Origine et évolution

L’origine et l’évolution de l’Union de l’Europe occidentale


L’Union de l’Europe occidentale (UEO) est née du traité de collaboration en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense collective, signé à Bruxelles le 17 mars 1948. Bien que ce traité ne constituât pas formellement une organisation internationale, on se réfère dans la pratique à l’Organisation du traité de Bruxelles, ou encore à l’Union occidentale. Ce traité fut complété et amendé par un protocole signé à Paris le 23 octobre 1954 (traité de Bruxelles modifié) pour faire place à l’UEO. Aux cinq signataires originaires de l’Union occidentale (France, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg) se sont ajoutées l’Italie et la République fédérale d’Allemagne (RFA).


La naissance de l’UEO ne peut pas non plus être dissociée de la création de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). L’objectif premier des Européens fut, en effet, de convaincre les États-Unis de soutenir la défense européenne et surtout de les intégrer dans le traité avec les Canadiens et les Scandinaves. Vu le caractère trop contraignant de la solidarité dans le cadre du traité de Bruxelles, le Congrès américain s’y refusera mais acceptera par contre d’entrer dans le traité de Washington (Alliance atlantique) en 1949 dont l’article 5 était moins exigeant. Les troupes américaines restaient en Europe et soutenaient la défense de l’Europe mais dans le cadre d’une organisation transatlantique dominante.


L’échec de la création d’une armée européenne par le biais de la Communauté européenne de défense (CED: 1952-1954)(1), l’intégration de la RFA dans l’UEO comme tremplin à l’entrée de Bonn dans l’OTAN (en 1955), le règlement du problème de la Sarre, le rôle de l’UEO dans le processus de concertation entre les États fondateurs de la Communauté économique européenne et le Royaume-Uni, autant que l’insuccès du plan Fouchet (1962)(2) ne purent cependant empêcher l’effacement, l’endormissement de la «Belle au bois dormant» comme on symbolisait l’UEO à l’époque.


La relance de l’UEO entre la déclaration de Rome (27 octobre 1984) et la plate-forme de La Haye sur les intérêts européens en matière de sécurité (26 octobre 1987) permit aux Européens de réfléchir par eux-mêmes sur leur propre sécurité, de soutenir l’idée de construction d’une Europe intégrée y compris dans la dimension sécurité et défense, et de renforcer parallèlement le pilier européen de l’Alliance. Ce fut aussi l’époque de l’intégration de l’Espagne (1990), du Portugal (1990) et de la Grèce (1995) dans l’UEO.


Parallèlement, l’organisation du traité de Bruxelles modifié fut engagée modestement dans quelques actions concertées: opérations de déminage et d’embargo dans le golfe Persique (1988-1990), opération Sharp Guard UEO-OTAN dans l’Adriatique (1993-1996), opération d’embargo sur le Danube (1993-1996), détachement de police à Mostar, en Bosnie-Herzégovine (1994-1996), mission de police en Albanie (1997-2001), mission d’assistance au déminage en Croatie (1999-2001) et enfin mission de surveillance générale de la sécurité au Kosovo (1998-2000).


Globalement, l’UEO a ainsi vécu successivement trois périodes:


– un processus de dessaisissement de l’Union occidentale puis d’une UEO «se reposant» à l’ombre de l’Alliance atlantique (1948-1960);


– un processus de dominance subtil de l’OTAN et de l’Union européenne (UE) par la prégnance culturelle atlantique et retournement hiérarchique au profit de l’UE (fin des années 1980 et années 1990);


– un processus de déstructuration majeur de l’UEO par les instances de l’UE et l’appui des capitales européennes au profit de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) puis de la Politique de sécurité et de défense commune (1999-2011).


Certes, l’UEO fut deux fois réactivée, mais sans qu’elle ne puisse réellement s’affirmer, et sans pouvoir concrétiser l’idée d’une défense européenne sans les Américains. Il y eut la revitalisation de 1984 sur initiative belge et française et celle de 1992 (traité de Maastricht). La dernière vit le développement de capacités opérationnelles (mise en évidence des forces relevant de l’UEO, les «FRUEO»), le regroupement dès 1998 de la Cellule de planification et du Centre de situation pour créer un État-major de l’UEO et la consolidation des liens et des procédures entre l’UEO et l’OTAN.


L’UEO évolua dans les années 1990 vers un processus subtil «d’otanisation» de ses outils, de ses organes et de sa culture.


