L’Autriche en Europe


Orientations vers l’Europe

(OECE 1948, Conseil de l’Europe 1956, AELE 1960, Accord de libre-échange 1972)


La relation de l’Autriche à l’Europe et à l’intégration européenne ne peut se comprendre que dans un contexte historique plus général. Dans les années 20 déjà, Richard N. Coudenhove-Kalergi, membre de la vieille garde autrichienne, se fait le chantre de l’idéal paneuropéen. Son union paneuropéenne a son siège à la Hofburg, à Vienne. Confronté à l’absence d’alternatives réalistes, le chancelier autrichien Ignaz Seipel professe quant à lui l’idée d’une «Europe centrale». En tant qu’héritière de la monarchie du Danube, l’Autriche n’est pas un pays sous-développé en périphérie, mais un État industrialisé et performant, ancré au cœur de l’Europe. Toutefois, la question de sa reconstruction et de son existence politique après la Seconde Guerre mondiale reste, dans un premier temps, indécise.


Les fonds et aides qui favorisent dans une large mesure le processus de reconstruction économique et de consolidation politique proviennent de la United Nations Relief and Rehabilitation Administration (UNRRA) et du programme de reconstruction européenne (ou ERP, pour European Recovery Program). Si l’ÖVP approuve la nationalisation de l’industrie que le SPÖ appelle de ses vœux, celui-ci est prêt à accepter l’aide du plan Marshall, basé sur l’adhésion à la propriété privée. C’est ce consensus au sein de la Grande coalition qui permettra à l’Autriche de mener une politique étrangère et européenne fructueuse après 1945. Les principales préoccupations du gouvernement d’alors sont de sortir le pays de son isolement sur la scène politique internationale, de réactiver le commerce extérieur et de faire en sorte que l’Autriche retrouve sa place dans le concert des États occidentaux. Créée en 1948, l’Organisation européenne de coopération économique (OECE), dont l’Autriche est membre fondateur et qui prévoit une coopération gouvernementale, constitue le forum idéal pour faire valoir les intérêts de politique étrangère et européenne du pays. C’est elle qui veille à la distribution des fonds de l’ERP.


La neutralité qu’adopte l’Autriche en 1955 est interprétée, par ses observateurs critiques, comme un «détour vers l’Europe». Lujo Tončić-Sorinj, qui deviendra plus tard ministre des Affaires étrangères (1966-1968) et secrétaire-général du Conseil de l’Europe (1969-1975), se penche sur cette thèse dès l’été 1958, lors des «entretiens viennois sur l’Europe», rappelant que l’Autriche est prête à ce «sacrifice», à savoir prendre fait et cause pour une grande Europe, afin de contribuer à «l’intégration des peuples vivant à l’Est de nous au sein d’une Communauté européenne élargie».


En tant que pays occupé par l’Union soviétique participant au plan Marshall et bénéficiaire des fonds de l’ERP (1948-1953), l’Autriche est un «cas à part». La «neutralité perpétuelle» est, pour elle, le «prix à payer pour le retrait des troupes soviétiques» lors de l’«annus mirabilis», à savoir en 1955. Cette politique explique aussi que Moscou ne s’oppose pas à l’adhésion de l’Autriche au Conseil de l’Europe le 16 avril 1956, contrairement à l’«exemple suisse». C’est animée par la même motivation que lors de son adhésion au Conseil de l’Europe que l’Autriche signe, le 13 décembre 1957, la Convention européenne des droits de l’Homme adoptée en 1950 par le Conseil de l’Europe. Elle sera ratifiée le 3 septembre 1958.


Avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), l’Autriche aspire à un règlement qui verra le jour le 8 mai 1956, sous la forme d’un accord douanier et commercial, complété par un protocole comportant une clause antidumping. Suivra un échange de lettres entre la Haute Autorité et le gouvernement autrichien, en date des 24 et 25 juillet 1956, prévoyant des dispositions particulières et la mise sur pied d’une Commission mixte permanente qui examinera les pratiques contestées en matière de fixation des prix. La candidature de l’Autriche à la CECA, annoncée pour 1957 les 23 et 24 octobre 1956, équivaut à une déclaration de l’intention de l’Autriche de participer au «marché commun». Pour elle, la CEE revêt plus d’intérêt que la CECA. Le gouvernement autrichien s’emploie ainsi à sonder sa marge de manœuvre en matière de politique d’intégration, en allant le plus loin possible, avec la demande d’adhésion prévue pour 1957. Malheureusement, les prix de l’acier au sein de l’Union minière sont trop élevés. Ils sont 20 à 30 % supérieurs aux prix intérieurs, encore fortement subventionnés au profit de l’industrie de transformation. Dans le cas d’une adhésion, les prix connaîtraient donc une hausse conséquente, entraînant dans leur sillage les salaires et les prix pratiqués dans d’autres secteurs économiques. Les événements qui se produisent en Hongrie suite à la deuxième intervention soviétique du 4 novembre 1956 contribuent également à enterrer la procédure d’adhésion de l’Autriche à la CECA.


