Déroulement des travaux du comité Werner

Déroulement des travaux du comité Werner1


Quoi qu’il en soit, fort de son mandat de président que le Conseil a entériné le 6 mars, Pierre Werner convoque le comité d’experts en réunion préliminaire à Luxembourg le 11 mars 1970.


Parmi les quatorze réunions officielles du groupe Werner, neuf se déroulent à Luxembourg (qui consolide ainsi sa réputation de capitale permanente de la Communauté2), trois à Bruxelles3, une à Paris, une à Rome4 et une à Copenhague, en marge de l’assemblée annuelle du FMI et de la Banque mondiale.



Réunion préliminaire (Luxembourg, 11 mars 1970)


L’objectif principal de la réunion préliminaire du comité Werner est d’approuver la méthode de travail à adopter et de fixer la date limite pour la présentation des conclusions.


Il est ainsi établi que le groupe peut valablement délibérer si au moins cinq de ses sept membres (le secrétaire du groupe n’avait pas le droit de vote) sont présents et que les décisions seront prises à la majorité simple. «Le groupe s’efforcera de présenter des conclusions unanimes, mais tout membre peut demander que soit présentée une opinion minoritaire».


En cas de besoin, des experts pouvaient être conviés à apporter des explications sur des points précis. Chaque membre du comité pouvait se faire assister par un collaborateur de son choix et le secrétariat du groupe était assuré par le secrétaire du comité monétaire. Enfin, les délibérations du groupe étaient considérées comme confidentielles et ne donneraient lieu qu’à des comptes rendus succincts.


Le groupe établit de se réunir «à un rythme permettant la remise au Conseil avant la fin du mois de mai d’un premier rapport et la conclusion de ses délibérations, si possible, avant la fin du mois de juillet».


À cette occasion, le président Werner donne à ses collègues un premier aperçu comparatif sur les débats en matière d’intégration monétaire et les propositions avancées en début d’année par les gouvernements belge (le plan Snoy), allemand (le plan Schiller) et luxembourgeois (le premier plan Werner I ou le plan luxembourgeois en cinq points) ainsi que par la Commission (le deuxième plan Barre)5. Il présente ce qu’il estime prioritaire pour les travaux, à savoir fournir des idées et moyens pratiques pour atteindre les objectifs à court, moyen et long terme. Il souligne la nécessité de recueillir et de prendre en considération toutes les pistes et expériences qui pourraient s’avérer utiles au cours de diverses étapes, même si l’intérêt dans l’immédiat n’est pas évident. Il incite ainsi ses collègues à rédiger des notes décrivant les mesures qu’ils envisagent pour atteindre l’objectif final et à les mettre en discussion6.


Il présente également la documentation préliminaire dont le comité dispose, fournie par la Commission7. Afin d’appuyer la réflexion et la documentation de son représentant au sein du comité Werner, la Commission met en place un groupe de travail interdirections sur l’Union économique et monétaire8 (construit autour de la DGII) auquel se joignent les directeurs et le secrétaire du comité monétaire. Par souci d’efficacité, le cabinet du vice-président Raymond Barre y est aussi associé et prête main forte au comité d’experts, y compris pour des questions logistiques, financières et protocolaires9.


La documentation initiale précitée réunit des documents politiques et scientifiques, des présentations didactiques ayant trait à l’union économique et à la monnaie, des «plans par étapes» déjà existants et des expériences similaires en la matière, ainsi que des articles et communiqués de presse. Elle est complétée au fur et à mesure des travaux, pour éclairer les points d’intérêt ressortant au cours des débats. Dans cette documentation, deux thématiques importantes attirent l’attention: l’adhésion de la Grande-Bretagne aux Communautés et la constitution d’un Fonds européen de réserve. Sur ce dernier point, les deux principaux documents ont été rédigés par Robert Triffin, dont l’un découle des débats du comité Monnet10. Pendant toute la durée des travaux liés au plan par étapes, Pierre Werner et Robert Triffin, qui se connaissaient et collaboraient bien avant 197011, restent en contact étroit, par un dialogue et des actions communes, grâce notamment aux bons soins de Jean Monnet12.



Première réunion (Luxembourg, 20 mars 1970)


Le président convoque la réunion inaugurale du groupe Werner le 20 mars 1970 à Luxembourg.


En préparation de cette réunion, Raymond Barre, le vice-président de la Commission en charge du domaine économique et monétaire, informe ses collègues «qu’il est à prévoir que dans les mois à venir et au moins jusqu’à la fin du mois de juillet, ce groupe ad hoc se réunisse à une cadence minimum de trois séances par mois» et demande qu’un traitement équivalant aux membres du groupe soit accordé aux experts gouvernementaux éventuellement conviés en raison du très haut niveau des participants et du caractère des problèmes traités au sein du groupe13.


La vision comparative, les repères temporels et le contenu des étapes tels qu’ils sont mis en évidence dans ces notes, ainsi que leur antériorité (datant de la réunion préliminaire du groupe Werner tenue le 6 mars 1970) nous laissent penser qu’ils ont servi de source d’inspiration au document de la Commission (daté du 18 mars 1970), dans lequel l’analyse comparative respecte ce schéma.


À la réunion inaugurale, les titulaires du groupe présentent leurs collaborateurs qu’ils ont respectivement choisis et qui participent aux travaux. Il s’agit de: Johnny Schmitz (luxembourgeois, adjoint au président Werner), Jacques Mertens de Wilmars (belge, adjoint au baron Ansiaux, président du Comité des gouverneurs des banques centrales), Anthony Looijen (néerlandais, adjoint de Gerard Brouwers, président du comité de politique conjoncturelle), Jean-Michel Bloch-Lainé (français, adjoint de Bernard Clappier, président du comité monétaire), Hans Tietmeyer (allemand, adjoint de Johann Baptist Schöllhorn, président du comité de politique économique à moyen terme), Simone Palumbo (italien, adjoint de Gaetano Stammati, président du comité de politique budgétaire) et Jean-Claude Morel (adjoint de Ugo Mosca, directeur général des Affaires économiques et financières à la CEE).


Sur le fond, cette réunion donne lieu à un premier échange de vues sur les principaux problèmes relatifs à l’établissement d’un plan par étapes. Le président Werner présente en détail et compare les divers plans, mesures et propositions pour la réalisation d’une union économique et monétaire («divers plans monétaires appellent une synthèse»14), donne les axes prioritaires de réflexion (objectif final, construction institutionnelle) et établit les principaux repères du calendrier des travaux, dont le résultat final, concrétisé dans un rapport pour le Conseil, devrait intervenir pour fin juillet au plus tard.


La description du point de départ ne suscite pas de grands débats. «[] On ne partait pas de zéro. L’intégration économique était en cours. […] Les libéralisations déjà intervenues engendraient une interdépendance telle que les déséquilibres nationaux se répercutaient sur l’économie des autres partenaires. Quant au point final, c’était une union économique et monétaire, c'est-à-dire une zone à l’intérieur de laquelle les biens et services, les personnes et les capitaux circulent librement et sans distorsion de concurrence. Une telle union comporte certainement une convertibilité totale et irréversible des monnaies nationales et l’élimination des fluctuations des cours de change»15. Si l’objectif fondamental est clair et consensuel, la définition de son contenu donne lieu à d’âpres confrontations entre économistes et monétaristes16: «le représentant allemand J.B. Schöllhorn, président du comité de politique économique à moyen terme, assisté par H. Tietmeyer, défendait d’emblée la thèse du préalable chronologique du ministre Schiller, quant à la convergence des politiques économiques. Le président du Comité des gouverneurs des banques centrales, le baron Ansiaux (BNB), défendait la thèse monétariste avec une ardeur qui me surprenait alors. B. Clappier, président du comité monétaire, assisté par J.M. Bloch-Lainé, se ralliait à la thèse Ansiaux, comme également G. Stammati, président du comité de politique budgétaire. Brouwers, président du comité de politique conjoncturelle, était plus proche de Schöllhorn»17.


Les discussions font ressortir les visions approfondies des membres du groupe sur l’objectif à atteindre, sur les moyens d’y parvenir et sur le calendrier préconisé. La mise en commun des réserves des Six et la création d’une banque centrale communautaire sont prioritaires. Les incitations du président Werner lors de la réunion préliminaire prennent ainsi la forme d’une décision. Au représentant de la Commission revient la responsabilité de rédiger une note «pour décrire le stade final du processus d’intégration économique et monétaire, avec une référence quant au rôle que devraient jouer, à ce stade, les réserves communes et, éventuellement une banque centrale communautaire»18. Les autres membres du groupe devront élaborer «chacun d’après la compétence qui lui est propre en vertu de sa qualité de président d’un des comités de la CEE» une note décrivant les mesures envisagés pour atteindre l’objectif final. Le groupe convient que les présidents ne sont pas tenus de consulter leurs comités respectifs ni pour la rédaction de ces notes, ni pour les travaux ultérieurs du groupe.


Tous ces documents sont débattus lors de la réunion du comité Werner du 7 avril à Bruxelles.



Deuxième réunion (Bruxelles, 7 avril 1970)


Jusqu’à cette réunion, le volet documentaire du groupe ad hoc a pu s’enrichir d’une note prospective datée du 31 mars 1970 (et transmise au comité Werner le jour même), intitulée L’état de l’Union économique et monétaire en 1978 à l’issue du plan par étapes et rédigée par le groupe de travail interdirections19. Elle traite de la solidarité monétaire (fixation irrévocable des rapports de parité entre les monnaies de la CEE, suppression de toute possibilité de fluctuation des cours de change autour des rapports de parité entre les monnaies de la CEE, usage généralisé d’une unité de compte européenne, fonds européen de réserve), de la fiscalité (harmonisation de la fiscalité indirecte et limitation de la variation des taux de la TVA entre les pays autour de 2%-3%, un rapprochement sensible dans le domaine des accises, commentaires autour du bien-fondé de l’extension des formes d’impôt direct), des marchés de capitaux, de la politique économique en général, des politiques économiques spécifiques, ainsi que des politiques monétaire, budgétaire, structurelle et salariale.


Suite aux incitations du président au cours de la réunion inaugurale, Gerard Brouwers, président du comité de politique conjoncturelle, rédige une note à caractère confidentiel intitulée La méthode de réalisation d’une union économique et monétaire vue dans l’optique de la politique conjoncturelle20, qu’il soumet le 3 avril aux autres membres du comité Werner. Le document n’a pas l’ambition de faire le tour complet de la question, mais d’indiquer les principales priorités dans le contexte de la constitution d'un marché commun homogène pour lequel la politique conjoncturelle doit servir d’instrument pour une croissance optimale et équilibrée21. Parmi les points forts de cette note, on remarque les points suivants. L’édification d’une communauté de croissance et de stabilité demande nécessairement la définition d’objectifs communautaires. À cet effet, une procédure de consultation préalable est de mise. Elle doit être dotée d’un «système de clignotants» en mesure de signaler les points de divergence, les retards et les exceptions constatés et s’accompagner d’instruments d’analyse appropriés, y compris en matière statistique et de prévision. Les États membres sont incités à s’entendre sur la création, à travers une législation spéciale22, d’instruments politiques d’action directe ou de pratiques directement liées à la conjoncture dans le cadre d’une politique structurelle globale23. L’ensemble des instruments de la politique conjoncturelle devra être soumis à l’uniformisation, y compris les instruments des politiques budgétaire (il est avant tout question des incidences conjoncturelles du volume des déficits et de leur financement) et monétaire. Au fur et à mesure des progrès en matière d’harmonisation, la possibilité de l’exercice de la politique communautaire prend forme et c’est à ce stade que se situe le transfert des compétences nationales en matière de politique conjoncturelle, avec des répercussions institutionnelles notables24. Une fois l’harmonisation terminée, l’union économique pourrait être complétée par une union monétaire25.


Le président du comité de politique économique à moyen terme Johann Baptist Schöllhorn26 soumet à son tour au groupe ad hoc, en vue de ses débats du 7 avril, un document intitulé Wirtschaftsunion als Grundlage der Währungsunion27, dont le titre – qui met en exergue la primauté de l’union économique – est en fait une synthèse de la vision allemande en la matière. Le représentant de la Commission, Ugo Mosca, expose à son tour un document centré sur la première étape d’un plan par étapes qui met en exergue le volet des marchés des capitaux28.


En accord avec ses préoccupations énoncées dès le 11 mars portant sur l’imminente adhésion britannique, le président Werner avait demandé au représentant de la Commission de se pencher sur la problématique de la réalisation de l’Union économique et monétaire dans la perspective de l’élargissement de la Communauté. L’étude ainsi élaborée29 est distribuée aux membres du groupe lors de la réunion du 7 avril 1970. Ce document met particulièrement en exergue les implications de l’adhésion du Royaume-Uni sur la coordination des politiques économiques, le marché des capitaux et le domaine fiscal. Le rôle de la livre sterling30, le renforcement de la solidarité monétaire et les conséquences de la participation éventuelle du Royaume-Uni aux mécanismes de la coopération monétaire, ainsi qu’au Fonds européen de réserve31, sont ciblés de manière détaillée.


