La troisième phase de l'Union économique et monétaire
La troisième phase de l'Union économique et monétaire
Le Conseil européen de Madrid des 15 et 16 décembre 1995 adopte le scénario pour l'introduction de la monnaie unique pour le 1er janvier 1999, date butoir fixée par le traité sur l'Union européenne, et le nom de la nouvelle monnaie, l'euro, dans toutes les langues officielles de l'Union européenne. Le logo et les maquettes des billets et des pièces, qui ont remplacé les espèces nationales depuis le 1er janvier 2002, sont présentées par Alexandre Lamfalussy, président de l'Institut monétaire européen (IME), lors du Conseil européen de Dublin des 13 et 14 décembre 1996 et définitivement approuvés par les Quinze lors du Conseil européen d'Amsterdam des 16 et 17 juin 1997. Il s’agit désormais de passer à la réalisation en mettant en place les institutions et en qualifiant les États susceptibles de remplir les conditions de participation à la monnaie unique et de respecter ensuite les règles du pacte de stabilité et de croissance adopté par le Conseil européen d’Amsterdam de juin 1997.
Dans le domaine institutionnel, est installé le Système européen de banques centrales (SEBC) comprenant celles des États membres, qui doivent être indépendantes de leur gouvernement, et la Banque centrale européenne (BCE), indépendante des gouvernements et des institutions communautaires. L’ensemble est géré par un directoire et par un conseil des gouverneurs. Le directoire de six membres gère, au jour le jour, la politique monétaire, celle-ci étant décidée par le Conseil des gouverneurs réunissant, outre le directoire, les gouverneurs des banques centrales nationales qui disposent chacun d’une voix quelle que soit la taille de leur pays. Les banques centrales nationales reçoivent leurs orientations de la BCE. Elles transfèrent une partie de leurs réserves en or et en devises à la BCE. La souveraineté monétaire interne des États membres est exercée par le SEBC et par la BCE. L’émission et la gestion de la monnaie unique sont assurées par la BCE dont la mission est de maintenir sa valeur et de contenir l’inflation, préoccupation majeure des Allemands. La BCE a choisi l’objectif d’une hausse des prix ne dépassant pas 2 % par an. Elle doit également surveiller les taux de change en raison de leurs répercussions sur le niveau des prix. La BCE a le libre choix des instruments à utiliser pour atteindre l’objectif de stabilité des prix : fixation des taux d’intérêt et contrôle des liquidités et des crédits. En ce qui concerne la gestion externe de la monnaie unique par la politique de change, elle est partagée entre le Conseil des ministres pour les orientations générales qui doivent être compatibles avec l’objectif de stabilité des prix et respecter l’indépendance de la BCE, cette dernière ayant la responsabilité de la conduite quotidienne des opérations de change.
Le 30 juin 1998, la Banque centrale européenne, installée à Francfort-sur-le-Main, remplace l’Institut monétaire européen (IME) présidé depuis 1994 par le Belge Alexandre Lamfalussy puis, depuis le 1er juillet 1997, par le Néerlandais Willem F. Duisenberg. Ce dernier, ancien ministre des Finances et ancien gouverneur de la Banque centrale des Pays-Bas, devient le premier président de la BCE car les gouverneurs des banques centrales s’étaient mis d’accord pour proposer sa nomination aux gouvernements, la décision devant être prise par le Conseil européen. Mais Jacques Chirac, président de la République française, avait contesté la méthode suivie et proposé la candidature de Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, estimant que si l’Allemagne avait le siège de la BCE, c’est à la France que devait revenir la présidence. Les Allemands, les Néerlandais et les Belges soutenaient Duisenberg qui leur apparaissait comme le garant d’un euro fort. Au Conseil européen de Bruxelles (3 mai 1998), la tension avait été très forte entre le président Chirac et le chancelier allemand Helmut Kohl. Pour sortir de l’impasse et dans l’impossibilité de partager le mandat de huit ans prévu par le traité, Duisenberg avait dû s’engager à ne pas aller au bout de son mandat sans préciser la date de son retrait. Mais il était tacitement entendu que Trichet lui succéderait, ce qui sera le cas en novembre 2003. Le chancelier Kohl apparaissait comme le perdant de cette épreuve de force et sa position se trouvait affaiblie à la veille des élections. Le moteur franco-allemand ne fonctionnait plus. La désignation des cinq autres membres du directoire de la BCE donna également lieu à des rivalités nationales. Tony Blair, Premier ministre britannique, exigeait un siège pour un Britannique alors que la Grande-Bretagne ne participait pas à l’euro. Il ne l’obtint pas, mais reçut la promesse d’en avoir un lorsqu’elle adopterait la monnaie unique. Sous la pression de la France, trois sièges furent donnés à des ressortissants des trois grands pays de la zone euro, un Français, vice-président, un Allemand et un Italien. L’Espagne réclama alors le même traitement et obtint la nomination d’un Espagnol. Le seul siège restant fut attribué à une Finlandaise. Ces rivalités nationales s’accordent mal avec le statut des membres des organes directeurs du SEBC, stipulant qu’ils ne peuvent – comme les membres de la Commission européenne – solliciter ni accepter d’instruction des institutions communautaires, des gouvernements ou de tout autre organisme. Certes, cette indépendance s’est affirmée lorsque des gouvernements ont demandé la baisse des taux d’intérêt. Il n’empêche que persiste la volonté des « grands » d’être présents au directoire. Ainsi, lorsque le mandat du membre espagnol arrive à expiration, le Conseil à Bruxelles du 25 mars 2004 décide, à la majorité qualifiée, de nommer encore un Espagnol, ce qui provoque la colère des « petits » pays car la Belgique et l’Irlande avaient des candidats.
