Le retrait de Jacques Delors et la nouvelle Commission Santer

Le retrait de Jacques Delors et la nouvelle Commission Santer


Les élections au Parlement européen se déroulent chez les Douze les 9-12 juin 1994. La participation électorale a encore baissé avec une moyenne de 56 % des inscrits contre 58,5 en 1989, 61 % en 1984, 63 % en 1979. Les écarts restent très grands. Les pays où le vote est plus ou moins obligatoire viennent en tête : Belgique 90 %, Luxembourg 86 %, Italie 74,8 %. La Grèce atteint 71,2 %. Dans la moyenne se situent l’Allemagne réunifiée 61,1 %, l’Espagne 54,6 %, la France 52,7 %, le Danemark 52 %. Sont en dessous de la moyenne l’Irlande 44 %, le Portugal 35,7 %, les Pays-Bas 35,6 %. La Grande-Bretagne reste à un niveau très bas : 36,4 %. Les trois futurs membres, qui n’ont pas participé aux élections européennes, enverront au Parlement à partir de janvier 1995 leurs représentants d’abord délégués par leurs parlements nationaux puis élus au suffrage universel.


Le nombre de parlementaires a été modifié pour tenir compte de la réunification de l’Allemagne qui obtient 99 députés au lieu de 81. La France, la Grande-Bretagne, l’Italie passent de 81 à 87, l’Espagne de 60 à 64, les Pays-Bas de 25 à 31, la Belgique, la Grèce et le Portugal de 24 à 25. Le Danemark reste à 16, l’Irlande à 15, le Luxembourg à 6. Au total 567 députés pour les Douze et 626 pour les Quinze.


La composition politique du Parlement a peu varié. Le groupe socialiste et le groupe du Parti populaire européen (centre droit) restent de loin les plus importants avec respectivement 198 et 157 sièges (les députés des nouveaux membres adhéreront pour moitié à ces deux groupes). Les autres groupes sont de petite taille. Pour atteindre la majorité absolue, les compromis restent nécessaires, essentiellement entre les deux grands groupes.


La première tâche du nouveau Parlement va être de participer à la désignation de la nouvelle Commission. Le traité d’Union européenne prévoit en effet : d’associer les parlementaires à cette procédure, alors que auparavant ils n’avaient que la possibilité – sans l’avoir jamais utilisée – de censurer la Commission nommée par le seul Conseil des ministres. Le chancelier Kohl ayant obtenu à Maastricht que le mandat de la Commission coïncide avec celui, de cinq ans, du Parlement, il faut après les élections européennes, renouveler la Commission nommée en janvier 1993.


Jacques Delors, président de la Commission depuis janvier 1985, avait réalisé en dix ans un travail considérable, donné une impulsion décisive en particulier pour l’ouverture du grand marché, la charte sociale, le traité d’Union économique et monétaire. Il n’était pas fédéraliste d’origine, mais pragmatique dans sa conception de l’intégration européenne. Il n’envisageait pas que les nations perdent leur identité dans l’Europe, mais savait aussi que la coopération intergouvernementale était très insuffisante et qu’il fallait développer un « mécanisme fédérateur » et aboutir à une « Fédération d’États-Nations » de forme originale. Mais les Britanniques, et d’autres gouvernements, s’inquiétaient de ces tendances fédéralistes comme du poids accru de la Commission. Il leur fallait un autre président.


Au Conseil européen de Corfou (24-25 juin 1994) la France et l’Allemagne soutiennent la nomination de Jean-Luc Dehaene, Premier ministre de Belgique dont la présidence du Conseil au second semestre 1993 a été particulièrement efficace. Ils sont suivis par les autres pays. Mais le Premier ministre britannique John Major met son veto, considérant Dehaene comme fédéraliste. Il refuse que cette forte personnalité poursuive – pendant cinq ans – la politique d’intégration de Jacques Delors. Prenant la présidence pour le second semestre 1994, le chancelier Kohl s’efforce de trouver un autre candidat. Il convoque un Conseil européen extraordinaire dès le 15 juillet et obtient que l’accord se fasse sur le nom de Jacques Santer, Premier ministre du Luxembourg, plus acceptable pour les Britanniques.


Selon les dispositions du traité sur l’Union européenne, le Parlement européen doit donner son accord pour la nomination de Jacques Santer. Le malaise provoqué par les conditions de sa désignation entraîne une approbation de justesse, le 21 juillet. Puis le nouveau président exerce – innovation de Maastricht – son droit de regard sur les nominations pour les gouvernements des autres membres de la Commission. Le Parlement de son côté, outrepassant la lettre du traité, fait comparaître individuellement les personnalités choisies afin d’affirmer son rôle. Jacques Santer ayant fait preuve de son autorité dans ce long processus, achevé le 29 octobre, obtient enfin l’approbation de la nouvelle Commission par les eurodéputés le 18 janvier 1995, avec une majorité plus large que prévu (416 voix contre 103 et 59 abstentions). Celle-ci est alors nommée par les gouvernements le 23 janvier et entre en fonction pour la période 1995-2000.


La nouvelle Commission compte vingt membres, au lieu de dix-sept précédemment. Le président Santer est assisté de deux vice-présidents : le Britannique sir Leon Brittan et l’Espagnol Manuel Marin. Parmi les nouveaux commissaires se trouvent d’importantes personnalités : Edith Cresson, ancienne Premier ministre de France ; Neil Kinnock, ancien leader du parti travailliste, Mario Monti, éminent économiste italien, le Français Yves-Thibault de Silguy, l’Italienne Emma Bonino. Plusieurs membres de la Commission Delors sont renouvelés dans la Commission Santer dont sir Leon Brittan, Hans van den Broek, ancien ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, le Belge Karel Van Miert, l’Allemand Martin Bangemann.

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