En raison des controverses intellectuelles de plus en plus acerbes entre monétaristes et économistes au sein du groupe Werner32, et soucieux de dégager une position commune Benelux33, le président Werner active les influences politiques nécessaires auprès du ministre des Finances belge Jean-Charles Snoy et d’Oppuers et du baron Hubert Ansiaux, président de la Banque nationale (et aussi membre du comité d’experts en tant que président du Comité des gouverneurs des banques centrales). C’est ainsi que les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales des trois pays se réunissent le 2 avril 1970 à Bruxelles, à l’invitation des Belges, dont le pays exerce la présidence du Conseil des ministres de la CE. Les échanges se concentrent sur la définition à donner à l’objectif final de l’union économique et monétaire, tout comme les moyens pour y parvenir, notamment en matière de politique monétaire et de crédit, de politique budgétaire et fiscale, d’intégration des marchés de capitaux, ainsi que dans le domaine institutionnel34. Parmi les thèmes abordés figurent également le renforcement de la solidarité monétaire, les conséquences de la participation éventuelle du Royaume-Uni aux mécanismes de la coopération monétaire, ainsi que l’impact de la livre sterling sur le Fonds européen de réserve.


Malgré les efforts déployés, l’objectif souhaité n’est que partiellement accompli. Les Belges et les Luxembourgeois partagent plutôt la vision monétariste de la France, tandis que les Néerlandais se positionnent clairement du côté de l’économisme allemand. Un accord ne peut donc pas se concrétiser. En revanche, la réunion permet aux Belges de s’affirmer en tant que défenseurs de l’idée de création d’un fonds d’égalisation des changes pour pallier les taux flottants de plus en plus appliqués35. Même si le ministre néerlandais Witteveen voit les priorités ailleurs (étant préoccupé par les votes à la majorité que l’on prendrait dans un organisme monétaire et qui affecteraient la politique de crédit des États membres)36, le gouverneur de la Banque nationale des Pays-Bas Zijlstra partage la vision belge et soutient l’idée qu’un tel fonds permettrait de rendre les monnaies des Six plus indépendantes par rapport au dollar.


Lors de la réunion du comité Werner du 7 avril, les débats opposant économistes et monétaristes sont animés et stimulés notamment par la présentation du document allemand précité, avec ses exigences en matière d’harmonisation économique et budgétaire. Conduisant la séance, Pierre Werner apprécie en principe les vues allemandes, mais les juge néanmoins «trop sévères et trop peu différenciées»37. Il réoriente alors les débats en lançant, en contrepartie, la piste du fonds de stabilisation des changes, étayée par le baron Ansiaux. Les discussions38 ciblent aussi la définition à donner à l’objectif final de l’Union économique et monétaire, ainsi que les moyens envisagés pour y parvenir, notamment en matière de politique monétaire et de crédit, de politique budgétaire et fiscale, d’intégration des marchés de capitaux, ainsi que dans le domaine institutionnel.


En accord avec la proposition qu’il a avancée au cours de la réunion préliminaire et pour l’organisation future des travaux, le président propose d’établir une synthèse évolutive résumant les idées exposées dans les différents documents ou présentées verbalement au sein du groupe. Cette synthèse, élaborée par la présidence avec la collaboration du secrétariat, serait présentée à la rencontre suivante. La proposition est acceptée et les trois réunions suivantes du groupe sont programmées pour le 30 avril à Rome et pour les 14 et 20 mai à Luxembourg.



Troisième réunion (Rome, 30 avril 1970)


Rome accueille la troisième réunion du groupe Werner suite aux démarches du membre italien, Gaetano Stammati, président du comité de politique budgétaire. Sa demande auprès de la Commission des CE engendre de nombreuses discussions au sein du Secrétariat général, qui, en charge de la logistique du groupe ad hoc, doit déployer des efforts supplémentaires39. Compte tenu de son ordre du jour, les préparatifs pour cette réunion sont très animés.


En consonance d’idées, d’objectifs et de stratégies et forts de contacts politiques et personnels réguliers, le président Werner et le baron Ansiaux travaillent ensemble sur la problématique du fonds de stabilisation des changes et du fonds de réserve. Le plan monétaire luxembourgeois présenté en février 1970 – et fondé sur les thèses que Pierre Werner a publiées et développées depuis 1962 – prévoyait la possibilité d’incorporer, dès la première étape, le concours mutuel dans le système des relations monétaires internationales en y affectant partiellement des droits de tirage spéciaux (DTS)40 des différents pays membres et en les gérant en commun. À ses yeux, c’est le premier pas vers la création d’un fonds de réserve et vers un appui concret au concours monétaire à moyen terme, lesquels feront l’objet d’une prochaine décision.


Le baron Ansiaux s’approprie progressivement la vision luxembourgeoise et s’affirme, pendant la réunion du 7 avril 1970, comme porte-drapeau de la création d’un fonds de stabilisation des changes. Le 22 avril, il envoie à Pierre Werner, à la demande de ce dernier et sur papier à en-tête du gouverneur de la Banque nationale de Belgique, une note relative aux «aspects juridiques et techniques d’une mise en commun des droits de tirage spéciaux»41, d’autant plus «qu’une proposition a été faite à La Haye de mise en commun par les pays de la CEE d’une fraction de leurs DTS à l’appui de la constitution d’un fonds de crédit à moyen terme»42. Le document belge évoque des opérations de transfert de DTS entre les partenaires de la CEE. Deux jours plus tard, le baron Ansiaux répond à une autre demande de Pierre Werner et lui fait parvenir une note technique (confidentielle) «exposant le fonctionnement et les mérites d’un Fonds Européen de Régularisation des Changes»43 et mettant en exergue la problématique de la stabilisation des cours entre les monnaies communautaires. Ce document sera mis en débat lors de la réunion du groupe Werner du 14 mai 1970, et amendé en conséquence. Les conclusions qui en sont dégagées ont été incluses dans la forme finale du plan par étapes44.


Parallèlement à ses échanges avec le banquier belge, le président s’applique, avec le secrétariat du groupe ad hoc, à établir une feuille de route pour le plan par étapes45. Elle contient l’identification du point de départ, la définition de l’objectif final et les actions nécessaires et souhaitables en matière de politique économique, de solidarité monétaire et de construction institutionnelle pour y arriver. Cette synthèse est assortie d’un inventaire des mesures concrètes envisagées, notamment pour la première étape que l’on considère comme déjà démarrée, en accord avec les réglementations et directives communautaires à moyen terme. Le document est envoyé aux membres du groupe le 22 avril 1970 en guise de préparation de la réunion de Rome46.


Les travaux du groupe Werner se déroulent en comité restreint et dans une atmosphère confidentielle. Les médias, qui ont reflété amplement le sommet de La Haye et la désignation de Pierre Werner à la tête du groupe, sont ensuite restés discrets, notamment en raison de la parcimonie avec laquelle le comité d’experts gère le flux d’informations vers l’extérieur47. Pourtant, la problématique du plan par étapes a déclenché une certaine ferveur créatrice et participative, qui s’amplifie notamment au cours de la phase de la rédaction du rapport final et se prolonge après sa publication. La primauté revient au Deutscher Gewerkschaftsbund, qui «disposé à assumer sa part de responsabilité en participant aux décisions démocratiques que suppose la constitution d’une union économique et monétaire […] a élaboré une proposition de plan par étapes»48, qu’il soumet au président de la Commission européenne Jean Rey en date du 20 mars 1970, précisément le jour où le groupe Werner entame ses réunions officielles. Cette prise de position a enrichi le volet documentaire mis à la disposition du groupe d’experts.


Dans sa proposition, la confédération des syndicats allemands estime que «l’objectif d’une union économique et monétaire est l’amélioration durable du bien-être matériel et moral dans la Communauté, qui permettra de renforcer la position économique et politique de l’Europe […]. Cet objectif ne pourra être atteint que grâce à une croissance constante, au plein-emploi et à la stabilité et doit être complété par la compensation des disparités régionales et sociales»49. La première étape prévoit la création des conditions nationales indispensables à une union économique et monétaire, parmi lesquelles le rapprochement et la création, le cas échéant, d’instruments de politique sociale et économique nouveaux dans les États membres. Des rapports économiques nationaux élaborés et publiés chaque année par les gouvernements des États membres permettront de constater les progrès réalisés. L’harmonisation (entre les États membres) des projections nationales et des mesures envisagées s’impose. La deuxième étape envisage la création des conditions nécessaires à une union économique et monétaire de la Communauté et son achèvement est attendu au cours de la troisième étape. Le volet social émerge donc comme un point d’intérêt marquant dans l’édification d’une union économique et monétaire, ce à quoi le comité Werner est sensible, et la teneur du rapport final en fait largement la preuve.


Les milieux académiques et universitaires européens et des États-Unis se montrent très intéressés par les travaux du groupe Werner, d’autant plus que les solutions pratiques dégagées sont accompagnées de définitions théoriques concernant l’Union économique et monétaire. Lors de sa participation à un séminaire portant sur la zone monétaire optimale à Madrid au début du mois de février 1970, le représentant de la Commission est sollicité pour fournir aux professeurs présents, notamment américains, des informations sur les divers plans de construction par étapes de l’Union économique et monétaire, ainsi que les documents en question. Plus de douze demandes se présentent, mais seulement les sollicitations des professeurs Triffin et Machlup50 sont honorées. Les autres demandes sont satisfaites ultérieurement, par les bons soins de la direction de la Commission51.


Suite aux discussions de la réunion du 30 avril 1970, le groupe adopte, pour son rapport au Conseil, «un schéma qui comporte la description de la situation actuelle, du point d’arrivée et des principes de réalisation du plan par étapes»52 et décide de se limiter – au moins pour ce rapport – à la définition d’une première étape, contenant les actions à envisager dans différents domaines.


Pour l’organisation des travaux, le groupe décide «de confier la rédaction d’un projet de rapport aux adjoints […] qui se réuniront les 6 et 8 mai sous la présidence de Monsieur Mertens de Wilmars»53. Économiste et professeur à l’Université catholique de Louvain, Jacques Mertens de Wilmars, conseiller économique à la Banque nationale de Belgique, est un proche du baron Ansiaux, qu’il seconde au groupe Werner.



Quatrième et cinquième réunions (Luxembourg, 14 mai et 20 mai 1970)


À l’ordre du jour de la quatrième réunion figure la poursuite des échanges de vues sur l’Union économique et monétaire. En fait, il était attendu que le groupe d’adjoints fournisse déjà un projet de rapport, base de réflexion pour le rapport final dont l’élaboration est prévue – conformément aux délais fixés au début des travaux – avant le mois de juillet.

À cet effet, les adjoints54 se réunissent, comme prévu, les 6 et 8 mai à Bruxelles, avec l’appui de la Direction des Affaires économiques et financières de la Commission, dont le directeur général, Ugo Mosca, est aussi membre titulaire du groupe Werner. Les Archives familiales Pierre Werner font état d’un «projet de rapport au Conseil et à la Commission, [prenant la forme d’un] plan par étapes en vue de l’instauration de l’union économique et monétaire», daté du 11 mai 1970, que Jacques Mertens de Wilmars soumet au secrétariat du groupe ad hoc. Dans la lettre qui accompagne ce document confidentiel, Mertens de Wilmars précise que «les experts n’ont pas entendu trancher certains problèmes de principe encore ouverts, même si le texte de leur projet comporte des propositions et solutions concernant ces problèmes». Parmi ces sujets sensibles, on pourra mentionner le transfert de responsabilités du plan national au plan communautaire sans qu’il n’engendre de tensions durables, la politique conjoncturelle à moyen terme, le caractère indispensable d’une prise en commun des principales décisions en matière de politique monétaire et de crédit, le pouvoir effectif de décision des organismes communautaires. Le groupe conclut que l’édification de l’Union économique et monétaire doit être évolutive et progressive, comme corollaire logique et naturel des actions déjà entreprises pour le renforcement de la coordination des politiques économiques et de la coopération monétaire. Il est à remarquer que, tout en évoquant la nécessité de la formulation centrale des politiques économique et monétaire (quitte à ce que le pouvoir de décision reste aux mains des structures existantes), le comité Werner déclare d’emblée son incompétence pour faire des propositions en matière de structures politiques55.


