L'articulation entre l'UEO et l'OTAN
L’articulation entre l’UEO et l’OTAN
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ont pour racine commune l’Union occidentale (UO). Celle-ci constitue la première organisation de défense collective établie entre la France, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg par le traité de Bruxelles du 17 mars 1948[1]. Son quartier général est établi à Fontainebleau.
Les négociations du traité de Bruxelles font apparaître des divergences de perspectives et d’intérêts entre les partenaires européens concernant la nature de la future organisation et la lecture qui est faite de cette initiative par ses promoteurs : un effort des Européens pour prouver aux Américains leur volonté de se défendre et obtenir leur soutien - l’UO constitue alors un préliminaire à un système de défense atlantique (positions de Georges Bidault, alors ministre des Affaires étrangères, et de Ernest Bevin, ministre britannique des Affaires étrangères); ou une première étape de la construction européenne, avec des développements non seulement militaires, mais aussi économiques, culturels et sociaux (position de Paul-Henri Spaak, Premier ministre belge).
Le traité de Bruxelles, conclu pour 50 ans (art. 10), prévoit la coopération économique (art. 1), une déclaration d’intention en matière sociale (art. 2), un développement des échanges culturels (art. 3), une assistance mutuelle et automatique en cas d’agression (art. 4 et 5) et établit un organe permanent de consultation mutuelle (conseil consultatif) chargé de donner vie au Traité (art. 7, 8, et 9).
L’étape suivante, la mise en œuvre de la structure de l’UO, montre le même décalage des conceptions entre les Européens. Le Benelux, avec à sa tête le Premier ministre belge Paul-Henri Spaak, se propose de tirer le maximum d’effets des différentes stipulations du traité, et notamment pour que soit constitué un organisme permanent important à services spécialisés dans tous les domaines (économique, culturel, militaire…). Les gouvernements britannique et français ne veulent considérer le traité que sous l’angle de l’assistance mutuelle et ne veulent lancer que les conversations militaires. La France marque son désintérêt à l’égard des développements sociaux et culturels pourtant importants réalisés dans le cadre du Traité de Bruxelles et se garde d’en faire la moindre publicité[2]. Pourtant, les développements sociaux et culturels du Traité de Bruxelles sont loin d’être négligeables[3].
Sur le plan militaire, les travaux du traité de Bruxelles illustrent les divergences stratégiques franco-britanniques sur la stratégie pour la défense de l’Europe en cas d’agression par l’Union soviétique.. La France, ainsi que les pays du Benelux préconisent une stratégie de défense en avant, c’est-à-dire portée le plus à l’Est possible du continent européen. Le Royaume-Uni appuie le principe d’une défense périphérique, c’est-à-dire en repli sur les Iles britanniques, l’Espagne et l’Afrique du Nord. Chacun se préoccupe prioritairement de la défense de son territoire national. Dans tous les cas, l’aide américaine est indispensable pour pallier le manque de moyens matériels des Européens. Or, comme l’espéraient le ministre français des Affaires étrangères Georges Bidault et le ministre britannique des Affaires étrangères Ernest Bevin, le traité de Bruxelles convainc les Américains de la « bonne-volonté » européenne et contribue à faciliter le vote de la résolution Vandenberg (11 juin 1948) qui autorise les États-Unis à s’engager en Europe en temps de paix. Dès juin 1948, des délégations américaine et canadienne participent comme observateurs aux travaux du traité de Bruxelles, jusqu’à la signature du traité de l’Atlantique Nord, le 4 avril 1949, à Washington. Le traité de Bruxelles comporte une clause d’automaticité, dont est dépourvu le Pacte atlantique[4]. En outre, il doit demeurer en vigueur 50 ans, contre 10 ans pour le second[5]. En 1949, on décide donc par prudence de la coexistence des deux traités. La défense européenne n’en est pas moins explicitement subordonnée à la défense atlantique, puisque l’État-major européen est intégré à la structure générale du commandement atlantique et placé sous ses ordres[6].