Ainsi, l’organisation européenne fut successivement ignorée, mise en léthargie, snobée lors des quelque missions pourtant à sa portée au profit de coalitions de volontaires (opération Alba, 1997). Elle fut également freinée dans son fonctionnement par la création des statuts à la carte de ses membres (encore que ceux-ci favorisassent les relations entre États membres de l’OTAN et de l’UE, ainsi que ceux de l’Europe élargie membres ou candidats d’une des deux organisations). Elle fut finalement vidée en grande partie de sa substance en l’an 2000. L’UE prenait le relais avec les aspects défense du traité de Nice.


L’UEO fut donc une organisation intergouvernementale sous dominance de l’OTAN, mais aussi longtemps concurrente à l’UE. Le constat final fut celui de l’impossibilité de faire de cette structure politico-militaire strictement européenne un substitut à une intégration politique longtemps défaillante.


Reste que l’UEO fut le laboratoire de la coopération européenne en matière de défense; l’organe de rapprochement avec les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) via la création du forum de consultation de l’UEO (Petersberg, 19 juin 1992) puis du nouveau partenariat (Kirchberg, 9 mai 1994); la donatrice d’un ensemble de politiques, de procédures et d’expériences politico-militaires et organiques au profit de l’UE à la fin des années 1990. Elle fut aussi à l’origine de la définition des tâches dites de Petersberg (Bonn, 1992), de la création des FRUEO, et de celle du Centre satellitaire de Torrejón et de l’Institut d’études de sécurité. Elle a également façonné l’héritage culturel et relationnel entre l’UEO et l’OTAN institutionnalisé pour l’essentiel durant la dernière décennie du XXe siècle au profit des Quinze, des Vingt-cinq puis des Vingt-sept de l’UE. Elle fut enfin la gardienne de l’article V du traité exprimant la solidarité commune juridiquement contraignante des seuls dix États membres à part entière face à une agression extérieure.


Malgré la création d'un comité militaire intra-européen au sein de l'UEO à compter de mai 1998, l'édification de plans génériques (préparant d'éventuelles opérations) et la mise à disposition de forces nationales sur appel à cette organisation (via les FRUEO), elle n'aurait pu fonctionner, dans bon nombre de scénarios, qu'en disposant de moyens de l'OTAN. En témoigne le droit de regard indirect de l’Alliance ou, plus subtilement, le contournement de l'UEO par la création de coalitions ad hoc sans pavillon européen comme le symbolisera le refus allemand et britannique d'engager l'organisation européenne lors de l'opération Alba (1997). En outre, certains blocages étaient provoqués par les réticences de certaines capitales à une intervention lors de la crise des Grands Lacs (Afrique).


Sous dépendance tactico-opérationnelle et militaire de l’OTAN, l’UEO fut aussi «contournée et débordée» par la structure communautaire et intergouvernementale de l’Union européenne. Aussi, après que l'Europe se fut dotée d'une coopération politique en 1970, puis d'une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) en 1992, la question existentielle de l'UEO, creuset d'une européanisation sous contrôle de la défense européenne, s'était posée. À la fin des années 1990, l'UEO s'était vu refuser tout objectif pouvant faire de l'ombre à l'UE. Elle devint le moyen d'«intergouvernementaliser» la PESC avant de passer le relais – contrainte et forcée – à une UE qui allait définir en son sein une PESD, y inclus des relations privilégiées et directes avec l'Alliance atlantique. L'estompement de la «garantie subsidiaire» en cas de tendances isolationnistes nord-américaines était sous-jacent, sauf à imaginer une hypothétique montée aux extrêmes pouvant faire jouer l’article V du traité.


En tant que «laboratoire pour la coopération européenne en matière de défense» et qu’approche inclusive d'acteurs extérieurs composant l'Europe élargie(3), l'UEO a néanmoins transmis à l’horizon du troisième millénaire un ensemble de politiques, de procédures et d'expériences politico-militaires et organiques au profit de l'UE. En même temps, les relations de l'UEO avec l'OTAN jetèrent les bases des progrès dans le développement mesuré et prudent, ambigu et complexe, incontournable et nécessaire, des nouvelles relations entre l’UE et l’OTAN. À titre d’exemple:


– la mise en œuvre des décisions de Berlin en juin 1996 sur le soutien de 1'OTAN à des opérations dirigées par l'UEO;


– l'instauration d'une coopération étroite concernant la planification de défense dont les plans génériques;


– les exercices conjoints destinés à mettre à l'épreuve les arrangements pour la consultation et la coopération entre les deux organisations.


