Le renouveau de l'Union de l'Europe occidentale

Le renouveau de l’Union de l’Europe occidentale


L’Union de l’Europe occidentale (UEO), créée par les Accords de Paris du 23 octobre 1954, en même temps que l’admission de l’Allemagne dans l’Alliance, était le seul organe militaire européen regroupant la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, les pays du Benelux et la République fédérale d’Allemagne. Mais elle ne disposait pas de structures militaires pour ne pas faire double emploi avec celles de l’OTAN, seul dispositif militaire effectif.


Toutefois, la fin de la Guerre froide entre les deux blocs donnait à l’Europe davantage de possibilité d’action sur le plan international. Dans son rapport sur l’Union européenne (29 décembre 1975), Leo Tindemans, Premier ministre de Belgique, suggérait des échanges de vues en matière de défense. A l’initiative du gouvernement français, des mesures ont été prises pour « réactiver » l’UEO, en sommeil depuis trente ans. A la suite de l’Acte unique (17-28 février 1986) qui étendait le champ de la coopération politique étrangère aux aspects politiques et économiques de la sécurité, le Conseil de l’UEO avait adopté à La Haye (27 octobre 1987) une « plate-forme sur les intérêts européens en matière de sécurité ». Les Sept se déclaraient « résolus à renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique ». Il n’était donc pas question d’une défense européenne séparée de l’OTAN mais davantage personnalisée en son sein. Mais jusqu’à quel point ? Des divergences séparaient Français et Allemands, décidés à renforcer l’UEO et à lui donner des moyens militaires, des Britanniques et Néerlandais craignant que les États-Unis ne tirent argument d’un renforcement de l’Europe pour amplifier le retrait de leurs troupes et, en fin de compte, affaiblir la défense commune.


L’UEO restait sans état-major ni troupes, mais s’attachait à jouer un rôle propre dans les crises internationales, essentiellement par la coordination de certaines actions nationales : déminage du Golfe arabo-persique lors de la guerre Iran-Irak (1987-1988), contrôle de l’embargo maritime contre l’Irak lors de la guerre du Golfe (1990-1991), contrôle de l’embargo contre la Serbie (1992-1993).


L’instauration, par le traité de Maastricht, de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), donne une importance nouvelle à l’UEO, et pose le problème de ses rapports avec l’Union européenne. Pour les Français et les Allemands, l’UEO doit être l’instrument de l’Union politique, son « bras armé », et donc faire partie de celle-ci. Pour les Britanniques, soutenus par les Italiens, l’UEO doit être au service de l’Union, mais aussi renforcer le pilier européen de l’Alliance atlantique. Aussi est-il décidé, au moins pour une période transitoire, de laisser à l’UEO son autonomie. La déclaration n° 30 annexée au traité de Maastricht prévoit des dispositions opérationnelles pour organiser d’une part les relations de l’UEO avec l’Union européenne et d’autre part celles entre l’UEO et l’Alliance atlantique.


Enfin un rôle opérationnel est conféré à l’UEO par la Déclaration de Petersberg (près de Bonn) du 19 juin 1992 ; les ministres de l’UEO déclarent qu’ils sont « prêts à mettre à la disposition de celles-ci des unités militaires conventionnelles en vue de missions qui seraient menées sous l’autorité de l’UEO ». Ces missions peuvent être, outre l’assistance militaire pour la défense commune dans le cadre de l’OTAN ou de l’UEO, des missions humanitaires, des missions de maintien de la paix et des missions de forces de combat pour la gestion des crises. Les États membres de l’UEO pourront mettre à la disposition de celle-ci, des forces ayant des missions OTAN après consultation de l’organisation atlantique.


Pour jouer ce nouveau rôle, l’UEO s’est élargie pour regrouper tous les membres de l’Union européenne avec des statuts différents selon leur appartenance ou non à l’OTAN et aux membres européens de l’OTAN n’appartenant pas à l’Union. Aux sept États fondateurs de l’UEO sont venus s’ajouter l’Espagne et le Portugal en 1990, la Grèce en 1995. Sont membres associés les États extérieurs à l’Union : Islande, Norvège, Turquie, qui sont membres de l’OTAN. Sont simples observateurs les États neutres de l’Union : Autriche, Irlande, Finlande, Suède, ainsi que le Danemark cependant membre de l’OTAN.


