La création du Mouvement européen

La création et les premières initiatives du Mouvement européen


Créé à Paris le 11 novembre 1947 dans la foulée d’un premier comité de liaison des mouvements pour l’unité européenne institué quatre mois auparavant à Paris pour orchestrer et amplifier la campagne d’opinion en faveur de l’unité européenne, le Comité international de coordination des mouvements pour l’unité européenne (CICMUE) rassemble l’Union européenne des fédéralistes (UEF) que préside le Néerlandais Henri Brugmans, l’United Europe Movement de l’ancien Premier ministre Winston Churchill, la Ligue indépendante de coopération européenne (LICE) de l’ancien Premier ministre belge Paul van Zeeland, le Conseil français pour l’Europe unie que préside le commissaire à l’énergie atomique Raoul Dautry, l’Union parlementaire européenne (UPE) du comte Richard Coudenhove-Kalergi et les Nouvelles équipes internationales (NEI) du Français Robert Bichet.


Présidé par le député conservateur britannique Duncan Sandys, gendre de Churchill, et dirigé par son secrétaire général Joseph Retinger, le CICMUE crée aussitôt un bureau à Londres ainsi qu’une antenne à Paris sous la direction de Georges Rebattet. Les tâches du comité concernent à la fois l’organisation, l’étude et la propagande en faveur de l’Europe unie. C’est lui qui convoque et organise le congrès de l’Europe à La Haye en mai 1948. Placé sous la présidence d’honneur de Churchill, le congrès rassemble près de huit cents participants (hommes d’État, parlementaires, hommes d’affaires, syndicalistes, universitaires, …) qui, triés sur le volet, représentent les forces vives des pays d’Europe occidentale. Très ambitieux, le congrès poursuit trois objectifs: prouver l’existence dans tous les pays libres d’Europe d’un mouvement d’opinion en faveur de l’unité européenne, discuter les enjeux de l’unité européenne et proposer aux gouvernements des solutions pratiques, insuffler une vigueur nouvelle à la campagne internationale d’opinion.


Fort du succès du congrès de La Haye, le Comité international de coordination prend en charge la concrétisation des résolutions adoptées par les participants dans les domaines politique, économique et culturel. Sont ainsi créées une section économique et sociale, une section culturelle et une section d’étude juridique. Mais il apparaît rapidement que la tâche est telle qu’elle ne peut plus être menée par les seuls soins des associations militantes. Aussi le CICMUE se transforme-t-il, le 25 octobre 1948 à Bruxelles, en un Mouvement européen. Soucieux de placer son combat au-dessus des partis, le Mouvement européen se donne pour présidents d’honneur l’ancien président du Conseil des ministres français Léon Blum, Winston Churchill, le Premier ministre italien Alcide De Gasperi et le Premier ministre et ministre belge des Affaires étrangères Paul-Henri Spaak. Ils seront bientôt suivis par le ministre français des Affaires étrangères Robert Schuman, le comte Richard Coudenhove-Kalergi et le chancelier allemand Konrad Adenauer.


Le Mouvement européen regroupe, sans les fusionner, le Conseil français pour l’Europe unie de René Courtin, la LICE - bientôt rebaptisée Ligue européenne de coopération économique (LECE) - de Paul van Zeeland, les NEI de Robert Bichet, l’UEF d’Henri Brugmans et l’United Europe Movement de Duncan Sandys et de Winston Churchill. S’y ajouteront ensuite d’autres mouvements tels que le Mouvement socialiste pour les États-Unis d’Europe, l’Union parlementaire européenne (UEP), l’Action européenne fédéraliste, l’Association européenne des enseignants, le Mouvement libéral pour l’Europe unie, l’Association des journalistes européens, l’Union des résistants pour une Europe unie, … Le Mouvement européen est animé par un bureau exécutif et par un comité international qui repose lui-même sur des conseils nationaux en Allemagne de l'Ouest, en Autriche, en Belgique, au Danemark, en France, en Grèce, en Irlande, en Islande, en Italie, au Luxembourg, en Norvège, aux Pays-Bas, au Portugal, au Royaume-Uni, en Suède, en Suisse et en Turquie. Le secrétaire général en est le Français Georges Rebattet, André Philip et Retinger étant tous deux délégués généraux. Un comité rassemblant des exilés espagnols est mis sur pied. Après avoir transité par Londres et Paris, le secrétariat international du Mouvement européen s’installe définitivement en 1951 à Bruxelles.


