Les consultations politiques en matière de défense après la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN

Les consultations politiques en matière de défense après la sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN

 

Dans une conférence de presse, le 21 février 1966, le général de Gaulle annonce son intention de «modifier les dispositions actuellement pratiquées, afin de rétablir une situation normale de souveraineté dans laquelle tout ce qui est français en fait de sol, de ciel, de mer et de forces, et tout élément étranger qui se trouverait en France ne relèveraient plus que des seules autorités françaises»[1]. Le 7 mars, il écrit au président  américain Lyndon B. Johnson: «la France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation habituelle qui est faite de son ciel, de cesser sa participation aux commandements “intégrés” et de ne plus mettre de forces à la disposition de l’OTAN»[2]. Le 11 mars, un aide-mémoire est adressé aux 14 autres membres de l’OTAN[3] pour confirmer la décision française. Il est complété par un autre aide-mémoire, le 29 mars, qui précise les délais : le retrait des états-majors et des bases doit être achevé au 1er avril 1967.



Après la création de la structure militaire intégrée de l’OTAN en 1950, la France a accueilli de nombreuses installations, civiles et militaires, de l’Alliance[4]. En 1966, près de 30 000 soldats alliés y sont installés de façon permanente.

 

Les points de vue français et britannique

 

La décision de 1966 n’est pas une rupture, mais bien plus un aboutissement. L’aboutissement tout d’abord de toute une succession de propositions françaises pour réformer l’Alliance atlantique. En cela, le président français Charles de Gaulle est l’héritier de ses prédécesseurs de la IVe République. Georges Bidault proposait déjà un Haut-Conseil atlantique en 1950, bien avant le mémorandum gaulliste de 1958. Or, ces réformes s’avèrent impossibles: «sans doute aurait-on pu concevoir qu’une négociation s’engageât pour modifier d’un commun accord les dispositions en vigueur. […] Tout montre malheureusement qu’une telle entreprise serait vouée à l’échec, les partenaires de la France paraissant être, ou s’affirmant, tous partisans du maintien du statu quo, sinon du renforcement de toute ce qui, du point de vue français, paraît désormais inacceptable».[5]

 

Mais elle est aussi l’aboutissement de la politique d’indépendance nationale et de la création d’une force nucléaire propre à la France – initiée bien avant de Gaulle. La première bombe atomique française explose le 13 février 1960, à Reggane. En janvier 1964, la France crée ses forces aériennes stratégiques. Elle peut mettre en place sa propre dissuasion, indépendamment des États-Unis.

 

Du côté britannique, l’annonce française de son retrait du commandement militaire intégré n’est pas réellement une surprise, malgré les déclarations sur le caractère «soudain», «brutal» du retrait français. La preuve en est que Londres étudiait la possibilité d’un retrait français depuis 1963[6]. En revanche, c’est le délai qui surprend Britanniques et Américains. La réaction britannique s’avère être la plus dure au sein de l’Alliance. Le contexte électoral en Grande-Bretagne n’y est pas étranger. Londres s’inquiète de voir l’Allemagne devenir le principal partenaire des États-Unis au sein de l’OTAN, et donc de se trouver déclassée suite au retrait français. Les Britanniques craignent aussi de voir se renforcer la coopération européenne autour du couple franco-allemand, et donc de se trouver là aussi exclus. Aussi, le gouvernement britannique désire immédiatement reprendre l’initiative. Il décide de coordonner la réponse des Quatorze au mémorandum français autour de deux principes : le maintien de l’organisation militaire intégrée et l’action politique commune. Londres s’attelle aussi à prendre la main sur la réorganisation des structures de l’Alliance. Paris avait annoncé que le Conseil atlantique pouvait demeurer Porte Dauphine. Les Britanniques veulent convaincre leurs alliés de la nécessité de le déménager. On s’accorde lors de la réunion ministérielle des Quatorze, les 7 et 8 juin, sur le principe de la «colocation» du Conseil et du SHAPE. Londres, déjà candidate en 1950, renouvelle sa proposition d’accueil. Pour la même raison qu’en 1950, la capitale britannique se voit préférer la Belgique : pour des raisons stratégiques, il semble plus opportun de baser l’État-major de l’Alliance sur le continent, à proximité du front envisagé. Mons est donc désignée pour accueillir le SHAPE et Bruxelles le conseil atlantique.

