Introduction

 

La France et le Royaume-Uni sont deux acteurs politiques, militaires, économiques majeurs de l’espace européen. Leurs choix stratégiques en matière de politique étrangère, de sécurité et de défense ont une influence directe sur le sens et le rythme du processus d’intégration européenne.

 

Longtemps adversaires sur les plans diplomatiques et militaires, les deux pays se rapprochent tout au long du XIXème siècle pour le règlement de leurs différends territoriaux. Le 8 avril 1904, ils signent une série d’accord bilatéraux qui formalisent une « Entente cordiale ». Les deux conflits mondiaux éprouvent autant qu’ils attestent de la solidarité politique et militaire entre Paris et Londres[1].

 

Dans le contexte européen de l’après-deuxième guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni contribuent largement à la mise en place des différentes organisations de défense regroupant des États occidentaux. Les deux pays sont membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies; ils font partie du « club atomique » et disposent d’une force de dissuasion pour défendre leur « intérêts vitaux »; ils ont maintenu une capacité de rayonnement politique et culturel qui dépasse les frontières européennes, notamment par le Commonwealth et la Francophonie[2]. La similarité des responsabilités internationales et européennes ne signifie pas une convergence des conceptions concernant les contours et le contenu du système de défense européen : la conception atlantiste de Londres se heurte à celle européiste de Paris. Cette divergence, bien qu’atténuée depuis la fin des années 1990, demeure vérifiée à ce jour[3].

 

Soucieux de se prémunir contre toute reprise d’une politique allemande d’agression, la France et le Royaume-Uni concluent le 4 mars 1947 à Dunkerque un traité d’alliance et d’assistance mutuelle[4]. Celui-ci place la sécurité de l’Europe de l’Ouest au centre des relations franco-britanniques[5]. Le 17 mars 1948, ils concluent le traité de Bruxelles qui établit l’Union occidentale (UO). Egalement signé par la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, ce traité vise à organiser une collaboration en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense entre les pays signataires[6]. Il marque une évolution dans la perception des menaces pesant sur l’Europe. Si l’Allemagne demeure un sujet de préoccupation, les inquiétudes se déplacent vers l’URSS, en raison de l’emprise croissante de ce pays et de son idéologie sur les pays d’Europe centrale et orientale et du sud-est méditerranéen. Répondant pour partie à cette préoccupation[7], le 4 avril 1949, douze ministres des Affaires étrangères signent à Washington le traité instituant l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) qui englobe l'Union occidentale. Aux Cinq du Pacte de Bruxelles (France, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas et Luxembourg), s'ajoutent les États-Unis, le Canada, le Danemark, l'Islande, l'Italie, la Norvège et le Portugal. Le traité OTAN entre en vigueur le 24 août 1949.


En mai 1949, les territoires allemands sous contrôle américain, anglais et français recouvrent leur souveraineté partielle au sein du nouvel Etat allemand, la République fédérale d’Allemagne (RFA). La mobilisation de troupes françaises pour contrer les mouvements d’émancipation coloniaux à partir de 1946 (Guerre d’Indochine) ainsi que le redéploiement des troupes américaines stationnées en Europe en Corée à compter de juin 1950, fragilisent la défense européenne. La contribution de la RFA au réarmement du bloc ouest-européen est directement interrogée. La RFA pourrait jouer un rôle actif en ce domaine, à la condition que son réarmement demeure contrôlé[8]. C’est là l’objet du plan présenté par le président du Conseil des ministres français, René Pleven, le 24 octobre 1950, qui aboutit en mai 1952 à la signature du traité établissant une Communauté européenne de défense (CED). Ce traité est complété par un volet politique qui doit chapeauter l’intégration économique amorcée par le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier signé en avril 1951. Le traité CED n’entre pas en vigueur, en raison de l’opposition à la ratification de l’Assemblée nationale française[9]. En ce qui concerne, le Royaume-Uni, ce dernier n’a pas pris part au Plan Pleven et s’est tenu à l’écart des négociations sur la CED. Malgré ce revers, la nécessité du renforcement de la sécurité et de la défense européenne demeure. Trois mois après l’échec de la CED, la situation est débloquée par la signature des Accords de Paris (23 octobre 1954), sous l’impulsion notamment du secrétaire d'État des Affaires étrangères et du Commonwealth, Anthony Eden. Le traité de Bruxelles du 17 mars 1948 (Union occidentale) est modifié et complété par les protocoles signés à Paris le 23 octobre 1954. Les accords de Paris fondent l’Union de l’Europe occidentale (UEO); la RFA[10], ainsi que l’Italie, en deviennent membres. L’année suivante, la RFA adhère à l’OTAN.

