Le contrôle de l’armement

Le contrôle des armements

 

L’Agence pour le contrôle des armements (ACA) est créée par le traité de Bruxelles modifié de 1954. Elle reprend des dispositions prévues dans le projet de Communauté européenne de défense, qui visaient essentiellement à rassurer les Français vis-à-vis du réarmement allemand. Elle permet de le contrôler, sans discrimination nationale, puisque tous les pays membres se soumettent à son autorité.

Le contrôle de l’armement a sans aucun doute été une des fonctions les plus importantes de l’UEO, dans la mesure où il s’est agi, pendant toute la guerre froide, d’une préoccupation politique essentielle, mais aussi d’un dossier sensible intéressant l’opinion publique, les cercles militants et associatifs et les milieux industriels.

Les positions de la France et du Royaume-Uni

Un décalage paradoxal existe entre la volonté initiale de limiter le réarmement allemand et l’attitude ultérieure de la France et du Royaume-Uni au sein de l’UEO. En effet, on craint, surtout en France, que l’Allemagne de l’Ouest réarmée cherche à dépasser le plafond des armements et à augmenter le nombre de ses divisions. Non seulement cela n’est pas le cas, mais l’Allemagne met même beaucoup plus de temps qu’escompté pour mettre en place les 12 divisions prévues (fin 1963). Et le problème s’avère vite venir précisément de la France et du Royaume-Uni, et non de l’Allemagne.

Les Britanniques ont obtenu que les compétences de l’ACA soient limitées au territoire de l’Europe continentale, en échange de quoi ils se sont engagés à stationner sur le continent des forces militaires importantes dans le cadre des commandements OTAN. En 1957, ils décident de retirer ces forces et de diminuer leur armement conventionnel, estimant assurer leur part de la défense commune par leur contribution en armes nucléaires. Pour la France, le problème est alors moins de limiter l’engagement allemand que de limiter le désengagement britannique. Le recours à l’ACA change donc de nature. La France lui demande de veiller autant au maximum qu’au minimum des contributions des uns et des autres.

Au même moment, les Britanniques s’offusquent de voir se développer, hors du cadre de l’UEO, la coopération entre la France, l’Italie et l’Allemagne. Le 17 janvier 1957, Strauss, ministre allemand de la Défense, et son homologue français, Bourgès-Maunoury, signent le protocole de Colomb-Béchar, un accord secret de collaboration bipartite dont l’objectif est de mettre en place « une étroite coopération dans le domaine des conceptions militaires et des armements et, à cette fin, […] coordonner leurs ressources et leurs moyens scientifiques, techniques et industriels »[1]. Le protocole de Colomb-Béchar couvre l’ensemble des programmes militaires, dont le domaine atomique. Il est très général. Après la crise ministérielle d’octobre 1957, en France, Jacques Chaban-Delmas succède à Bourgès-Maunoury. Très hostile à la coopération avec les États-Unis et déterminé à doter la France de la bombe, il rencontre le 20 novembre son homologue allemand[2]. Chaban-Delmas propose à Strauss que des chercheurs allemands viennent travailler avec les scientifiques français dans les organismes existants déjà en France.

Les Accords de Paris interdisent en effet à l’Allemagne de fabriquer des armes nucléaires sur son territoire, mais en aucun cas de collaborer à leur fabrication dans un pays voisin. Le souci français est de conserver le contrôle des travaux. Aussi, lorsque le 25 novembre, le président du Conseil des ministres français Félix Gaillard discute avec le Premier ministre britannique Harold Macmillan de l’égalité au sein de l’Alliance et d’une éventuelle coopération franco-britannique dans le domaine nucléaire,[3] le premier ne souffle mot des accords franco-allemands, et surtout pas de l’accord tripartite signé le jour même entre la France, l’Allemagne et l’Italie[4]. L’UEO n’est informée qu’à posteriori.

