Le passage à la troisième phase de l'UEM (1999)

Le passage à la troisième phase de l'UEM (1999)

La qualification des onze États pionniers

La procédure et les conditions de sélection des États en mesure de participer à la monnaie unique lors de son établissement sont définies aux articles 121 et 122 du traité CE. Lié à la création de l'euro, l'article 121 est supprimé par le traité de Lisbonne, l'article 122 est repris à l'article 140 du traité FUE.

Le traité retient deux procédures pour déterminer le moment du passage à l'euro. C'est la marque du compromis négocié lors de la conférence intergouvernementale de 1990-1991 entre ceux réclamant un passage automatique à la troisième phase et les autres qui favorisaient un passage conditionné à la réalisation d'un degré de convergence élevé. Avant la fin de l'année 1996, la Commission et l'Institut monétaire européen (IME) font rapport au Conseil sur les progrès faits par les États membres dans l'accomplissement de leurs obligations pour la réalisation de l'Union économique et monétaire (UEM). Sur la base de ces rapports, le Conseil évalue pour chaque État membre s'il remplit les conditions nécessaires pour l'adoption de la monnaie unique et si une majorité d’États membres remplit ces conditions. Ses conclusions sont transmises sous forme d'une recommandation générale au Conseil réuni au niveau des chefs d’État ou de gouvernement. La décision que rend le Conseil repose sur une appréciation d'opportunité: il décide quels États membres satisfont les conditions d'adoption de la monnaie unique et, au cas où ils sont une majorité à les satisfaire, s'il convient que la Communauté passe à la troisième phase de l'UEM. Il s'agit d'éviter que la monnaie unique ne comprenne à ses débuts que des économies secondaires. Une union monétaire sans les grands États membres, la France et l'Allemagne en particulier, la priverait de toute crédibilité. Dans toute cette procédure, le Parlement européen est simplement consulté.

Avant même que cette procédure ne soit mise en œuvre, il est clair dès 1995 que les progrès réalisés par les États membres en matière de convergence macroéconomiques sont trop modestes pour envisager l'établissement rapide de la monnaie unique. Le Conseil européen de Madrid des 15 et 16 décembre 1995 reporte le début de la troisième phase de l'UEM à la date-butoir fixée par le traité (1er janvier 1999). Fin 1996, le Conseil, réuni au niveau des chefs d’État ou de gouvernement, confirme qu'il n'existe pas une majorité d’États membres qui remplissent les conditions d'adoption de la monnaie unique. La Communauté n'entrera pas dans la troisième phase de l'UEM en 19971.

Dans cette hypothèse, le traité n'interdit pas le renouvellement de cette procédure l'année suivant pour un démarrage de l'UEM en 1998. Il prévoit surtout une procédure pour l'entrée de la Communauté dans la troisième phase de l'UEM au 1er janvier 1999. Avant le 1er juillet 1998, le Conseil, réuni au niveau des chefs d’État ou de gouvernement, procède à l'évaluation individuelle de chaque État membre sur la base d'une recommandation transmise par le Conseil, compte tenu des des rapports de convergence établis par la Commission et l'IME, ainsi que de l'avis du Parlement européen. A priori, le traité ne corrèle pas le nombre et la qualité des États membres qualifiés avec le démarrage de l'union monétaire au 1er janvier 1999. En pratique, il eût été douteux que la monnaie unique puisse débuter sans l'un ou l'autre de ses principaux artisans (France, Allemagne).