 

Quel débat au sein de l’UEO ?

 

La décision française de 1966 de se retirer du commandement militaire intégré de l’OTAN pose un certain nombre de difficultés et d’inquiétudes stratégiques pour la défense occidentale. Les forces de l’OTAN ne peuvent passer par la Suisse ou l’Autriche, neutre, elles ont besoin du territoire français pour assurer la jonction entre les forces situées en Allemagne et au Benelux et celles localisées en Méditerranée. Il importe que la France accepte d’ouvrir son territoire et son espace aérien aux forces de l’Alliance.

 

Se pose également le problème des forces françaises en Allemagne. Dès mars 1966, le gouvernement français annonce qu’il accepte de les y maintenir stationnées. Mais une question juridique se pose: sous quel statut? Il ne s’agit plus de forces d’occupation. Il faut donc un accord bilatéral avec le gouvernement allemand.

 

Sur ces points, l’UEO joue son rôle de forum de discussions. Tout d’abord, à la demande des alliés du Pacte de Bruxelles modifié, la France réaffirme sa fidélité à l’UEO et à son article 5. Cela assure les Européens de la loyauté de la France en cas d’agression soviétique. Pour les forces françaises en Allemagne, un échange de lettres entre le ministre français des Affaires étrangères Couve de Murville, et Willy Brandt scelle, le 21 décembre 1966, un accord bilatéral sur le stationnement des Forces françaises en Allemagne (60 000 hommes). S’y ajoute un accord signé le 22 août 1967 entre le général Ailleret, chef d’État-Major de l’Armée française, et le général Lemnitzer, commandant suprême de l’OTAN[7].

 

La participation française à l’UEO limite finalement les effets du retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN, et offre un autre lieu d’échange sur les questions militaires avec les Britanniques.

 

 


[1] Conférence de presse du général De Gaulle, 21 février 1966, http://www.cvce.eu/obj/conference_de_presse_du_general_de_gaulle_paris_21_fevrier_1966-fr-6ae5dc3e-af30-4253-9926-980c271ad94b.html

[2] Lettre du général de Gaulle au président Johnson, 7 mars 1966, http://www.cvce.eu/search?q=Lettre+du+g%C3%A9n%C3%A9ral+de+Gaulle+au+pr%C3%A9sident+Johnson%2C+7+mars+1966

[3] Aide mémoire du gouvernement français adressé aux représentants des membres de l’OTAN, 11 mars 1966, http://www.cvce.eu/obj/aide_memoire_du_gouvernement_francais_11_mars_1966-fr-690b3dd8-ee03-4737-85a4-d5b839b2e0dc.html

[4] Avec les familles, cela représente près de 80 000 personnes. Les conséquences économiques et sociales ne sont pas négligeables pour la France. On estime alors que près de 50 000 Français vivaient, directement ou indirectement, de la présence alliée, RAFLIK, Jenny. «Lorsque l’OTAN s’est installée en France…». Relations internationales, n° 129, 2007, p. 37-50. http://www.cvce.eu/obj/les_forces_de_l_otan_en_france_1966-fr-95dc4b38-4263-4503-8a68-624de6cf6564.html.

[5] Télégramme de M. Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères, à différents représentants diplomatiques de la France à l'étranger: Paris, 15 mars 1966, T. Strictement réservé. Dans : Ministère des Affaires étrangères. Commission de publication des documents diplomatiques français. Documents diplomatiques français: 1966, Tome I, 1er janvier-31 mai. Paris: Imprimerie nationale, 2006. Numéro du document 176. pp. 442-446.

[6] GIGLIOLI, Alessandra. Le Retrait de la France du Commandement intégré de l'OTAN, mémoire réalisé dans le cadre d’une bourse de recherche OTAN. CPEA, 1998-2000. [En ligne] http://www.nato.int/acad/fellow/home.htm

[7] Il précise qu’en cas de conflit les forces françaises en Allemagne pourraient être rattachées au contrôle opérationnel du commandement allié Centre Europe, avec l’accord préalable, bien sûr, du président de la République. Enfin, la France reste dans le réseau d’alerte aérien NADGE – Nato Air Defense Ground Environment – et laisse ouvert l’oléoduc militaire Donges-Metz reliant l’Atlantique à l’Allemagne. Elle accorde également aux avions de l’OTAN survolant la France un système d’autorisation annuelle.

 

 



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