La deuxième phase de l'UEM (1994-1998)

La deuxième phase de l’Union économique et monétaire


Les dispositions relatives à la formation de l’Union économique et monétaire (UEM) sont détaillées dans le traité d’Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992. Elles font partie du pilier communautaire mais, en raison de leur importance, elles s’inscrivent dans des mécanismes institutionnels intermédiaires entre le système communautaire et la pratique intergouvernementale. La Commission européenne ne peut proposer, pour les décisions les plus importantes du Conseil pour la mise en œuvre de l’UEM, que des recommandations et non des propositions dont celui-ci ne peut s’écarter qu’à l’unanimité. La Commission n’a donc pas, dans ces matières, de capacité de négociation avec le Conseil. De son côté, le Parlement européen n’a qu’un rôle consultatif : il est informé et donne des avis mais n’a pas de pouvoir de codécision avec le Conseil et ne dispose de la procédure de coopération et de l’avis conforme que dans quelques matières techniques.


En revanche, le Conseil est au centre du dispositif dans sa formation réunissant les ministres des Affaires économiques et des Finances (Conseil Ecofin). Il prend les grandes décisions : adoption des « grandes orientations » de politique économique, surveillance de leur respect par les États et orientations de la politique de change. Surtout, c’est le Conseil européen, qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement pouvant être accompagnés par les ministres des Finances, qui joue le rôle politique essentiel dans l’UEM : il débat des « grandes orientations », nomme le président de l’Institut monétaire européen (IME) au début de la seconde phase de l'UEM, puis celui de la Banque centrale européenne (BCE) et des autres membres du directoire au début de la troisième, dont il décide la date pour l’entrée en vigueur de la monnaie unique pour les États satisfaisant aux critères de Maastricht.


En attendant le passage à la seconde étape de l’UEM, la première étape, ouverte dès le 1er juillet 1990, avait instauré la libre circulation des capitaux, le renforcement de la surveillance multilatérale de la conjoncture et la convergence des politiques macroéconomiques. Mais sa mise en œuvre a été difficile en raison du ralentissement de l’activité de 1991 à 1993. Le Système monétaire européen (SME) a alors été menacé de dislocation. Pour financer les énormes dépenses de sa réunification, l’Allemagne a eu recours à l’emprunt avec des taux d’intérêts très élevés. D’où l’appréciation du deutschemark sur le marché des changes, d’autant que le dollar fléchissait. Les autres monnaies européennes ne pouvaient suivre et devenaient vulnérables à la spéculation. En septembre 1992, le mark finlandais est dévalué, puis la lire italienne, suivie par la peseta espagnole et l’escudo portugais. La Bundesbank cesse de soutenir les monnaies faibles et la livre sterling doit sortir du SME et commence à flotter. Quant au franc, il est menacé, mais s’il doit sortir du SME, celui-ci s’écroulera et l’adoption de la monnaie unique deviendra improbable. La parité franc-mark est maintenue par des taux élevés et par l’action commune, à la demande de François Mitterrand, président de la République française, au chancelier allemand Helmut Kohl, de la Banque de France et de la Bundesbank. Après la victoire de la droite aux élections législatives du 30 mars 1993, le gouvernement d'Édouard Balladur poursuit la politique du « franc fort ». Mais la crise monétaire reprend en mai avec une nouvelle dévaluation de la peseta et de l’escudo et de nouvelles attaques contre le franc. L’Allemagne refuse de sortir du SME qu’elle entraîne à la hausse et refuse de continuer à intervenir pour permettre aux monnaies faibles de s’y maintenir.


Afin d’éviter la dislocation du SME, les ministres des Finances des Douze décident, le 2 août 1993, d’élargir temporairement la marge de fluctuation des monnaies en la portant de 2,25 % de part et d’autre des cours pivot par rapport à l’ECU, à 15 %, soit une bande de 30 % au lieu de 5 %, ce qui dispensera les banques d’intervenir en cas de fortes variations et d’épuiser leurs réserves. De fait, la spéculation est découragée. Le SME subsiste en admettant un certain flottement des monnaies, mais les États membres n’en abuseront pas et chercheront plutôt à revenir dans l’ancienne bande étroite de fluctuation. Une baisse des taux d’intérêt devient possible puisqu’il n’est plus nécessaire d’élever ceux-ci pour défendre les parités.


Le passage à la seconde étape de l’UEM se fait, selon le traité de Maastricht, le 1er janvier 1994. C’est une phase de préparation au passage à la monnaie unique par la coordination des politiques monétaires des États membres et par la surveillance des politiques économiques de ceux-ci afin de favoriser leur convergence.