Les deux réunions plénières du comité Werner qui se sont déroulées à Luxembourg les 14 et 20 mai ont sûrement donné lieu à des débats et controverses très ardus. Les comptes rendus, même sous forme succincte, sont inexistants dans les archives. Dans ses mémoires, Pierre Werner nous fait savoir qu’«au bout de cinq réunions de travail, émaillées de controverses, voire même de tel ou tel incident, [ils parviennent] néanmoins à présenter une vue synthétique des problèmes soulevés, sous forme d’un rapport intérimaire aux Gouvernements»56. La corroboration de tous ces éléments nous conduit vers l’hypothèse que, lors de la rédaction du rapport intérimaire, les confrontations au sein du groupe furent telles que des conclusions unanimes n’ont pu être dégagées. Un principe fondamental du groupe – arrêté à l’entame des travaux – a ainsi été enfreint. L’absence des comptes rendus qu’on a pu constater tant lors des recherches approfondies dans les fonds institutionnels que dans les archives familiales Pierre Werner ne serait probablement pas le résultat d’une simple omission ou de la négligence du secrétariat, mais le fruit de divergences persistantes. La médiation du président Werner s’avère alors décisive pour remettre ensemble les forces en place. À l’issue de la cinquième réunion, un accord sur le texte du rapport intérimaire57 est obtenu et le 22 mai 1970, le document est envoyé aux ministres des Finances ainsi qu’aux présidents du Conseil et de la Commission.


La version allemande du rapport intérimaire engendre des tensions supplémentaires. Dans une dépêche adressée au secrétaire du groupe Werner, Hans Tietmeyer, qui écrit au nom du secrétaire d’État Schöllhorn, «attire l’attention sur le fait que le texte allemand […] n’est pas conforme aux décisions du groupe Werner à Luxembourg. À l’encontre d’une proposition de modification faite par M. le directeur général Mosca, le groupe a convenu le texte suivant: "Ces transferts de responsabilité représentent un processus de signification politique fondamental qui implique le développement progressif de la coopération politique dans les différents domaines". Le texte qui figure dans le document actuel ("ces transferts de responsabilité impliquent le développement de la coopération politique dans les différents domaines") marque un affaiblissement sensible de la rédaction initialement convenue. Or M. Schöllhorn tient beaucoup à ce que le caractère politique de l’union économique et monétaire soit affirmé de façon claire et sans équivoque.»58



Approfondissement des travaux du groupe Werner


Le 29 mai 1970, les ministres des Finances siègent à Venise, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, pour débattre des objectifs de l’Union économique et monétaire. Y sont également conviés les gouverneurs des banques centrales des Six, le président du comité monétaire Bernard Clappier, ainsi que le président du comité des suppléants du «groupe des Dix»59, Rinaldo Ossola60.


Sur l’agenda du premier jour de cette session du Conseil des ministres figurent les projections pluriannuelles des budgets communautaires61, l’utilisation de la politique budgétaire comme instrument de politique conjoncturelle62 et la nécessité d’une relance de l’harmonisation fiscale63. Une section spéciale est consacrée à la présentation des problèmes résultant de l’intégration monétaire au sein de la Communauté et aux aspects monétaires internationaux64.


Le deuxième jour, les débats ciblent le rapport intérimaire65. Pierre Werner fait un exposé synthétique des conclusions auxquelles le groupe d’experts a abouti et met en évidence les points d’accord et de désaccord, ainsi que les questions nécessitant un approfondissement. Les discussions sont animées, contradictoires, mais ne tranchent pas quant aux priorités de l’Union économique et monétaire66. Le ministre Schiller relève l’importance politique fondamentale du processus envisagé et insiste sur la nécessité de se pencher davantage sur le transfert des compétences aux organes communautaires. Pour ce qui est des aspects institutionnels, il esquisse d’une part «une enceinte chargée de la responsabilité de la politique conjoncturelle et [d’autre part] un organe chargé de l’élaboration centrale des décisions dans le domaine monétaire. Cet organe devrait avoir un caractère fédéral et être doté d’une large autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques»67. Karl Schiller est opposé à l’introduction du Fonds de stabilisation des changes au cours de la première étape, ainsi qu’à la réduction des marges de fluctuation, qu’il estime prématurée. Par la voix de Giscard d’Estaing, la France souligne que l’architecture politique de l’Union économique et monétaire est une question de perspective. Par conséquent, un organe doté de responsabilités de type fédéral relève de l’étape finale et il n’est pas opportun, pour le moment, d’aller plus loin. En revanche, il faut se concentrer sur la première étape où, à son sens, «il n’est pas nécessaire que la convergence économique précède les progrès monétaires»68. Le ministre belge Snoy et d’Oppuers est du même avis. Il partage également la vision française quant à l’implémentation d’un Fonds de stabilisation des changes dès la première étape. Dans son intervention, le représentant des Pays-Bas (M. Drees s’exprimant au nom du ministre Witteveen) s’arrête sur une question soulevée par le rapport intérimaire du groupe Werner. Faut-il prévoir six monnaies nationales ou une monnaie commune? Il est d’avis que conserver six monnaies différentes comporte des risques. «Une monnaie reflète toujours la confiance qu’on a dans un gouvernement responsable de la gestion de la politique économique et monétaire. […] Pour la phase définitive de l’union économique et monétaire, il faut prévoir une monnaie unique. Par contre, il pourrait exister plusieurs banques nationales au sein d’un système "federal reserve", mais qui doit être indépendant des gouvernements.»69


Le régime des changes est le domaine suscitant le plus de débats.. Pierre Werner s’exprime sur les implications économiques des différents régimes de change, tels que l’influence d’une réduction des marges de fluctuation sur les taux d’intérêt. Le baron Snoy et d’Oppuers relève la nécessité que le rapport précise les conséquences économiques d’un régime monétaire propre aux Six. Valéry Giscard d’Estaing souhaite une définition claire des conditions techniques à accomplir pour qu’un tel régime soit appliqué. Le ministre Colombo et le gouverneur Ziljstra proposent tous deux d’examiner, en liaison avec le Comité des gouverneurs, si le Fonds de stabilisation ne pourrait être remplacé, dans un premier stade, par une coopération plus poussée des banques centrales en ce qui concerne leur intervention sur les marchés de change. Le baron Snoy et d’Oppuers accentue la nécessité d’examiner au préalable tant les avantages que les inconvénients d’un Fonds de stabilisation des changes. Cette idée prend corps quelques jours plus tard, dans une stratégie commune que le président Werner et le baron Snoy et d’Oppuers mettent au point afin de conférer au Comité des gouverneurs des banques centrales l’attribution des avis techniques pour les problèmes monétaires ciblés (et au sujet de laquelle on reviendra ultérieurement). Enfin, Raymond Barre donne la vision de la Commission sur ce qui est attendu de cette nouvelle réflexion. Le groupe Werner devra faire ressortir trois niveaux à atteindre successivement. Il s’agit tout d’abord d’une politique concertée des banques centrales en matière d’intervention sur les marchés des changes. Suivra l’utilisation des monnaies communautaires dans les règlements intracommunautaires (ainsi qu’une première réduction des marges) et enfin, la création d’un Fonds de stabilisation des changes.


Résumant les conclusions de la réunion, le ministre italien Emilio Colombo constate, tout d’abord, l’accord général sur un grand nombre de suggestions formulées par le comité Werner. Les objectifs finaux de l’Union économique et monétaire dégagés par le rapport intérimaire sont considérés comme acquis. Dans ce processus progressif, chaque étape sera dotée d’objectifs spécifiques, dont la première, d’une durée de trois ans, comportera des buts précis et contraignants dans les domaines de la coordination des politiques économiques et des aspects monétaires. Ces processus doivent être menés parallèlement. Aucune divergence ne subsiste en ce qui concerne les options fondamentales quant à la nécessité d’une politique budgétaire coordonnée, d’objectifs quantitatifs d’une politique économique à moyen terme, d’une coordination des politiques conjoncturelles, de la concertation avec les partenaires sociaux en vue de la définition d’une politique des revenus. À ce propos, on désigne la nécessité de rendre plus précises et plus contraignantes les procédures de consultation en la matière.


À l’issue de la session de Venise, le Conseil des ministres approuve le rapport intérimaire et aboutit à la conclusion unanime que les travaux du groupe doivent être poursuivis pour trouver les réponses nécessaires aux questions controversées et pour approfondir les pistes consensuelles. Les ministres demandent au groupe Werner de définir notamment les obligations des États membres dans le domaine de la concertation des politiques économiques en vue d’arriver à une convergence de l’évolution économique. Les objectifs et les instruments susceptibles de garantir la réalisation du programme d’intégration devront être précisés autant que possible. Il y a lieu d’étudier si ces instruments pourront être créés sur la base du traité existant ou s’il faudra le modifier. Les résultats de cette réflexion devront faire l’objet d’un rapport final.


Emilio Colombo propose une définition plus détaillée de la structure du rapport final, dans laquelle les objectifs et les instruments concrets du programme d’intégration monétaire doivent être précisés avec clarté. Pierre Werner intervient à nouveau et développe l’idée d’un «système de clignotants»70 contenant des alertes signalant les situations sensibles en la matière. Au sujet des politiques monétaire et budgétaire, le président de la Banque nationale des Pays-Bas soutient des critères précis pour l’orientation budgétaire (structure, grandes masses, déficit, financement) à la définition desquels le président Werner souhaite associer également les compétences de G. Stammati, B. Clappier et du baron Ansiaux. J. Zijlstra propose ensuite une étude plus poussée sur les possibilités d’harmonisation des instruments de la politique monétaire. Pierre Werner suggère de compléter le rapport avec les propositions dans le domaine de l’harmonisation de la politique monétaire et du crédit. Si les ministres s’accordent sur bon nombre de conclusions communes, des divergences persistent toujours. Elles concernent notamment la création d’un Fonds de stabilisation des changes, préalablement à un Fonds de réserve commun. Néanmoins, il paraît nécessaire d’arriver à une meilleure coordination des politiques d’intervention des banques centrales sur le marché des changes.


Dans le cadre de la préparation de cette réunion, Pierre Werner s’entretient à plusieurs reprises avec Jean Monnet. Leur premier sujet de prédilection concerne une individualisation monétaire de la Communauté européenne. Les bons offices de Monnet sont sollicités pour consulter en cette matière le directeur du FMI, Pierre-Paul Schweitzer. Le FMI n’a pas d’objections pour que l’Europe se dote d’une monnaie commune, voire unique. Ensuite, ils discutent longuement du fonds de stabilisation des changes et des influences à activer pour qu’il puisse devenir réalité. À ce propos, Monnet tient à recommander à Pierre Werner «de ne pas trop brusquer la décision sur le fonds de stabilisation des changes, parce qu’il n’y aurait pas l’unanimité à cet égard. Il tenait certainement cette préoccupation de Willy Brandt, qu’il [lui] recommandait de contacter à un moment opportun»71. Le conseil de modération prodigué par Monnet est sans doute inspiré par les débats houleux des deux dernières réunions du groupe Werner, durant lesquelles le président et le président du Comité des gouverneurs des banques centrales se sont particulièrement investis au sujet du fonds de stabilisation des changes.


Les débats sur l’Union économique et monétaire figurent au centre de l’agenda de la session du Conseil des ministres, qui se tient les 8 et 9 juin à Luxembourg et qui approuve la poursuite des travaux sur la base du rapport intérimaire. «La discussion comme telle n’apportait rien de nouveau, sauf que le ministre néerlandais Witteveen enchaînait sur la position de M. Schiller, en amplifiant les exigences de l’aspect institutionnel»72. La réalisation de l’Union économique et monétaire dans un délai de dix ans (à partir du 1er janvier 1971) constitue un objectif central. «En vue de la mise en œuvre de ses décisions et de façon à faire préciser, aussi rapidement que possible, certains aspects institutionnels et techniques des accords intervenus, le Conseil invite le groupe ad hoc présidé par M. Werner à lui présenter son rapport final au début du mois de septembre 1970. Il a précisé son mandat en le chargeant en particulier de l’élaboration concrète des modalités pratiques de la première étape»73.


Pierre Werner expose les travaux du plan par étapes, du contenu du rapport intérimaire, et poursuit sur la nécessité d’approfondissement des travaux. Dans sa note manuscrite établie pour son discours74, le président Werner, poursuivant les pistes déjà évoquées à Venise, considère que l’approfondissement thématique des travaux doit se développer sur six axes prioritaires. Il s’agit de l’étude supplémentaire des aspects institutionnels, de la définition et mise en place des instruments efficaces – «obligations assorties de sanctions» – pour la coordination et en matière de politique conjoncturelle, ainsi que de la politique économique à moyen terme. Il souligne la nécessité de dégager des «propositions limitées et précises sur la politique budgétaire» et d’étudier davantage le financement du déficit et de l’impact sur la politique de liquidité générale dans le système économique. Un autre axe consiste à harmoniser globalement les instruments de la politique monétaire et de la politique du crédit. Pour ce qui est des règles de change, la «consultation des gouverneurs» est mise en avant. Il recommande également «l’examen de l’ensemble des fonds existants» (à propos duquel le nom de Triffin, ainsi que sa définition, sont notés). On ignore si, dans son exposé, Pierre Werner a respecté la succession de sa note, mais toutes les propositions qui y sont présentes se retrouvent dans la décision du Conseil concernant l’approfondissement des travaux du groupe. L’obtention des avis du Comité des gouverneurs des banques centrales sur des problèmes monétaires spécifiques y est stipulée aussi.