L’«indépendance» de l’Autriche permet «uniquement» une orientation occidentale plus poussée du pays sur le plan économique, de sorte qu’il s’agit d’un renoncement, partiellement subi et partiellement volontaire, à l’intégration européenne. Cela étant, tant le chancelier Julius Raab que le ministre des affaires étrangères Leopold Figl (tous deux membres de l’ÖVP) rêvent encore, en 1958, à une intégration dans la Communauté économique européenne (à un «rattachement à la CEE»). Le vice-chancelier Bruno Pittermann (SPÖ) y fait cependant objection, toutes réserves économiques mises à part, en avançant les arguments de la neutralité et de la Suisse.


Le projet d’une grande zone de libre-échange, proposé dans un premier temps par la Grande-Bretagne en 1956, et l’adhésion à l’Association européenne de libre-échange (AELE) ne peuvent nuire ni au postulat de la souveraineté ni à celui de la neutralité. Mais la petite zone de libre-échange n’apparaît que comme un lot de consolation. L’Association des industriels autrichiens, les entreprises axées sur les exportations et les entrepreneurs influents ne se satisfont pas de l’adhésion à l’AELE. Les représentants des agriculteurs jugent séduisant le marché agricole en devenir de la CE et estiment désavantageux d’en être exclus. Si, en majorité, les hommes politiques de l’ÖVP ne considèrent l’AELE que comme une solution transitoire, les représentants du SPÖ y voient plus d’avantages. Dans les années 60, le Kremlin se prononce contre une association avec la CEE – et, a fortiori, contre une adhésion de l’Autriche à celle-ci. L’option de l’AELE n’est que l’expression de l’absence d’autres alternatives. C’est un mariage de raison plus que d’amour. Nombreux sont ceux qui espèrent qu’elle renforcera les chances de voir un «pont» jeté vers la CEE, ce qui s’avérera bientôt illusoire. Du point de vue autrichien, l’AELE ne doit en aucun cas se profiler comme une organisation concurrente à la CEE, mais bien comme une plate-forme permettant d’établir rapidement des liens entre les deux espaces économiques.


Le «marché commun» reste néanmoins bien éloigné. De décembre 1961 à janvier 1963, l’Autriche, avec la Suisse et la Suède, ambitionne de conclure des accords d’association avec la CEE. Dès février 1963, elle fait cavalier seul. Elle pousse ainsi la Commission à réfléchir à des projets d’union douanière et à des formules d’association, ainsi qu’à préciser l’article 238 du traité CEE, jusqu’alors flou.


C’est le ministre des Affaires étrangères Bruno Kreisky (1959-1966) qui met un point d’honneur à ce que l’Autriche mène une politique d’intégration convenue avec la Suisse. Son opposant, le ministre du Commerce Fritz Bock (ÖVP), veut quant à lui poursuivre seul dans la voie de la CEE. Il rencontrera des obstacles majeurs. Le débat sur le maintien de la participation de l’Autriche à l’AELE, fondée en 1960, ou sur l’adoption éventuelle d’accords d’association avec la CEE est plus intense et plus porteur que les discussions sur l’«Europe» des années 50.


En Autriche, aucun groupement politique ne dispose d’un poids suffisant pour imposer à lui seul un «arrangement» avec la CEE. Pour puissantes qu’elles soient, les forces d’opposition à l’adhésion – portées par l’industrie nationalisée – ou de défense de celle-ci, comme l’Association des industriels autrichiens, s’équilibrent. Ce qui fait pencher la balance, jusqu’au grand bouleversement de l’Europe centrale et orientale et à la chute du Mur en 1989, ce sont des facteurs extérieurs, tels le veto de l’URSS ou l’attitude exclusive de la Commission, de l’Italie et de la France, membres fondateurs de la CEE, qui émettent des réserves quant aux tendances de l’Autriche à se rapprocher de la Communauté, attitude qui se traduira par un veto de Rome (notamment du fait de la question du Sud-Tyrol).


Dans la question du Sud-Tyrol s’annonce dès 1959-1960 le conflit bilatéral avec Rome, qui connaîtra une escalade à partir de 1966-1967, aboutissant à un blocage total des négociations avec Bruxelles (1967-1969). Le «cavalier seul» de l’Autriche à l’égard de Bruxelles échoue en 1967, après huit cycles de négociations, moins du fait des objections de l’URSS (qui, si elle prend au sérieux les intentions du gouvernement autrichien, ne l’empêche toutefois pas de négocier avec le Conseil de la CEE/CE) que de celles de l’Italie et de la frilosité croissante de la France, en partie motivée par les réticences soviétiques, seule puissance de la CEE qui soit aussi signataire du traité d’État.


