Le marché intérieur
Le marché intérieur
A la fin des années quatre-vingts, le marché commun de la Communauté économique européenne (CEE), prévu par le traité de Rome du 25 mars 1957, reste inachevé. Certes, les échanges intracommunautaires avaient été libérés par l'élimination rapide des contingents et par l'abaissement progressif des barrières douanières. Pour les produits industriels, la libération était achevée au 1er juillet 1968. Quant aux produits agricoles, la politique agricole commune (PAC) mise en place à partir de 1962, elle consistait en une organisation de marché par produits établissant l'unicité du marché et des prix garantis.
Toutefois, de nombreux obstacles à la libre circulation subsistaient. Les contrôles en douane demeurent nécessaires en raison des disparités des réglementations nationales en ce qui concerne les normes de qualité, de sécurité et d'hygiène. Un pays jugeant insuffisantes les normes de fabrication d'un autre pays de la Communauté pouvait s'opposer à leur importation. Certes la Cour de justice avait, le 20 février 1979, dans l'affaire du "Cassis de Dijon", rendu un arrêt décidant que "tout produit légalement fabriqué et commercialisé dans l'un des États membres doit, en principe, être introduit dans tout autre État membre". Des dérogations à ce principe n'étaient admises qu'à des conditions très strictes, mais il fallait que la Commission constatant des réglementations abusives saisisse la Cour de justice qui tranchait cas par cas.
Or avec la crise pétrolière de 1973 et la crise économique qui s’ensuivit, les réflexes protectionnistes nationaux réapparaissaient. Ne pouvant rétablir les contingents et les droits de douane, les gouvernements multipliaient les obstacles non tarifaires aux échanges, avec les réglementations techniques et commerciales.
De plus, des distorsions de concurrence étaient introduites par les disparités de législation fiscale entre les États membres. Un progrès avait été réalisé avec la généralisation, à partir de 1967, du système français de taxe à la valeur ajoutée (TVA) pour remplacer les divers impôts indirects existants, mais les taux resteront différents d’un pays à l’autre. Aucune harmonisation n’était intervenue en matière d’impôts directs sur les sociétés. Des règles de concurrence avaient été adoptées (contrôle des ententes et des positions dominantes, contrôle des aides publiques aux entreprises) et appliquées, mais les entreprises publiques y échappaient.
La libération des mouvements de capitaux n’avait été que partiellement réalisée, les États tenant à conserver le contrôle de leur marché financier pour défendre leur monnaie et préserver les possibilités d’emprunts publics et privés. Pour les personnes, la libre circulation et d’établissement était complète pour les travailleurs salariés et non salariés (artisans, commerçants, industriels) mais très incomplète pour les professions libérales. Quant à la libre prestation des services (banques, assurances, transports) qui aurait dû être assurée progressivement, elle ne l’avait pas été.
L’inachèvement du marché commun était un obstacle certain pour l'intégration et l’expansion économiques de la Communauté.
La mise en œuvre du marché intérieur
Dans le cadre du premier pilier communautaire, il s’agit d’achever l’ouverture du marché intérieur, fixée en principe à la fin 1992, mais sans obligation juridique, d’où des retards dus à la résistance des administrations ou des groupes d’intérêt. Aussi les progrès accomplis dans l’établissement de l’« espace sans frontières » sont-ils inégaux.
Pour les personnes, la liberté de circulation et d’établissement, déjà réalisée pour les salariés et entrepreneurs, est étendue aux « inactifs » (étudiants, retraités, rentiers). Des progrès sont faits pour la reconnaissance mutuelle des diplômes.
Quant à la suppression des contrôles aux frontières pour les personnes, elle sera réalisée par les accords de Schengen.
Pour les marchandises, les formalités douanières, réduites au 1er janvier 1988, sont supprimées au 1er janvier 1993. La commercialisation sur le marché communautaire est facilitée par la reconnaissance mutuelle des normes de fabrication des produits lorsque celles-ci répondent aux exigences essentielles en matière de santé et de sécurité qui font l’objet de « directives allégées » proposées par la Commission et adoptées par le Conseil au vote majoritaire.
Quant aux services, dont la libération était très en retard alors que leur place dans l’économie est plus importante que celles de l’industrie et de l’agriculture, ils bénéficient de la liberté d’établissement des banques depuis 1993, de la liberté de prestation des sociétés d’assurances depuis 1992. La libération difficile des transports est mise en œuvre progressivement : transports maritimes en 1986, aériens en 1987, routiers en 1992. Pour le rail, la formation d’un marché européen est difficile entre réseaux nationaux mais des progrès sont faits dans l’ouverture de l’exploitation à des opérateurs privés.
En ce qui concerne les services publics bénéficiant d’un monopole et les entreprises d’État subventionnées, il s’agissait de trouver une solution acceptable entre ouverture à la concurrence et protection des usagers. En 1997 la Commission fait adopter la notion de « service universel » permettant de limiter la libéralisation des services publics pour tenir compte des besoins de l’ensemble des usagers. Les entreprises nationales peuvent être maintenues à condition d’ouvrir à la concurrence une partie de leurs activités ou de leur capital. Le marché des télécommunications est totalement ouvert à partir du 1er janvier 1998.
Une politique de la concurrence vise à éviter les situations dominantes d’entreprises au sein de l’Union en contrôlant les concentrations, en interdisant les ententes et les aides nationales. Toutefois des inégalités subsistent dans le domaine de la fiscalité. Les taux de TVA sont progressivement rapprochés au cours de la période 1993-1997 autour d’un taux moyen de 15 % (5 % pour certains produits de grande consommation, mais l’éventail reste très ouvert entre les différents pays. Les autres impôts ne sont pas normalisés, d’où un « dumping fiscal » pour attirer les entreprises.
Il n’a pas encore été possible d’établir un statut de société européenne. En attendant une solution provisoire est trouvée avec la création des « groupements européens d’intérêt économique » pour faciliter la coopération entre entreprises de statut national.
Si les obstacles aux échanges ont été éliminés dans une très large mesure, il n’en reste pas moins que des actions restent nécessaires pour dynamiser l’économie de l’Union. Certes les effets de l’ouverture du marché unique se sont fait sentir et les échanges intra-européens se sont encore accrus, mais la conjoncture se détériore à partir de 1992, avec le ralentissement de la croissance et la montée du chômage. D’autre part, l’Europe doit développer sa compétitivité face à la concurrence internationale. Jacques Delors, président de la Commission, fait approuver par le Conseil européen (10-11 décembre 1993) le livre blanc « Croissance, compétitivité, emploi » qui préconise l’accroissement de la coopération en recherche et développement, le développement des réseaux de transport et de télécommunications, la création d’un espace commun de l’information, l’adoption d’un nouveau modèle de développement tenant compte de l’environnement et des besoins qualitatifs, l’action sur le marché de l’emploi. Les Etats membres sont priés de s’en inspirer, mais les réalisations communautaires restent très limitées pour des raisons budgétaires. Au Conseil européen de Dublin (21 septembre 1996), un programme de grands travaux d’infrastructures est répété, la France et l’Allemagne refusant les crédits. Ensuite les gouvernements seront soucieux d’abord de réduire leurs déficits pour accéder à la monnaie commune.
Quant au chômage, qui s’accroît avec l’aggravation de la situation économique en 1995-1996, le Conseil extraordinaire sur l’emploi de Luxembourg (21-22 novembre 1997), il adopte une « stratégie coordonnée pour l’emploi » fixant les objectifs généraux mais non chiffrés.