La réunion de Venise a vraisemblablement donné lieu à des consultations informelles approfondies entre les membres du groupe Werner, les ministres des Finances et le vice-président de la commission Raymond Barre. Dans les papiers privés de Pierre Werner, nous avons trouvé un document sans en-tête, non daté et non signé, intitulé «Travaux supplémentaires du Groupe ad hoc "plan par étapes" à la suite de la conférence des ministres des Finances de Venise»75, mais contenant ses mentions manuscrites. Ces notes font état des propositions sur les principaux axes d’action (recueillant, vraisemblablement, l’accord commun) et fait mention des noms des intervenants pressentis. Des points de vue spécifiques sont également mis en exergue. On apprend ainsi que quatre directions prioritaires sont retenues: le domaine institutionnel76, le renforcement de la coordination des politiques économiques77, la politique budgétaire et monétaire et le régime des changes.


Ce document résulte probablement de la collaboration directe de Pierre Werner avec le secrétaire du groupe ad hoc, Georges Morelli, qui gérait non seulement l’ensemble de l’information et de la documentation, mais qui participait également à toutes les réunions en relation avec les travaux du groupe (rencontres des ministres, réunions de divers comités d’experts, groupe interdirections de la Commission, etc). Les propositions ont été enrichies et assorties de mesures pratiques, puis se sont retrouvées quelque temps plus tard dans la feuille de route de l’approfondissement des travaux du groupe Werner.


La contribution de Pierre Werner à la définition de la poursuite des travaux est significative. Grâce à son autorité de président du groupe et à son savoir-faire en matière de négociations, les propositions du groupe ont pu être assimilées par diverses instances de décisions (ministres des Finances, Conseil des ministres) et transposées dans des décisions officielles. Un exemple éloquent est l’implication particulière du Comité des gouverneurs des banques centrales dans les travaux du groupe78. Comme la poursuite des travaux du groupe était quasi évidente depuis le 22 mai, Pierre Werner poursuit l’exploration des voies à prendre et les arguments à développer et mène un dialogue constant et souvent confidentiel avec le baron Ansiaux. Confiants dans le rôle essentiel que le Comité des gouverneurs peut jouer dans la mise en place du fonds de stabilisation des changes, les deux hommes mettent au point une stratégie rusée par le biais d’échanges de lettres entre le 3 et le 12 juin. Ainsi, Pierre Werner demande au baron Ansiaux de rédiger une proposition de lettre que le président du groupe ad hoc (Pierre Werner) adresserait au président du Comité des gouverneurs des banques centrales (le baron Ansiaux) demandant l’avis du comité sur plusieurs thèmes. La lettre aborde le régime des changes, et notamment le rétrécissement des marges entre les monnaies des pays du Marché commun, les avantages et les inconvénients d’un fonds de stabilisation des changes lors de la première étape, ainsi qu’un examen de ce qui devrait être accompli au cours de la première étape afin de resserrer les politiques monétaires. Une complicité intellectuelle remarquable règne entre les deux hommes qui partagent la même vision sur le fonds de stabilisation des changes. Au sein du groupe, leur collaboration a déjà porté ses fruits dans l’orientation thématique des débats: on se rappelle qu’en avril 1970, le baron Ansiaux, à la demande de Pierre Werner, soumet ses considérations sur le fonctionnement d’un fonds de régularisation des changes – un sujet qui lui tient à cœur – ainsi que sur les DTS.


Comme la décision du Conseil du 9 juin 1970 recommande l’avis du Comité des gouverneurs des banques centrales, Pierre Werner adresse trois jours plus tard au président de ce comité, conformément à la stratégie mise au point avec Ansiaux, une lettre par laquelle il lui demande l’avis sur certains aspects techniques et économiques de la mise en place d’un régime de change spécifique à la Communauté. La veille, Pierre Werner reçoit par voie diplomatique les remarques de Bernard Clappier, président du comité monétaire, lui donnant des éclairages supplémentaires sur les procédés techniques et les conséquences de la réduction des marges de fluctuation, ainsi que sur la problématique du fonds de stabilisation des changes79.


Le 16 juin, le baron Ansiaux répond à Pierre Werner en s’engageant à fournir un avis pour le 15 juillet suivant, concentré «sur l’opportunité d’harmoniser les instruments de politique monétaire et de resserrer de manière effective les politiques monétaires des pays membres»80. En revanche, l’étude détaillée sur les mesures à prendre est reportée au dernier trimestre de l’année (1970), et ce en attendant que les informations recueillies permettent de dégager des conclusions précises. L’approche est prudente. Le baron Ansiaux ne tarde pas à convoquer le comité d’experts81, dont la réunion inaugurale a lieu le 25 juin 1970. Au bout de cinq autres réunions82, le groupe Werner rend son avis.



Sixième réunion (Luxembourg, 24 juin 1970)


Fort du mandat confié par la décision du Conseil du 9 juin, Pierre Werner convoque la sixième réunion du groupe, qui a lieu à Luxembourg le 24 juin 1970. En début de séance, il informe ses collègues sur la nécessité de poursuivre les travaux, pour reprendre des problèmes restés ouverts dans le rapport intérimaire et y apporter les compléments d’information demandés. Dans les débats qui suivent, la controverse entre économistes et monétaristes resurgit avec force. J-B. Schöllhorn, fidèle à sa position antérieure, réaffirme la nécessité pour le groupe de concentrer ses efforts sur la coordination en matière de politique économique. G. Brouwers partage cette approche. Du côté des monétaristes, B. Clappier, H. Ansiaux sont très actifs, tandis que G. Stammati reste sur ses gardes. Dans ce débat ouvert et passionné, Pierre Werner partage plutôt la perspective des monétaristes83, mais il reste fidèle au devoir d’équilibre auquel le président est tenu, ainsi qu’à la nécessité d’une approche de «parallélisme» des progrès économiques et monétaires à accomplir. Pour expliquer et argumenter leur point de vue commun, les membres néerlandais et allemand, en collaboration avec le représentant de la Commission et le secrétariat du groupe, sont invités à élaborer une note recueillant «les idées susceptibles d’être avancées en matière de renforcement des procédures de coordination des politiques économiques»84. Le membre néerlandais est également tenu de soumettre une note sur les problèmes institutionnels tels qu’ils se présenteront au stade final de l’Union économique et monétaire.


Pour parfaire le rapport intérimaire, dont une première mouture est souhaitée pour la fin août, le calendrier du groupe établit les quatre réunions suivantes programmées le 7 juillet 1970 à Paris, les 27 juillet et 11 septembre à Luxembourg et le 25 septembre à Copenhague, en marge de l’assemblée annuelle des gouverneurs du Fonds monétaire international85.


Pierre Werner poursuit son dialogue informel avec le baron Ansiaux, par ailleurs très proche de Robert Triffin, et tente de trouver une voie d’apaisement dans une controverse de plus en plus tendue. La position allemande, appuyée par le représentant néerlandais, se radicalisa, mettant ainsi en danger l’espoir d’un consensus et d’un accord final. Ansiaux écrit à Triffin le 23 juin 1970 pour demander son appui et informe aussitôt Pierre Werner de sa démarche en lui transmettant une copie de cette lettre. Le baron Ansiaux regrette que «[ses] initiatives ne rencontrent pas que des approbations: en particulier [leurs] amis allemands et hollandais y sont sérieusement hostiles. Ils affirment que rien ne peut être accompli sur le plan monétaire avant qu’une parfaite convergence des politiques économiques ait été obtenue»86. Il résume ensuite l’essentiel de sa thèse: «des progrès parallèles, qui peuvent être accomplis aussi bien dans le domaine monétaire, que dans le domaine économique et que des progrès parallèles sur le plan monétaire sont de nature à soutenir ceux qui doivent être réalisés sur le plan économique»87. À propos du fonds de stabilisation des changes, Ansiaux demande à Triffin de l’aider «[…] en faisant admettre l’idée par les Allemands; les Hollandais une fois isolés se rendront in fine tout en se montrant très difficiles dans les négociations»88. La lettre nous apprend également que l’appui de Jean Monnet a été sollicité dans le même sens, mais qu’il n’aurait pas agi. «Jean Monnet n’a jamais sorti son papier et son intervention auprès des Allemands a été nulle»89.


Robert Triffin réagit et envoie directement à Pierre Werner ses réflexions sur le rapport intérimaire intitulées «Vers l’Union économique et monétaire de la Communauté». Ce document, dans lequel le principe et l’esprit du «parallélisme» sont entièrement partagés, laisse son empreinte sur la réflexion ultérieure du comité Werner qui fera de ce principe la colonne de résistance du rapport final.



Septième réunion (Paris, 7 juillet 1970)


En marge de la rencontre des ministres des Finances, le groupe Werner se réunit le 7 juillet à Paris.


Le 3 juillet, à la demande de Pierre Werner, le président du comité de politique budgétaire, Gaetano Stammati, rédige une note sur le renforcement de la coordination de la politique budgétaire. En même temps prend corps la note rédigée par les Allemands et les Néerlandais, en collaboration avec le membre de la Commission et le secrétariat du groupe. Ciblant le renforcement de la coordination des politiques économiques, cette dernière note met en évidence le rôle primordial qui devait revenir à deux organes communautaires: le conseil des ministres des Affaires économiques et le Comité des gouverneurs des banques centrales.


Lors de la réunion du comité ad hoc, ces deux documents sont au centre des débats. Dans sa présentation orale, Stammati étaye certains aspects de sa note écrite et s’attarde notamment sur la fiscalité. Afin de bénéficier d’une information complète et approfondie sur la problématique traitée, le groupe demande à Stammati d’enrichir sa note initiale. Des éclairages complémentaires sont nécessaires quant à la coordination des politiques budgétaires, «notamment au sujet du degré d’harmonisation fiscale à prévoir aux différents stades de réalisation de l’union économique et monétaire et du calendrier des travaux budgétaires»90. La note du représentant néerlandais traitant des aspects institutionnels n’a pas pu être abordée, probablement faute de temps. Le groupe Werner s’accorde sur la nécessité de reprendre les débats à ces sujets à sa prochaine réunion. Le rendez-vous est pris pour le 27 juillet 1970 à Luxembourg.


Profitant de sa présence à Paris, Pierre Werner rencontre Jean Monnet à deux reprises en tête-à-tête, les 7 et 9 juillet, si l’on en croit une note téléphonique et un billet manuscrit de Pierre Werner91. Nous n’en connaissons pas le contenu. Il est néanmoins fort probable que les deux hommes aient discuté du jeu d’influences à activer – notamment auprès des Allemands et des Néerlandais – pour que les travaux du groupe aboutissent.



Huitième réunion (Luxembourg, 27 juillet 1970)


À la huitième réunion, que le Luxembourg accueille le 27 juillet, les membres du groupe continuent d’échanger leurs vues sur certaines questions devant être traitées dans leur rapport final. G. Brouwers soumet ainsi au débat son document sur les aspects institutionnels, traitant aussi des transferts de souveraineté à partir de la deuxième étape du plan92. L’union monétaire telle qu’elle est définie dans le rapport intérimaire93 implique inévitablement, dans certains domaines, le transfert des compétences des organes nationaux à des organes communautaires, dont une des fonctions principales est une bonne et efficace maîtrise de la conjoncture. Par conséquent et par rapport aux besoins de la phase finale, une harmonisation poussée des instruments de la politique conjoncturelle dans les États membres doit être mise en place dès la première étape. Pour cette maîtrise de la conjoncture, deux organes semblent indispensables. Il s’agit, tout d’abord, d’un organe central de la politique qui peut influer de manière décisive sur les effets déflationnistes et inflationnistes émanant des budgets nationaux et qui décide de l’accès des autorités nationales au marché des capitaux de la Communauté94. Ensuite, il est envisagé de créer une banque centrale commune en charge, dans la Communauté, de l'émission de billets de banque, de la politique du crédit, de la gestion des réserves monétaires officielles et du maintien de la valeur externe de la monnaie95. Étant donné que la mise en œuvre d’un tel système exige des modifications sensibles de la structure institutionnelle de la Communauté, des nouvelles dispositions du traité sont indispensables96.


G. Stammati, ainsi que le secrétariat, exposent leurs notes respectives remaniées. Le groupe «engageait à fond la discussion des modalités d’une harmonisation des politiques conjoncturelles, budgétaires et à moyen terme. Ce chapitre fut notablement renforcé au cours des discussions ardues»97.