Si la monnaie unique est gérée par un SEBC indépendant, la politique économique reste quant à elle du domaine des gouvernements qui ne s’engagent qu’à respecter les règles communes destinées à assurer la stabilité monétaire, en particulier sur le plan budgétaire. Mais les États conservent la maîtrise de leur politique budgétaire, de la fiscalité directe et de l’arbitrage entre les dépenses publiques. L’Union économique et monétaire (UEM) ne prévoit qu’une coordination accrue des politiques économiques nationales. Celle-ci relève du Conseil des ministres de l’Économie et des Finances (Ecofin) qui arrête les décisions en matière de politique budgétaire et économique au niveau de l’Union, à l’unanimité sur les sujets les plus importants. Pour coordonner les politiques macroéconomiques, l’Ecofin adopte chaque année les « grandes orientations de la politique économique » après leur discussion par le Conseil européen, examine les déficits publics excessifs et veille au respect du pacte de stabilité et de croissance. Il peut, sur proposition de la Commission européenne, adresser des recommandations aux États défaillants ou décider des sanctions à leur égard. Le travail de l’Ecofin est préparé par le Comité économique et financier qui comprend des représentants de la BCE, des banques centrales et des ministres des Finances des États membres. Ses membres sont nommés à titre personnel et sont indépendants. C’est l’organe de discussion entre la Commission, la BCE et les États.
Un problème se pose toutefois : les quinze États de l’Ecofin n’ont pas tous adhéré à la monnaie unique. C’est pourquoi la France, qui avait depuis longtemps préconisé un « gouvernement économique » de la zone euro pour qu’une instance politique puisse faire équilibre à la BCE, réclame la création d’une instance limitée aux seuls membres de cette zone monétaire. Mais les Allemands sont réticents, craignant pour l’indépendance de la BCE et pour un éventuel dirigisme économique, d’autant que les socialistes viennent d’arriver au pouvoir sous la conduite de Lionel Jospin. Finalement l’accord franco-allemand se fait sur la mise en place d'un Conseil informel, discutant de la coordination et laissant le pouvoir de décision à l’Ecofin. Les pays de l’euro sont d’accord mais ceux qui sont restés en dehors protestent : ils exigent de participer au Conseil de l’euro, au moins en tant qu’observateurs. Tony Blair va jusqu’à réclamer un siège à part entière en menaçant de son veto. Puis, devant la fermeté de Jacques Chirac et d’Helmuth Kohl au Conseil européen de Luxembourg (12-13 décembre 1997), il doit se contenter d'une formule intermédiaire : pour les sujets d’intérêt commun aux Quinze traités par le Conseil de l’euro, les pays non membres pourraient être invités ou demander que ces questions soient discutées à l’Ecofin. Le Conseil européen précise que ces réunions des pays de l’euro, avant chaque réunion mensuelle de l’Ecofin, seront « informelles » et insiste sur le rôle décisionnel de l’Ecofin. Ainsi l’existence de l’Eurogroupe est-elle reconnue (les Allemands ont voulu éviter le terme de Conseil), sous la forme d’un forum de discussion et non d’un « gouvernement économique » de la zone euro.