L’importance relative de ses échanges commerciaux avec les pays d’Europe orientale – entre 15 et 20 % de ses transactions entre 1950 et 1962 – contribue aussi à façonner la politique d’intégration de l’Autriche. Il lui faut tenir compte des intérêts de l’Union soviétique et de ses États satellites. Toutefois, ce n’est pas de Moscou qu’émanent les résistances à une intégration trop formelle de l’Autriche avec les institutions de Bruxelles, mais bien de Paris. Le commerce extérieur de l’Autriche avec la CEE est essentiellement concentré sur la République fédérale d’Allemagne, responsable en moyenne de 30 à 40 % au moins des importations autrichiennes et de 20 à 30 % de ses exportations entre 1951 et 1968. Une comparaison avec les transactions commerciales réalisées entre l’Autriche et la CEE permet de mieux apprécier son importance. Ceci effraie tout particulièrement la diplomatie française, l’amenant à plusieurs reprises à se remémorer le traumatisme de l’«Anschluss». Il s’agit bien sûr ici essentiellement d’empêcher la République fédérale d’Allemagne de trop se renforcer en englobant quelque sept millions de citoyens germanophones supplémentaires et leur sphère d’influence dans la région du Danube, soit dans le Sud-Est de l’Europe.


Dans les années 50 et 60, les résistances face à une adhésion à la CE motivées par la politique intérieure sont plus fortes qu’elles ne le seront dans les années 80 et 90. Bruno Pittermann et Bruno Kreisky, tous deux partisans de la neutralité, se montrent assez catégoriques dans leur argumentation. Le vice-chancelier SPÖ qualifiera, en 1959, la CEE de «bloc bourgeois réactionnaire». En tant que responsable de l’industrie nationalisée, il accorde néanmoins une grande importance au maintien des relations commerciales avec l’Est, non négligeables pour l’Autriche. Après son retrait de la présidence du parti en 1967, la disposition des dirigeants du SPÖ à se rapprocher de la CE augmente. Seul le KPÖ y reste opposé, comme il est, a fortiori, contre une adhésion de l’Autriche à la CEE. Position qu’il maintiendra jusqu’à l’adhésion de 1995.


Le cavalier seul mené par le chancelier autrichien Josef Klaus (1964-1970) jettera les bases des accords qui seront conclus plus tard avec Bruxelles: un arrangement demandé par l’Autriche, la Suède, la Suisse et d’autres États de l’AELE entre en vigueur, sous la forme d’accords douaniers et commerciaux avec la CEE et la CECA. Le 22 juillet 1972, le chancelier Bruno Kreisky et le ministre du commerce Staribacher signent des accords douaniers et commerciaux avec deux des trois communautés d’Europe occidentale (la CEE et la CECA), qui garantissent à l’Autriche le respect de ses obligations de neutralité dans le cadre de sa participation au processus d’intégration. Les accords provisoires conclus avec l’Autriche prévoient que le démantèlement des barrières douanières sera avancé de six mois. Le «Wiener Zeitung» voit dans cette concession une sorte de «prime de fidélité» de la part de la Communauté, une «récompense» de la politique du «cavalier seul» menée par l’Autriche.


La lettre à Bruxelles de 1989 et l’adhésion à l’UE en 1995


À l’ère du chancelier Bruno Kreisky (1970-1983), la politique d’intégration placée sous le signe de l’«euro-sclérose» professée par certains est abandonnée au profit d’une politique étrangère marquée par l’internationalisation et la mondialisation (OCDE, CSCE, politique vis-à-vis du Proche-Orient, engagement dans le conflit Nord-Sud), sans exclure toute possibilité de dynamisation dans les relations AELE-CE.


Sous la petite coalition SPÖ-FPÖ du chancelier Fred Sinowatz et du vice-chancelier Norbert Steger (1983-1986), cette tendance se confirme dans ses grandes lignes. Toutefois, ce n’est qu’après l’arrivée au pouvoir de la Grande coalition (à partir de 1987) que l’accent est à nouveau mis sur une politique d’intégration à marche forcée, sous l’influence de changements externes eu égard à l’adoption de l’Acte unique européen, au processus de création du marché intérieur et à l’essoufflement de la Guerre froide ainsi que sous l’influence de circonstances internes découlant d’une crise de plus en plus grave autour de l’industrie nationalisée et de la nécessité pour l’Autriche de procéder à des réformes intérieures, tant sur le plan institutionnel que social. En résulte un second cavalier seul, avec une demande d’adhésion à la CE, introduite le 17 juillet 1989.


L’Autriche est la pionnière de la politique d’intégration d’autres États, les États neutres. Les grandes figures de la politique d’intégration autrichienne des années 80 et 90 sont le ministre des Affaires étrangères Alois Mock (ÖVP) et le chancelier Franz Vranitzky (SPÖ), qui devra encore convaincre au sein de son propre parti.


En 1989 et dans les années qui suivent, c’est, comme par le passé, la peur de l’exclusion et de la perte qui mobilisent et stimulent la politique d’intégration de l’Autriche. La politique de collaboration de l’Autriche s’appuie sur une étape intermédiaire, le projet d’Espace économique européen (EEE), qui lui servira de tremplin pour renforcer son intégration.