L’histoire de l’UEO est un cas unique de structure organisationnelle qui a été porteuse d’ambitions, mais à chaque fois freinées, affaiblies et dégradées par certaines capitales, soit par atlantisme, par nationalisme ou encore par rivalités organisationnelles intra-européennes. Subissant «mutilations» organiques et appauvrissements de compétences, l’UEO est l’exemple parfait de l’organisation dénaturée et aliénée, décrédibilisée et «snobée» malgré ses multiples tentatives de métamorphoses pour asseoir une capacité tant souhaitée au service de la sécurité européenne.


Derrière ces affaiblissements successifs opéraient les politiques nationales de certaines capitales se refusant à donner trop de poids à une organisation spécifiquement européenne de sécurité et de défense et à utiliser ces quelques moyens et expertises. Dans cette dialectique, la rivalité à propos du degré de marge de manœuvre de l’UEO devait s’établir entre le Royaume-Uni et la France, avec leurs groupes de pays «satellites» de soutien et parfois les diplomaties du double langage.


Bras alluvionnaire du courant d’unification européenne (1948), bras armé intergouvernemental des intérêts européens de sécurité (1980), pilier européen de sécurité au profit de l’OTAN et de l’UE (1992), outil d’«enculturation» otanienne (1995), organe résiduel en voie «d’amaigrissement» forcé (2000), l’Union occidentale puis surtout l’UEO furent ainsi les enjeux de rivalités entre européistes et atlantistes, entre l’OTAN et l’UE, avant d’être fortement affaiblie au profit de cette dernière.


Finalement, en 2000, l’UEO a vu ses États membres ordonner l’inclusion de certaines fonctions de l’organisation du traité de Bruxelles modifié à l’UE après «remodelage administratif et statutaire» (Conseil de Marseille). Le résiduel de l’UEO est à la fois parlementaire (l’Assemblée) et juridique (le traité) alors que le Groupe armement de l'Europe occidentale (GAEO) et l’Organisation de l'armement de l'Europe occidentale (OAEO) ont été démantelés au profit de l’Agence européenne de défense.


L’UEO a conservé encore durant les années 2000 certains attributs fonctionnels et juridiques qui l’ont protégée temporairement d’une disparition complète mais les décisions qui «comptent» étaient déjà prises ailleurs dans le cadre de l’UE et de l’OTAN.


Le processus d’affaiblissement implique l’absence de réunion du Conseil des ministres de l’UEO, le faible investissement de son dernier secrétaire général et la «guérilla» de certaines capitales visant à réduire le budget de fonctionnement de l’Assemblée parlementaire de l’UEO. Celle-ci a changé plusieurs fois d’appellation(4) afin de se rendre davantage visible en insistant sur les liens entre elle-même, les parlementaires nationaux et la thématique de la défense européenne tandis que la légitimité institutionnelle des débats parlementaires sur la PESD repose juridiquement sur l’UE (à travers la sous-commission sécurité-défense du Parlement européen).


L’avenir de l’UEO était donc incertain et très fragile. Il suffisait que les dix États membres à part entière de l’organisation considèrent que l’article V, l’article IV et l’alinéa 3 de l’article VIII du traité de Bruxelles modifié fussent obsolètes pour que l’UEO cesse d’exister. Tel fut le cas au lendemain du traité de Lisbonne, encore que la clause de défense mutuelle ne fût pas formulée de façon aussi contraignante. Le traité de Lisbonne précisait dans son article 42 que la défense collective des pays membres de l’UE membres de l’OTAN (à savoir les Dix de l’ex-UEO) était réalisée dans le cadre de l’organisation atlantique (§2), sachant qu’«au cas où un Etat membre serait l'objet d'une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l'article 51 de la charte des Nations unies. Cela n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l'instance de sa mise en œuvre».



(janvier 2014)



(1) L’échec fut attribué à la peur de voir se réaliser une intégration politique, économique et militaire de manière simultanée avec l’adjonction de quelques éléments supranationaux.

(2) La première version du plan fut considérée comme trop atlantiste (avec son lien avec l’OTAN) et la seconde version perçue comme trop gaullienne et intergouvernementale.

(3) Intervention de Javier Solana lors de la seconde partie de la 46e session de l'Assemblée de l'UEO, Paris, le 5 décembre 2000.

(4) À savoir: Assemblée européenne intérimaire de la sécurité et de la défense (2000); Assemblée interparlementaire européenne de la sécurité et de la défense (2003); Assemblée européenne de sécurité et de défense (2008) avec, au dos des rapports brochés, un encadré contenant les mots «Les parlementaires nationaux au service de la sécurité européenne». Ces différentes appellations ne sont pas reconnues par le Conseil.

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