Le 25 mars 1998, la Commission et l'IME rendent publics leurs rapports de convergence respectifs. Onze pays remplissent les conditions nécessaires pour l'adoption de la monnaie unique: Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal. Ne sont pas retenues la Grèce, qui ne remplit pas tous les critères et a annoncé sa volonté de rejoindre la zone euro, ce qu’elle fera au 1er  janvier 2001, ni la Suède qui ne participe pas au Système monétaire européen et a décidé d’attendre. Par le référendum du 14 septembre 2003, les Suédois refuseront d’adopter l’euro (56,1 % de non). Restent également en dehors le Danemark et la Grande-Bretagne qui ont obtenu une clause d’«opting out» à Maastricht, se réservant ainsi la possibilité d’une adhésion ultérieure. Mais le référendum danois du 28 septembre 2000 est très négatif (53,1 % de non avec 89 % de votants). Quant à la Grande-Bretagne, le nouveau gouvernement travailliste élu en 1997 est plus favorable à l’euro, réclamé par les milieux économiques, alors que les conservateurs lui restent très hostiles, à l'instar d'une grande partie de l’opinion. Le Premier ministre Tony Blair annonce, le 27 octobre 1997, qu’un référendum sera organisé à partir de 2002, lors de la législature suivante. Mais le 9 juin 2003, le gouvernement travailliste reporte encore son éventuelle adhésion à la monnaie unique à une date où seraient réalisées les convergences nécessaires de l’économie britannique avec la zone euro.

Le 1er mai 1998, le Conseil adopte sa recommandation à l'attention du Conseil, réuni au niveau des chefs d’État ou de gouvernement qui l'approuve deux jours plus tard.

S'agissant des conditions à remplir pour les États membres de la première vague et les suivants, elles sont définies à l'article 140 du traité FUE (ex-article 121 du traité CE) et précisées dans le protocole (n°13) annexé au traité. Les conditions sont au nombre de deux. La première est juridique: elle exige que la législation des États membres, y compris les statuts de leurs banques centrales nationales, soient compatibles avec le régime d'indépendance de l'article 130 du traité FUE et plus largement avec les règles du traité et des statuts du SEBC. La deuxième condition est économique. Elle vise à assurer que tous les États membres qui adoptent la monnaie unique ont atteint un degré élevé de convergence durable. Cette convergence repose sur quatre critères cumulatifs (i.e. les «critères de Maastricht»). Chaque État membre doit réaliser un degré élevé de stabilité des prix; cela ressort d'un taux d'inflation inférieur ou égal à un point et demi de pourcentage au dessus du niveau d’inflation moyen des trois pays ayant la plus basse inflation. Il doit présenter un taux d’intérêt à long terme qui ne dépasse pas deux points de pourcentage au dessus de la moyenne des trois pays ayant les taux les moins élevés. Il ne doit pas faire l'objet d'une décision pour déficit public excessif. Sa monnaie doit participer au mécanisme de change européen et être stable depuis au moins deux ans. Le traité précise que ces critères» doivent être interprétés en tendance.

La fixation des parités vis-à-vis de l'euro

Pour éviter que des attaques spéculatives se produisent avant la fixation des taux des monnaies nationales en euros et pour permettre le basculement technique des opérations commerciales, financières, etc. en euro, le Conseil décide d’annoncer immédiatement les parités bilatérales entre les monnaies de la zone euro. La fixation irrévocable des parités des monnaies nationales des États qualifiés a lieu le 31 décembre 1998. Cette mesure de précaution se révèle justifiée: la baisse du dollar en septembre n'est pas suivie – comme d’habitude – par une hausse du mark aux dépens d’autres monnaies nationales.

L'introduction de l'euro

Les traités communautaires évoquent, sans en préciser le contenu, les modalités pratiques de l’introduction de l’euro. Pour les États membres qualifiés en 1998, l’article 123, paragraphe 4, du traité CE (aujourd'hui supprimé) mentionne l'adoption par le Conseil «[des] mesures nécessaires à l’introduction rapide de l’euro». Pour les États membres autorisés à adopter l’euro ultérieurement, l’article 140, paragraphe 3, du traité FUE prévoit des «mesures nécessaires à l’introduction de l’euro». Les orientations générales sont apportées par le Conseil européen de Madrid des 15 et 16 décembre 1995 , lequel s'appuie sur les travaux préparatoires du Conseil, de l'IME et de la Commission. Le scénario d'introduction de l'euro est formalisé dans le règlement (CE) n°974/98 du Conseil. Il est actualisée en 2005 pour tenir compte de l'adhésion de nouveaux Etats membres dans l'Union européenne et leur adoption ultérieure de la monnaie unique. Deux scénarios sont prévus. Le premier, mis en œuvre pour les États de la première vague, organise une introduction en deux temps de l'euro scripturaire et de l'euro fiduciaire (scénario de style «Madrid»). Le deuxième organise l'adoption simultanée des deux formes de l'euro.