La qualification des États en mesure de participer à la monnaie unique est prévue par le traité sur l’Union européenne. Les pays candidats doivent satisfaire aux critères de convergence : inflation inférieure ou égale à un point et demi de pourcentage au dessus du niveau d’inflation des trois pays ayant la plus basse inflation ; taux d’intérêt à long terme ne dépassant pas deux points de pourcentage au dessus de la moyenne des trois pays ayant les taux les moins élevés ; déficit budgétaire (budget de l’État, des collectivités locales et de la sécurité sociale) inférieur à 3 % du produit intérieur brut (PIB) ; dette publique inférieure à 60 % du PIB ou tendant à s’en rapprocher ; taux de change stable depuis au moins deux ans au sein du Système monétaire européen (SME). Le traité précise toutefois que ces « critères de Maastricht » doivent être interprétés en tendance par la Commission qui mène les études statistiques et fait les propositions d’admission. C’est le Conseil siégeant au niveau des chefs d’État ou de gouvernement qui prend la décision.
Pour respecter la date prévue du 1er janvier 1999 pour l’adoption de la monnaie unique, le choix des États éligibles doit être fait au printemps 1998 au vu des résultats portants sur l'année 1997. Or, la conjoncture économique en Europe s’était dégradée depuis le traité de Maastricht. En 1996, le PIB de l’Union (aux prix de 1990) n’avait progressé que de 1,5 % (au lieu de 2,8 % en 1994 et 2,5 % en 1995). Le chômage continuait à augmenter : 11 % de la population active en 1996 (contre 10,9 % en 1995). Le pessimisme grandissait quant à la possibilité d’atteindre l’objectif de la monnaie unique. En 1996, le critère de 3 % des déficits publics n’était plus rempli que par les Pays-Bas, le Danemark, le Luxembourg, l’Irlande et la Finlande. Mais les gouvernements étaient bien décidés à s'imposer des sacrifices pour réduire les déficits publics et l’inflation.
En France, le gouvernement de droite d’Alain Juppé a lancé un programme de réformes de la sécurité sociale et des retraites du service public qui entraînent des grèves paralysant l’activité économique. Le président Chirac dissout l’Assemblée nationale dans l’espoir que les élections législatives renforceront la majorité présidentielle décidée à poursuivre la politique de rigueur, mais c’est la gauche unie qui l’emporte le 1er juin 1997. Lionel Jospin, nouveau Premier ministre socialiste, est favorable à l’euro, mais à condition que l’Europe du Sud en fasse partie, que les critères de convergence soient interprétés avec souplesse, qu’un « gouvernement économique » coordonne les politiques économiques nationales et que le pacte de stabilité et de croissance comporte également des objectifs sociaux. Mais il n’obtient que la réunion d’un Conseil européen sur l’emploi à Luxembourg (21-22 novembre 1997) qui fixe des lignes directrices communes pour orienter les plans nationaux avec des objectifs concrets, mais sans obligation de résultats comme pour la convergence des critères sur la monnaie unique. Le gouvernement socialiste, devant la perspective d’un déficit public de 3,6 % du PIB pour 1997, engage alors un plan de redressement (réduction des crédits militaires, majoration de l’impôt sur les sociétés,...).
En Allemagne, le déficit est de 3,5 % en 1995. D’où un plan d’austérité du chancelier Helmut Kohl comportant des réductions dans les dépenses sociales qui provoquent de vives réactions de la part des syndicats. Toutefois, le déficit peut être réduit grâce aux privatisations et aux excédents des caisses de maladie et de retraite.
C’est l’Italie qui se trouve dans la situation la plus difficile en raison de l’instabilité politique et de l’ampleur de ses déficits publics (6,7 % en 1996). Il ne paraît donc pas possible qu’elle fasse partie du premier groupe de pays adhérents, à la satisfaction d'ailleurs des pays du Nord, et en particulier de la Bundesbank, qui craignent que la participation des pays du Sud (parfois qualifiés ironiquement de « Club-Med ») n’affaiblisse l’euro. Mais l’Italie, pays fondateur des Communautés européennes, n’entend pas rester à l’écart. Les élections du 21 avril 1996 mènent au pouvoir une majorité de gauche (l’Olivier). Le nouveau président du Conseil, l’universitaire Romano Prodi, est d’autant plus décidé à faire entrer l’Italie que l’Espagne s’y prépare également sous la houlette de José María Aznar, chef du Parti populaire majoritaire, en dépit d’un déficit public de 7,3 % en 1996. Les deux hommes se rencontrent le 16 septembre à Barcelone et présentent leurs plans d’austérité. Prodi assainit les finances publiques, augmente les impôts (création d’une « taxe pour l’Europe »), fait rentrer la lire dans le SME et ralentit l’inflation. Aznar, quant à lui, poursuit la politique d’assainissement budgétaire de son prédécesseur socialiste Felipe González. Le gouvernement du Portugal prend également des mesures de rigueur pour réduire les déficits et la dette publique.
