Themendossier

La suspension du processus de mise en œuvre du plan par étapes

La suspension du processus de mise en œuvre du plan par étapes


Conformément à la résolution du 22 mars 1971, le Conseil des ministres doit se prononcer avant la fin de l’année 1973 sur l’entrée dans la deuxième étape de l’UEM. D’une durée de trois ans, elle est censée débuter au 1er janvier 1974.


Dressant le bilan de la première étape, la Commission des C.E. relève des résultats modestes1. Des avancées en matière de coordination des politiques économiques globales sont constatées, même si la convergence des politiques économique et budgétaire qui en résulte demeure insuffisante. Dans le domaine monétaire, le flottement concerté entre six monnaies européennes et le développement des interventions en monnaies communautaires constituent un premier acquis. Mais des échecs persistent: les monnaies continuent à flotter isolément, les marges de fluctuation maximales des autres monnaies se sont élargies (passant de ± 1,20 % en mars 1971 à ± 2,25 % en avril 1973) et certaines monnaies (le mark allemand et le florin néerlandais) ont connu même des réévaluations successives. La Commission relève aussi les difficultés engendrées par les remous monétaires internationaux et par le caractère insuffisamment contraignant des procédures communautaires. «Sur le plan de la libéralisation des marchés de capitaux, […] dans certains pays on avait même fait marche arrière. […] Le Fonds régional n’avait pas encore été doté»2.


En perspective du passage à la deuxième étape, la Commission propose un programme extensif, avec des actions dans presque tous les domaines relevant de l’UEM. Sont ainsi visées la coordination des politiques conjoncturelles des États membres, l'harmonisation de leurs politiques budgétaires et monétaires, la création d’un véritable marché européen et des capitaux, ainsi que de la mise en place des mécanismes de coopération monétaire étendus et efficaces à travers le FECOM. Mais ce programme n’est pas suffisamment ambitieux, en raison d’un rythme de rapprochement monétaire relativement lent et sans fixation de priorités dans les domaines essentiels.


Au mois de juin 1973, le Conseil des ministres des C.E. procède à un inventaire des éléments positif relevés au cours de la première étape de l’UEM et susceptibles d’être retenus pour le passage à l’étape suivante. Les controverses entre les États membres sont significatives, notamment pour ce qui est du passage automatique, au 1er janvier 1974, à la deuxième étape de l’UEM.


La France, l’Allemagne et les Pays-Bas font partie des opposants au principe du passage automatique. La France estime qu’une étape qui arrive à l’échéance ne peut pas être considérée achevée si les objectifs qui lui étaient assignés ne sont pas accomplis. Au regard de la situation monétaire de la Communauté et des nettes insuffisances par rapport aux objectifs de la première étape, Paris estime plus judicieux de consolider le bilan de la première étape au lieu de passer à la deuxième3. Pour l’Allemagne la priorité revient à la coordination des politiques économiques, tout en insistant sur le maintien de la «clause de prudence»4. Les Allemands, tout comme les Néerlandais estiment que le passage automatique n’est pas souhaitable et qu’une phase de consolidation s’impose. Par ailleurs, pour les Pays- Bas, la question institutionnelle est un préalable à tout progrès sur la voie de l’UEM.


Le point de vue des États membres favorable au passage formel à la deuxième étape n’est pas non plus homogène. Les Belges, les Luxembourgeois et les Danois se focalisent sur la déclaration solennelle du sommet de Paris (19-21 octobre 1972). Ce qui n’avait pas été accompli au cours de la première étape doit être rattrapé. Le lien établi par le sommet de Paris entre la mise en place du Fonds européen de développement régional et le passage à la deuxième étape conduit les Irlandais, les Italiens et les Britanniques à se prononcer en faveur du passage à la date prévue.


Tirant les conséquences des profondes divergences entre les États membres, en novembre 1973, la Commission saisit le Conseil d’une série de propositions pour la période 1974-1976 visant la deuxième étape de l’UEM. Mais avant que ces décisions ne soient entérinées, en février 1974, le climat européen et international subi une nouvelle dégradation.


L’année 1974 débute avec de nouvelles tensions monétaires. Le dollar et le prix de l’or grimpent inexorablement et le 19 janvier, le gouvernement français suspend temporairement le maintien du franc dans le «serpent». Cette situation risque de provoquer la désagrégation des dispositifs mis en place, d’aggraver la crise européenne – de confiance, de volonté, de lucidité – et de diluer davantage la solidarité des États membres relative au passage à la deuxième étape de l’UEM. La Communauté est dans l’impasse. «Il n’y a pas de fatalité de l’Europe et l’Europe ne se fera pas si on ne veut pas la faire. […] Le moment est venu de dire clairement si nos peuples veulent ou non renforcer leur solidarité, s’ils veulent répondre unis ou séparés aux grands défis internes et externes avec lesquels chacun d’eux est confronté. Il ne s’agit pas là de questions auxquelles la réponse est déjà donnée» 5.


Dans ces circonstances, les ministres des Finances des C.E. se réunissent le 18 février 1974 en conseil pour se prononcer «pour le passage d’une étape non réalisée à une étape non définie»6. Les États membres adoptent une décision en faveur de la réalisation d’un degré élevé de convergence des politiques économiques («décision convergence»), la directive concernant la stabilité, la croissance et l’emploi dans la Communauté et la décision instituant un comité de politique économique (entité à laquelle sont confiées les fonctions exercées précédemment par le comité de politique conjoncturelle, de politique budgétaire et de politique économique à moyen terme)7.


Cette résolution volumineuse ne déclare pourtant pas l’entrée formelle dans la deuxième étape de l’UEM. Le processus de mise en œuvre du plan par étapes est suspendu de facto, tout comme l’avancement de l’Europe sur la voie de l’Union économique et monétaire tracée par le rapport Werner.

1Communication de la Commission au Conseil relative au bilan des progrès accomplis au cours de la première étape de l'Union économique et monétaire, à la répartition des compétences et des responsabilités entre les institutions de la Communauté et les États membres que nécessite le bon fonctionnement de l'Union économique et monétaire, et aux mesures à adopter au cours de la deuxième étape de cette union. (Présentée par la Commission au Conseil le 30 avril 1973). Doc. COM(73)570 final, 19.4.1973. In Bulletin CEE, supplément 5/73.

2WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 149.

3Entretiens franco-allemands sur l’Union économique et monétaire. Note (confidentiel). Paris: 16 septembre 1973, ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française, Fonds CE, direction des Affaires économiques et financières, service de coopération économique, série PM, vol. 972, UEM Relations bilatérales, dossier PM 19.6.1. La Courneuve: Archives diplomatiques.

4Aux termes de la résolution du 22 mars 1971, cette clause subordonne la prorogation au-delà de 5 ans des engagements pris en matière monétaire à un développement suffisant de la coordination économique.

5Déclaration sur l’état de la Communauté. In Bulletin des Communautés européennes, n° 1, janvier 1974, pp. 5-8.

6Conformément à l’expression employée par Valéry Giscard d’Estaing, ministre des Finances dans son intervention au Conseil Ecofin du 4 décembre 1973. Voir Notes préliminaires, 6 décembre 1974, ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française, Fonds CE, direction des Affaires économiques et financières, service de coopération économique, série PM, vol. 971, UEM, dossier PM 19.2.2. La Courneuve: Archives diplomatiques.

7Voir Journal officiel, n° L63, 5 mars 1974, pp. 16-22.

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