Le scénario de style «Madrid»

À compter du 1er janvier 1999, l’euro est devenu la seule monnaie légale dans les États membres participants, les monnaies nationales étant remplacées aux taux de conversion arrêtés par le règlement (CE) n°2866/98 du Conseil et la seule unité monétaire étant l’euro. Les conversions doivent être opérées conformément aux règles relatives aux arrondis du règlement (CE) n°1103/97 du Conseil. Les références faites à l’Ecu dans un instrument juridique sont présumées être des références à l’euro, au taux de 1 : 1, sauf volonté contraire des parties.

Pour des raisons principalement techniques, l’introduction des signes monétaires en euros s’est effectuée trois ans plus tard, le 1er janvier 2002. Un délai de trois ans était jugé nécessaire pour organiser de la façon la plus souple possible, le basculement des systèmes informatiques et comptables, des distributeurs automatiques de billets à la nouvelle monnaie et pour frapper 50 milliards de pièces et imprimer 14,2 milliards de billets2.

Au 1er janvier 2002, les pièces et billets en unités nationales ont été démonétisés et retirés de la circulation sur une période s’étendant en théorie jusqu’au 30 juin 2002 et en pratique jusqu’au 28 février 2002. Depuis, les signes monétaires en euros sont seuls à avoir cours légal sur le territoire des États membres de la zone euro. Et les références aux unités monétaires nationales contenues dans les instruments juridiques existant doivent être lues comme des références à l’euro.

Pendant la période transitoire (1er janvier 1999 – 31 décembre 2001), un euro est divisé en cent cents, ainsi qu’à titre transitoire en unités monétaires nationales aux taux de conversion respectifs. Les instruments juridiques créés dans cet intervalle peuvent se référer à l’unité euro ou à ses subdivisions exprimées en monnaies nationales. La fongibilité des obligations de payer est largement reconnue, que les obligations soient libellées en euros ou en unités monétaires nationales.

Le scénario de style «Big Bang»

Le Conseil européen de Madrid de décembre 1995 élabore le scénario de référence pour le passage à l’euro au 1er janvier 1999 autour du respect d’exigences complémentaires: le scénario doit être conforme au calendrier, aux procédures et aux critères du traité, veiller à la transparence, être facilement compréhensible et crédible pour les citoyens (user-friendly), être techniquement réalisable, souligner le caractère irréversible du passage à l’euro, créer la sécurité juridique nécessaire, pouvoir être exécuter sans coût d’adaptation excessif et éviter des distorsions de concurrence3. En 1995, l’introduction de l’euro fiduciaire au terme d’une longue période de transition semble la solution la plus adaptée.

Dix ans plus tard, lorsque de nouveaux États membres adhèrent à l'Union européenne, ce scénario n'est plus jugé le plus adéquat. La période transitoire de trois ans est analysée après coup comme trop longue. En aurait résulté un engagement en «dents de scie» de la part des pouvoirs publics. En outre, l’exemple de la Grèce, entrée dans la zone euro un an avant l’introduction matérielle de la monnaie unique, démontre que les préparatifs peuvent être accomplis en un laps de temps restreint. Les nouveaux États membres ne sont pas complètement démunis pour organiser un passage immédiat à l’euro fiduciaire. Six d’entre eux (Estonie, Lettonie, Lituanie, République tchèque, Slovaquie et Slovénie) ont l'expérience des changements d’unités monétaires répétés. À la suite de leur accession à l’indépendance au début des années 1990, tous se sont dotés d’une nouvelle monnaie4, la Lettonie et la Lituanie changent même trois fois d’unités monétaires en l’espace de 12 mois! Enfin, les pièces et billets en euros sont déjà connus et largement répandus dans les nouveaux États membres, ce qui doit faciliter les opérations d’alimentation et de pré-alimentation en euros des banques et commerces de détail, ainsi que le travail de communication et d’information du public. A la fin 2004, 73 % des citoyens des nouveaux États membres connaissaient les billets des euros et 66 % les pièces. Entre 49 % (Slovènes) et 10 % Hongrois) des résidents de ces pays déclarent posséder des euros. Les montants moyens détenus oscillent entre 80 euro (République tchèque) et 300 euro par personne (Slovénie)5.