Contexte général concernant les rapports entre l’UEO et l’OTAN
Créée par le traité de Washington du 4 avril 1949, l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) hérite les réflexions stratégiques (débat sur la défense en avant ou la défense périphérique) menées à Fontainebleau par l’État-major de l’Union occidentale (UO). Il est impossible de demander aux Européens du continent, majoritaires dans l’Alliance, d’accepter une stratégie qui implique l’abandon initial de leurs territoires nationaux en cas d’agression. C’est donc la stratégie de défense « le plus à l’Est possible sur la ligne Ems/Weser» qui est retenue dans le premier concept stratégique rédigé par le Groupe Permanent[7] en octobre 1949[8]. La formule constitue un compromis satisfaisant tout le monde : faute d’être défini précisément, « l’Est » envisagé peut se localiser aussi bien sur la Manche pour les Britanniques, qu’en Allemagne pour les continentaux. Mais l’ampleur du réarmement nécessaire pour défendre l’Europe, couplée au choc de la guerre de Corée, en juin 1950, conduit le secrétaire d’État américain, Dean Acheson, à demander aux alliés atlantiques le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest Lors du Conseil atlantique qui s’ouvre le 14 septembre 1950, seule la France refuse.
Dès son origine, l’histoire de l’armée européenne s’inscrit donc dans celle de l’Alliance atlantique, puisqu’elle est proposée pour éviter l’entrée directe de l’Allemagne dans l’OTAN. Préconisant l’établissement d’une Communauté européenne de défense (CED) entre les cinq États membres de l’UO et l’Allemagne, le plan Pleven fait la synthèse de deux volontés : avancer dans la construction européenne et contenir le réarmement allemand hors de l’Alliance atlantique. Les partenaires européens de la France, et surtout les Pays-Bas, acceptent d’y souscrire seulement parce que les structures de la CED doivent être soudées à celles de l’Alliance[9]. Le Royaume-Uni n’a pas participé au plan Pleven, ni aux négociations sur la CED. En France, l’imbrication des arguments européens et atlantiques dans la querelle de la CED est omniprésente. Le traité instituant la CED est signé à Paris le 27 mai 1952 par la France[10]. La CED est rejetée par le parlement français le 30 août 1954. C’est naturellement vers l’OTAN que se tournent immédiatement les regards et les discours. Sitôt après le vote de rejet, Pierre Mendès-France prend la parole à l’Assemblée Nationale pour réaffirmer la fidélité française à l’Alliance.
Après l’échec de la CED, il faut trouver un autre moyen d'intégrer l’Allemagne dans le système de sécurité occidental. Au cours de la conférence de Londres de septembre 1954, à laquelle participent les puissances signataires du traité de Bruxelles, les États-Unis, le Canada, l’Allemagne et l'Italie, il est décidé d'inviter ces deux dernières à adhérer à l’UO. L'acte final de cette conférence est officialisé par les accords dits de Paris, en octobre, qui amendent le traité de Bruxelles, et transforment l’Union occidentale en Union de l'Europe occidentale (UEO). Les trois principaux objectifs de l’UEO sont précis: constituer en Europe occidentale une base solide pour la reconstruction de l'économie européenne ; se prêter mutuellement assistance pour faire obstacle à toute politique d'agression ; promouvoir l'unité et encourager l'intégration progressive de l'Europe[11].
De 1954 à 1973, l'UEO joue un rôle de concertation et de coopération en Europe. Elle facilite l’intégration de l’Allemagne de l’Ouest dans l’OTAN en contribuant au contrôle des armements, ce qui apaise les craintes françaises. Elle intervient dans le règlement du problème de la Sarre. Elle assure la liaison entre les États fondateurs de la Communauté économique européenne (CEE) et le Royaume-Uni. Du fait de l’adhésion britannique à la CEE en 1973, le rôle de l’UEO connait un ralentissement sensible. C’est à l’OTAN que revient de fait la prééminence dans la défense de l’Europe. En 1974, s’ouvre une nouvelle phase dans les relations entre la France et l’OTAN, le président français Charles de Gaulle donne, au Palais de l'Élysée, une conférence de presse au cours de laquelle il annonce le retrait de la France de la structure militaire intégrée de l'Organisation du traité de l'Alliance Nord (OTAN) et exige que toutes les bases relevant de l'OTAN sur le territoire français soient transférées vers l'étranger. Le SHAPE (Grand Quartier général des puissances alliées en Europe – Supreme Headquarters Allied Powers Europe) quitte Paris pour s'installer à Bruxelles. La France reste néanmoins membre de l'OTAN et de ses structures politiques.
