La Conférence intergouvernementale sur l'Union politique
La Conférence intergouvernementale (CIG) sur l'Union politique
La négociation sur l’Union politique s’avère beaucoup plus difficile que celle sur l’Union économique et monétaire (UEM). Il n’y a pas dans ce domaine de projet précis comme le rapport Delors pour la monnaie unique. D’où la multiplicité de propositions diverses sur les objectifs à atteindre et les nombreuses options possibles.
Le Parlement européen avait depuis longtemps réclamé l’extension du vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres, l’élargissement des pouvoirs de la Commission et du Parlement. En mars 1990, il se prononce en faveur de la transformation rapide de la Communauté européenne « en Union politique, sur une base fédérale, au delà du marché unique et de l’Union économique et monétaire » et l’intégration dans les structures communautaires de la coopération intergouvernementale en politique étrangère.
Du côté gouvernemental, c’est la Belgique qui prend l’initiative hardiment, avec un aide-mémoire du 20 mars adressé à ses partenaires préconisant de renforcer l’appareil institutionnel de la Communauté (généralisation du vote à la majorité qualifiée au Conseil, réduction du nombre de commissaires, investissement du Président de la Commission par le Parlement européen, codécision législative du Parlement et du Conseil, ainsi que le développement de la coopération en politique étrangère et sur extension aux problèmes de sécurité). Les propositions belges n’éveillent pas beaucoup d’échos, mais elles abordent déjà les grands thèmes de la négociation.
Le véritable coup d’envoi est donné par la France et par l’Allemagne avec une lettre du président Mitterrand et du chancelier Kohl du 19 avril à la veille du Conseil européen de Dublin (28 avril 1990) pour que celui-ci accélère la construction politique de l’Europe et convoque à cet effet une Conférence intergouvernementale (CIG). Quatre objectifs sont proposés : renforcer la légitimité démocratique de l’Union souhaité par l’Allemagne et le Parlement européen, rendre plus efficaces les institutions en étendant le vote majoritaire au Conseil des ministres et en élargissant le rôle du Conseil européen, assurer l’unité et la cohérence de l’action de l’Union dans les domaines économique, monétaire et politique et la rendre plus « lisible » pour le citoyen, enfin – et c’est une initiative majeure – définir et mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
Les réactions au projet belge et aux propositions franco-allemandes se manifestent au Conseil européen de Dublin. Madame Thatcher, premier ministre britannique, ainsi que ses collègues danois et portugais, s’inquiètent et veulent défendre les compétences nationales. A l’opposé, les « communautaires » craignent qu’en parlant d’Union politique et non de la seule Communauté, on affaiblisse celle-ci. Le Président Delors exprime sa préférence pour le projet belge. Madame Thatcher, qui sait qu’elle ne peut s’opposer à la réunion d’une CIG qui peut être décidée à la majorité, demande qu’un travail de clarification soit effectué au préalable pour définir une éventuelle Union.
Cette tâche est menée à bien par les ministres des Affaires étrangères qui, en liaison avec le Parlement européen et la Commission, font l’inventaire des suggestions et rédigent un rapport rappelant les grands objectifs (légitimité et efficacité des institutions, action de la Communauté sur la scène internationale) et énonçant pour chacun d’eux les options possibles. Le second Conseil européen de Dublin (25-26 juin 1990), au vu du rapport, décide la réunion d’une CIG sur l’Union politique, parallèlement à celle sur l’UEM, le 15 décembre 1990.
Il reste à élaborer sous la présidence italienne un mandat aussi précis que possible pour la future conférence et de profondes divergences apparaissent. La France et la République fédérale d’Allemagne (RFA) tenaient beaucoup à la politique extérieure et de défense commune, suivies par la Belgique, le Luxembourg, l’Espagne, la Grèce ; l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas au développement des pouvoirs du Parlement européen ; la France, l’Allemagne, l’Italie, les pays du Benelux à la politique sociale ; les pays du Sud à la cohésion économique et sociale avec les pays du Nord. Quant à la Grande-Bretagne, hostile à toutes ces innovations, elle cherchait surtout à maintenir le statu quo et, au pire, à « limiter les dégâts » ce qui bornait les ambitions de ses partenaires à ce que Londres voudrait bien accepter. Toutefois, la position britannique va se trouver légèrement assouplie avec le départ de Madame Thatcher et l’arrivée le 28 novembre 1990 au poste de Premier ministre de John Major qui déclarait vouloir « placer la Grande-Bretagne au cœur de l’Europe » !
Des avis sont donnés par les institutions communautaires. La Commission se prononce le 22 octobre en faveur d’une communauté unique, réunissant l’union politique et l’union économique et monétaire afin d’assurer la cohérence des relations extérieures économiques et politiques, tout en reconnaissant que la méthode de décision communautaire ne pouvait s’appliquer à la politique étrangère. Le Parlement européen réunit les 27-30 novembre une conférence des parlements des États membres pour apaiser les inquiétudes de ces derniers quant à l’extension souhaitée de ses pouvoirs.
