Les causes de l'échec

Les causes de l'échec


Les conceptions et les intérêts des pays membres de la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA ou Euratom) sont très différents, ce qui complique la tâche de la CEEA. Elle doit établir les conditions favorables à la naissance et au développement des industries nucléaires mais ne parvient pas à imposer une conception communautaire de la recherche ni à imposer d'emblée un type unique de réacteur. Il s'avère également très difficile d'opérer une distinction nette entre les applications civiles et militaires de l'atome. Le traité présuppose surtout une volonté politique qui, en pratique, va rapidement faire défaut.


Le désaccord sur les objectifs


La France veut, en toute indépendance, réaliser ses programmes militaires et énergétiques. Elle entend préserver son autonomie, tant en ce qui concerne l'approvisionnement qu'en ce qui concerne la technologie mise en œuvre. Elle se prononce néanmoins en faveur d'une Communauté atomique à Six car elle y voit un moyen de contrôler l'Allemagne et d'éviter que celle-ci, avec l'aide des États-Unis, ne développe un projet atomique qui dépasse le programme français. La France cherche aussi à favoriser son propre programme atomique par une mise en commun des ressources (minerais et produits fissiles) et des investissements, notamment pour la construction d'une usine européenne de séparation isotopique. Les objectifs stratégiques de la France priment les considérations de rentabilité économique que recherchent précisément ses partenaires européens.


La France, qui ne possède pas de ressources pétrolières et gazières naturelles, dispose par contre d'uranium naturel et privilégie cette filière, propre à ses intérêts nationaux et coloniaux, pour la construction de ses réacteurs. Plusieurs filières sont en effet en concurrence sur le marché européen. La filière américaine dite "à eau ordinaire" est basée sur l'uranium enrichi alors que les réacteurs français fonctionnent grâce à de l'uranium naturel. Chacune des puissances nucléaires cherche à développer sa propre filière, favorable à ses chercheurs et à ses installations. La formule américaine finit par l'emporter et entraîne, en novembre 1958, la signature d'un accord de coopération entre Euratom et les USA concernant les utilisations pacifiques de l'énergie atomique. Peu sensibles à l'argument français d'indépendance européenne, les partenaires de la France - qui n'ont pas de programme militaire - préfèrent utiliser la filière de l'uranium enrichi. Ils achètent donc des centrales nucléaires de type américain et s'approvisionnent outre-Atlantique en uranium enrichi. En mai 1964, les Six concluent avec les Américains un nouvel accord portant sur le développement en commun de réacteurs rapides à des fins pacifiques. En 1969, après le départ du général de Gaulle, l'industrie nucléaire française abandonnera définitivement la filière de l'uranium naturel qui, à l'usage, se révèle trop coûteuse.


Les États-Unis sont hostiles à la prolifération de l'arme atomique et s'opposent à une éventuelle arme nucléaire européenne. L'uranium enrichi fourni par les Américains fait d'ailleurs l'objet d'un contrôle strict de leur part qui interdit toute application militaire.


Le blocage de la Commission


La Commission de la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA ou Euratom) aurait dû être dotée de pouvoirs supranationaux importants pour mener une politique rigoureuse de développement de la technologie nucléaire. C'est en tout cas la conviction du fédéraliste français Étienne Hirsch qui est à la tête de la Commission depuis 1959.


Or, les gouvernements refusent d'accorder des pouvoirs aussi étendus à la Commission. Ainsi, au nom du libéralisme économique, l'Allemagne ne tolère pas l'intervention d'une autorité publique dans l'approvisionnement en produits fissiles. La RFA refuse en effet de devoir payer des prix Euratom nettement supérieurs aux prix du marché mondial. En 1961, les démarches personnelles d'Étienne Hirsch auprès des États-Unis heurtent le général de Gaulle qui s'oppose avec vigueur aux prérogatives supranationales d'Euratom. Le mandat d'Étienne Hirsch n'est pas reconduit par la France en 1962. Les circonstances économiques mondiales ne sont guère favorables à Euratom. La crainte d'une pénurie généralisée de produits pétroliers s'estompe et Euratom apparaît de moins en moins comme une priorité politique et économique.


Les problèmes de financement


La Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA ou Euratom) se transforme peu à peu en une association de coopération intergouvernementale. Car à l'inverse de la Haute Autorité de la CECA, qui dispose de moyens propres, la Commission de la CEEA, comme celle de la CEE, est tributaire des contributions nationales pour alimenter son budget. La pratique du principe du "juste retour" conduit chaque État à réclamer des avantages en contrepartie de sa participation au budget d'Euratom, ce qui conduit à certaines pratiques de saupoudrage. C'est ainsi que le Centre commun de recherches Euratom se voit réparti en Italie, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne.


L'absence d'un programme de développement global


Le Traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA ou Euratom) ne prévoit ni la mise en commun ni la coordination de la recherche nucléaire. Des double-emplois sont inévitables.


La CEEA reçoit des programmes de recherche à long terme sans retombées commerciales immédiates. En France, l'usine d'enrichissement de Pierrelatte développe à partir de 1967 un réacteur qui est un échec commercial retentissant.

Les États moins avancés en technologie nucléaire, comme l'Italie et les Pays-Bas, veulent également développer leur potentiel. Ils exigent que les dépenses de la CEEA sur leur territoire correspondent à leur contribution nette. Ce "juste retour" empêche la mise en œuvre d'un véritable programme d'ensemble. Les différents centres de recherche sont dotés de moyens distribués au compte-gouttes et les programmes de recherche se limitent bientôt au maintien opérationnel des appareillages.

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