Eurocorps (1992-2012)


Les prémices d’une coopération européenne dans le domaine de la défense


L’Eurocorps prend sa source dans l’histoire de la réconciliation franco-allemande de l’après-guerre. En effet, le 22 janvier 1963, le président français, le général de Gaulle, et le chancelier allemand Konrad Adenauer signent le traité de l’Élysée. Dans ce texte visant à renforcer officiellement leurs relations, les deux pays s’engagent à collaborer dans de nombreux domaines, dont celui de la défense: échange de personnel entre leurs armées respectives, coopération dans le domaine de l’industrie de défense. Après l’échec de la Communauté européenne de Défense (CED), rejetée par la France en 1954, il s’agit là d’une première pierre fondamentale posée dans l’édification d’un projet dépassant le cadre purement national et hors de l’Alliance Atlantique.


En 1987, le président français François Mitterrand et le chancelier allemand Helmut Kohl décident d’intensifier la coopération militaire entre la France et l’Allemagne. Les 12 et 13 novembre 1987, au sommet de Karlsruhe, est prise la décision de créer la brigade franco-allemande (BFA). Dans le même esprit de renforcement des liens et pour fêter le 25e anniversaire du traité de l’Élysée, le Conseil franco-allemand de Sécurité et de Défense est créé le 22 janvier 1988. La BFA voit officiellement le jour le 12 janvier 1989 et est déclarée opérationnelle en 1991.



La création de l’Eurocorps, une initiative franco-allemande


À l’aube des années quatre-vingt-dix, le contexte géopolitique connaît des bouleversements majeurs: la fin de la guerre froide implique la programmation du désengagement des forces françaises stationnées en Allemagne, tandis que la Yougoslavie connaît ses premières crises graves et ses premiers affrontements armés.


Le 14 octobre 1991, les deux chefs d’État et de gouvernement adressent une lettre commune au président du Conseil européen: ils souhaitent clairement et concrètement inscrire la politique étrangère et de sécurité commune dans le projet du traité de Maastricht. Ils informent également leur destinataire de leur intention de renforcer encore davantage leur coopération militaire: la création d’un corps d’armée franco-allemand à vocation européenne est évoquée. Bien que résultant d’une initiative bilatérale, cette structure serait directement ouverte aux autres pays de l’Union de l’Europe Occidentale (UEO).


Le 22 mai 1992, à La Rochelle, à l’occasion du 59e sommet franco-allemand, François Mitterrand et Helmut Kohl annoncent la décision officielle de créer l’Eurocorps, formalisée dans le «rapport de La Rochelle». Dès le 1er juillet 1992, un état-major provisoire s’installe à Strasbourg.



Un succès immédiat: accords UEO et OTAN, nouvelles nations-cadres


La déclaration de Petersberg du 19 juin 1992 définit le rôle de l’UEO en tant que composante de défense de l’Union européenne (UE). Les missions dites de Petersberg comprennent les missions humanitaires et d’évacuation; les missions de maintien de la paix; les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les opérations de rétablissement de la paix. Le 30 novembre 1992, un mémorandum franco-allemand propose de mettre l’Eurocorps au service de l’UEO. La décision est prise officiellement le 19 mai 1993, lors du Conseil des ministres de l’UEO, à Rome.


Entretemps, le 21 janvier 1993, la France et l’Allemagne signent un accord avec le Supreme Allied Command in Europe (SACEUR), définissant les conditions d’emploi de l’Eurocorps dans le cadre de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Ce texte précise les missions de l’Eurocorps, les compétences pour la planification d’engagements, les conditions d’affectation du corps à un commandement suprême de l’OTAN, les responsabilités du commandant de l’Eurocorps et ses relations avec le commandant en chef des forces de l’OTAN en temps de paix.

L’initiative franco-allemande intéresse rapidement d’autres nations européennes. Le 25 juin 1993, la Belgique devient membre à part entière de l’organisation.


Le 1er octobre 1993, l’Eurocorps s’installe officiellement à Strasbourg, sous le commandement du général de corps d’armée allemand Helmut Willmann. La cérémonie officielle de création de l’Eurocorps se déroule à Strasbourg le 5 novembre 1993, en présence des ministres allemand, belge et français de la Défense.


Le 1er juillet 1994, l’Espagne rejoint à son tour l’Eurocorps. Le 14 juillet de cette même année, les soldats allemands, belges, français et espagnols défilent à Paris, sur les Champs-Élysées, à l’occasion de la fête nationale française. Le symbole est particulièrement fort et marque publiquement la réussite de l’organisation, deux ans après sa création.


Le Luxembourg devient la cinquième nation cadre le 7 mai 1996, confirmant l’intérêt que suscite cette structure à vocation européenne.



Un état-major opérationnel: premières missions et premières réussites


Déclaré pleinement opérationnel en 1995, l’Eurocorps maintient son haut niveau de préparation en participant à de nombreux exercices. Il est engagé pour la première fois en 1998, en Bosnie-Herzégovine, sous le commandement de l’OTAN. Au total, près de 470 militaires de l’Eurocorps prennent part, en plusieurs rotations, à l’état-major de la Stabilisation Force (SFOR), représentant environ 37 % des effectifs de ce quartier général.