Compte tenu des documents déjà élaborés et des observations dégagées au cours des discussions, le groupe estime qu’un avant-projet de rapport au Conseil peut être rédigé. «Celui-ci, qui gardera la structure du rapport intérimaire, laissera toutefois ouverts les points qui feront l’objet du rapport du Comité des gouverneurs des banques centrales et de la note préparée par MM. Ansiaux et Clappier»98. Le secrétariat du groupe est chargé d’élaborer l’avant-projet et de le soumettre à la réunion suivante, programmée à Luxembourg en deux actes, à savoir le 10 septembre dans l’après-midi et le 11 septembre toute la journée.


Le secrétariat du groupe ad hoc est très dynamique sous l’impulsion de G. Morelli et, dès le lendemain de la huitième réunion (le 28 juillet 1970 précisément), il rédige une version provisoire de l’avant-projet de rapport99. Cette version est retravaillée en comité restreint composé de U. Mosca, H. Tietmeyer, A. Looijen et J.-M. Bloch-Lainé100. «C’est volontairement que la partie VI est restée floue et sans rédiger […] des conclusions, ceci pour laisser une marge de manœuvre dans la discussion sur les mécanismes monétaires»101. Le document est aussitôt transmis au président Werner, puis soumis au groupe par courrier officiel en date du 27 août, afin qu’un débat sur le fond puisse avoir lieu à la réunion du 10 septembre.


Le 4 août, Pierre Werner reçoit un autre document. Par lettre personnelle, le baron Ansiaux lui adresse le rapport que les experts des banques centrales ont préparé à l’intention du Comité des gouverneurs. Ansiaux précise que «celui-ci [le Comité des gouverneurs] arrêtera l’avis qu[e Pierre Werner lui a] prié de [lui] donner, lors de sa réunion du 12 septembre prochain, de telle manière qu[’il puisse] en être saisi avant la réunion que [son] comité tiendra à Copenhague»102. Le caractère très confidentiel de l’envoi – ayant comme destinataire Pierre Werner, ministre des Finances et non pas Pierre Werner, Premier ministre (fonction qui imposait des rigueurs administratives supplémentaires pour le traitement du courrier)   est lié au fait qu’il s’agit d’un document de travail interne du Comité des gouverneurs, qui doit rester secret jusqu’à sa transmission officielle. Le document en question103, avalisé ultérieurement par le Comité des gouverneurs et inclus dans une section spéciale du rapport final, porte la date du 1er août 1970.



Neuvième réunion (Luxembourg, 10 et 11 septembre 1970)


Le groupe Werner tient sa neuvième session les 10 et 11 septembre à Luxembourg. L’agenda des discussions accorde une place centrale à l’examen des grandes lignes de l’avant-projet du rapport préparé par le secrétariat. Le baron Ansiaux et Bernard Clappier rédigent conjointement des propositions concernant les éléments sur la politique monétaire interne à insérer dans le rapport final. Cette note met en évidence la nécessité d’établir, dans chacun des États membres (en tenant compte des divergences entre leurs structures économiques) des critères quantitatifs et opérationnels pour l’évolution souhaitable, à court et moyen terme, de la masse des liquidités. Y figure aussi la nécessité de mettre au point, au cours de la première étape, un programme concret d’harmonisation des instruments de politique monétaire s’appliquant aux banques et aux institutions de crédit. Cette recommandation vise à atténuer les problèmes soulevés par les possibilités offertes aux banques pour échapper aux contraintes de la politique monétaire. Il est également stipulé que les banques centrales puissent se servir de l’instrument de régulation de la position nette des banques (fixation des limites aux positions créditrices/débitrices, etc.).


Suite aux vues échangées sur ces questions et notamment aux propos tenus dans le document Ansiaux-Clappier, il est convenu que le secrétariat rédige un nouveau projet de rapport les intégrant. Celui-ci doit être discuté à Copenhague, les 23 et 24 septembre 1970.



Dixième réunion (Copenhague, 23 et 24 septembre 1970)


L’assemblée annuelle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale qui se tient à Copenhague (19-26 septembre) offre le cadre de la dixième réunion du groupe Werner, qui a lieu en deux actes, tout comme la précédente. Deux documents d’archives font preuve qu’au moins une réunion supplémentaire s’y est déroulée, et ce en date du 25 septembre 1970104. Le fait que la préparation technique et l’entière prise en charge soient assumées par le ministère fédéral de l’Économie et l’ambassade d’Allemagne à Copenhague nous fait penser que la réunion en question a été sollicitée par l’Allemagne105 et que, suite aux débats et discussions engagés, ainsi qu’aux diverses médiations confidentielles, un compromis avec les Allemands et certainement avec les Néerlandais aussi, a pu être trouvé pour assurer une position commune du groupe. Aucun compte rendu de cette réunion ne semble avoir été rédigé et, en accord avec notre hypothèse sur la manière dont le comité Werner fait état de ses réunions tendues106, on pourra conclure que les controverses et la mésentente ont probablement été de mise.


Les débats pléniers sont consacrés prioritairement au rapport du Comité des gouverneurs des banques centrales, ainsi qu’à la définition du contenu des derniers chapitres du rapport qui restent à élaborer. «Le Comité des gouverneurs fournissait un rapport technique qui fut précieux par la suite, mais il restait pour l’immédiat d’une grande prudence sur les initiatives politiques»107.


La réunion du FMI et les nombreuses occasions protocolaires associées ont permis aux membres du groupe Werner et aux ministres des Finances des Six de s’entretenir de manière informelle avec leurs collègues américains et autres fonctionnaires et experts internationaux et de tester ainsi leurs perceptions et commentaires sur divers aspects du plan par étapes. Les papiers privés de Pierre Werner font état de deux rencontres avec le président du FMI, qu’il avait déjà consulté à propose de l’identité monétaire européenne via Jean Monnet, ainsi que d’échanges avec le président du Federal Reserve Board des États-Unis, Arthur Burns. On remarque que Pierre Werner avait des contacts réguliers avec les autorités fédérales et politiques américaines. Ses bonnes relations avec les milieux financiers outre-Atlantique, avec des banquiers luxembourgeois particulièrement présents aux États-Unis, ainsi que les rapports cordiaux qu’il entretient avec les ambassadeurs des États-Unis au Luxembourg, lui offrent autant d’opportunités pour recueillir les éléments qui l’intéressent pour la dimension internationale intrinsèque du plan par étapes108.


Le groupe convient de se réunir à Luxembourg le 7 octobre 1970, date à laquelle le secrétariat doit soumettre le projet définitif du rapport.



Onzième réunion (Luxembourg, 7 octobre 1970)


Dès la fin de la réunion du 11 septembre, le secrétariat du groupe, sous l’impulsion de G. Morelli, se met au travail pour la rédaction du projet de rapport, intégrant la structure et la problématique dégagées au cours des débats. Un premier jet date du 14 septembre109 et le deuxième du 18 septembre 1970110, mais ces documents évoluèrent par la suite. D’abord, suite aux contributions de H. Tietmeyer, A. Loijen et J-M. Bloch-Lainé, qui sont également intervenus dans l’élaboration du projet de rapport intérimaire et qui, cette fois-ci, se rencontrent le 17 septembre 1970111 en comité restreint. Le 29 septembre 1970, le groupe d’adjoints se réunit au complet à Bruxelles, sous la direction de J. Mertens de Wilmars112. Au fur et à mesure de la rédaction, Pierre Werner reçoit les versions de travail du projet de rapport final et y apporte des suggestions et modifications que le secrétariat du groupe intègre progressivement.


Le 7 octobre, à la veille de la réunion du Conseil des ministres, le groupe Werner se réunit à Luxembourg pour la dernière touche à apporter au texte et pour l’approbation du rapport final. Ce n’était pas chose facile. L’absence de compte rendu, ainsi que d’autres documents d’information concernant la séance prouvent le caractère tendu des débats, comme lors des houleuses quatrième et cinquième séances. Manifestement, la mise en place d’un fonds de stabilisation des changes est au cœur de la controverse. L’attitude rigide en la matière affichée par les Allemands, peut-être ralliés par d’autres membres, n’est pas rassurante pour parvenir à un compromis. Dans ses mémoires, Pierre Werner nous apprend que «[…] Schöllhorn, insistait pour que l’on proposât la création du fonds de stabilisation qu’au cours de la deuxième étape, qui d’ailleurs devait être précédée d’un examen approfondi. Au risque de compromettre l’unanimité, je me voyais obligé de raidir mon attitude. J’étais convaincu qu’un plan ne prévoyant aucune innovation monétaire pendant les trois premières années, consacré uniquement à promouvoir des procédures d’harmonisation des politiques économiques et budgétaires sans accompagnement de stimulants monétaires, risquait l’enlisement dans les palabres communautaires. […] D’ailleurs, les propositions de Raymond Barre requéraient un dispositif financier nouveau. Le plan, auquel les membres du groupe proposaient d’attacher mon nom, ne pouvait pas faire abstraction de mes initiatives antérieures en la matière. Je demandais donc avec fermeté que la création du Fonds fût envisagée dès la première étape. Mon point de vue fut appuyé par Ansiaux et Clappier. L’opposition restait néanmoins forte. Finalement, après d’âpres débats, chacun y mettant du sien pour éviter un échec, j’obtenais un compromis accepté à l’unanimité»113.


Après sept mois de travail, débats, controverses, tractations et retournements de situation, le rapport final114 est ainsi approuvé. Le 8 octobre 1970, en sa qualité de président du groupe, Pierre Werner présente officiellement à Luxembourg le plan concernant la réalisation par étapes de l’Union économique et monétaire de la Communauté. «J’avais réussi à éviter un rapport fractionné par des avis séparés sur des points importants. Cette unanimité avait dû être achetée au prix d’une rigueur de pensée pour laquelle on pouvait craindre qu’elle ne desservît la mise en œuvre du plan. […] Bientôt la Communauté sera exposée à des bouleversements monétaires qui altéreront les enchaînements des priorités envisagées»115.


Dans sa première édition, ce document remis officiellement au Conseil des ministres et à la Commission des CE le 15 octobre 1970 porte réellement le sous-titre «rapport Werner», que les membres du comité d’experts décident à l’unanimité de lui donner en hommage à leur président116. Quelques jours plus tard, lors de l’envoi du rapport officiel au Parlement européen par les bons soins de la Commission des CE, cet intitulé est omis et le sera, ensuite, systématiquement. On ne connaît pas la cause de cet oubli, mais on pourrait penser que la Commission, qui, grâce notamment à la DG II, assurait le secrétariat technique du comité Werner, n’en est pas totalement étrangère. Dans ce sens, une phrase prononcée quelques semaines plus tard par le vice-président Raymond Barre pourra s’avérer éclairante: «Je voudrais redire […] que ce ne sont pas les rapports, ce ne sont pas les plans, ce ne sont pas les déclarations d'intention qui comptent, ce sont les décisions. […].C’est à la Commission et au Conseil que [ça] incombe»117.


Le 26 octobre 1970, le Conseil des ministres des Affaires étrangères se réunit à Luxembourg pour se saisir officiellement du rapport concernant la réalisation de l’Union économique et monétaire de la Communauté. Pierre Werner, président du comité d’experts, mais aussi hôte de la réunion en sa qualité de Premier ministre du Grand-Duché, introduit les débats par une déclaration brève et dense. Retraçant le processus de réflexion du groupe ad hoc, il met en évidence la légitimité des conclusions du rapport intérimaire approuvées par le Conseil des ministres des CE lors de sa session des 8 et 9 juin 1970, ainsi que les efforts des experts pour approfondir certaines questions spécifiques. Le final de la déclaration de Pierre Werner donne probablement la meilleure clé de lecture de l’objectif poursuivi: «Je suis heureux de constater que sur tous ces aspects nous avons réalisé un avis collectif unanime. Ces réponses communes évidemment ne traduisent pas toutes les préférences individuelles des membres du groupe. Mais nous estimons qu’après avoir fait le tour de la question, au cours de longues confrontations d’idées nous avons réussi à traduire le vœu du parallélisme dans les actions à entreprendre sur le plan économique et financier. Notre ambition était de briser définitivement le cercle vicieux des préalables économiques et politiques. Entre l’opinion qui considère l’union monétaire comme le couronnement de l’intégration européenne et celle qui en ferait le moteur quasi tout puissant, nous avons essayé de tracer une ligne médiane. Je pense que les propositions sont dans la ligne des traités existants, qu’elles tendent précisément à assurer la réalisation de la plénitude de leurs objectifs. Aussi pour la première étape, pouvons-nous faire une grande partie du chemin sans modification des traités. Toutefois, une forte volonté politique doit accompagner ce processus tout au long de sa réalisation»118.




1 Sauf mention contraire, tous les documents cités dans la présente étude ont comme source www.cvce.eu.

2 Voir le chapitre 5 intitulé «La mise en œuvre du rapport Werner».

3 La capitale belge était un hôte logique pour ces réunions, étant donné son statut de capitale permanente des institutions communautaires et vu que la Belgique exerçait la présidence du Conseil des CE au cours du premier semestre 1970.