Enfin, une orientation décisive est à nouveau donnée par le couple franco-allemand. Le président Mitterrand et le chancelier Kohl adressent le 6 décembre à leurs partenaires une lettre précisant leur conception de la future Union politique. Ils proposent un élargissement des compétences de la Communauté (environnement, santé, politique sociale, énergie, recherche et technologie, protection des consommateurs) et de l’Union (immigration, politique des visas, droit d’asile, criminalité internationale). Ils retiennent l’institution d’une « citoyenneté européenne » proposée par le Premier ministre espagnol Felipe González. Ils souhaitent le renforcement des institutions communautaires (co-décision législative Parlement-Conseil, confirmation par le Parlement de la désignation par le Conseil du président de la Commission, extension de la majorité qualifiée au Conseil), mais insistent aussi sur le rôle essentiel du Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement qui doit être « l’arbitre [...] et le promoteur d’un approfondissement cohérent de l’intégration » et dont le rôle et les missions doivent être accrues à cet effet, particulièrement dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, celle-ci devant mener « à terme à une défense commune ». Les deux signataires affirment que « l’Alliance atlantique tout entière sera renforcée par l’accroissement du rôle et des responsabilités des Européens et par la constitution en son sein d’un pilier européen ».
Le Conseil européen de Rome (14-15 décembre) voit se manifester quelques réserves quant au mandat de négociation à donner à la Conférence intergouvernementale (CIG). Celui-ci se borne à un certain nombre de points à examiner : légitimité démocratique, relations extérieures et de sécurité, citoyenneté, extension de l’action de la Communauté dans huit domaines, rôle du Conseil européen, sans préjuger des travaux de la conférence.
Celle-ci se déroule en 1991 sous les présidences successives du Luxembourg et des Pays-Bas, parallèlement à la conférence sur l’UEM. Elle discute les très nombreuses contributions fournies par les États membres et les avis demandés aux institutions communautaires. Après une phase de discussions générales, la présidence luxembourgeoise assumée par Jacques F. Poos présente le 17 avril un projet retenant les positions appuyées par une majorité de délégations. Le texte étend les compétences de la CEE, renforce les pouvoirs du Parlement, introduit dans le cadre de l’Union les affaires intérieures et de justice et une politique étrangère et de sécurité commune.
Sur le plan institutionnel, le projet luxembourgeois prévoyait une structure par « piliers » : le premier formant la Communauté européenne avec les compétences élargies, comprenant l’UEM et fonctionnant selon le système communautaire renforcé, les deux autres piliers consacrés l’un à la politique étrangère et de sécurité, l’autre aux affaires intérieures et de justice, fonctionnant selon la méthode intergouvernementale puisque plusieurs pays – la France, la Grande-Bretagne, le Danemark, le Portugal – veulent garder leur souveraineté dans ces domaines. L’ensemble est comparé à un temple grec de trois colonnes surmonté d’un fronton, le Conseil, seul compétent dans les trois domaines.
Ce schéma est vivement critiqué par la Commission, soutenue par la Belgique, les Pays-Bas et d’autres pays. La structure par piliers risque d’atomiser le processus d’unification, de développer la méthode intergouvernementale au détriment du système communautaire et d’interdire tout développement fédéral de l’Union. Aussi préconise-t-elle un cadre unique, celui de la Communauté, quitte à différencier les processus de décision selon les domaines. C’est le schéma de l’arbre avec un tronc unique et des branches de tailles différentes. La présidence néerlandaise essaie vainement en septembre de revenir à la structure unitaire mais elle n’est pas suivie. La structure par piliers est donc adoptée.
Un autre problème difficile est celui d’une identité européenne de sécurité et de défense qui soit compatible avec l’Alliance atlantique et l’OTAN, ce qui est réclamé avant tout par les Britanniques et par les Italiens alors que les Français et les Allemands mettent l’accent sur une certaine autonomie de l’Europe dans ce domaine. Le 11 octobre, le président Mitterrand et le chancelier Kohl adressent, pour la troisième fois, une lettre commune à leurs collègues. Ils proposent que la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) comprenne l’ensemble des questions relatives à la sécurité et à la défense, que les décisions de l’Union à ce sujet puissent être mises en œuvre par l’Union de l’Europe Occidentale, seule organisation militaire entre les Douze (ou plutôt les Onze, l’Irlande étant neutre), sans affecter les obligations de ceux-ci à l’égard de l’OTAN. L’UEO serait ainsi le « bras armé » de l’Union européenne et pourrait coopérer avec l’Alliance atlantique. Ces propositions sont acceptées en principe par les partenaires, d’autant que les Américains, au Conseil atlantique de Rome (7-8 novembre), ont accepté le projet d’identité européenne de défense.
C’est au Conseil européen de Maastricht (9-10 décembre) que sont surmontées les dernières difficultés. D’abord sur la politique sociale. La Grande-Bretagne, au nom de l’économie de marché, avait refusé de signer en 1989, la Charte sociale et elle s’opposait maintenant à son inclusion dans le traité d’Union. Pour sortir du blocage, les Onze accordèrent à la Grande-Bretagne le droit de ne pas être engagée par le protocole social annexé au traité, forme d’« opting out » déjà adopté au profit de Londres pour le passage à la troisième étape de l’UEM.
Sur la défense où les oppositions restent vives sur le degré d’autonomie de la politique européenne, il faut recourir à un compromis entre « la politique de défense commune » affirmée par les Britanniques, Néerlandais, Danois et Portugais, et « la défense commune » réclamée par les Français, Allemands, Belges, Luxembourgeois et Grecs. Finalement est réalisée la synthèse des deux formules dans la même phrase alambiquée : « La politique étrangère et de sécurité commune inclut l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union européenne, y compris la définition à terme d’une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune ».
Sur le vote à la majorité qualifiée au Conseil des ministres, élargi dans de nombreuses matières, les Britanniques et les Français sont d’accord pour que, sur les questions de politique étrangère, les actions communes doivent être décidées à l’unanimité, le vote majoritaire n’intervenant que pour les mesures d’application et encore si le Conseil le décide à l’unanimité.