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Les propositions de stabilisation monétaire

Les propositions européennes de stabilisation monétaire

La période 1974-1978 est ainsi marquée par des réflexions riches visant à relancer la coopération monétaire européenne. L'ambition n'est cependant plus celle qui se rencontrait dans les années 1960. La diversité des situations et des réactions des États membres face à la crise des changes et à celle économique et sociale provoquée par le choc pétrolier d'octobre 1973 rend illusoire toute unification économique et monétaire à moyen terme1. Les implications politiques, juridiques, financières, régionales sont plus mûrement appréhendées que par le passé2. Le tabou d'une intégration économique et monétaire à plusieurs vitesses est levé3. Et de façon générale, l'option la plus fréquemment exposée consiste à consolider le système de change intracommunautaire, sur la base notamment d'une nouvelle unité de compte déliée du dollar.

En juin 1974, le droit de tirage spécial du Fonds monétaire international (FMI) est réformé: il est complètement détaché de l'or. Trois mois plus tard, Jean-Pierre Fourcade, ministre français de l'Économie et des Finances, propose à ses partenaires un plan de flottement concerté des neuf monnaies de la Communauté. Son objectif est d'assurer une plus grande coordination entre les monnaies du serpent et celles qui sont flottantes autour du serpent. Il prévoit également des interventions conjointes des pays de la Communauté sur le marché des changes et suggère l'adoption d'une nouvelle unité de compte européenne. Le comité des gouverneurs des banques centrales approfondit le sujet, ainsi que le comité monétaire.

En 1975, une unité de compte proprement européenne voit le jour. Appliquée initialement aux paiements des transactions dans le cadre de la convention de Lomé entre la Communauté et les pays associés de la zone Afrique-Caraïbes-Pacifique4, elle est étendue aux opérations financières de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier5 puis aux recettes et dépenses du budget général de la Communauté à compter de 19786. Cette nouvelle unité est calculée selon la technique du panier de monnaies, utilisée depuis juin 1974 pour le calcul du droit de tirage spécial du FMI 7. Elle est égale à la somme pondérée des monnaies des neuf États membres, les pondérations étant établies à partir du produit national brut et de la part de chaque pays dans les échanges commerciaux mondiaux. La valeur de l'unité de compte européenne (U.C.E. ou ECU en anglais) en une des monnaies européennes est égale à la somme des contre-valeurs en cette monnaie des montants retenus pour les huit autres monnaies. Inscrite dans le règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes, cette définition de l'U.C.E. ne prévoit pas de procédure de révision automatique8.

Pendant cette même période, l'on assiste aussi à quelques évolutions sur le terrain de la solidarité financière. Afin d'accompagner le développement de la politique régionale et la relance des économies, les emprunts communautaires en faveur des États membres sont autorisés par le Conseil en 19759, complétés trois ans plus tard par un instrument d'emprunts et de prêts communautaires, la facilité «Ortoli»10.

Reste la question de la stabilisation des relations monétaires. Elle demeure un sujet de préoccupation de premier ordre. Marqués par des divergences structurelles importantes entre eux, les pays s'opposent quant aux raisons de l'instabilité monétaire. Les uns y voient l'expression de facteurs extérieurs (France), d'autres la résultant de réformes internes insuffisantes (Allemagne). Les discussions avancent peu, malgré les propositions régulières des institutions communautaires11 ou de responsables politiques12. La situation est d’autant plus paradoxale que dans le même temps la Cour de Justice œuvre à l’approfondissement du marché commun à travers une série d’arrêt fondamentaux qui reconnaissent l’effet direct des libertés d’établissement13 et de service14, ainsi que le principe de reconnaissance mutuelle dans le secteur des marchandises15. Ainsi, alors que les barrières juridiques tombent progressivement, les barrières monétaires s’élèvent.

1Le communiqué des chefs d'État ou de gouvernement des Neuf États membres, réunis à Paris les 9 et 10 décembre 1974, confirme que l'objectif demeure celui d'établir l'union économique et monétaire en 1980, sans qu'aucune mesure contraignante soit préconisée à cet effet. La réalisation d'un tel objectif est en effet conditionné à la convergence accrue des politiques économiques, laquelle donne lieu à des recommandations détaillées. Voir Bull. CE 12-1974 p. 9, points 14 et 15.