L’Institut monétaire européen (IME) est installé à Francfort, siège de la Bundesbank et qui sera ensuite celui de la Banque centrale européenne (BCE). Il est présidé par le baron belge Alexandre Lamfalussy, ancien président à Bâle de la Banque des règlements internationaux (BRI) et qui, en 1988-1989, avait notamment fait partie du Comité Delors sur l’UEM. Le Conseil de l'IME est formé des gouverneurs des banques centrales des États membres. L’IME va s’acquitter de sa tâche de façon très satisfaisante en coordonnant les politiques monétaires et en préparant le futur Système européen de banques centrales (SEBC) ainsi que les billets et pièces de la monnaie unique.


La Commission européenne joue aussi un rôle important – bien que non prévu par le traité – dans la préparation du passage à la monnaie unique. Yves-Thibault de Silguy, commissaire chargé des affaires monétaires, s’efforce d’en faire préciser les modalités concrètes en multipliant les contacts avec les milieux économiques et bancaires. D’où le « Livre vert » adopté par la Commission le 31 mai 1995, proposant un scénario en plusieurs étapes et qui sera pris en compte par l’IME.


Quant à la coordination des politiques monétaires, elle doit être assurée par le Conseil des ministres de l’Économie et des Finances qui fixe, sur recommandation de la « Commission et après décision du Conseil européen, de grandes orientations » et veille à leur respect par les États membres de l'Union européenne. La Commission est chargée de la surveillance en rassemblant les informations et en faisant rapport au Conseil qui, à la majorité qualifiée, peut adresser une recommandation à l’État en infraction. Les États membres doivent établir des programmes de convergence durable trisannuels évalués par la Commission et validés par le Conseil. L’objectif est d’inciter les États membres à mener des politiques budgétaires favorisant une croissance non-inflationniste et un niveau élevé d’emploi et à respecter les critères de convergence du traité de Maastricht pour le passage à la monnaie unique. Les déficits publics excessifs, signalés par la Commission, font l’objet d’une recommandation votée à la majorité qualifiée du Conseil à l’adresse de l’État en faute. Ces interventions sont d’autant plus nécessaires que les écarts sont considérables entre les pays membres. En 1994, le Conseil constate qu’il existe un déficit excessif dans tous les États sauf en Irlande et au Luxembourg. La moyenne pour les Douze est de 6 % du PIB au lieu des 3 % prescrits. Beaucoup de chemin reste à faire. Il apparaît vite que la première option présentée par le traité pour l’adoption de la monnaie unique est irréalisable. C’est donc la date butoir du 1er janvier 1999 qu’il faudra respecter. Le Conseil européen de Madrid (15-16 décembre 1995) adopte à cet effet le calendrier proposé par l’IME et approuvé par le Conseil Ecofin. La liste des pays satisfaisant aux critères sera établie au début de 1998 sur la base des résultats de 1997 et adoptée par le Conseil européen. La BCE sera alors installée. La troisième phase de l’UEM commencera le 1er janvier 1999 avec la fixation irrévocable des rapports de change entre les monnaies nationales et avec la monnaie unique, celle-ci devenant d’usage pour les opérations commerciales et bancaires. Billets et pièces seront mis en circulation dans le public au 1er janvier 2002 et coexisteront avec les espèces de monnaies nationales jusqu’au 1er juillet 2002, date à laquelle ces dernières n’auront plus cours légal.


Reste à trouver un nom pour la nouvelle monnaie européenne qui va succéder à l’ECU (European Currency Unit) unité de compte du SME. Les Français préfèrent garder le mot « écu » rappelant l’ancienne pièce française, mais les Allemands rappellent que, depuis sa création, l’ECU a perdu 40 % de sa valeur et qu’il ne faut pas consacrer ainsi une monnaie dépréciée alors qu’on va abandonner le mark. D’autres noms sont avancés, présentant tous des inconvénients. Finalement, sur la suggestion de Felipe González Márquez, Premier ministre espagnol, c’est le mot « euro », le même dans toutes les langues de l’Union, qui est adopté par les Quinze.


Un progrès décisif est ainsi fait dans la voie conduisant à la monnaie unique. Le calendrier est fixé, le nom est trouvé, la Commission inventant le logo €, formé d’un E barré de deux traits horizontaux symboles de stabilité, les maquettes des pièces et billets sont présentées au Conseil européen de Dublin (13-14 décembre 1996). L’euro devient palpable et sa promotion peut se faire dans l’opinion. Le plus dur reste toutefois pour les pays de l’Union européenne à satisfaire aux critères de Maastricht dont beaucoup sont encore très loin.

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