4 À la demande expresse du ministre italien des Finances, qui souhaitait «marquer clairement l’engagement de l’Italie sur la voie d’une union économique et monétaire» et inscrire Rome une fois de plus parmi les acteurs actifs de l’intégration européenne. Les documents d’archives montrent que pour satisfaire à cette demande politique, la Commission a dû s’investir beaucoup du point de vue logistique. Archives familiales Pierre Werner. Commission européenne, secrétariat général. Demande d’autorisation de réunion en dehors de Bruxelles, conformément à la note n° S/01875/64 du 26 juin 1964 du secrétariat exécutif. 13 avril 1970, 3083.

5 Voir la sous-section 1.3.1 intitulée «Les plans Barre I et Barre II» et la sous-section 1.3.3 intitulée «Les plans monétaires élaborés par la Belgique, l’Allemagne et le Luxembourg (janvier-février 1970)».

6 Il s’agit des notes manuscrites de Pierre Werner, en préparation de l’ouverture des travaux du groupe Werner. On constate que le document contient diverses remarques au sujet des plans Snoy, Schiller et Barre I (que la Belgique, l’Allemagne et respectivement la Commission ont présentés à la réunion des ministres des Finances le 24 février 1970), qui émaillent ainsi la position de Pierre Werner. Cette note, dont la rédaction pourrait être localisée entre le 25 février et le 10 mars 1970, a été aussi à la base de son discours d’inauguration des travaux du comité Werner. Archives familiales Pierre Werner, réf. 047. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

8 Institué par la Note de la Commission des C.E. n° 700225 du 26.01.1970.

9 Les archives familiales Pierre Werner montrent que le traitement aussi bien protocolaire que financier de tous les experts membres du comité ad hoc (membres pleins, suppléants, spécialistes associés) a été établi grâce au vice-président Raymond Barre, qui a proposé et obtenu les conditions nécessaires auprès de la Commission. Source réf. II-DG/AM.1f/13.III.1970, p. 0029. Archives historiques de la Commission, Bruxelles.

10 Le comité d’action pour les États-Unis d’Europe (connu aussi sous le nom de comité Monnet), fondé le 13 octobre 1955 par Jean Monnet, groupait les forces syndicales et politiques des six pays de la Communauté (représentant plus de dix millions de travailleurs syndiqués). Le comité tient sa première session à Paris, le 18 janvier 1956. Son objectif primordial était de faire aboutir les traités du Marché commun et d'Euratom. Les traités signés à Rome le 25 mars 1957 furent votés par les six parlements la même année.

11 Cette conclusion ressort de nos recherches dans les Archives familiales Pierre Werner, notamment conformément aux documents présents dans les cartons réf. PW 036, intitulée 1962-1971. La monnaie de compte. L’unité de compte. Le dollar comme monnaie de réserve, réf. PW 046 intitulée L’intégration monétaire de l’Europe 1962-1969, réf. PW 047 intitulée Groupe Werner: Antécédents, préparatifs et réunions 1968-1970 et réf. PW 048 intitulée Intégration monétaire de l’Europe. Le Plan Werner: 1970, réf. PW 054 intitulée 1972-1973. Union économique et monétaire. Fonds européen de coopération monétaire.

12 Ibid., réf. PW 036, réf. PW 047 et réf. PW 048.

13 Lettre de Raymond Barre aux membres de la Commission en date du 13 mars 1970. Source: Réf. II-DG/AM.1f/13.III.1970, p. 0029. Archives historiques de la Commission, Bruxelles. Dans cette demande, Raymond Barre fait référence non seulement au traitement protocolaire, mais aussi à la rémunération des experts, pour laquelle une dérogation au règlement de la Commission a été appliquée.

14 WERNER, Pierre. Itinéraires luxembourgeois et européens. Evolutions et souvenirs: 1945-1985. 2 tomes. Luxembourg: Éditions Saint-Paul, 1992, t. II, p 122.

15 Ibid., p. 126.

16 Question traitée de manière détaillée dans la section 3.4 intitulée «Économistes versus monétaristes: accords et divergences dans l’élaboration du rapport Werner».

17 Ibid.

18 Projet de compte rendu de la première réunion du groupe ad hoc. Plan par étapes. 20 mars 1970 . Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 31 mars 1970, ORII/22/70-F. In Archives familiales Pierre Werner. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

19 Il s’agit du groupe de travail interdirections sur l’Union économique et monétaire créé par la Note de la Commission n° 700225 du 26.01.1970, avec la mission d’appuyer la documentation de son représentant au sein du comité Werner. Le 18 mars 1970, il soumet au comité Werner une comparaison entre les quatre plans par étapes vers une Union économique et monétaire émanant des gouvernements allemand, belge et luxembourgeois, ainsi que de la Commission et rendus publics en février 1970.

20 BROUWERS, Gerard. La méthode de réalisation d'une union économique et monétaire, vue dans l'optique de la politique conjoncturelle, 6.477/II/70-F, Bruxelles: 03.04.1970. In Archives familiales Pierre Werner, réf. 048. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

21 Les objectifs communs en matière de croissance et de développement sont expressément mentionnés dans les Propositions de la Commission au Conseil concernant le troisième programme de politique économique à moyen terme. Commission des Communautés européennes, COM 189/70.

22 En cette matière, est pris comme repère le paquet des lois sur la stabilité dit Stabilitätsgesetz - Gesetz zur Förderung der Stabilität und des Wachstums der Wirtschaft (Loi pour la promotion de la stabilité et de la croissance) implémenté par l’Allemagne le 8 juin 1967.

23 Cette préconisation s’inspire de la philosophie budgétaire des Pays-Bas, exerçant aussi bien dans le domaine des dépenses que dans celui de la fiscalité une action qui, selon 1’évolution de la conjoncture, serait tantôt modératrice tantôt incitative et qui s’inscrirait dans une politique structurelle globale.

24 L’auteur du document Gerard Brouwers remarque que «cela ne signifie pas nécessairement que tout doit être centralisé et appliqué uniformément, mais ce devra être le cas pour les éléments essentiels de la politique budgétaire, etc.», tout comme pour la politique monétaire et des revenus.

25 L’union monétaire implique un nouveau transfert au niveau communautaire des compétences en matière de politique conjoncturelle. Au cas où le volet monétaire est implémenté plus vite, «voire imposé d’office», le transfert de certaines compétences monétaires à la Communauté pourrait se faire plus vite. Dans ce domaine, les mesures à envisager sont un rétrécissement des marges de change actuelles, l'adoption de taux de change fixes et/ou la création d’un fonds de réserve communautaire. Étant donné que le rétrécissement des marges de change ne crée pas en compensation de meilleures possibilités d'harmoniser les politiques conjoncturelles, l’adoption précoce de cours de change entièrement fixes serait légitime.

26 Il est également secrétaire d’État au ministère fédéral allemand de l’Économie, mais siège au comité Werner en vertu de sa fonction de président du comité de politique économique à moyen terme.

27 Trad. L’union économique comme fondement de l’union monétaire. Bonn: 2 avril 1970. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

28 Suggestions concernant la première étape du plan par étapes, en matière de marchés des capitaux, Commission européenne. Direction générale des Affaires économiques et financières, II-C-2/MS.gs/31.03.1970, Bruxelles: 1er avril 1970. In Archives familiales Pierre Werner, réf.047. Le document prévoit «la création auprès du comité monétaire d’un groupe ad hoc chargé de procéder à des échanges d’informations et à des consultations régulières sur l’évolution des marchés des capitaux et d’amorcer une concertation des politiques des États membres à leur égard».

29 Note portant sur La réalisation de l’Union économique et monétaire dans la perspective de l’élargissement de la Communauté, Commission européenne, groupe interservices. Bruxelles: 28 avril 1970. In Archives historiques de la Commission européenne, BAC 375/1999 578, vol. 2, pp. 0181-0191.

30 Dans les débats monétaires face à l’élargissement, le rôle de la livre sterling occupe une place importante. Quelle serait l’évolution de cette devise, monnaie de réserve et monnaie nationale à la fois, pendant la période comprise entre l'entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun et l'introduction d'une monnaie européenne unique? Le principal danger venait du fait que le caractère de monnaie de réserve pouvait altérer celui de monnaie nationale et introduire ainsi des paramètres exogènes, parfois artificiels, dans une monnaie commune, voire unique. Les soldes importants en livre anglaise conservés par des banques centrales, des firmes et des particuliers dans les pays de la zone sterling autres que le Royaume-Uni, la garantie de change dont bénéficiaient les avoirs constitués dans cette monnaie, le taux d’intérêt élevé pratiqué sur le marché financier de Londres (réputé comme le plus important centre financier de l’Europe) ont permis à la livre sterling de garder son caractère de monnaie de réserve malgré sa dévaluation de 1967. À la fin de 1970, la balance britannique des paiements présentait à nouveau des faiblesses, en contraste avec son rétablissement vigoureux de 1969. Cette évolution oscillante à court terme suggère plutôt le caractère passager d'un certain nombre de facteurs ayant conduit à son rétablissement. La balance des paiements précaire, la politique de restrictions, le manque d'investissements productifs et une faible croissance pour une demande de plus en plus importante composaient un cercle vicieux agissant de manière négative sur la balance des paiements. Il apparaissait de plus en plus clair que, si au moment de son adhésion, la position britannique en matière d'exportation ne s’était pas améliorée, les mécanismes communautaires d'assistance monétaire seraient incapables d’amortir complètement les chocs générés par l'existence des soldes en livre sterling.

31 Pour les Six, il était évident que l’adhésion britannique devait s’accompagner d’un assainissement des fonctions de la livre sterling en tant que monnaie de réserve et ce, parce que par sa future monnaie commune, la Communauté (incluant le Royaume-Uni) était appelée à contribuer à la stabilité du système monétaire international. Un tel affinage supposait la suppression progressive des mesures de soutien de la livre sterling (évoquées auparavant) et l'établissement d'un rapport plus équilibré entre les réserves monétaires du Royaume-Uni et ses obligations à court terme. Pour faire face aux besoins de liquidités internationales supplémentaires, il était donc envisagé que des liquidités soient créées indépendamment des disponibilités en or ou des monnaies de réserve. Dans ce but, la création des droits de tirage spéciaux (DTS) au sein du FMI semblait une solution judicieuse. Les débats sur le rôle et l’avenir de la livre sterling ne pouvaient pas être dissociés de la problématique de l’autre monnaie de réserve, le dollar américain, surtout dans le contexte d’un marché d’eurodevises en plein développement et au sein duquel les eurodollars avaient un poids considérable.

32 Compte tenu de leurs conceptions monétaires différentes, les économistes allemands s’opposent aux monétaristes français, notamment sur le point de la soi-disant incompatibilité entre l’objectif de créer une unité monétaire européenne et sa relation avec le système de Bretton Woods, système des parités fixes par rapport au dollar. Les économistes prônent une convergence des politiques fiscales et monétaires européennes avant de fixer les taux de change. Les monétaristes plaident pour une convergence des parités d’abord qui, ensuite, inciterait les États à adopter des politiques appropriées. WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 124. Voir aussi la section 3.4 intitulée «Économistes versus monétaristes: accords et divergences dans l’élaboration du rapport Werner».

33 L’Union économique Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg) a été instituée par le traité de La Haye (signé le 3 février 1958 et entré en vigueur le 1er novembre 1960) pour une durée initiale de cinquante ans. Cette union visait à élargir et à approfondir la coopération économique entre les trois pays, notamment en leur permettant d’adopter une politique commune sur les plans financier et social. Un nouveau traité, signé le 17 juin 2008 à La Haye, institue l’Union Benelux qui remplace ainsi l’union économique. Au-delà de la poursuite de la coopération Benelux en tant que laboratoire pour l’Europe, le nouveau traité Benelux confère également au Benelux la possibilité d’étendre la coopération transfrontalière en concluant des accords avec d’autres États ou groupement régionaux d’États ou encore avec des régions ou entités avoisinantes du Benelux. Le Benelux joua ainsi un rôle de pionnier au niveau du renforcement de la coopération européenne. En effet, certains domaines de coopération qui ont été lancés par le traité de 1958 ont connu un si grand succès que leur application a été étendue au niveau européen. Ceci est notamment valable pour la libre circulation des personnes et le marché intérieur (union économique). La signature, le 25 juillet 1921, du traité créant l'Union économique belgo-luxembourgeoise peut être considérée comme les prémices du Benelux, notamment en raison du fait que les frontières économiques sont levées et les monnaies sont liées par une parité fixe.

34 Cf. Rapport du ministre des Finances des Pays-Bas (Willem Drees Junior), ministère des Finances, sur les conversations menées avec les Belges et les Luxembourgeois au sujet de l’Union monétaire le 7 avril 1970. Archives du Cabinet du Premier ministre (2.03.01), no. 8864. Archives nationales des Pays-Bas (La Haye). In Common Fate. Common Future. A Documentary History of Monetary and Financial Cooperation, 1947-1974. CVCE-Huygens Ing. DIERIKX, Marc (éd.), La Haye, 2012, pp. 150-155.

