La réunification de l'Allemagne divisée

La réunification de l'Allemagne divisée  


L’effondrement du bloc communiste permit non seulement l’émancipation des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), mais aussi la réunification de l’Allemagne divisée depuis près d’un demi-siècle.


L’Allemagne nazie vaincue avait dû capituler sans conditions les 7-8 mai 1945. Les Alliés avaient pris en charge collectivement la souveraineté interne et externe de l’Allemagne et réparti son territoire entre quatre zones d’occupation pour les Soviétiques à l’Est et les Américains, Britanniques et Français à l’Ouest. Berlin était également divisée en quatre zones. En attendant le traité de paix, les Alliés ont décidé de mener la politique des «4 D» visant à la démilitarisation de l’Allemagne, à sa dénazification, à sa décentralisation et à sa démocratisation. Un conseil de contrôle interallié était chargé de gouverner l’ensemble de l’Allemagne, mais il ne pouvait décider qu’à l’unanimité et chaque puissance occupante était autonome dans sa zone. Il n’avait pas été décidé de démembrer l’Allemagne en plusieurs États, mais les divergences de vues entre Soviétiques et Alliés occidentaux à propos de l’Allemagne s’accentuaient avec les débuts de la guerre froide. Le blocus imposé du 24 juin 1948 au 12 mai 1949 par l'Union soviétique autour des secteurs occidentaux de Berlin à la suite de l’extension de la réforme monétaire et l’introduction du mark allemand (DM) dans les secteurs occidentaux de la ville, oblige les Alliés à ravitailler leurs secteurs à l’aide d’un pont aérien. Les rivalités Est-Ouest allaient aboutir en 1949 à une division de fait entre deux États: la République fédérale d’Allemagne (RFA) à l’Ouest, la République démocratique allemande (RDA) à l’Est. Chacun de ces deux États allemands n’avait retrouvé qu’une souveraineté limitée par l’intégration à un bloc: à l’Ouest l’Alliance atlantique et les organisations européennes, à l’Est le Pacte de Varsovie et le COMECON. Les deux États allemands avaient développé des régimes politiques opposés, la démocratie libérale à l’Ouest, le collectivisme communiste à l’Est. Le traité de paix n’avait pu être conclu, mais les anciens alliés de la Seconde Guerre mondiale conservaient, en tant que vainqueurs, leurs droits exclusifs de décision sur les frontières de l’Allemagne, son unité et le sort de Berlin.


Le problème de la réunification avait été soulevé au moment de la formation de ces deux États. Pour éviter le réarmement de l’Allemagne de l’Ouest, l’Union soviétique avait proposé, à plusieurs reprises, la réunification de l’Allemagne et sa neutralisation, ce que les Occidentaux subordonnaient à la tenue d’élections libres, inacceptables pour Moscou. À l’Ouest, le chancelier allemand Konrad Adenauer estimait que la réunification devrait se faire par l’absorption de l’Allemagne de l’Est par la RFA, pays libre et prospère, appuyée par les Occidentaux qui pourraient faire pression sur l’URSS. À l’Est, à l’inverse, c’est la RDA qui, avec l’appui de l’URSS, pourrait réunifier l’Allemagne selon le modèle socialiste. Les perspectives de réunification s’étaient encore éloignées avec la construction du mur de Berlin, les 12-13 août 1961, pour empêcher les Allemands de la RDA de fuir vers la RFA. Alors qu’Adenauer et de Gaulle, président de la République française, auraient voulu une réaction vigoureuse à cette violation du statut de Berlin, Kennedy, président des États-Unis et Macmillan, Premier ministre du Royaume-Uni, estimaient que l’«équilibre de la terreur» établi par les armes nucléaires à l’Est comme à l’Ouest, ne permettait pas de politique de force et il ne fallait pas compromettre la détente avec l’URSS en s’opposant à la consolidation de la RDA. C’est donc le statu quo en Allemagne qu’il fallait accepter. De son côté, de Gaulle allait chercher à se rapprocher de l’URSS en se distanciant des États-Unis.


Dans ces conditions, le gouvernement de Bonn devait lui aussi normaliser ses relations avec l’Est, ne plus rechercher la réunification au profit de la RFA, mais accepter la division de l’Allemagne et établir des relations normales avec la RDA. D’où l’Ostpolitik (politique vers l’Est) développée par le social-démocrate Willy Brandt, ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier à partir de 1966, puis chancelier de 1969 à 1974. L’Ostpolitik, mettant fin à la doctrine Hallstein qui prônait la rupture des relations diplomatiques de la RFA avec tout État reconnaissant la RDA, vise d’abord à apaiser les relations de la RFA avec l’Europe de l’Est et l’URSS avant de se rapprocher du bloc communiste. Alors que l’Ostpolitik est largement controversée en Allemagne de l’Ouest, et surtout dans le camp des chrétiens-démocrates, le gouvernement Brandt signe avec les Soviétiques le traité de Moscou (12 août 1970) affirmant la renonciation à la force et l’inviolabilité des frontières, puis avec les Polonais le traité de Varsovie (7 décembre 1970) reconnaissant de facto la frontière Oder Neisse, imposée par Staline au profit de la Pologne, au détriment des populations allemandes de Silésie, Poméranie et Prusse orientale expulsées. La réconciliation entre la RFA et la RDA est facilitée par l’accord des quatre grandes puissances sur Berlin (3 septembre 1971) confirmant leur autorité sur la ville et assouplissant les relations entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, malgré la persistance du mur, puis conclue par le traité fondamental (21 décembre 1972) de reconnaissance mutuelle des deux États allemands. La division de l’Allemagne est entérinée par l’admission simultanée, à l’Organisation des Nations unies (ONU), le 18 septembre 1973, de la RFA et de la RDA. La non-modification des frontières par la force est affirmée, le 1er août 1975, par l’acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) à Helsinki. La division de l’Allemagne paraît désormais définitive.


À la faveur de la détente internationale, un réveil de l’idée nationale se produit simultanément dans les années quatre-vingts en RFA et en RDA. L’intensification des rapports commerciaux et culturels entre les deux Allemagne a contribué à renforcer le sentiment d’appartenance à une seule nation. En RFA, certains intellectuels évoquent une Allemagne réunifiée au centre de l’Europe qui pourrait jouer un rôle de pont entre l’Est et l’Ouest. Le 15 mars 1984, le chancelier Helmut Kohl reconnaît l’aspiration à l’unité et la nécessité de trouver une solution. Mais il précise plus tard que l’Allemagne doit rester dans le camp atlantique, garant de la démocratie. Il condamne un neutralisme anti-occidental. Pour la RDA, la réunification se fera lorsque le socialisme aura triomphé en Allemagne de l’Ouest.


Les puissances occidentales avaient affirmé, en mai 1980, que leur objectif était celui d’une Allemagne réunifiée avec des institutions démocratiques et intégrée dans la Communauté européenne. Mais le débat allemand sur la réunification provoque des inquiétudes. Les voisins européens craignent le poids d’un État allemand unifié et la renaissance d’un pangermanisme. Ils préfèrent le développement de bonnes relations entre deux États allemands, au plus sous forme de confédération. Les craintes sont vives en France que la politique d’ouverture du leader soviétique Mikhaïl Gorbatchev ne conduise les Allemands à accepter la neutralisation pour prix de la réunification.


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