À partir de 1989-1990, avec la fin du conflit Est-Ouest et l’assentiment de Mikhaïl Gorbatchev aux ambitions européennes de l’Autriche, s’offre l’opportunité d’une adhésion pleine et entière, sans qu’il soit nécessaire, comme auparavant, de tenir compte de l’Union soviétique. Toutefois, entre 1989 et 1995, la route vers Bruxelles passera non seulement par Moscou, ce qui reviendrait à surestimer le veto de l’URSS, mais aussi par Paris et Rome. Une fois dissipé le spectre de l’«Anschluss» et une fois la fin du litige sur la question du Sud-Tyrol déclarée devant l’ONU (1992), plus rien ne s’oppose à ce que l’Autriche fasse son entrée sur le marché intérieur.


La République fédérale d’Allemagne, alliée traditionnelle des intérêts autrichiens en matière d’intégration, met tout son poids politique, encore renforcé par l’unité allemande, dans la balance, en la personne d’Helmut Kohl (CDU), grand ami de l’Autriche, et du ministre des affaires étrangères Klaus Kinkel (FDP), en vue de faire face aux résistances qui subsistent dans les autres États de la CE. En effet, les ambitions de l’Autriche sont accueillies tièdement à Bruxelles, les membres de la Communauté et le président de la Commission, Jacques Delors, privilégiant un «approfondissement» (projet de marché commun) dans un premier temps. La diplomatie française et la politique belge manifestent donc peu d’enthousiasme, allant jusqu’à se montrer réticentes.


La demande d’adhésion est motivée par divers éléments. La coopération commerciale et économique ainsi que le maintien de la paix sont mis en avant, bien que la candidature souligne que l’intérêt de l’Autriche ne repose «pas uniquement sur des considérations économiques». Entre 1987 et 1995, les grands acteurs politiques et économiques s’expriment en faveur d’une adhésion de l’Autriche à la CE/l’UE. Lors de la campagne gouvernementale en faveur de l’adhésion à la CE de 1994, les partis de la Grande coalition présentent un front largement uni, et un vote clairement pro-UE se dessine au sein de tous les groupes sociaux et groupes d’intérêts pertinents.


En 1994, les médias pratiquement au grand complet s’expriment en faveur de l’adhésion à l’UE. Le journal de la presse écrite présentant le plus fort tirage, le «Kronen-Zeitung», contribue à gagner une grande part de l’opinion publique autrichienne à la cause de l’Union. Cette forte vague d’assentiment repose sur une campagne gouvernementale qui a convaincu beaucoup d’Autrichiens et d’Autrichiennes à voter «oui». L’ÖVP et le SPÖ sont en soi des partis pro-européens, même si les socialistes ont, entre 1987 et 1989, plus de mal à convaincre leurs partisans d’appuyer l’adhésion. L’Église, emmenée par les cardinaux König et Schönborn, pro-européens, s’exprime elle aussi clairement en faveur de l’adhésion.


Après un soutien inconditionnel de la population autrichienne à la neutralité, la propagande gouvernementale fait délibérément l’impasse, avant le référendum sur l’UE, sur les implications d’une adhésion à l’UE en matière de politique de sécurité. Le 12 juin 1994, le résultat est sans appel: 66,6 % des électeurs ont voté pour l’adhésion.


Le FPÖ de Jörg Haider louvoie entre une attitude très favorable à l’adhésion entre 1986 et 1992, et une attitude eurosceptique et critique en 1992-1993, renforçant ainsi encore son potentiel de voix. Toutefois les grands partis, ostensiblement rassemblés en une union nationale avant le référendum sur l’UE de 1994, parviennent à le contrer.


Le ministre des affaires étrangères Alois Mock crée une brèche dans le rideau de fer avec son homologue hongrois Gyula Horn le 27 juin 1989 et avec le ministre des Affaires étrangères tchèque Jiři Dienstbier le 17 décembre 1989. Cet acte prend un tour emblématique et crée des conditions psychologiques et politiques favorables pour la candidature de l’Autriche à la CE et les négociations qui s’ouvriront en 1993-94. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que la fin du conflit Est-Ouest en Europe entre 1989 et 1990 a considérablement amélioré les chances de l’Autriche d’adhérer à la Communauté, d’autant qu’elle parviendra, entre 1989 et 1991, à assouplir le veto soviétique, encore inflexible jusque-là.


Autre toile de fond de ce changement d’attitude à l’égard du «cœur de l’Europe», la prise de conscience croissante de l’élite politique autrichienne quant à la nécessité de procéder à des réformes structurelles, qui engendre un besoin pressant et une pression politique en faveur d’un rapprochement de l’espace central de l’UE, vu comme un vecteur de modernisation pour une économie autrichienne en crise et en grand besoin de réformes, caractérisée par des problèmes budgétaires de plus en plus prégnants, par un fort endettement de l’État, par la corruption et par des méga-scandales. À cela s’ajoute la controverse autour du président Kurt Waldheim (1986-1992), qui, soupçonné d’avoir perpétré des crimes de guerre dans les Balkans sous l’uniforme de la Wehrmacht allemande – soupçons qui n’ont à ce jour pu être prouvés –, n’est reçu qu’en Jordanie, au Pakistan et au Vatican. Si cette controverse n’empêche pas l’Autriche d’agir sur le plan de la politique étrangère, elle entrave néanmoins son action. Le «cœur de l’Europe», l’UE, semble offrir un point d’ancrage bienvenu, une lueur d’espoir et une motivation pour les restructurations nécessaires en vue de venir à bout de ces difficultés, faiblesses et carences. Cela étant, une certaine nostalgie et un certain sentimentalisme, le vieux désir longtemps refoulé ou réprimé de redevenir une puissance économique, un ersatz au modèle des Habsbourg, jouent également un rôle. Sans compter, surtout, cette crainte de voir l’Autriche exclue durablement d’une Europe économiquement plus dynamique.