 

L’UEO est dotée de compétences dans les domaines de la sécurité, de la défense, des armements ainsi que dans les questions économique, sociale et culturelle[11]. Ses membres veillent à éviter tous chevauchements avec les activités d’autres organisations internationales compétentes dans ces domaines, préoccupation particulièrement visible à l’égard de l’OTAN[12].

 

Jusqu’au traité de Maastricht de 1992 qui pose les fondements d’une politique étrangère et de sécurité commune, l’UEO constitue la principale enceinte proprement européenne où sont débattues les questions de sécurité et de défense concernant l’Europe de l’Ouest. L’organisation fournit un espace d’information, de consultation et de concertation entre ses membres, qui est complémentaire du cadre fourni par l’OTAN ou la Communauté européenne (CE). L’UEO assure une fonction importante en matière d’échange d’informations entre l’UEO et la CE, en particulier jusqu’à l’adhésion du Royaume-Uni à ces-dernières.


Les trente premières années d’existence de l’UEO témoigne d’un rôle cependant fort limité dans la gestion et la résolution des crises dans le domaine de la défense et de la sécurité. L’organisation est prise en étau entre l’OTAN pour les questions militaires et les CE pour les questions économiques; son bon fonctionnement dépend pour une large part de la capacité de ses principaux membres à faire converger leurs positions. L’UEO ne parvient pas à combler le manque, au niveau européen, d’une identité de sécurité et défense et d’une capacité de défense qui soient propres aux pays d’Europe de l’Ouest. C’est là l’un des objets de la relance de l’UEO[13] engagée à l’initiative de la France à partir de l’automne 1982[14], dans le contexte de la préparation de la présidence française de la Communauté européenne du 1er semestre 1984 et d’un regain de tension entre les Etats-Unis et l’URSS.

 

Cette ePublication s’appuie sur les archives de l’UEO auxquelles le CVCE bénéficie d’un accès privilégié conformément à la décision du Conseil permanent de l’UEO du 11 mai 2011. Leur exploration et exploitation est structurée autour de la question de recherche suivante : quelles sont les positions françaises et britanniques poursuivies dans l’enceinte de l’UEO sur des sujets majeurs de la sécurité et défense européennes ?

 

L’ePublication développe quatre études de cas qui mettent en exergue, pour chacune d’entre elles, les intérêts et positions françaises et britanniques, les principales questions de défense et sécurité débattues au sein du Conseil de l’UEO et le rôle que les deux États membres attribuent à l’organisation dans leur stratégie diplomatique sur ces questions majeures entre 1954 et 1982[15]. Les thématiques examinées sont : l’articulation entre l’UEO et l’OTAN, en mettant en évidence tant la complémentarité entre les deux que la dépendance de l’UEO à l’égard de cette dernière ; la question nucléaire sous l’angle de la dissuasion, du désarmement et de la crise des Euromissiles ; la base industrielle et technologique de défense (BITD) notamment sur les aspects de la conception et de la production, mais aussi du contrôle des armements[16]; et la problématique de « l’hors zone » de l’Afrique occidentale jusqu’à l’Afghanistan, à travers la mise en avant des enjeux sécuritaires de l’approvisionnement énergétique et de la présence soviétique dans cette zone géographique.





[1] Voir projet de Jean Monnet d’une union politique entre les deux pays présentée en mai 1940 à Winston Churchill.