35 L’exploration des Archives familiales Pierre Werner révèle que le 22 avril 1970, le baron Hubert Ansiaux soumet au comité d’experts une note intitulée Aspects juridiques et techniques d’une mise en commun des droits de tirage spéciaux, dans laquelle il évoque des opérations de transfert de DTS entre les partenaires de la CEE. Deux jours plus tard, il répond à une autre demande de Pierre Werner et lui fait parvenir une note technique confidentielle «exposant le fonctionnement et les mérites d’un Fonds européen de régularisation des changes». Ces deux documents sont analysés lors de la réunion du 7 avril 1970. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

36 Cf. WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 124.

37 Ibid.

38 Verbatim dinterventions de Monsieur Ansiaux et de Monsieur Clappier. Réunion du groupe ad hoc. Plan par étapes du 07.04.1970. Bruxelles: 10 avril 1970, confidentiel, réf. ORII/28/70F. Archives familiales Pierre Werner, réf. 048.

39 Demande d’autorisation de réunion en dehors de Bruxelles, conformément à la note n° S/01875/64 du 26 juin 1964 du secrétariat exécutif. Commission européenne, secrétariat général, 13 avril 1970, no. 3083. Archives familiales Pierre Werner. Le débat a été tranché par Raymond Barre, qui a donné l’autorisation, sensible au «souhait (du membre italien) que ces réunions, dont les participants se situent à un haut niveau, se tiennent successivement dans chacun des pays membres de la Communauté».

40 Les droits de tirage spéciaux (DTS) sont un instrument monétaire international créé par le FMI en 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres. Les DTS, ou «or papier», sont des crédits que les nations disposant d'excédents dans leur balance des échanges peuvent «tirer» des nations ayant des déficits commerciaux. Les DTS sont alloués aux pays membres proportionnellement à leur quote-part au FMI.

41 Lettre du 22 avril 1970 adressée par le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, le baron Hubert Ansiaux, à Pierre Werner, président du gouvernement grand-ducal, et annexe relative aux Aspects juridiques et techniques d’une mise en commun des droits de tirage spéciaux. Archives familiales Pierre Werner.

42 Ibid., p. 3.

43 Lettre du 24 avril 1970 adressée par le gouverneur de la Banque nationale de Belgique, le baron Hubert Ansiaux, à Pierre Werner, président du gouvernement grand-ducal, et annexe confidentielle relative à un Fonds européen de régularisation des changes. Archives familiales Pierre Werner. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

44 Rapport au Conseil et à la Commission concernant la réalisation par étapes de l’Union économique et monétaire dans la Communauté (rapport Werner). Luxembourg: 8 octobre 1970, document L 6.956/II/70-D. In Journal officiel des Communautés européennes, n° C 136, supplément au Bulletin 11/1970, Luxembourg: 11 novembre 1970. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

45 Document de travail (réservé aux membres du groupe). Secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 21 avril 1970. Archives historiques de la Commission européenne, BAC 375/1999 578, vol. 2, pp. 0168-0180. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

46 Ibid., p. 0166.

47 Voir la section 4.6. intitulée «Le rapport Werner dans les médias internationaux de l’époque».

48 Deutscher Gewerkschaftsbund, Bundesvorstand, Vorschlag für einen Stufenplan zur Errichtung einer Wirschafts- und Währungsunion in der Europäischen Wirtschaftsgemeinschaft. Düsseldorf: 20 mars 1970, Archives historiques de la Commission européenne BAC 375/1999 575, vol. 1, p. 0059-0067. L’annexe de distribution du document montre qu’il a été également transmis au chancelier fédéral, aux ministres fédéraux de l’Économie et des Affaires étrangères, au représentant allemand auprès de la CEE, ainsi qu’à la confédération européenne des syndicats libres et aux syndicats nationaux membres. Par ce dernier biais, l’intérêt pour la problématique de l’Union économique et monétaire est transmis dans plusieurs pays européens, au niveau des couches syndicales et professionnelles les plus diverses. Par exemple, la confédération européenne des syndicats libres élabore également un propre point de vue sur l’élaboration par étapes d’une Union économique et monétaire, qu’elle soumet au président de la Commission, Jean Rey, en date du 15 mai 1970.

49 Ibid.

50 Fritz Machlup (1902 - 1983) est un économiste autrichien, dont le rôle a été important dans le développement des sciences économiques (aspects méthodologie, théorie et politique). Étudiant de Friedrich von Wieser et de Ludwig von Mises, il passe son doctorat en 1925 sur le thème Die Goldkernwährung (The Gold Exchange Standard). En tant qu'universitaire basé en Autriche, Machlup publie un ouvrage en 1927 sur l'adoption du Gold Exchange Standard 1931. Il publie deux articles importants sur les effets de la réparation de guerre allemande et un autre sur la bourse et la formation du capital. Titulaire d’une bourse Rockefeller, il part aux États-Unis où il enseigne aux universités de Harvard, Columbia et Stanford. Il se consacre d’abord aux travaux sur l’économie industrielle et par la suite se penche sur l’économie monétaire internationale. En 1963, il met sur pied un groupement d'universitaires, le groupe Bellagio, chargé d'étudier cette question, de développer un consensus académique et de proposer des solutions pratiques. Le succès que cette initiative remporta valut l’attention des gouvernements et des dirigeants des banques centrales et aboutit à la publication de multiples ouvrages et articles sur la crise monétaire internationale et ses solutions possibles. Robert Triffin le surnomma «l'intellectuel incontesté, leader et mentor de nos vains efforts pour réformer un système monétaire international en déperdition». Le comité d'attribution des prix Nobel a cité plusieurs fois son nom bien qu'il ne l'ait jamais reçu.

51 Archives historiques de la Commission de la CEE, Bruxelles et Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

52 Projet de compte rendu de la troisième réunion du groupe ad hoc «Plan par étapes». Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes» Bruxelles: 30 avril 1970, réf. ORII/42/70-F, 6 mai 1970. Archives historiques de la Commission européenne, BAC 375/1999 578. In Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

53 Ibid.

54 La composition du groupe des adjoints est la suivante: M. Mertens de Wilmars, conseiller économique de la Banque nationale de Belgique, M. Bloch-Lainé, ministère de l’Économie et des Finances (Paris), M. Tietmeyer, ministère de l’Économie (Bonn), M. Palumbo, ministère des Finances (Rome), M. Schmitz, conseiller de gouvernement au ministère des Finances (Luxembourg), M. Looijen, ministère des Finances (La Haye), M. Rey, Banque nationale de Belgique, M. Jamar, Banque nationale de Belgique, M. Mosca, directeur général des Affaires économiques et financières, M. Morel, chef de division à la direction générale des Affaires économiques et financières, M. Morelli, secrétaire du groupe «Plan par étapes».

55 Les reproches qui ont été faits plus tard au rapport Werner final de ne pas s’être penché en détail sur l’architecture institutionnelle communautaire ne sont donc pas justifiés, étant donné que le groupe Werner avait retiré dès le début ce domaine du périmètre de sa réflexion.

56 WERNER, Pierre. Itinéraires. T.II, p. 125.

57 Voir la section 3.1 intitulée «Le rapport intérimaire».

58 Télex de M. Tietmeyer adressé au secrétariat du groupe Werner le 25 mai 1970, à 19 heures, concernant le rapport intérimaire (doc. 9.504), Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

59 Aux termes d'un communiqué publié le 2 octobre 1963, les ministres et gouverneurs des banques centrales des dix pays participant aux accords généraux d'emprunt au sein du FMI à savoir: 1) les États-Unis d'Amérique, 2) le Royaume-Uni, 3) la France, 4) l'Italie, 5) le Japon, 6) le Canada, 7) les Pays-Bas, 8) la Belgique, 9) la Deutsche Bundesbank et 10) la Sveriges Riksbank , tout en exprimant leur attachement aux principes de la stabilité des taux de change et du prix de l'or, ont estimé utile d'entreprendre «un examen approfondi des perspectives concernant le fonctionnement du système monétaire international et ses besoins probables de liquidités pour l'avenir». Ils chargent ainsi leurs suppléants de procéder à cet examen et de leur soumettre toutes suggestions concrètes résultant des études effectuées. Les suppléants se sont réunis plusieurs fois et ont établi des relations étroites avec le FMI, l’OCDE et la Banque des règlements internationaux (B.R.I.). Lors de leur réunion de Paris des 15 et 16 juin 1964, ils rédigent un premier rapport adressé aux ministres et gouverneurs («rapport Roosa»). Sur la base de ce rapport, le 1er août 1964 est adoptée la déclaration ministérielle du groupe des Dix qui reconnaît la nécessité d'une «surveillance multilatérale» des voies et moyens utilisés pour le financement des déséquilibres des balances des paiements et approuve la constitution par les suppléants des ministres et gouverneurs d'un groupe d'études chargé d'examiner les diverses propositions concernant la création de nouveaux instruments de réserve, «par l'intermédiaire du F.M.I. ou autrement». Ce groupe de réflexion le Comité des suppléants du groupe des Dix  est officiellement institué.

60 Diplômé de l’Université Bocconi (Milan) et de la London School of Economics, Rinaldo Ossola (1913-1990) a été président du groupe des Dix, directeur général de la Banca d’Italia (1975-1976) et ministre du Commerce extérieur d’Italie (1976-1979). En 1964, il préside un groupe d’experts dont la réflexion aboutira à la création des DTS. Le groupe portera le nom de son président et le rapport qu’il rédige sera connu sous le nom de «rapport Ossola». Voir aussi infra précédente.

61 Sujet introduit par une étude du comité de politique budgétaire de la CEE présidé par Gaetano Stammati, qui expose aux ministres les éléments-clés de ce document.

62 Cette problématique, introduite par la présentation de M. Möller (Allemagne), portant essentiellement sur les instruments dont l’Allemagne dispose pour agir sur l’évolution conjoncturelle au moyen de la politique budgétaire, déclenche de vifs débats. Les interventions des différents ministres signalent que les instruments dont les administrations nationales disposent en la matière sont différents de pays à pays et souvent très insuffisants. Dans ce contexte, une attention particulière est consacrée à la politique budgétaire de l’Italie, confrontée aux déficits significatifs du secteur public. Les ministres mettent en exergue la nécessité de respecter les impératifs d’une politique budgétaire prudente. Ces discussions permettent de dégager une orientation d’ensemble très intéressante: le contrôle de l’évolution conjoncturelle ne doit pas être confié exclusivement à l’instrument monétaire; il faudra, au contraire, utiliser largement les instruments budgétaire et fiscal.

63 Sur ce point, la Commission européenne, à travers l’intervention de Hans von der Groeben, présente les grandes lignes d’une action en trois étapes permettant d’éliminer les disparités fiscales entre les États membres, condition impérative pour réaliser une véritable union économique. Les disparités à éliminer concernent essentiellement la taxe sur le chiffre d’affaires (le premier pas étant accompli grâce à l’adoption progressive de la TVA dans les six pays communautaires), les accises et les impôts sur les sociétés. À l’horizon de l’année 1978, les objectifs souhaités sont l’harmonisation non seulement des structures, mais aussi des taux de la TVA, la mise en place d’un marché des capitaux unifié et non-discriminatoire et une harmonisation poussée des impôts sur les sociétés.

64 Sur la base d’une étude sur la flexibilité des marges de fluctuation réalisée par le comité des suppléants du groupe des Dix et présentée par son président, Rinaldo Ossola.

65 En guise de préambule à la présentation des conclusions du rapport intérimaire, les ministres Snoy et d’Oppuers (Belgique), Schiller (Allemagne) et Werner (Luxembourg) présentent les plans concernant l’Union économique et monétaire que leurs pays respectifs ont proposés avant le début des travaux du groupe ad hoc et R. Barre rappelle la vision de la Commission européenne en la matière. Voir aussi: Télégramme du ministère italien des Affaires étrangères à la représentation permanente de l’Italie auprès de la CEE sur les conclusions de la réunion des ministres des Finances de la CEE consacrée au rapport Werner (Rome, 2 juin 1970). Source: Ministero degli Affari Esteri, Archivio Storico Diplomatico Italiano, Telegramma in partenza, n. 10210/02.06.1970, vol. 30/1970-1971 (Telegramma ordinario. In partenza. Politica economica e monetaria.).