Le 24 juin 1994, le traité d’adhésion à l’UE est signé à Corfou. Il s’agit, du fait de son caractère constitutionnel, d’un nouveau traité d’État, l’ancien conservant encore toute sa pertinence, exception faite des articles devenus obsolètes. Ce traité reste d’application notamment eu égard aux dispositions en matière de protection des minorités. Le traité d’État de 1955 garantissait et garantit en outre la souveraineté et l’indépendance de l’Autriche. Le traité d’adhésion à l’UE étant plus actuel et possédant dès lors un plus grand poids politique, celui-ci, de même que les traités d’Amsterdam de 1997 (entrée en vigueur en 1999) et de Nice de 2000 (entré en vigueur en 2002), ainsi que tout traité futur réformant l’UE (une fois entré en vigueur), ont priorité sur l’ancien traité d’État de 1955. Reste le fait historique et politique que, sans traité d’État, l’Autriche n’aurait pas pu devenir indépendante et neutre. Cette indépendance a été capitale dans son adhésion à l’Union européenne. Il existe donc aussi un lien à cet égard entre le traité d’État et le traité d’adhésion à l’UE. Avec le traité d’État, l’Autriche est devenue un acteur reconnu sur la scène internationale, a pu demander son adhésion à l’UE en tant qu’État indépendant et en est devenue membre en tant qu’État souverain.


Le processus d’adhésion de l’Autriche aura duré à lui seul près de six ans (de 1989 à 1995). Revenu dans la Communauté des États européens, le pays est néanmoins trop préoccupé par ses problèmes internes – d’une part, l’héritage politique de la Grande coalition et les réformes approfondies trop longtemps reportées et, d’autre part, la gestion des conséquences de son adhésion à l’Union – pour pouvoir se tourner vers l’extérieur avec confiance et assurance et faire preuve d’ambition.


L’Autriche dans l’Union européenne après 1995


Au cours des premières années qui ont suivi son adhésion, l’Autriche s’est efforcée de mener une politique d’adaptation aux structures de l’Union et de respecter les règles du jeu communautaire. Franz Fischler (ÖVP) a été nommé commissaire européen en charge de l’agriculture, et les députés européens autrichiens se sont vu confier des responsabilités au Parlement.


L’Autriche a pleinement participé aux étapes les plus fondamentales de l’intégration de l’Union européenne survenues depuis 1995, à savoir l’Union économique et monétaire (UEM) et l’euro, créé en 1999. En répondant aux critères de convergence de Maastricht, le pays a manifesté sa volonté de faire partie de la «zone euro». Il en est allé de même pour la convention de Schengen, qui prévoit l’abolition des frontières intérieures et le renforcement des contrôles aux frontières extérieures.


Avec l’adhésion, l’économie autrichienne s’est réformée et est devenue plus compétitive, son PNB a connu une progression plus rapide qu’avant 1995 et le niveau des prix a diminué. La productivité du pays a augmenté, et la réforme budgétaire a progressé. Dans la foulée de l’adhésion, le budget de l’État a été assaini et consolidé. Le pays est non seulement devenu un marché plus attractif, mais il a également gagné en importance en tant que site de production et cible d’investissements étrangers. Toutefois, l’accroissement de la concurrence et la lutte pour la redistribution ont aussi fait des perdants: chômage croissant, faillites, licenciements, rachats d’entreprises en masse, fusions, diminution des participations autrichiennes du fait d’une part encore plus importante de capitaux allemands, etc. ont été constatés.


Le volume des échanges commerciaux dans le cadre de l’UE a encore progressé, et la croissance économique a bénéficié de l’appartenance du pays au marché commun. Dans l’ensemble, le système économique autrichien s’est assez vite intégré dans l’espace européen.


Avec son adhésion à l’UE, la compétitivité de l’Autriche à l’échelle internationale s’est renforcée. Sa croissance économique a enregistré des valeurs positives. Elle avait, avec 2,3 %, l’un des taux d’inflation les plus faibles de l’UE, derrière la Suède, la France et la République fédérale d’Allemagne. Dans l’intervalle, le nombre des exportateurs et des importateurs a plus que doublé. Si le développement des exportations s’est avéré légèrement plus dynamique que celui des importations, les deux ont néanmoins progressé.


