations de simple coopération, au sein desquelles les États souverains ne font qu’harmoniser leurs points de vue, les organisations d’intégration exercent en commun les compétences que les États membres leur attribuent. Cela implique que les États qui adhèrent aux Communautés sont prêts à transférer des parties de leur souveraineté à une instance supranationale. Par contre, le Conseil de l’Europe, sous la pression du Royaume-Uni, se constitue en tant qu’organisation de coopération intergouvernementale. En fait, c’est la volonté d’aller plus loin de certains membres de l’organisation la plus ancienne — le Conseil de l’Europe — qui conduit à la création des «Communautés restreintes».


Au sein du Conseil de l’Europe, la volonté d’intégration d’un nombre réduit d’États permet l’adoption en mai 1951 d’un texte à caractère statutaire prévoyant la création d’«autorités spécialisées européennes», dont chacune serait dotée d'une compétence propre dans les domaines économique, social, culturel, juridique, administratif et autres domaines connexes, et auxquelles chacun des membres demeurait libre d’adhérer ou non. Le texte partait d’une initiative de 1949 de l’Assemblée consultative de l’organisation qui envisageait la création d’autorités spécialisées comme une étape transitoire vers l’établissement d’une union européenne.


Cette «méthode indirecte» de recherche d’une autorité politique européenne, «secteur par secteur», était celle proposée par Robert Schuman, ministre français des Affaires étrangères lors d’un discours tenu à Paris en mai 1950. Inspiré par Jean Monnet, il envisageait de «placer l’ensemble de la production franco-allemande de charbon et d’acier, sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d’Europe». Cette «réalisation concrète» créerait d’abord «une solidarité de fait» qui, à terme, mènerait à une Fédération européenne.


Malgré les efforts de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe dans la recherche d’une autorité européenne acceptable pour tous les États membres de l’organisation, les Six et les pays «anglo-scandinaves» maintiennent des positions éloignées. La première «Communauté restreinte», la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) naît déjà en avril 1951 en dehors du Conseil de l’Europe. Des projets pour la création d’autres Communautés spécialisées s’élaborent aussi en dehors. Ils aboutissent à la création en 1957 de la Communauté économique européenne (CEE) et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom). Afin de minimiser les conséquences de la division, le gouvernement britannique propose, dans le «Plan Eden», d'instaurer une liaison organique entre le Conseil de l’Europe et les Communautés des Six. Toutefois, la différence de structure et d’objectifs entre les deux organisations empêche l’intégration des Communautés dans le cadre du Conseil de l’Europe. Des formules souples de collaboration entre la «Petite» et la «Grande Europe», basées sur l’échange d’informations et les réunions conjointes, seront tout de même adoptées et développées au fil des années. Avec l’effondrement du bloc communiste, le Conseil de l’Europe, en accueillant les pays d’Europe centrale et orientale, joue un rôle majeur dans la transition de ces pays à la démocratie.


La fracture entre les pays souverainistes ou neutres et les pays des Communautés se confirme encore avec la création, sous l’initiative britannique, de l’AELE comme alternative au marché commun prévu par la CEE. En 1959, le Danemark, l’Autriche, le Portugal, la Norvège, la Suisse, la Suède et le Royaume-Uni signent un traité établissant entre eux une zone de libre échange, dépourvue de tarif douanier commun. Le retrait du Royaume-Uni de l’AELE pour adhérer aux Communautés en 1973 a néanmoins un effet d’entraînement sur les pays de sa sphère d’influence et l’organisation se réduit de plus en plus. L’AELE en matière commerciale, de même que le Conseil de l’Europe en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme, confirment au fil du temps un rôle d’antichambre des Communautés à l’égard des États qui, un jour, franchissent le pas de la simple coopération vers l’intégration. La coopération entre la CEE et l’AELE est très étroite, d’abord par la conclusion d’accords bilatéraux, ensuite, à partir de 1994, par l’établissement d’un Espace économique européen (EEE).


1992 représente une date-clé pour l’unification économique et politique du continent, avec la signature à Maastricht, par les États membres des Communautés, du traité sur l’Union européenne (UE). Ce traité, qui permet la réalisation progressive d’une Union économique et monétaire, ajoute aux Communautés européennes deux domaines de coopération intergouvernementale (politique étrangère et de sécurité commune, justice et affaires intérieures). Les différentes politiques de l’UE — à caractère supranational ou intergouvernemental — peuvent se développer au sein d’un cadre institutionnel unique garant de leur cohérence. À partir de ce moment, l’UEO est en outre appelée à s’intégrer progressivement dans l’UE en tant que composante opérationnelle de sa politique de sécurité et de défense.


La réforme institutionnelle de l’UE se poursuit avec l’entrée en vigueur des traités d’Amsterdam et de Nice, et ensuite le lancement d’un processus constitutionnel par la déclaration de Laeken du 15 décembre 2001 et l’ouverture d’une Convention sur l’avenir de l’Europe. Présidée par Valéry Giscard d’Estaing, la Convention remet le 18 juillet 2003 à la présidence italienne du Conseil européen un projet de traité établissant une Constitution pour l’Europe. Ce projet sert de base au traité établissant une Constitution pour l’Europe, signé le 29 octobre 2004 à Rome par les États membres de l’UE. Ce traité n’est cependant jamais entré en vigueur suite à l’abandon du processus de ratification (conséquence de l’échec des référendums organisés en France et aux Pays-Bas au printemps 2005).