2Voir ainsi: European Economic Integration and Monetary Unification. Report of the study group on Economic and Monetary Union (so called «Magnifico Report»). DG II: Research Paper. Directorate General for Economic and Financial Affairs [online]. Brussels: European Commission, October 1973; Rapport du groupe de réflexion «Union économique et monétaire 1980» (ou «Rapport Marjolin»), Bruxelles, Direction générale des affaires économiques et financières, 8 mars 1975; Directorate General for Economic and Financial Affairs, Optica Report 1975. Towards Economic Equilibrium and Monetary Unification in Europe, Brussels: European Commission, 16 January 1976; Rapport du groupe d’études sur le rôle des finances publiques dans l’intégration européenne (ou «rapport MacDougall»), vol. I et II, Bruxelles, avril 1977. Pour les autres initiatives privées, le lecteur est renvoyé à : Danescu, Elena (dir.), Plans et études postérieurs au rapport Werner, dans: CVCE, Une relecture du rapport Werner du 8 octobre 1970 à la lumière des archives familiales Pierre Werner, 2012.

3L'Union européenne. Rapport de Léo Tindemans au Conseil européen, op. cité, p. 21.

4Décision n°75/250/CEE du Conseil relative à la définition et à la conversion de l'unité de compte européenne utilisée pour exprimée les montants des aides à l'article 42 de la convention ACP-CEE de Lomé, Journal officiel n°L 104 du 24 avril 1975, p. 35.

5Décision n°3289/75/CECA de la Commission du 18 décembre 1975 relative à la définition et à la conversion de l'unité de compte à utiliser dans les décisions, recommandations, avis et communiqués dans les domaines du traité instituant la CECA, Journal officiel n°L 327 du 19 décembre 1975, pp. 4-5.

6Conclusions du Conseil européen des 5 et 6 décembre 1977 à Bruxelles, Bull. CE 12-1977, p. 26.

7Carreau, Dominique, Vers une zone de stabilité monétaire: la création du sytème monétaire européen au sein de la C.E.E., Revue du Marché commun, septembre 1979, n°229, p. 404; et sur le droit de tirage spécial: Juilliard, Patrick, de la Rochère, Jacqueline, Flory, Thiébaut, et Carreau, Dominique, Chronique de droit international économique, Annuaire français de droit international, 1974, vol. 20, n°20, pp. 717-718.

8Règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget général des Communautés européennes, Journal officiel n°L 356 du 31 décembre 1977, p. 1.

9Règlement (CEE) n°398/75 du Conseil du 17 février 1975, portant application du règlement (CEE) n°397/75 relatif aux emprunts communautaires, Journal officiel n°L 46 du 20 février 1975, p. 3. Ce dispositif permet à la Communauté d'emprunter des fonds sur les marchés dans une certaine limite, afin de les reprêter aux États membres qui rencontrent des difficultés de balance des paiements en raison du renchérissement des produits pétroliers. L'Irlande est le premier pays à bénéficier d'un prêt (300 millions de dollars).

10Décision n°78/870/CEE du Conseil, du 16 octobre 1978, habilitant la Commission à contracter des emprunts en vue de promouvoir les investissements dans la Communauté, Journal officiel n°L 298 du 25 octobre 1978, pp. 9-10.

11En avril 1976, la Commission présente une communication audacieuse (Action économique et monétaire, Bull. CE 4-1976, p. 23, points 2204 et s.) qui réclame une coordination contraignante des politiques budgétaires et la fixation de normes communautaires pour l'orientation des politiques monétaires internes dans les États.

12Pour une présentation des différentes initiatives: Mourlon-Druol, Emmanuel, A learning process? European monetary cooperation before the EMS negotiations, 1974-1977, Princeton Annual Workshop on European Integration, Princeton, 1 May 2009. Source: http://www.princeton.edu/europe/events_archive/repository/05-01-2009/Mourlon-Druol.pdf, le 15 octobre 2013.

13CJCE, arrêt du 21 juin 1974, Jean Reyners contre État belge, aff. 2/74. Rec. 1974 p. 631.

14CJCE, arrêt du 3 décembre 1974, Van Binsbergen, aff. 33/74. Rec. 1974 p. 1299.

15CJCE, arrêts du 11 juillet 1974, Procureur du Roi contre Benoît et Gustave Dassonville, aff. 8-74, Rec. 1974 p. 837; et du 20 février 1979, Rewe Zentral (dit «Cassis de Dijon»), aff. 120/78. Rec. 1979 p. 649.

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