66 Projet de procès-verbal de la trente-cinquième conférence des ministres des Finances de la Commission des Communautés européennes qui s’est tenue à Venise les 29 et 30 mai 1970. Confidentiel. Commission des Communautés européennes. Direction générale des Affaires économiques et financières, réf. ORII/57/70-F, Bruxelles, 5 juin 1970. Archives historiques de la Commission Européenne. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

67 Ibid., p. 4.

68 Ibid., p. 5.

69 Ibid., p. 6.

70 Cette expression est énoncée par le président du comité de politique conjoncturelle Gerard Brouwers dans sa note La méthode de réalisation d’une union économique et monétaire vue dans l’optique de la politique conjoncturelle qu’il soumet le 3 avril 1970 aux membres du comité Werner. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

71 WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 126.

72 Ibid., p. 128.

73 Communiqué rédigé par la présidence belge à l’issue du Conseil des ministres. Luxembourg: 8-9 juin 1970. Archives familiales Pierre Werner., réf. PW 048. Voir aussi: Télégramme de la représentation permanente de l’Italie auprès de la CEE au ministère italien des Affaires étrangères sur l’approfondissement des travaux du comité Werner (Bruxelles, 10 juin 1970). Source: Ministero degli Affari Esteri, Archivio Storico Diplomatico Italiano, Telegramma in arrivo, n. 23395/10.06.1970, vol. 29/1970 (Telegramma ordinario. In arivo. Economia/Politica/Stampa.).

74 Note manuscrite de Pierre Werner pour son discours à l’occasion du Conseil des ministres de la CEE. Luxembourg: 8-9 juin 1970. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 047. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

75 Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 047. Voir aussi: Télégramme du ministère italien des Affaires étrangères à la représentation permanente de l’Italie auprès de la CEE sur les conclusions de la réunion des ministres des Finances de la CEE consacrée au rapport Werner (Rome, 2 juin 1970). Source: Ministero degli Affari Esteri, Archivio Storico Diplomatico Italiano, Telegramma in partenza, n. 10210/02.06.1970, vol. 30/1970-1971 (Telegramma ordinario. In partenza. Politica economica e monetaria.).

76 La vision commune concernant l’approfondissement des aspects relatifs aux institutions, dont le président Werner a fait le résumé, est influencée par le plan Schiller (publié le 12 février 1970) recommandant la description des compétences des organes chargés, à un stade ultérieur à la première étape, de la politique conjoncturelle d’une part et de la politique monétaire d’autre part.

77 Pour la réflexion autour des méthodes pratiques assurant la coordination efficace des politiques économiques, Pierre Werner souhaite associer J-B. Schöllhorn et G. Brouwers, réputés pour leur approche économiste assez stricte. Notons également que le ministre Karl Schiller souhaite définir et mettre en œuvre des procédures plus efficaces pour assurer la convergence des politiques économiques.

78 Des années plus tard, dans le contexte de l’élaboration du rapport Delors, le Comité des gouverneurs, qui sera amené à assumer le rôle essentiel, conclura que «jusqu'à l’époque du rapport Werner [… ], les États membres avaient conservé la perspective d'une union économique, en tout cas d'un marché commun, qu'ils jugeaient réalisables moyennant le recours, en matière monétaire, à la seule coordination de leurs politiques; à partir du rapport Werner, ils ont admis que l'union économique ne pourrait se faire si l'on ne réalisait pas progressivement l'union monétaire». Voir ANSIAUX (Baron), Hubert et DESSART, Michel. Dossier pour l'histoire de l'Europe monétaire 1958-1973. Bruxelles: Michel Dessart (éd). 1975.

79 Télex de Bernard Clappier, Banfra (Banque nationale de France), Paris: 11 juin 1970, 16 h 07, ministère des Affaires étrangères, Luxembourg. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

80 Lettre du président du Comité des gouverneurs des banques centrales, Hubert Ansiaux, à Pierre Werner, président du gouvernement, ministre des Finances. Bruxelles: 16 juin 1970. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

81 Composition du comité d’experts au sein du Comité des gouverneurs des banques centrales: Président: le baron H. Ansiaux, Deutsche Bundesbank: E. Blumenthal, G. Jennemann; Banque nationale de Belgique: J. Mertens de Wilmars, F. Heyvaert; Banque de France: M. Théron, R. Floc'h; Banca d'Italia: F. Masera, F. Frasca; Nederlandsche Bank: P.C. Timmerman, A. Szasz; J.A. Sillem; Commission des Communautés européennes: F. Boyer de la Giroday, H. Wortmann, A. Louw; Secrétariat du comité Werner: G. Morelli, G. Lermen; Secrétariat du Comité des gouverneurs: A. Bascoul, R. Gros.

82 Les réunions en question se sont déroulées au 1er et 2 juillet, 9 juillet, 16 juillet, 23 et 24 juillet, 30 juillet 1970.

83 Au regard de certains de ses écrits antérieurs (1962-1968), Pierre Werner fait parfois preuve de convictions monétaristes, qu’il n’hésite pas à mettre en avant en tant que ministre des Finances pour sauvegarder les intérêts vitaux du Grand-Duché de Luxembourg liés à la consolidation de la place financière internationale. Voilà un exemple révélateur: dans le but de réglementer les mouvements des capitaux au niveau communautaire, l’harmonisation de la fiscalité en la matière vient à l’ordre du jour du Conseil des ministres de Finances de la CEE du 16 janvier 1967. Cette «nécessité prioritaire» soutenue par la France est en mesure d’affecter un intérêt luxembourgeois capital «en bouleversant profondément la législation financière du Grand-Duché, dont certains éléments ont été à la base de la fortune du Luxembourg comme place financière internationale». Lors de la réunion du Conseil des ministres du 4 mars 1968, fondant son jugement sur le parallélisme entre la libre circulation des marchandises (qui devait être réalisée au 1er juillet 1968) et la libre circulation des capitaux, Pierre Werner propose ainsi de donner la priorité à l’harmonisation monétaire et d’aborder ultérieurement l’harmonisation fiscale. En effet, les difficultés de la livre sterling, puis du franc français mettront à l’avant-plan les questions monétaires. Les spécificités financières luxembourgeoises ont été ainsi sauvegardées.

84 Projet de compte rendu de la sixième réunion du groupe ad hoc «Plan par étapes», 24 juin 1970. Bruxelles: 1er juillet 1970, OR II/63-70-F. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

85 Pierre Werner participe depuis 1953, année où il est nommé ministre des Finances, aux réunions annuelles du FMI en tant que gouverneur pour le Luxembourg.

86 Lettre du baron Ansiaux, gouverneur de la Banque nationale de Belgique, au professeur Robert Triffin, Berkeley College, Yale University, New Haven, Connecticut, Bruxelles: 23 juin 1970. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

87 Ibid.

88 Ibid.

89 Ibid.

90 Projet de compte rendu de la cinquième réunion du groupe ad hoc «Plan par étapes», 7 juillet 1970. Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 14 juillet 1970, OR II/67-70-F. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

91 Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 047.

92 Note de Gerard Brouwers. Phase finale de l’union monétaire: transfert nécessaire de compétences nationales aux institutions communautaires. Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 13351/II/70, 22.07.1970. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

93 La définition contenue dans le rapport intérimaire est la suivante: «Une zone monétaire individualiste implique à l'intérieur la convertibilité des monnaies, la fixation irrévocable des rapports de parité, l'élimination des marges de fluctuation des cours de change et la libération totale des mouvements de capitaux. Elle peut s'accompagner du maintien de signes monétaires nationaux ou consacrer l'établissement d'une monnaie communautaire unique. Du point de vue technique, le choix entre ces deux solutions pourrait paraître indifférent, mais des considérations d'ordre psychologique et politique militent en faveur de l'adoption d'une monnaie unique qui garantirait l'irréversibilité de l'entreprise».

94 Conformément aux remarques contenues dans la note de Gerard Brouwers, l'organe central de politique devra pouvoir mener une politique efficace et, dans ce but, pouvoir prendre des décisions indépendamment des organes nationaux. Cet organe central aura une structure collégiale, sera totalement indépendant des gouvernements nationaux et sera soumis au contrôle démocratique du Parlement européen. Voir la note de Gerard Brouwers: Phase finale de l’union monétaire: transfert nécessaire de compétences nationales aux institutions communautaires. Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 13351/II/70, 22.07.1970. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

95 Ibid. La banque centrale devra être une institution autonome et financièrement indépendante dont le statut et les pouvoirs seront fixés par le droit communautaire. Ses rapports avec l’organe central de la coordination des politiques économiques devront être réglementés dans le sens ou ce dernier pourra lui donner certaines directives précises. Une certaine indépendance de la banque devra être garantie. La banque centrale commune pourra naître de la fusion complète des banques centrales actuelles. Il semblerait toutefois plus réaliste d'envisager une sorte de Federal Reserve System.

96 Brouwers estime impératif de trouver, dès la première étape d’une Union économique et monétaire, un accord portant sur ces dispositions de nature à conférer aux organes communautaires les pouvoirs nécessaires pour réaliser un passage progressif de la première phase à l'étape finale.

97 WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 128.

98 Projet de compte rendu de la huitième réunion du groupe ad hoc «Plan par étapes», 27 juillet 1970. Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 14 août 1970, OR II/74-70-F. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

99 Avant-projet de rapport au Conseil et à la Commission concernant la réalisation par étapes de l’union économique et monétaire de la Communauté. Communautés européennes, secrétariat du groupe «Plan par étapes». Bruxelles: 28 juillet 1970, OI II/72/70-F. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

100 Commission des Communautés européennes. Direction générale des Affaires économiques et financières, II-A-6.JCM.mw.13.VIII.70. Bruxelles. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

101 Ibid.

102 Lettre personnelle du baron Ansiaux, président du Comité des gouverneurs des banques centrales, adressée à Pierre Werner, ministre des Finances. Bruxelles: 4 août 1970. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

103 Rapport sur les questions posées par le comité «ad hoc» présidé par M. le Premier ministre Werner. 1er août 1970. Comité d’experts présidé par le baron Ansiaux. Comité des gouverneurs des banques centrales des États membres de la Communauté économique européenne. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

104 Note à l’attention de Monsieur A. Wegener, direction générale du Personnel et de l’Administration, réf. II/GM.nj/14.08.1970. Bruxelles: 17 août 1970. Archives historiques de la Commission européenne BAC 375/1999 578, vol. 2.

105 Le deuxième document est dans un autre registre: il s’agit de l’accord de Raymond Barre, vice-président de la Commission, pour qu’une réunion du groupe «Plan par étapes» ait lieu en dehors de Bruxelles mais aussi pour que le budget du groupe ne soit pas mis à contribution pour les frais de ladite réunion s’élevant à 2 120 DM, mais que ceux-ci soient à la charge du ministère de l’Économie à Bonn.

106 Voir la section 2.2.5 intitulée «Quatrième et cinquième réunions (Luxembourg, 14 mai et 20 mai 1970)».

107 WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 129.

108 Voir GRYGOWSKI, Dimitri. Les États-Unis et l’unification monétaire européenne. Bruxelles: Éditions PIE Peter Lang, 2009, pp. 215-131. Voir aussi le chapitre 5 intitulé «La mise en œuvre du rapport Werner».

109 Commission des Communautés européennes. Secrétariat du groupe «Plan par étapes». Réf. OR II/72/1-70, Bruxelles: 14 septembre 1970. Archives familiales Pierre Werner.

110 Commission des Communautés européennes. Secrétariat du groupe «Plan par étapes». Réf. OR II/72/2-70, Bruxelles: 18 septembre 1970. Archives familiales Pierre Werner.

111 Note à l’attention de Monsieur L. Lambert, directeur général du Personnel et de l’Administration. Bruxelles, réf. II/GM.jt/17.09.1970. Commission européenne. Direction des Affaires économiques et financières. Archives historiques de la Commission européenne BAC 375/1999 578, vol. 2.

112 Demande d’organisation de réunion (p. 704248) et Demande d’organisation d’une réception officielle (p 704330). Commission européenne. Direction des Affaires économiques et financières. Bruxelles: 28 septembre 1970. Archives historiques de la Commission européenne BAC 375/1999 578, vol. 2.

113 WERNER, Pierre. Ibid., p. 130. Voir aussi: Télégramme de la représentation permanente de l’Italie auprès de la CEE au ministère italien des Affaires étrangères sur la finalisation du rapport Werner (Bruxelles, 9 octobre 1970). Source: Ministero degli Affari Esteri, Archivio Storico Diplomatico Italiano, Telegramma in arrivo, n. 42345/09.10.1970, vol. 29/1970 (Telegramma ordinario. In arivo. Economia/Politica.).

114Voir les sections 3.1 intitulées «Le rapport intermédiaire» et 3.2. «Le rapport final» qui traitent ces sujets de manière détaillée.

115 Ibid., p. 131.

116 Ibid., p. 132.

117 Intervention de Raymond Barre. Commission économique du Parlement européen. Réunion du 28-29.09.70 à Bruxelles, Bande 218. Transcription p. 8. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048. Voir aussi la section 4.2 intitulée «Réactions de la Commission (au rapport Werner)» qui tentera de décrypter les relations entre Pierre Werner et Raymond Barre.

118 Déclaration de Pierre Werner au Conseil des ministres. Luxembourg: 26 octobre 1970. In Bulletin de documentation (dir. de publication). Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d'État, 26.10.1970, n° 6, 26e année. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

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