Entre-temps, l’adhésion en 2004 de 10 nouveaux États à l’UE, dont huit proviennent de l’ancien bloc communiste, vient consolider le processus de réconciliation du continent. La Bulgarie et la Roumanie les rejoignent en janvier 2007 pour former une Union européenne de 27 États membres.


Le 13 décembre 2007 constitue également une date-clé. Les États membres signent ce jour-là un nouveau traité qui reprend largement la substance du traité constitutionnel de 2004: le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l'Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, qu’il renomme «traité sur le fonctionnement de l’Union européenne». Entré en vigueur le 1er décembre 2009, le traité de Lisbonne permet à l’UE de sortir de l’impasse institutionnelle dans laquelle elle était plongée. Notamment, il fusionne les trois piliers (communautaire et intergouvernementaux), octroie la personnalité juridique à l’UE, rend juridiquement contraignante la Charte des droits fondamentaux, apporte de nombreuses réformes institutionnelles (renforcement des pouvoirs législatifs et budgétaires du Parlement européen, nouvelle définition et extension du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil, présidence stable du Conseil européen, redéfinition du poste de haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, renforcement du rôle des parlements nationaux, nouveau droit d’initiative citoyenne). En outre, la clause d'assistance mutuelle entre les États membres de l'UE, prévue par le traité de Lisbonne, contribue à ce que, le 31 mars 2010, une décision des États membres de l’UEO mette fin au traité de Bruxelles et prévoie la fermeture de l’UEO pour juin 2011.


La Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE), lancée à Helsinki en 1973, a pour but d’ouvrir les voies d’un dialogue Est-Ouest entre États européens issus des deux blocs de la Guerre froide. Toutefois, ce n’est qu’avec la dissolution du bloc oriental, que la coopération Est-Ouest peut enfin s’installer. Cette nouvelle période, marquée par l’adoption en 1990 de la Charte pour une nouvelle Europe, implique l’institutionnalisation de la CSCE et sa transformation en organisation internationale en 1995. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), en tant qu’organisation pan-européenne de sécurité, est notamment chargée de la coordination d’opérations de diplomatie préventive et de gestion de crises. Les différentes organisations européennes, élargies par les nouvelles adhésions des pays d’Europe centrale et orientale, doivent désormais coordonner leur action et multiplient entre elles les formes de collaboration afin d’éviter les doubles emplois et d’accroître leur efficacité. Dans ce sens, les États membres de l’OSCE, à l’initiative de l’UE, avec la participation du Conseil de l’Europe, adoptent en 1995 le Pacte de stabilité en Europe.


En guise de conclusion, le processus de construction européenne qui démarre dans l’après-guerre se caractérise par l’établissement de formes de coopération institutionnalisées entre les États. Dans tous les cas, la coopération se déroule dans le cadre de structures de coopération stables, dotées d’organes permanents investis d’attributions propres. Ces structures sont créées par le biais d’un traité multilatéral qui définit leurs objectifs et leurs moyens financiers et juridiques, y compris les mécanismes de formation de la volonté collective. La coopération va ainsi au-delà du système des conférences internationales. Les États, en tant que sujets de droit international, instituent des organisations communes — des organisations internationales — la plupart dotées de personnalité juridique propre et s’érigeant elles-mêmes en sujets de droit international. Les procédures de prise de décision par leurs organes, ainsi que la valeur juridique accordée aux décisions que ceux-ci adoptent, sont un indicateur de la force de l’engagement collectif, et par conséquent de son efficacité.


En ce qui concerne les organisations de coopération intergouvernementale, l’unanimité de tous les membres est en général requise au sein de l’organe décisionnel à composante ministérielle. Au-delà de la bonne volonté montrée par les autorités des États membres, l’exécution au niveau national des décisions à valeur contraignante dépend en large mesure de la mise en place de procédures de suivi, dites aussi de «monitoring». Les organes délibérants à composante parlementaire adoptent leurs décisions à la majorité, mais leur valeur se limite à celle d’une recommandation ou d’un avis. Des organes consultatifs à caractère technique peuvent d’ailleurs assister les organes principaux.


Quant aux organisations d’intégration, les actes adoptés par les organes décisionnels, dans le domaine des compétences partagées, ont la valeur de lois internes s’appliquant directement dans l’ordre juridique national, et s’intégrant dans celui-ci. Les procédures de prise de décision, comparables aux procédures législatives nationales, associent plusieurs organes représentant les intérêts de tous les acteurs concernés (notamment, ceux des États, ceux des citoyens et ceux de l’organisation en tant que telle, mais aussi ceux des acteurs économiques et sociaux et ceux des collectivités territoriales). Hormis les décisions sur les matières sensibles, adoptées à l’unanimité de tous les États membres de l’organisation au sein de son organe intergouvernemental, des procédures de prise de décision à la majorité sont prévues. Suite à chaque réforme des traités constitutifs de l’organisation, le nombre de matières régies à l’unanimité ou à la majorité indique le degré d’intégration atteint. Les tribunaux nationaux, ainsi qu’une cour de justice internationale, veillent au respect des règles communes par les particuliers et par les pouvoirs publics. Enfin, sans oublier les organes consultatifs, il est prévu plus d’un organe décisionnel, ainsi que des organes de contrôle, dans un système d’équilibre des pouvoirs.


(septembre 2010)


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