À la fin des années 1970, les deux grandes superpuissances (États-Unis et URSS) cherchent à étendre leur influence respective. C’est surtout la politique soviétique en Afrique et l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS qui refroidissent les relations américano-soviétiques. Aux États-Unis, c’est le discours America is back du nouveau président américain Ronald Reagan qui donne le ton de la guerre froide dans les années 1980. Cette période est notamment marquée par une nouvelle course aux armements. En Europe de l’Ouest, l’élection de Margaret Thatcher, Premier ministre britannique conservateur et sa vision de l’Europe marquent le début de relations tendues avec les Communautés européennes[12]. Dans les relations transatlantiques, 1979 marque le début de la crise des euromissiles. Elle imprime sa marque sur la chronologie de la politique européenne, celle de l’Alliance et celle de la guerre froide de façon incontournable. La crise est marquée par le discours au Bundestag du président français François Mitterrand approuvant le déploiement des missiles américains Pershing en Europe occidentale « C’est en 1983 qu’allait s’ouvrir le dernier grand débat stratégique entre l’Union soviétique et les Occidentaux et au sein même de l’alliance où l’affaire suscita, avant approbation, ces nombreuses interrogations et réticences »[13].
À l'initiative des gouvernements belge et français, une réunion commune des ministres des Affaires étrangères et de la Défense est organisée dans le cadre de l'UEO à Rome les 26 et 27 octobre 1984. Elle aboutit à l'adoption de la « Déclaration de Rome », texte fondateur de la relance de l'UEO.
Ceci étant, jusqu’à la relance de l’UEO, l’OTAN constitue le cadre principal dans lequel se réalise ou s’envisage le renforcement de la coopération en matière de sécurité et de défense. La France exerce un rôle actif en ce domaine, face à l’indifférence et parfois l’hostilité des autres Européens. L’UEO revitalisée est conçue comme un complément de l’OTAN, non une concurrente. Elle permet de résoudre deux problèmes : celui des pays d’Europe de l’Ouest neutres (Autriche, Finlande Irlande, Suède) qui ne sont pas membres de l’OTAN. Ces pays sont associés aux travaux de l’UEO en tant qu’observateurs, ce qui permet de développer une politique de sécurité plus cohérente que dans la CEE ; et celui des pays les plus « atlantistes », qui préfèrent que l’Europe de la défense se développe à travers une institution complexe, et de notoriété médiocre, plutôt que dans le cadre de la CE ou de l’UE.
[1] VAISSE, Maurice. L’échec d’une Europe franco-britannique ou comment le Pacte de Bruxelles fut créé et délaissé. In : POIDEVIN Raymond (dir.), Histoire des débuts de la construction européenne, mars 1948-mai 1950. Paris: LGDJ, 1986, p. 369-389; VARSORI, Antonio. Il Patto di Bruxelles, 1948: tra integrazione europea e alleanza atlantica. Roma: Bonacci, 1988, 366 p. ; WIGGERSHAUS, Norbert, FOERSTER, Roland G., SCHULZ, Birgit, HEINEMANN, Winfried (dir.). The Western security community, 1948-1950: common problems and conflicting national interests during the foundation phase of the North Atlantic Alliance. Oxford: Berg, 1993, 461 p.
[2] Une anecdote illustre bien ce décalage. En septembre 1949, le Comité culturel du Pacte de Bruxelles propose l’émission d’un timbre commémoratif. La réponse du Quai d’Orsay est sans appel : « La Direction d’Europe estime que dans les circonstances présentes, alors que les organismes du Traité de Bruxelles vont être remaniés pour être refondus dans le cadre plus vaste du Traité de l’Atlantique, il n’est pas indiqué de donner une publicité particulière au Traité de Bruxelles » [MAEF, Europe, 1949-1955, généralités, 61, note de la Direction d’Europe pour la Direction Générale des Relations Culturelles, 30 septembre 1950, n°123]. On voit bien ici le peu d’attente, en France, lié à ce pacte, et le désintérêt pour les travaux du Comité culturel.