En fait, Français comme Britanniques tentent de limiter les compétences de l’ACA lorsqu’ils sont concernés. La Grande-Bretagne argue du caractère OTAN de ses dépôts d’armes sur le continent pour en restreindre l’accès à l’ACA. Ce faisant, elle limite considérablement les contrôles à son égard, les installations sur le sol britannique n’entrant pas dans le domaine d’action de l’Agence. La France refuse de soumettre ses armes atomiques au contrôle de l’UEO, estimant que la dissuasion relève de la seule souveraineté nationale. Et comme l’UEO ne contrôle que les stocks à destination des armées des pays membres, et non les fabrications destinées à l’exportation, la France oublie de « déclarer », en 1970, les Mirages V destinés à Israël, mais non livrés à cause de l’embargo prononcé par le gouvernement français.

Quel débat au sein de l’UEO ?

L’agence de contrôle des armements de l’UEO est un organisme relativement léger au sein de l’UEO, surtout si l’on met en relation ses effectifs et l’importance de sa mission. Installée à Paris, elle réunit vingtaine d’experts spécialisés dans les problèmes de la défense et de la technique des armes tant conventionnelles que modernes. Elle rend compte de ses activités au Conseil de l’Union de l’Europe Occidentale. 

Si l’on compare l’action de l’Agence à sa mission initiale, elle a réussi dans un domaine : restaurer la confiance franco-allemande. L’essentiel des tensions au sein de l’ACA naissent plutôt des rivalités franco-britanniques que de l’attitude de la RFA.

Elle a en charge le contrôle des armements et non un quelconque désarmement. Elle doit contrôler les stocks, les fabrications, pour un ensemble d’armes listées dans un protocole annexe. Par exemple, pour l’artillerie, elle ne contrôle que les pièces de plus de 90 mm.

L’ACA exerce deux types de contrôle. Un contrôle quantitatif, tout d’abord, pour vérifier la limitation des stocks d’armes des pays membres. Un contrôle de non fabrication, ensuite, pour veiller au respect des interdictions sur le territoire allemand. Deux moyens d’action sont utilisés : un contrôle général sur documents, puis des sondages, visites et inspections. Le contrôle général sur document est fondé sur l’examen et l’exploitation des déclarations fournies chaque année par les pays membres en réponse à des questionnaires de l’agence sur la situation de leurs armements, sur leurs programmes de fabrication, d’importations, d’exportations, d’aide extérieure, ainsi que sur leur budget de défense. Ces déclarations qui engagent la responsabilité des États sont complétées par les informations fournies par la procédure d’examen annuel de l’OTAN et celles données par les États-Unis et le Canada sur les programme d’aide extérieure en matériels. Ensuite, ces données sont vérifiées par des visites sur place. Celles-ci sont effectuées par groupe de trois experts, qui préviennent à l’avance les gouvernements de leurs programmes d’inspection. Ils peuvent visiter des unités militaires, des dépôts, des usines.

Le résultat de ces contrôles est évidemment nuancé par les restrictions apportées par la France (refus de laisser inspecter ses installations nucléaires) et par la Grande-Bretagne (refus de laisser visiter ses installations OTAN).

 


[1] MAEF, Secrétariat général, 63, cité par Soutou G.-H., « Les accords de 1957 et 1958 : vers une communauté stratégique nucléaire entre la France, l’Allemagne et l'Italie ? », BDIC, Matériaux pour l'histoire de notre temps, 1993, n° 31, p. 3.

[2] Télégramme de Pineau aux ambassadeurs de France à Bonn et Rome, n°4678-4685/2871-2878, 20 novembre 1957, Documents diplomatiques français, 1957, p. 717-718.

[3] Compte-rendu des conversations franco-britanniques des 25 et 26 novembre 1957, entretien de Félix Gaillard et M. Macmillan, Documents diplomatiques français, 1957, p. 770-777.

[4] Protocole entre le ministre de la Défense nationale et des forces armées de la République française, le ministre de la Défense de la RFA, le ministre de la Défense de la république italienne, Très secret, Paris, 25 novembre 1957, Documents diplomatiques français, 1957, p. 762-763.

 

 



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