Ces efforts sont d’autant plus efficaces que la conjoncture économique s’améliore. La reprise de l’activité économique est favorisée par la baisse des taux d’intérêt et par l’accroissement de la consommation des ménages. Le PIB des Quinze progresse de 2,7 % en 1997, l’accroissement des rentrées fiscales permettant de réduire les déficits. La Commission européenne et l’IME examinent la situation des États candidats en tenant compte des efforts fournis et des progrès prévus. Seul le Luxembourg satisfait à tous les critères. En ce qui concerne les déficits, le plafond des 3 % est respecté par tous, la France ayant le moins bon résultat avec 3,02 %. Pour la dette publique, la plupart des pays sont autour de la barre des 60 %, mais la Belgique et l’Italie sont au double de ce chiffre. On tient néanmoins compte du fait qu’en Belgique le surendettement public n’a pas d’effet négatif sur l’inflation en raison de l’importance de l’épargne privée (le double du PIB) et qu’en Italie l’économie « au noir » représente le quart du PIB, ce qui relativise le poids de la dette.
La liste des onze pays de l’Union européenne considérés comme remplissant les conditions pour participer à l’euro est rendue publique le 25 mars 1998 : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal. Ne sont pas retenues la Grèce, qui ne remplit pas tous les critères et a annoncé sa volonté de rejoindre la zone euro, ce qu’elle fera au 1er janvier 2001, ni la Suède qui ne participe pas au Système monétaire européen et a décidé d’attendre. Par le référendum du 14 septembre 2003, les Suédois refuseront d’adopter l’euro (56,1 % de non). Restent également en dehors le Danemark et la Grande-Bretagne qui ont obtenu une clause d’« opting out » à Maastricht, se réservant ainsi la possibilité d’une adhésion ultérieure. Mais le référendum danois du 28 septembre 2000 est très négatif (53,1 % de non avec 89 % de votants). Quant à la Grande-Bretagne, le nouveau gouvernement travailliste est plus favorable à l’euro, réclamé par les milieux économiques, alors que les conservateurs lui restent très hostiles, à l'instar d'une grande partie de l’opinion. Le Premier ministre Tony Blair annonce, le 27 octobre 1997, qu’un référendum sera organisé à partir de 2002, lors de la législature suivante. Mais le 9 juin 2003, le gouvernement travailliste reporte encore son éventuelle adhésion à la monnaie unique à une date où seraient réalisées les convergences nécessaires de l’économie britannique avec la zone euro.
L’adoption de la monnaie unique se fait lors du Conseil européen extraordinaire de Bruxelles des 1er, 2 et 3 mai 1998. Les ministres du Conseil Ecofin, s’appuyant sur les conclusions de la Commission, recommande l’admission des onze pays aux chefs d’État ou de gouvernement qui, dans ce domaine, siègent dans le cadre de l’Ecofin et donc, comme les ministres, décident à la majorité qualifiée. Consulté pour avis, le Parlement européen donne une approbation massive. Le Conseil décide que les onze pays remplissent les conditions nécessaires pour l’adoption de la monnaie unique le 1er janvier 1999. De plus, pour éviter que des attaques spéculatives se produisent avant la fixation des taux des monnaies nationales en euros, le Conseil décide d’annoncer immédiatement les parités bilatérales entre les monnaies de la zone euro. La fixation irrévocable des parités, et donc du cours de l’euro par rapport aux autres monnaies, aura lieu le 31 décembre 1998. Cette mesure de précaution se révèle justifiée : la baisse du dollar en septembre ne sera pas suivie – comme d’habitude – par une hausse du mark aux dépens d’autres monnaies nationales.
Dès avant l’adoption officielle de la monnaie commune, le terrain de sa mise en œuvre a été préparé au sein des entreprises par des associations – telle que l’Association pour l’unité monétaire européenne, fondée en 1987 – et par l’action d’information de la Commission et en particulier d'Yves-Thibault de Silguy, commissaire en charge des Affaires économiques, monétaires et financières. Entre le 1er janvier 1999 et le 1er janvier 2002, l’utilisation de l’euro est facultative comme unité de compte ou monnaie scripturale. Les opérations bancaires adoptent progressivement l’euro concurremment à la monnaie nationale. La mise en circulation dans le public des moyens de paiement en pièces et des billets se fait sans difficulté le 1er janvier 2002.