Sur le plan législatif et constitutionnel, le défi européen n’a toutefois pas encore trouvé de réponse convaincante. L’Autriche n’a pas su saisir l’opportunité de procéder à une réforme globale et systématique de sa Constitution après son adhésion à l’UE. Elle en est restée au même point: il est difficile de se frayer un chemin à travers la multitude des dispositions, lois et règlements.


L’événement de politique européenne le plus saillant, lié à une série de protestations, de manifestations et de rencontres au plus haut niveau gouvernemental, a été la Présidence du Conseil de l’Union européenne, au second semestre 1998. À cette occasion, l’Autriche a agi avec assurance et sérénité, comme un membre de longue date et comme une mini-puissance européenne de la diplomatie européenne. Toutefois, les élections législatives allemandes de 1998, qui ont vu la victoire de Gerhard Schröder (SPD) contre Helmut Kohl (1982-1998), chancelier CDU de grande expérience, ont limité les chances de succès de la Présidence autrichienne. C’est ainsi que le Sommet de Vienne de décembre 2008, qui avait trait à l’«Agenda 2000» et à une réforme devenue pressante de l’agriculture européenne, n’a enregistré que de maigres résultats.


Cela étant, l’ombre de la neutralité a continué à planer sur l’Autriche bien après son adhésion. Le gouvernement n’est ainsi pas arrivé à obtenir mieux qu’un statut d’observateur au sein de l’UEO et qu’une participation au programme de coopération Partnership for Peace (PfP) de l’OTAN. Au pouvoir entre 1987 et 1999, la coalition SPÖ-ÖVP, non contente de n’avoir su mettre en œuvre aucune réforme structurelle d’envergure, n’est pas non plus parvenue à trouver un consensus quant à un nouveau concept de politique de sécurité. Si l’ÖVP, parti traditionnel de «l’Europe», préconisait une adhésion à l’OTAN, le SPÖ, généralement plus attentiste et plus réticent à toute forme d’intégration, était quant à lui désireux de maintenir une position de neutralité. À ce jour, l’Autriche n’est, sur le plan militaire, un partenaire à part entière au sein d’aucune politique de sécurité et de défense commune, qu’elle soit européenne ou transatlantique (PESC, OTAN, PESD, UESD). Le «rapport des options» en matière de politique de sécurité s’est soldé par un échec en 1998, alors que l’Autriche avait marqué son accord avec les «interventions militaires» prévues par le traité d’Amsterdam. Sous la coalition ÖVP-FPÖ (BZÖ) non plus (2000-2006), aucune avancée significative n’a été enregistrée. Il n’existait pas de «coalition tacite» entre ÖVP et SPÖ. La question de l’achat des «Eurofighters» (des avions de combat) a tourné au conflit de longue durée. Le SPÖ et les Verts notamment sont, à ce jour, parvenus à empêcher avec succès une pleine intégration militaire de l’Autriche. Et cela n’est pas sans conséquence sur la capacité d’agir de l’Union en termes de politique de sécurité. Jusqu’à la fin des années 90, l’Autriche a su se dérober aux responsabilités découlant du deuxième pilier du («nouveau») processus d’intégration (PESC, PESD).


Les «sanctions» annoncées le 31 janvier 2000 puis appliquées le 4 février à l’égard du gouvernement autrichien par ses 14 partenaires européens, après qu’un accord s’est dessiné entre Wolfgang Schüssel (ÖVP) et le FPÖ du populiste de droite Haider, ont fait l’effet d’une gifle. Avec l’arrivée au gouvernement du FPÖ, un facteur défavorable à la politique européenne et internationale est entré en jeu. Les 14 États de l’UE ont alors tenté un coup de force préventif qui s’est toutefois mué en effet boomerang.


Depuis lors, l’image de l’Autriche sur la scène politique internationale est ternie. Pour l’opinion publique européenne, elle s’est révélée être un partenaire politique sur lequel on ne peut pas compter (notamment dans le cadre de l’élargissement). Les craintes et les inquiétudes relatives au FPÖ, qui, en Europe, se sont exprimées de manière extrême en février 2000, n’étaient pas infondées, historiquement et politiquement, mais les sanctions mises en œuvre étaient disproportionnées et contreproductives. En dépit de leur levée en septembre 2000, recommandée par un conseil des sages, l’Union européenne semblait tout à coup receler moins de perspectives qu’auparavant pour l’Autriche. La recherche, par l’Autriche, de «partenaires stratégiques» parmi les pays d’Europe centrale et orientale, produit de son isolation de 2000, n’a pas vraiment été une réussite.


L’année des sanctions, sanctions qui ont eu pour conséquence de consommer la rupture entre les deux grands partis et de totalement empoisonner l’atmosphère, Mme Ferrero-Waldner, ministre des Affaires étrangères, avait avancé qu’une adhésion de l’Autriche à l’OTAN lui aurait épargné sa traversée du désert, avant de faire machine arrière lors de la campagne présidentielle de 2004. C’est Heinz Fischer (SPÖ) qui devait remporter la course à la présidence avec son slogan «actif pour la paix et la neutralité». L’ÖVP renouait désormais avec la neutralité. Elle n’avait d’ailleurs pas d’autre choix.


