Les négociations intergouvernementales

Les négociations intergouvernementales


Le traité de Maastricht (février 1992) sur l’Union européenne prévoyait la possibilité de réviser, après expérience, certaines de ses dispositions qui avaient été estimées insuffisantes lors de la négociation. Dans ses dispositions finales, l’article N prévoit que tout État membre ou la Commission, peut soumettre au Conseil des projets tendant à la révision des traités. Le Conseil, après consultation du Parlement européen et, le cas échéant, de la Commission, émet un avis favorable à la réunion d’une Conférence intergouvernementale (CIG) convoquée par la Présidence. Les amendements au traité sur l’Union européenne seront soumis à ratification de tous les États membres. Une « clause de rendez-vous » prévoit la réunion d’une telle conférence en 1996.


La révision doit répondre aux objectifs énoncés aux articles A et B des dispositions communes visant l’union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe, le progrès économique et social équilibré et durable, l’affirmation de l’identité de l’Union sur la scène internationale, la protection des droits et des intérêts des ressortissants, la coopération étroite dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, le respect du principe de subsidiarité. La révision est expressément prévue dans plusieurs domaines :


- les formes de coopération des 2e et 3e piliers (PESC et JAI) en vue d’assurer l’efficacité des mécanismes et des institutions communautaires, proposition introduite à la demande de la Belgique soucieuse d’intégrer dans la Communauté certaines actions intergouvernementales ; amélioration des dispositions relatives à la PESC et à la défense de l’Union, à la demande de la France et de l’Allemagne ;


- l’élargissement du champ d’application de la codécision avec le Parlement européen, également demandée par la Belgique ;


- introduction dans le traité de chapitres relatifs à l’énergie, au tourisme, à la protection civile ;


- établissement d’une hiérarchie entre les différentes catégories d’actes communautaires.


Cette liste n’est pas limitative. Les États peuvent proposer d’autres amendements. Le Parlement européen, de son côté, demande le réexamen de la procédure budgétaire et de la « comitologie » (c’est-à-dire du fonctionnement des nombreux comités de fonctionnaires nationaux associés à la mise en œuvre des décisions). Les nouveaux États membres nordiques mettent l’accent sur une Union plus proche des citoyens (sécurité intérieure, emploi, environnement). Enfin, la perspective de l’élargissement aux pays d’Europe centrale et orientale (PECO) pose le problème de l’adaptation des institutions, qui n’avait pu être résolu lors du passage de douze membres à quinze et qui doit l’être impérativement avant l’élargissement à vingt-cinq.


Les enjeux sont très importants et les débats débordent le cadre des milieux diplomatiques et européens. Les mouvements européens, les universitaires, les hommes politiques et la presse ont débattu des réformes à apporter à l’Union européenne. Ils ont aussi élaboré des propositions et avancé des suggestions dont certaines ont trouvé un écho favorable chez les négociateurs. Les problèmes de l’Europe ont alors sensibilisé l’opinion des milieux informés. Mais ceux-ci seront plutôt déçus par les résultats très inégaux de la conférence.


Les gouvernements en effet ne manifestent pas, comme ce fut le cas à Maastricht, une forte volonté de progrès étant divisés sur les finalités de l’Union européenne et sur les modalités des réformes à apporter à son traité.


La Grande-Bretagne est la moins disposée à avancer. Le gouvernement conservateur de John Major, qui a déjà obtenu à Maastricht des dérogations en sa faveur pour la monnaie unique et pour la politique sociale, refuse l’extension du vote majoritaire au Conseil des ministres et l’inclusion dans le traité d’un chapitre sur l’emploi et s’oppose à l’intégration de l’UEO dans l’Union européenne au nom de la priorité atlantique. Mais l’arrivée au pouvoir des travaillistes, le 1er mai 1997, permet une certaine détente. Tony Blair, Premier ministre, tout en affirmant que son objectif prioritaire est la défense des intérêts britanniques dans l’Union, fait preuve de plus de souplesse en acceptant notamment de nouvelles dispositions sur la politique sociale.


