La préparation du congrès de La Haye

La préparation du congrès de La Haye


Dès que la décision est prise de tenir au printemps 1948 des «états généraux de l’Europe», le Comité international de coordination des mouvements pour l’unité européenne (CICMUE) se met activement au travail. Indépendamment des gouvernements et des pouvoirs en place. Au-delà des clivages partisans, l’objectif est avant tout de réunir des personnalités capables de donner vie à l’idée d’unité européenne. Très ambitieux, le congrès poursuit en effet trois objectifs: prouver l’existence dans tous les pays libres d’Europe d’un mouvement d’opinion en faveur de l’unité du continent, discuter les enjeux de son unité et proposer aux gouvernements des solutions pratiques, insuffler une vigueur nouvelle à la campagne internationale d’opinion. Au nom de la Ligue indépendante de coopération européenne (LICE), le sénateur catholique Pieter A. Kerstens, ancien ministre de l’Économie des Pays-Bas, propose d’organiser le congrès à La Haye, ce qui permet notamment de rendre hommage au rôle pionnier des trois pays qui constituent le Benelux. Kerstens devient aussitôt président du comité d’organisation. En accord avec le ministère néerlandais des Affaires étrangères et avec la mairie de La Haye, il supervise l’intendance et la logistique et s’assure de la participation de la famille royale des Pays-Bas. Étant donné les difficultés de change entre les monnaies européennes, le comité d’organisation récolte aux Pays-Bas les sommes nécessaires à l’accueil des congressistes qui n’ont en effet qu’à assurer les frais de voyage. L’engouement populaire est tel qu’une partie des délégations pourra loger chez l’habitant faute d’infrastructures hôtelières suffisantes.


Pour des raisons pratiques et financières, le nombre de délégués est rapidement limité à huit cents. En ce compris les observateurs des États-Unis, du Canada et du Vatican. L’Espagne et les pays d’Europe centrale et orientale sont représentés par des personnalités exilées à l’Ouest. Présence significative puisque les organisateurs tiennent à montrer qu’ils n’acceptent pas comme définitive la coupure de l’Europe en deux blocs opposés. Ils tiennent au contraire à affirmer que l’unité européenne ne se conçoit que comme un élément ouvert et constitutif d’un nouvel ordre mondial. Parmi les délégués, figurent à la fois des hommes d’État, des parlementaires, des industriels, des syndicalistes, des hommes d’Église, des journalistes ou des universitaires. Dans chaque pays, un comité national est mis en place qui, en dernière instance, assure les arbitrages. Les gouvernements n’ont ainsi pas la possibilité de désigner directement leurs représentants. La tâche n’est certes pas simple. Car il faut veiller à assurer à chaque délégation un caractère varié et représentatif bien qu’aucun congressiste ne soit porteur d’un mandat particulier. Dans la Trizone de l'Allemagne occidentale, les organisateurs doivent composer avec les autorités d’occupation alliées pour obtenir les laissez-passer et les permis de séjour nécessaires.


Au Royaume-Uni, ce sont les tensions politiques qui compliquent fortement les choses. Certains responsables travaillistes craignent en effet que le congrès, placé sous la présidence d’honneur de Winston Churchill, ancien Premier ministre britannique, ne favorise par trop les projets du député conservateur, connu pour ses positions très anti-communistes. Ils tirent notamment argument du fait que le CICMUE est présidé à Londres par le député et ancien ministre conservateur Duncan Sandys, par ailleurs gendre de Churchill. Par solidarité avec le Labour, nombreux sont les socialistes européens qui hésitent à se rendre à La Haye. La Conférence internationale socialiste réunie à Paris en avril 1948 est saisie du problème. Bien qu’il s’agisse davantage d’une manifestation de personnalités plutôt que de partis, des incertitudes vont perdurer jusqu’à la veille du congrès. D’autres difficultés naissent aussi du désir de certains militants fédéralistes de donner aux travaux du congrès une orientation conforme à leur conception de l’Europe unie. Enfin, faute d’un accord sur sa composition, l’idée d’un comité de patronage doit être finalement abandonnée. Ces tensions ne sont bien sûr pas sans effet sur la manifestation. La preuve en est qu’un mois plus tard, le Français Alexandre Marc, directeur du département institutionnel de l’Union européenne des fédéralistes (UEF) et cheville ouvrière du congrès de La Haye, démissionne du CICMUE. A l’issue du congrès, l’UEF publiera également un communiqué de presse pour dénoncer la faiblesse des avancées politiques du congrès.


Toutes ces difficultés n’empêchent pourtant pas les comités de coordination et des commissions préparatoires de se mettre en place dès le mois de janvier 1948 pour préparer les rapports et les projets de résolution qui devront servir de base de discussion au congrès. Travail qui permet de confronter les points de vue et de mettre en exergue le foisonnement des projets européens. Le Conseil français pour l’Europe unie et l’United Europe Movement se chargent particulièrement du rapport de la commission politique, tandis que le rapport de la commission économique et sociale est mis au point par Lord Walter Layton et par Daniel Serruys, président de la section française de la LICE. Enfin, c’est le fédéraliste suisse Denis de Rougemont qui assure la finalisation du rapport de la commission culturelle. Pour éviter les palabres inutiles, les organisateurs décident de limiter au maximum les séances plénières afin de favoriser les commissions spécialisées. De même, les interventions des congressistes sont limitées, autant se faire que peut, à cinq minutes en français ou en anglais. On prévoit enfin que les votes relatifs aux amendements proposés aux projets de résolutions se feront à main levée.

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