Au plus tard depuis les «sanctions» à l’encontre de l’Autriche, l’équilibre des pouvoirs entre grands et petits États de l’UE eu égard au Sommet contesté de Nice, consacré à l’élargissement, en décembre 2000, a changé. L’Autriche partageait toujours le sort des petits États de l’Union, car tous les jalons passés et futurs posés en matière d’intégration reposent fondamentalement sur un consensus entre les «grands» États, ou du moins entre Grande-Bretagne, France, Allemagne et Conseil de l’Union européenne. Depuis les sanctions des 14, l’Autriche a encore moins de poids qu’auparavant. Et, sur la question du transit, elle est purement et simplement isolée. Le traité de transit de 1992, repris dans le traité d’adhésion à l’UE, n’a plus été prolongé. Suite à son isolement de 2000, l’Autriche a vu son champ d’action en matière de politique européenne se réduire comme une peau de chagrin, et il est devenu clair que son statut de neutralité et les reliquats de son rôle historique particulier au sein de l’UE ne pouvaient plus lui servir sur le plan politique.


La voie de l’Autriche vers l’Union européenne a été longue. Elle a pris du temps et exigé beaucoup d’énergie. Depuis sa demande d’adhésion à la CE, l’Autriche s’est essentiellement concentrée sur l’Europe occidentale. Elle a perdu de vue l’Europe centrale et orientale, ce qui explique en partie pourquoi elle n’a commencé à s’occuper que tardivement des décrets Beneš et de la très contestée centrale nucléaire de Temelín.


Cela étant, du fait de la concurrence croissante et de la privatisation à marche forcée, les perdants de l’adhésion à l’UE ont demandé au SPÖ d’intervenir, tandis que la clientèle de l’ÖVP profitait globalement davantage de l’UE. Le SPÖ s’est efforcé de maintenir l’État providence, tandis que l’ÖVP voyait dans l’UE le levier qui lui permettrait d’imposer des réformes structurelles qu’il appelait de ses vœux depuis longtemps et qui ne semblaient possibles qu’avec une coalition «noir-bleu».


En dépit de la fin des «sanctions», il ne s’est trouvé aucun «partenaire» pour l’Autriche parmi les PECO. Le partenariat «stratégique» annoncé par Mme Ferrero-Waldner et critiqué par le SPÖ a dû être rebaptisé «partenariat régional». Une adhésion de l’Autriche au groupe de Viségrad (Hongrie, Pologne, Tchéquie et Slovaquie) n’était pas envisageable pour les pays mentionnés. Bien que le chancelier Schüssel ait introduit le concept d’État «moyen», l’Autriche partageait le sort des petits États. La voie de l’UE est tracée par consensus entre les grands États.


Perspectives d’avenir


Dès la préparation de la Présidence du Conseil en 1998, il était devenu clair que la politique étrangère nationale de l’Autriche allait se fondre dans une politique communautaire. La politique étrangère de l’Autriche allait ainsi devenir la politique de l’Union européenne de l’Autriche. L’adhésion à l’Union signifiait la fin d’une politique étrangère autonome et souveraine. Le départ du ministère des Affaires étrangères de la Ballhausplatz dix ans après l’adhésion à l’UE et son déménagement, au terme de 286 ans, dans la Herrengasse, sur la Minoritenplatz, était une concrétisation tardive de la nouvelle réalité, tout comme le fait que de «BMaA» («Bundesministerium für auswärtige Angelegenheiten», ou ministère fédéral des Affaires étrangères), il ait été rebaptisé «BMeiA» («Bundesministerium für europäische und internationale Angelegenheiten», ou ministère fédéral des Affaires européennes et internationales) en 2007. La politique «étrangère» de l’Autriche était devenue une politique européenne de l’intérieur (politique agricole, budget, emploi, etc.). Avec la politique (commune) dans les domaines énergétique, financier, monétaire et du commerce extérieur, ainsi qu’avec la politique de sécurité et de voisinage, de nouveaux secteurs ont, grâce à l’Union européenne, été replacés dans un contexte mondial. Les résultats de la politique de voisinage (proche et lointain) sont néanmoins restés très modestes. L’isolement de 2000 a amené l’Autriche à se rendre compte qu’elle n’appartenait pas à un «groupe d’amis» (Benelux, pays du Nord et du Sud de l’Europe) et qu’elle ne disposait d’aucun partenaire fiable (l’Allemagne elle-même lui ayant fait faux bond). Ceci l’a obligée à entreprendre une collaboration plus étroite avec les petits États et les États moyens, avec des résultats mitigés, du fait de l’absence d’un consensus au niveau de la politique intérieure entre 2000 et 2005. Dans la communication de l’UE vers l’intérieur, Chancellerie et ministère des Affaires étrangères ont continué à n’avoir que peu de succès, la politique des intérêts nationaux conservant plus de résonnance à l’intérieur de l’État. Les deux partis ont agi de manière analogue – Gusenbauer (SPÖ) s’est, en tant que membre de l’opposition, essayé au populisme contre l’Union européenne, et Schüssel a, en tant que chef du gouvernement, critiqué la Cour européenne de justice sur une question concernant l’accès aux études, alors que celle-ci n’avait fait que son travail. Le SPÖ a élargi son opposition à la politique étrangère et européenne de la coalition «noir/bleu». La douteuse «stratégie de Lisbonne» (visant à faire de l’Union européenne la région la plus économiquement performante du monde d’ici 2010), la controverse turque et la crise liée à la ratification de la Constitution européenne n’ont pas contribué à réduire les contrastes et à rapprocher gouvernement (ÖVP) et opposition (SPÖ), ce qui a valu aux deux partis d’être critiqués et contredits par leurs députés européens. Jouer le rôle d’un «honnête courtier» pour la Présidence du Conseil de l’Union européenne en 2006 semblait compromis, d’autant que l’Autriche était dominée par une politique partisane égoïste. En dépit de coups bas, il a toutefois été possible de créer un bon climat de discussion pour la réforme des traités. Sur le plan de sa politique étrangère et européenne, l’Autriche s’est aventurée sur le terrain de la médiation en tant que membre du groupe des États de l’Union de petite taille et de taille moyenne et a décrété que l’Europe du Sud-Est était une région relevant de la responsabilité européenne, quoique les «Balkans occidentaux» ne constituent qu’une partie d’un problème plus vaste. Le coordinateur en chef du Pacte de stabilité de l’Union européenne pour l’Europe du Sud-Est est d’ailleurs l’ancien vice-chancelier autrichien Erhard Busek (ÖVP), qui y poursuivit une stratégie globale. Il occupera cette fonction de 2002 à 2008. Fin 1996 déjà, il a été nommé coordinateur de la South East European Cooperative Initiative (SECI). En revanche, à ce jour, Mme Ferrero-Waldner n’a, en tant que Commissaire européenne, présenté aucun concept global convaincant pour une politique de voisinage européenne placée sous le signe de l’intégration.


