Les activités de l’Union de l’Europe occidentale


L’après-guerre


La principale mission de l’Union occidentale fut la surveillance de l’Allemagne vaincue de la Seconde Guerre mondiale. Cette mission était en quelque sorte sous-entendue dans le traité de Bruxelles à propos de la solidarité et de la légitime défense collective. Mais assez vite, la Guerre froide imposa la prise en compte de la vision américaine (et de certains pays européens). Selon cette vision, l’Allemagne fédérale devrait pleinement intégrer les organes militaires occidentaux (entre autres via son réarmement et l’intégration totale de ses forces dans l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, OTAN), tout comme la première Communauté européenne l’avait permis dans l’espace politico-économique hautement stratégique du charbon et de l’acier.


Aussi, la première mission du Conseil de l‘UEO fut la mise sur pied de l’Agence pour le contrôle des armements (ACA). Parmi les quatre protocoles (1954) complétant et modifiant le traité de Bruxelles, les deux derniers fixaient les dispositions relatives, d’une part, au contrôle des armes nucléaire, biologique et chimique (NBC) et, d’autre part, à l’interdiction de fabrication de certaines catégories d’armes dites conventionnelles. L’Agence procédait à des investigations dans les établissements concernés (usines chimiques, laboratoires biologiques, usines de missiles). Dès études préalables furent réalisées à partir de renseignements fournis par la République fédérale d’Allemagne (RFA) sur demande. Quant au contrôle de niveau des stocks, il impliquait à la fois le contrôle sur pièce (documentations fournies et renseignements collectés) et le contrôle sur place (vérification de la validité des données obtenues par les réponses au questionnaire de l’ACA). Quand bien même le questionnaire sur le contrôle quantitatif concernait tous les États membres, l’objectif premier était bien la surveillance de la RFA qui fut progressivement allégée avant d’être supprimée par décision du Conseil permanent le 27 juin 1984. Ceci résulte de la réalité géostratégique en Europe, de la pleine participation allemande aux institutions démocratiques et des règles de contrôle elles-mêmes lorsque cela concernait les forces affectées à l’OTAN.


La seconde grande activité historique de l’UEO fut de s’engager dans le règlement du problème de la Sarre. Le malaise créé par le statut particulier de ce territoire que la France a reçu dans le cadre des réparations de guerre (1919), revenu à l’Allemagne (1935) puis inclus dans la zone d’occupation française (après la Seconde Guerre mondiale) aboutira, dans le cadre des accords de Paris (1954), à donner à la Sarre un statut européen sous l’autorité de l’UEO. Le 23 octobre 1955, un référendum fut organisé par l’UEO pour fixer le sort définitif du territoire mais il aboutit au refus majoritaire des Sarrois à conserver ce statut. Après des élections organisées sous les auspices de l’UEO, la Sarre retourna à la RFA. L’UEO fut un élément moteur du rapprochement entre la France et la RFA. Elle contribua également au rapprochement du Royaume-Uni avec les États membres continentaux de l’UEO, s’agissant par exemple du maintien de forces britanniques sur le Rhin (BAOR1) ou encore en tant qu’intermédiaire dans les négociations entre Londres et les Communautés européennes jusqu’à l’adhésion du Royaume-Uni à ces dernières.


De la réactivation à l’estompement de l’UEO


Après une période d’endormissement puis sa réactivation avec la déclaration de Rome le 27 octobre 1984, l’UEO se fixa pour objectif de développer une coopération plus étroite entre les États membres, avec l’OTAN et les instances européennes. L’UEO restructura ses organes institutionnels afin qu’ils puissent effectuer des études sur différents aspects de la sécurité (technologies de défense, évaluation de la menace, vérification du contrôle des armements, coopération en matière d’armements, logistique, entraînement), organiser un groupe de travail spécial sur l’initiative de défense stratégique (IDS) et décider la création de l’Institut d’études de sécurité de l’UEO (actif depuis juillet 1990) et du Centre satellitaire de Torrejón (opérationnel en mai 1997).


Parallèlement, entre 1988 et 2001, elle fut engagée dans une série de missions temporaires et de faible ampleur (golfe Persique, Adriatique, Yougoslavie, Danube, Mostar, Albanie, Croatie). Elle définissait dès juin 1992 – en sus de la mission de défense commune (article V) –, les missions dites de Petersberg, à savoir les missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, les missions de maintien de la paix, les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix.


Le rôle opérationnel de l’UEO exprimé à travers la définition des forces relevant de l’UEO (FRUEO) ainsi que les quelques missions de gestion de crise et de prévention des conflits devait être progressivement effacé au profit de l’«otanisation» de l’organisation et de la montée en puissance de l’Union européenne (UE) à partir du traité de Maastricht (1992), et surtout du traité d’Amsterdam (1998) qui reprend à son compte les missions de Petersberg. La position d’interface de l’UEO entre l’OTAN et l’UE se transforma en une position subalterne et de dépendance. Au final, l’UEO devait subir le transfert de son héritage à l’UE et l‘estompement de l’organisation du traité de Bruxelles modifié.


À partir du Conseil de l’UEO de Marseille en novembre 2000, l’incidence de l’inclusion de certaines fonctions de l’UEO dans l’UE fut considérable: fin des réunions du Conseil, Secrétariat (gardien du traité de Bruxelles modifié) «dormant», réduction des moyens de fonctionnement de l’Assemblée parlementaire encore en activité à Paris, transfert de l’Institut d’études de sécurité et du Centre satellitaire de l’UEO à l’UE.