Au même moment, d’importantes décisions sont prises au sein de l’Union européenne pour mettre en place une véritable politique européenne de sécurité et de défense. Le 29 mai 1999, au sommet franco-allemand de Toulouse, l’Allemagne et la France proposent de mettre officiellement l’Eurocorps à disposition de l’UE, suggestion transmise au Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999.


Cette dernière décide de renforcer ses capacités d’intervention et de mettre en place des forces de réaction en cas de crise. La décision est confirmée et développée au cours du sommet d’Helsinki en décembre 1999. Elle est précédée, le 22 novembre 1999, de la signature du «rapport de Luxembourg» par les cinq nations-cadres de l’Eurocorps. Le texte précise les mesures à mettre en œuvre pour sa transformation en corps de réaction rapide.


En 2000, au Kosovo, l’Eurocorps prend pour la première fois le commandement d’une opération, sur décision du Conseil de l’OTAN du 28 janvier 2000. De mars à octobre 2000, près de 350 soldats de l’Eurocorps forment le cœur de l’état-major de la Kosovo Force (KFOR) à Priština et à Skopje. Le général de corps d’armée espagnol Juan Ortuño-Such prend la tête de l’opération.



Transformation et certifications OTAN, l’Eurocorps s’affirme


En parallèle, poursuivant le travail initié en 1999, l’Eurocorps fait évoluer ses structures et ses procédures. Après un entraînement exigeant, l’état-major est certifié force à haute disponibilité de l’OTAN (High Readiness Force, HRF), en 2002. Dans ce contexte, conformément aux critères otaniens, l’Eurocorps ouvre des postes aux pays de l’Alliance, qui peuvent ainsi acquérir le statut de nation associée.


Au début de l’année 2004, le Conseil de l’Atlantique Nord sollicite l’Eurocorps pour prendre le commandement de la mission de l’OTAN en Afghanistan. D’août 2004 à février 2005, environ 450 militaires de l’Eurocorps constituent l’essentiel du quartier général de l’International Security Assistance Force (ISAF) à Kaboul, dans le contexte délicat des premières élections en Afghanistan. Le général de corps d’armée français Jean-Louis Py est désigné comme chef de l’opération.


En 2006, l’Eurocorps est certifié force de réaction de l’OTAN (NATO Response Force, NRF). Le test de capacité opérationnelle se déroule dans le cadre d’un exercice de très grande ampleur, «Steadfast Jaguar», sur les îles du Cap-Vert, dans l’océan Atlantique. L’Eurocorps est alors le premier quartier général à obtenir la pleine capacité opérationnelle.


Du 1er juillet 2006 au 10 janvier 2007, suite à une décision du Conseil de l’Atlantique Nord, l’Eurocorps fournit la composante terrestre de la force de réaction OTAN 7 (NRF 7).


Le 5 mai 2008, le général de corps d’armée espagnol Pedro Pitarch, commandant de l’Eurocorps, est invité à s’adresser aux parlementaires européens, à Bruxelles. Il souligne l’importance du concept de coopération renforcée du traité de Lisbonne, pour l’Europe de la défense. Dans les mois qui suivent, le Parlement européen approuve deux résolutions qui proposent: de placer l’Eurocorps sous le commandement permanent de l’UE (5 juin 2008); de renforcer les capacités de l’Eurocorps, afin qu’il puisse constituer le noyau d’une force de 60 000 hommes au service de l’Union européenne (19 février 2009).



Le traité de Strasbourg, affirmation de la spécificité de l’Eurocorps


Le 26 février 2009 marque une évolution majeure dans l’existence de l’Eurocorps. En effet, les cinq nations-cadres ont signé un accord fondamental, appelé «traité de Strasbourg», qui définit le statut du corps et entre alors en vigueur. L’Eurocorps obtient la pleine capacité juridique et acquiert une grande autonomie dans la gestion financière et matérielle. Le général commandant se voit attribuer des responsabilités accrues. C’est la seule institution militaire de ce niveau ayant fait l’objet d’un traité international.


Du 1er juillet 2010 au 10 janvier 2011, l’Eurocorps fournit à nouveau la composante terrestre de la force de réaction de l’OTAN, NRF 15, à l’issue d’un nouveau cycle de préparation particulièrement dense.


Immédiatement après commence une nouvelle phase d’entraînement intense, préalable à un nouveau déploiement opérationnel en Afghanistan. De janvier 2012 à janvier 2013, 50 % du personnel de l’état-major est affecté dans les structures de commandement de la coalition à Kaboul. Le général de corps d’armée français Olivier de Bavinchove, commandant de l’Eurocorps, exerce notamment les fonctions de chef d’état-major de l’ISAF.



La préparation de l’avenir


Fort de son expérience opérationnelle, pleinement multinational, s’adaptant à toutes les évolutions politiques et géostratégiques, l’Eurocorps est considéré comme l’un des meilleurs quartiers généraux de son niveau.


La réussite des 5 nations-cadres (Allemagne, Belgique, Espagne, France et Luxembourg) fait de lui un modèle de coopération européenne en matière de défense. Avec ses 4 nations associées (Grèce, Italie, Pologne et Turquie), il constitue un socle solide sur lequel pourraient s’appuyer tous les développements futurs. Il est d’ailleurs appelé à se renforcer, la Pologne devenant nation-cadre en 2016 et les États-Unis d’Amérique, ainsi que la Roumanie, le rejoignant en tant que nations associées dans un futur proche.

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