En face, le couple France-Allemagne, qui a joué un rôle décisif dans la négociation du traité de Maastricht, ne fait plus preuve de la même efficacité. En France, la droite l’emporte aux élections législatives des 21-28 mars 1993 entraînant la formation du gouvernement d’Édouard Balladur peu disposé à répondre aux suggestions de la CDU-CSU, parti majoritaire du chancelier Helmut Kohl, visant à réformer les institutions communautaires dans un sens plus fédéral et à former un « noyau européen » France-Allemagne-Benelux pour développer l’intégration politique. Balladur s’en tient en effet à des groupements d’États, différents selon les domaines (monnaie ou défense). Le président français François Mitterrand, affaibli par la maladie, arrive peu à peu à la fin de son second septennat. L’arrivée à la présidence de la République de Jacques Chirac, le 17 mai 1995, se traduit par un certain rapprochement diplomatique avec Bonn. D’où plusieurs propositions communes pour la réforme de l’Union, particulièrement par l’institution de « coopération renforcée » entre pays qui le souhaiteraient, par le développement de la PESC, par la fusion de l’UEO dans l’Union européenne, par la repondération des voix au Conseil et par l’extension de la majorité qualifiée.


Mais des divergences réapparaissent. Le chancelier Kohl, soucieux avant tout de faire accepter le remplacement du mark par l’euro, très critiqué en République fédérale, se montre moins déterminé à renforcer les institutions, sauf le Parlement, et à étendre le vote majoritaire aux domaines nouveaux en raison de la résistance des Länder. En France, la gauche gagne les élections législatives et Lionel Jospin forme un gouvernement socialiste-communiste-écologiste le 2 juin 1997 qui marque ses différences avec le gouvernement démocrate-chrétien-libéral allemand sur le plan de l’économie libérale et de la politique sociale. Ces divergences apparaissent dès la négociation du pacte de stabilité et de croissance.


Quant aux autres États membres, ils divergeaient sur les réformes à proposer. Les pays neutres (Irlande, Autriche, Suède et Finlande) sont réservés sur la PESC et hostiles à l’intégration de l’UEO dans l’Union européenne, comme les Britanniques, mais pour des raisons différentes. Les Scandinaves sont intéressés surtout par les questions sociales et par les problèmes d’environnement. Les petits pays, tout en souhaitant le renforcement des institutions – qui les protègent à l’égard des grands – ne veulent pas que leur poids soit réduit par une nouvelle pondération des voix au Conseil.


Outre ces divergences entre positions nationales, les modalités de négociation ne sont pas non plus de nature à favoriser des rapprochements. Dans le passé, les conférences intergouvernementales avaient réussi lorsqu’elles disposaient au départ d’un projet élaboré comme base de discussion, ainsi le rapport Spaak pour les traités de Rome, les propositions de la Commission pour l’Acte unique européen et le rapport Delors pour l’Union économique et monétaire (UEM) du traité de Maastricht. Mais ce n’est pas le cas pour la révision du traité sur l’Union européenne. Un groupe de réflexion a bien été constitué pour formuler des propositions. Composé des représentants des ministres des Affaires étrangères, de la Commission et du Parlement européen, et présidé par le secrétaire d’État espagnol aux affaires européennes Carlos Westendorp y Cabeza, il travaille sur les rapports du Conseil, de la Commission et du Parlement sur le fonctionnement des institutions communautaires depuis Maastricht et sur les contributions fournies par les États membres. Mais le rapport qu’il publie le 5 décembre 1995 ne fournit pas une synthèse. Il s'agit surtout d'un catalogue des divergences entre les positions nationales sur les différentes réformes possibles. Il se borne à dégager les trois domaines où il est nécessaire d’agir : rapprocher l’Europe de ses citoyens, améliorer les institutions pour permettre à l’Union de mieux fonctionner dans la perspective de l’élargissement, renforcer la capacité d’action extérieure de l’Union. Mais le rapport ne formule pas de propositions concrètes pour atteindre ces objectifs. Ce sont ces orientations générales que le Conseil européen de Turin (29 mars 1996) charge la Conférence intergouvernementale (CIG) d’explorer.


Les négociations se déroulent essentiellement au sein du groupe des représentants des ministres, les arbitrages, étant rendus par le Conseil des ministres des Affaires étrangères, et les grandes orientations fixées à l’occasion des Conseils européens des chefs d’État ou de gouvernement. La Commission ne joue qu’un rôle limité, s’attachant surtout à maintenir ses prérogatives et à renforcer le rôle du Parlement. Celui-ci, bien que non présent à la conférence, s’exprime par la voix de son président lors des Conseils des ministres et des Conseils européens et obtient des satisfactions. Le rôle déterminant est joué par les présidences semestrielles successives du Conseil (Italie, Irlande et Pays-Bas) qui préparent les documents de travail et recherchent les compromis nécessaires. Les dernières questions litigieuses sont tranchées au Conseil européen d’Amsterdam (16-17 juin 1997). Après sa mise en forme juridique, le traité d’Amsterdam est signé par les ministres le 2 octobre. Les ratifications seront acquises sans difficultés et le traité entrera en vigueur le 1er mai 1999.

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