Depuis 2006, l’Autriche est gouvernée par une grande coalition emmenée par Alfred Gusenbauer (SPÖ) et Wilhelm Molterer (ÖVP). Après 1973-1974 et 1990-1991, l’Autriche a réitéré, pour 2009-2010, sa candidature en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU. Son statut de neutralité persistant, sur lequel le nouveau traité de réforme de l’Union n’a aucun impact, peut aider l’Europe à se profiler comme un partenaire au dialogue culturel, mais aussi à refaire de l’Autriche un avocat des droits de l’Homme et un médiateur en dehors de l’Union européenne. Aujourd’hui, Vienne «découvre» l’Afrique – à ce jour, il n’existait ni concept consensuel ni politique cohérente à cet égard. En matière de politique à l’égard du Proche-Orient, l’ÖVP a repris avec circonspection le rôle traditionnel du SPÖ, celui-ci manifestant une tendance beaucoup plus nettement centrée sur l’Europe centrale. Une nouvelle donne se prépare. Le concept du maintien de la paix fait son retour sur le devant de la scène après avoir été relégué à l’arrière-plan par la coalition noire et bleue et pourrait y renvoyer les interventions militaires en tant qu’options d’avenir. Avec la mission militaire de l’Union européenne au Tchad, il est possible de renouer avec les objectifs traditionnels de la diplomatie autrichienne des années 60 (Congo!) et 70, à savoir faire d’une Europe unie un facteur d’exportation de la stabilité et de la sécurité dans un souci de détente et de maintien de la paix. Ceci suppose néanmoins un consensus au sein de l’État et du gouvernement. Depuis longtemps déjà, chefs d’État et de gouvernement déterminent la politique de l’Union européenne, ayant renvoyé leurs ministres des Affaires étrangères au second plan. Benita Ferrero-Waldner (ÖVP) et Ursula Plassnik (ÖVP), au sein de la coalition emmenée par le chancelier Schüssel, ont confirmé cette position, de par leur étroite collaboration, leurs liens personnels et leurs loyautés. La politique étrangère de l’Union européenne étant aujourd’hui un champ d’action bien plus prestigieux pour la politique qu’auparavant, il convient de l’harmoniser d’autant plus. Plassnik dispose de l’expérience diplomatique et des compétences requises en matière de politique étrangère, et Gusenbauer est, en tant que nouveau chancelier, le chef du gouvernement. Il ne s’agit plus de l’adhésion de l’Autriche à l’Union européenne, mais bien du rôle de l’Union européenne dans le monde.


L’Autriche était et reste au cœur de l’Europe. Si, jusqu’en 1995, elle a semblé se cantonner à un rôle périphérique en matière de politique d’intégration, elle est toujours restée proche des Communautés sur le plan économique. Lorsque l’élargissement de l’Union deviendra effectif le 1er mai 2004, l’Autriche se trouvera au centre économique et financier de l’Union européenne, y compris pour les investisseurs. Et, ce faisant, elle aura à jouer un rôle de tête de pont pour l’intégration des nouveaux États membres et pour la poursuite de leur occidentalisation.

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