Les héritages de l’UEO au profit de l’UE


L’UE a bénéficié de plusieurs héritages provenant de l’UEO.


L’héritage militaire a trait à la Cellule de planification (1993), au Comité militaire (1998), au Centre de situation (1996), au Centre satellitaire de Torrejón (1993), aux plans génériques(2), à la définition des forces en attente d’emploi (pré-désignation), aux FRUEO(3), aux exercices de l’UEO et aux expériences de missions de gestion de crise de l’UEO. Les opérations de l’UEO dans le golfe Persique et dans les Balkans, certes modestes, permirent à l’UE de se faire la main et surtout d’assimiler une série d’outils et de fonctions au profit de la montée en puissance de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD). Cela comprend également le principe des forces européennes de police que l’UEO a initié auparavant à Mostar (Bosnie Herzégovine, 1994-1996) et en Albanie (élément multinational de conseil et de formation des instructeurs, 1997-2001). C’est dans la gestion des crises que l’UE a le mieux exploité les travaux préparatoires de l’UEO. Il en va de même s’agissant des groupes de forces interarmées multinationales (GFIM) dont les prémices doctrinaux et fonctionnels furent lancées entre l’OTAN et l’UEO. Enfin l’UE s’est alignée sur les standards UEO/OTAN en matière de certification de sécurité.


L’héritage doctrinal repose sur les missions dites de Petersberg que l’UE s’est appropriées lors de la signature du traité d’Amsterdam, mais plus directement encore lors du sommet de Cologne de l’UE (1999). Les réflexions conceptuelles autour des missions de Petersberg seront suffisamment étayées et en harmonie avec les valeurs inscrites dans les traités UE pour être assimilés rapidement par l’UE, au prix du renoncement à inclure la défense commune.


L’héritage stratégique car l’UE a pris en compte les difficultés méthodologiques de l’UEO à rédiger rapidement une sorte de concept stratégique. Tel fut notamment le cas lors la sortie des documents UEO de Lisbonne en mai 1995 et de Madrid en novembre 1995 qui ont donné lieu à de nombreuses divergences et discussions sémantiques(4).


L’héritage diplomatique parce que l’UEO fut un instrument de rapprochement institutionnel et de dialogue paneuropéen avec les pays d’Europe centrale et orientale, la Russie, l’Ukraine, les pays balkaniques, les pays neutres et les pays de la rive sud de la Méditerranée. D’une certaine manière, l’UEO a lancé des ponts et a facilité la coopération, préparant en quelque sorte les élargissements futurs de l’UE et de l’OTAN grâce aux statuts différenciés encore que ceux-ci «faisaient désordre» et complexifiaient les procédures.


L’héritage parlementaire avec l’Assemblée de l’UEO qui est aujourd’hui un des seuls instruments parlementaires conduisant, à travers ses rapports et ses réflexions, à une prise de conscience de l’importance de la sécurité et de la défense commune, de la nécessité de maintenir les ponts transatlantiques et de l’urgence à organiser une structure interparlementaire européenne qui l’associe aux parlementaires nationaux et au Parlement européen.


L’héritage intellectuel avec l’Institut d’études de sécurité de l’UEO à double fonction (expertise-conseil et information au public) qui alimenta la réflexion politique et militaire sur les questions relatives à la diplomatie, la sécurité et la défense.


L’héritage techno-industriel avec les organes du Groupe armement de l’Europe occidentale (GAEO, 1993) et l’Organisation de l'armement de l’Europe occidentale (OAEO, 1996). Cet héritage se situe davantage dans l’existence de réseaux, la prégnance intergouvernementale et la prise en compte des spécificités de la planification et de la programmation militaire nationale, plutôt que dans les résultats concrets qui furent assez mitigés.


L’héritage politique surtout, car c’est lui qui a déterminé souplement le transfert des fonctions de l’UEO (et non pas de l’UEO en tant que tel) au sein de l’UE, à la fois pour des motifs statutaires, diplomatiques et stratégiques.


Ces transferts indiquent que l’UEO était composée d’éléments utiles à l’organisation naissante de la PESD, tout en évitant deux écueils. D’une part celui des duplications s’il avait fallu créer de toutes pièces des structures politico-militaires parallèles en concomitance; d’autre part celui des tensions politiques s’il avait fallu assimiler la totalité de l’UEO au sein de l’UE en y créant un quatrième pilier en matière de défense.


(décembre 2009)



(1) British Army of the Rhine

(2) Plans de planification d’emploi de forces selon des scénarios préétablis couvrant tout le spectre des missions dites de Petersberg. Ces travaux génériques sont mis à jour, actualisés et concrétisés en cas de décision politique d’engagement sur le terrain.

(3) Le Corps européen (ou Eurocorps), l’Eurofor, l’Euromarfor, la force amphibie hispano-italienne, la force amphibie anglo-néerlandaise, la division multinationale anglo-belgo-germano-néerlandaise (Centre), l’état-major du 1 er corps germano-néerlandais, le groupe aérien européen (GAE).

(4) Cf. Conseil des ministres de l’UEO, La sécurité européenne: une conception commune des 27 pays de l’UEO , Madrid, 14 novembre 1995.

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