Les structures de l’UEO ont été renforcées. Le siège du Conseil et du Secrétariat a été transféré de Paris à Bruxelles afin d’assurer une meilleure liaison avec l’OTAN et avec l’Union européenne. Une cellule de planification fonctionne depuis avril 1993. Elle est chargée de l’inventaire des forces susceptibles d’être affectées à l’UEO, de préparer des plans d’emploi. Elle dispose d’un centre satellitaire établi à Torrejón, près de Madrid, chargé de fournir les informations spatiales sur les armements et les crises. Des réunions deux fois l’an des chefs d’état-major des États membres permettent à ceux-ci de formuler des avis sur les plans militaires soumis au Conseil. Sont restés à Paris l’Institut d’études de sécurité créé en 1990 et l’Assemblée de l’UEO, formée de parlementaires des pays membres, organe de délibération et de dialogue avec le Conseil (discussion du rapport annuel, questions écrites, vote de recommandation).


La capacité opérationnelle de l’UEO reste toutefois limitée. Elle ne possède pas de structure militaire permanente en temps de paix. En temps de crise entraînant l’emploi de forces relevant de l’UEO, serait utilisé soit un état-major de l’OTAN, mis à la disposition de l’UEO, soit un état-major propre à celle-ci. Quant aux moyens militaires, les États membres se sont engagés à mettre des forces conventionnelles à la disposition de l’UEO. Ils ont constitué des forces multinationales : le Corps européen ou Eurocorps, la division multinationale Centre (Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique, Pays-Bas), la Force amphibie anglo-néerlandaise, l’Euroforce opérationnelle rapide EUROFOR (France, Italie, Espagne, Portugal), la Force maritime européenne EUROMARFOR (avec les mêmes participants), la Force amphibie italo-espagnole. Il s’agit là de groupements très hétérogènes.


Aussi la capacité d’action de l’UEO repose surtout sur la possibilité d’utiliser les moyens de l’Alliance atlantique. Le principe en est reconnu par le Conseil atlantique des 10-11 janvier 1994 qui recouvrait le renforcement du pan européen de l’Alliance par le biais d’un « pilier européen ». Mais c’est en juin 1996 que le Conseil décide que des « Groupes des forces interarmées multinationales » pourront être constitués dans le cadre de l’OTAN pour servir à des opérations placées sous le contrôle politique et la direction stratégique de l’UEO. L’autonomie des Européens sera toutefois limitée, les moyens propres à l’OTAN se bornant à des infrastructures pour l’aviation et les télécommunications. Ce sont les Américains qui possèdent les moyens d’intervenir à longue distance (transports aériens lourds, renseignements par satellites). Les Européens en sont dépendants tant qu’ils ne possèdent pas des moyens comparables pour acquérir une capacité de mobilité stratégique.


Surtout l’Union européenne est divisée en ce qui concerne l’élaboration d’une politique de défense commune, donc de l’utilisation de l’UEO. Pour la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, c’est un objectif à atteindre alors que la Grande-Bretagne, le Danemark et les « neutres » entrés au 1er janvier 1995 (Autriche, Suède, Finlande) n’y voient qu’une éventualité. Aussi les interventions de l’UEO restent très limitées. La Grande-Bretagne s’est opposée en 1991 à l’envoi proposé par la France d’une force d’interposition en Yougoslavie sous l’égide de l’ONU. En 1997, c’est le refus britannique et allemand d’utiliser l’UEO lors de la crise albanaise qui a conduit plusieurs États européens à l’initiative de la France, de la Grèce et de l’Italie à envoyer une mission humanitaire sous commandement italien (opération Alba). Ainsi l’UEO n’a pas pu être utilisée pour conduire des opérations militaires de maintien ou de rétablissement de la paix, dites « de Petersberg ». Elle est cantonnée à des opérations de police : contrôle de l’embargo et déminage dans le Golfe arabo-persique lors de l’intervention alliée contre l’Irak pour libérer le Koweït en 1990-1991, surveillance sur l’Adriatique et le Danube de l’embargo à l’encontre de l’ex-Yougoslavie de 1992 à 1996, en coopération avec l’OTAN et l’ONU, assistance policière à l’administration de la ville de Mostar par l’Union européenne en 1994-1996.


Dans le domaine de l’armement, la coopération européenne apparaît comme indispensable pour rationaliser les fabrications, abaisser leur coût et permettre l’interopérabilité des équipements entre forces nationales diverses. Le Groupe européen indépendant de programme, créé dans le cadre de l’OTAN en 1976 et qui n’avait abouti qu’à quelques accords de coopération franco-allemands, est incorporé dans l’UEO en 1992 et devient le Groupe d’armement de l’Europe occidentale (GAEO). Le Conseil de l’UEO adopte en novembre 1996 une charte de l’organisation de l’armement de l’Europe occidentale (OAEO), dont l’activité consiste encore à la passation de contrats de recherche et qui doit préfigurer une véritable agence européenne de l’armement. Mais la coopération dans ce domaine reste difficile en raison de la résistance des industries nationales (en France le char Leclerc de GIAT et l’avion de chasse Rafale de Dassault), et surtout de la préférence souvent donnée aux matériels américains.



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