Le règlement (CE) n°974/98 du Conseil qui définit les modalités d'introduction de l'euro est modifié en conséquence en décembre 2005. En complément du scénario de style «Madrid», tous les États membres qui adopteront l'euro à compter de cette date peuvent aussi décider de faire coïncider le passage à l'euro scripturale avec le passage à l'euro fiduciaire.

Au jour de l’adoption de la monnaie unique, l’euro remplace la monnaie nationale du nouvel État participant à la zone euro selon le taux de conversion défini dans le règlement (CE) n°2866/98 du Conseil. L’ensemble des opérations financières doivent être opérées en euros. Les instruments juridiques en vigueur se référant à l’unité monétaire nationale doivent être lus comme se référant à l’unité euro, en appliquant le taux de conversion et être exécutés dans l’unité euro. Et tout nouvel instrument juridique doit être libellé dans la nouvelle unité monétaire, sous réserve des mesures prises par les autorités nationales en vertu de l’article 9 bis du règlement (CE) n°974/98 du Conseil.

Enfin, les pièces et billets en unités nationales sont progressivement démonétisés au terme d’une période qui ne peut excéder six mois. Le retrait et l’échange de pièces et billets en monnaie nationale contre des pièces et billets en euros sont opérés sans frais par les établissements de crédit, ainsi que par d’autres opérateurs que les législateurs nationaux peuvent désigner (les offices postaux par exemple).

La contrainte temporelle peut néanmoins s’avérer difficile à gérer en ce qui concerne l’adaptation des systèmes informatiques et comptables, en particulier dans les petites et moyennes entreprises6.

Face à cette difficulté, le scénario de style «Big Bang» contient un élément de souplesse: la période d’effacement progressif. L’article 9 bis nouveau du règlement (CE) n°974/98 habilite les États membres à atténuer les effets de la suppression de l’unité monétaire nationale. Pendant au maximum un an suivant le basculement à l’euro fiduciaire, les agents économiques pourront continuer à créer de nouveaux instruments juridiques libellés en monnaie nationale. Sans préjudice de la période de double circulation, ces instruments ne pourront être exécutés qu’en euros. Les règles d’arrondis déterminées par le règlement (CE) n°1103/97 du Conseil doivent être respectées.



1Décision (96/736/CE) du Conseil du 13 décembre 1996 arrêtée conformément à l'article 109 J paragraphe 3 du traité sur l'entrée dans la troisième phase de l'Union économique et monétaire, Journal officiel n°L 335 du 24 décembre 1996, p. 48.

2SILGUY (de), Yves-Thibault, Dublin et après: l’état du dossier à moins de 500 jours ouvrables de l’UEM, ECU/EURO, n°39, 1997/II.

3IME, The Changeover to the Single Currency, Francfort-sur-le Main: IME, novembre 1995, p. 12.

4ANGEL, Benjamin, La préparation de l’élargissement de la zone euro, RMCUE, juillet-août 2005, n°490, pp. 434-440

5STIX, Helmut, Foreign Currency Demand since 2002: Evidence from 5 Central and Eastern European Countries, CESifo Forum, 2004, n°4/2004.

6SCHÄFER, Torsten, The Legal Framework for the Enlargement of the Euro Area, European Economy, Occasional Paper, avril 2006, n°23.

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