[2] COLARD, Daniel. Le couple Paris-Londres: un partenariat original mais ambigu. Défense nationale, 04-1998, n°4, p. 68-69.

[3] BELL, Philippe M.H. France and Britain 1940-1994 – The long separation 1940-1994. London and New York: Longman, 1997. TOMBS, Robert. That sweet enemy: the French and the British from the Sun King to the present, [Britain and France - the history of a love-hate relationship]. London: Pimlico, 2007.

[4]http://www.cvce.eu/obj/traite_d_alliance_et_d_assistance_mutuelle_entre_la_france_et_le_royaume_uni_dunkerque_4_mars_1947-fr-1fb9f4b5-64e2-4337-bc78-db7e1978de09.html

[5] SANDERSON, Claire, L'impossible alliance ? : France, Grande-Bretagne et défense de l'Europe (1945-1958). Paris, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 14.

[6] Article VII du traité de Bruxelles.

[7] La signature répond aussi au souci des Américains d’éviter le retour de tout nouveau mouvement militariste ou de contribuer à la reconstruction politique du continent européen. Voir A short history of NATO. [En ligne] Bruxelles : NATO, 2015. Disponible à l’adresse: http://www.nato.int/history/nato-history.html. Consulté le 19 mai 2015.

[8]http://www.cvce.eu/obj/l_idee_de_la_ced-fr-4996601d-bd87-49e8-a5ff-f69cb86a7309.html

[9] Le 31 août 1954, le groupe gaulliste du RPF (Rassemblement du peuple français) et le groupe communiste, tous deux opposés au traité CED quoique pour des raisons distinctes, obtiennent la majorité à l’occasion d’un vote sur une question de procédure préalable au vote sur la loi portant ratification du traité CED. Ne disposant plus de la majorité suffisante pour faire ratifier le traité, le gouvernement de Guy Mollet retire son projet de loi.

[10] Le même jour, la RFA signe son protocole d’accession au traité de l’Atlantique Nord.

[11] Le transfert de ces compétences vers le Conseil de l’Europe est décidé le 15 juin 1959. Informations disponible sur Conseil de l’Europe. Services Relations extérieures. « Transfert au Conseil de l’Europe des activités sociales et culturelles de l’UEO »: 15.06.2014. http://www.coe.int/t/dgal/dit/ilcd/archives/selection/brussels/RelExtTransferJuin59_fr.pdf [accédé le 03.10.2014]

[12] Article IV du traité de Bruxelles.

[13] Déclaration des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Rome, 26 et 27 octobre 1984.

[14] Voir discours du ministre de la Défense, Charles Hernu, devant l’Assemblée parlementaire de l’UEO, le 30 novembre 1982 ; ainsi que le sommet franco-allemand des 21 et 22 octobre 1982. Cité par Philippe Moreau Defarges, « …J’ai fait un rêve… ». Le président François Mitterrand, artisan de l’Union européenne. Politique étrangère. 1985. Vol. 50. N°2, p. 366.

[15] Eric Remacle fait d’ailleurs référence à l’instrumentalisation de l’UEO par ces deux Etats qu’il désigne d’« Etats-leaders successifs » au sein de l’organisation. REMACLE, E., « L’Union (de l’Europe) occidentale durant la guerre froide (1948-1989) » in E. Remacle et P. Winand (dirs.), L’Amérique, l’Europe, l’Afrique (1945-1973), Bruxelles, PIE-Peter-Lang, 2009, p. 197.

DEIGHTON, Anne et REMACLE Eric, The Western European Union, 1948-1998: from the Brussels Treaty to the Treaty of Amsterdam,Bruxelles, IRRI-KIIB, 1998.

DEIGHTON, Anne,Western European Union 1954-1997: defence security and integration. Oxford: St Antony's College,1997.

[16] Questions partiellement inspirées de BRIGOT, André (dir.), France/Grande Bretagne. Consultations sur la défense et la sécurité. CIRPES-EHESS/EPPI- Warwick University, 1994, 166 p.

 

 


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