[3] Citons par exemple la sécurité sociale pour les étudiants, les prestations pour les travailleurs immigrants, l’harmonisation des services d’inspection du travail, ou encore l’uniformisation des étiquetages de médicaments. Dans le domaine culturel, l’Union de l’Europe occidentale organise des rencontres entre enseignants et jeunes des pays membres. Les conditions de délivrance et d’usage des passeports collectifs des jeunes sont facilitées dès le 1er avril 1952. Autre initiative importante : la création de la carte d’identité culturelle, en 1950, qui offre certains privilèges à ses détenteurs (entrée gratuite ou à prix réduit dans les musées et expositions, concert ou théâtre, facilité d’accès aux bibliothèques et aux archives, admission dans les restaurants universitaires, exonération de droits dans certaines institutions d’enseignement, obtention de devises étrangères et voyages à tarif réduit…). RAFLIK, Jenny. Le traité de Bruxelles: première étape de la construction européenne, ou simple prélude à l’organisation atlantique ? In : GUIEU, Jean-Michel. LE DREAU (dir.). Le « Congrès de l'Europe » à La Haye (1948-2008). Bruxelles: Peter Lang, 2009, p. 67-78.
[4] Traité OTAN, Article 5
« Les Parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les Parties et, en conséquence, elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d'elles, dans l'exercice du droit de légitime défense, individuelle ou collective, reconnu par l'article 51 de la Charte des Nations Unies, assistera la Partie ou les Parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d'accord avec les autres Parties, telle action qu'elle jugera nécessaire, y compris l'emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l'Atlantique Nord. » http://www.cvce.eu/obj/traite_de_l_atlantique_nord_washington_4_avril_1949-fr-b9081831-6c1f-44fa-993a-50db7376de1a.html
Traité Union occidentale, Article 4
« Au cas où l'une des Hautes Parties Contractantes serait l'objet d'une agression armée en Europe, les autres lui porteront, conformément aux dispositions de l'article 51 de la Charte des Nations Unies, aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, militaires et autres. » http://www.cvce.eu/obj/traite_de_bruxelles_17_mars_1948-fr-3467de5e-9802-4b65-8076-778bc7d164d3.html.
[5] L’article 12 prévoit que le traité puisse être révisé à l’issue de ses dix premières années d’existence, afin de tenir compte du développement des arrangements tant universels que régionaux en matière de paix et de sécurité internationales. L’article 13 ouvre le droit aux États signataires de dénoncer le traité au terme d’une période de 20 ans après son entrée en vigueur.
[6] UEO. Historique de l’UEO. Les origines de l’UEO : du traité de Bruxelles aux Accords de Paris (1948-1954). [En ligne] http://www.weu.int/Historique.htm.
[7] Organe de planification stratégique de l’OTAN.
[8] PEDLOW, Gregory W. (Dir). Documents sur la stratégie de l’OTAN, 1949-1969. Bruxelles: OTAN, 1997, 464 p.
[9] DUMOULIN, Michel (dir.). La Communauté Européenne de Défense, leçons pour demain ? Berne: Peter Lang, 2000, 434 p.
[10] Significativement, partisans ou opposants au projet d’Armée européenne se réclament presque tous de l’atlantisme.
[11] UNION EUROPÉENNE OCCIDENTALE, 1954, Traité de Bruxelles modifié (Paris, 23 octobre 1954) [en ligne]. Consulté le 15 décembre 2015. Disponible à: http://www.cvce.eu/obj/traite_de_bruxelles_modifie_paris_23_octobre_1954-fr-7d182408-0ff6-432e-b793-0d1065ebe695.html
[12] Arrivée au pouvoir en 1979, Margaret Thatcher, Premier ministre conservateur, réclame aussitôt avec vigueur une réduction de la contribution britannique : « I want my money back ! » Le 20 septembre 1988, lors de l'ouverture de la 39e année universitaire du Collège d'Europe à Bruges, Margaret Thatcher, Premier ministre britannique, prononce un discours sur l'avenir de l'Europe et dénonce les dérives bureaucratiques et centralisatrices du système communautaire.
[13] De ROSE, François. La Troisième guerre mondiale n’a pas eu lieu, l’Alliance atlantique et la paix. Paris: Desclée de Brouwer, 1995, p. 42.