Le Mouvement européen se dote rapidement d’un drapeau marqué d’un E vert sur fond blanc. Tirant surtout ses ressources des cotisations de ses membres et des subventions gouvernementales, il peut également compter, dès le mois de mars 1949, sur le soutien financier de l’American Committee on United Europe du général William J. Donovan. Sous l’impulsion de Retinger, d’origine polonaise, le Mouvement européen crée à Londres à la fin de 1949 une section des pays de l’Europe centrale et orientale qui groupe divers leaders de la diaspora bulgare, hongroise, polonaise, roumaine, tchécoslovaque et yougoslave. Elle est présidée par le député conservateur Harold Macmillan qui insiste régulièrement sur la complémentarité entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest et condamne le manque de liberté dont souffrent les habitants des pays soumis au joug soviétique. Un an plus tard, le 28 août 1950, le Conseil de l’Europe se dote d’une commission spéciale chargée de veiller aux intérêts des nations non représentées. En janvier 1952, le Mouvement européen tiendra à Londres une conférence des pays d’Europe de l’Est.


Dès sa création, le Mouvement européen concentre son action sur la convocation d’une Assemblée européenne. Le 18 août 1948 déjà, le CICMUE avait présenté aux gouvernements européens des propositions largement mises au point par l’ancien président du Conseil des ministres français Paul Ramadier qui avait déjà présidé à La Haye la commission politique. En retrait par rapport à la résolution du congrès de La Haye, le projet Ramadier plaide en effet pour une Assemblée strictement délibérative et consultative. Le 23 novembre, le Mouvement européen prend le relais et soumet au comité intergouvernemental créé à Paris par les cinq pays du pacte de Bruxelles un nouveau mémorandum qui formule des recommandations détaillées sur les fonctions et sur la composition d’une Assemblée consultative européenne et d’un conseil des ministres européens. Le 9 décembre, une délégation du Mouvement européen est reçue au Quai d’Orsay par le comité intergouvernemental pour développer oralement les propositions formulées deux semaines plus tôt dans le mémorandum. Du 25 au 28 février 1949 à Bruxelles, le premier congrès politique du Mouvement européen se penche sur la création de la future assemblée et d’une autorité politique européennes. Mais, à l’instar du congrès de La Haye, les débats sont fortement marqués par l’opposition doctrinale entre les unionistes, favorables à une simple coopération intergouvernementale, et les fédéralistes qui cherchent à édifier une fédération européenne sur une base supranationale en y associant au maximum les forces vives de la société civile. Formule de compromis, la recommandation adoptée à Bruxelles demande que les délégués à l’Assemblée européenne soient certes désignés par les parlements nationaux mais en veillant toutefois à assurer une certaine représentation extraparlementaire. Un projet de Charte européenne des droits de l’homme est également rédigé qui énumère les droits individuels, familiaux et sociaux juridiquement garantis et protégés par une Cour européenne. Passablement édulcoré par rapport aux prises de position du Mouvement européen, le statut du Conseil de l’Europe est signé à Londres le 5 mai 1949.


En avril 1949, le Mouvement européen organise à Westminster une conférence consacrée aux questions économiques. Y participent des économistes de premier plan, des parlementaires mais aussi des représentants du monde patronal et syndical. Les discussions témoignent une nouvelle fois des divisions entre une majorité de Britanniques et les souverainistes d’une part, qui se montrent partisans de la création en Europe occidentale d’une zone de libre-échange, et de nombreux continentaux qui plaident au contraire pour d’importants transferts de souveraineté des États et appellent de leurs vœux une union économique et douanière. Certains fédéralistes, partisans des thèses proudhoniennes et intégrales, préconisent même une transformation de la structure intérieure des États européens à travers une décentralisation des pouvoirs et une décentralisation économique et culturelle. Il s’agit aussi de concilier les thèses socialiste et libérale. Toutefois, en matière monétaire, notamment en ce qui concerne la libre convertibilité, les concessions des uns et des autres permettent d’établir un programme qui préfigure ce que sera dès 1950 l’Union européenne des paiements (UEP). On recommande également l’institution d’un comité économique et social européen composé de représentants de toutes les branches d’activité. Enfin, la conférence réclame la suppression des entraves au tourisme et une consultation des gouvernements des puissances coloniales pour toutes les questions relatives aux pays et territoires d’outre-mer.


En juillet 1950, le Mouvement européen organise à Rome une conférence sociale qui définit les grandes lignes d’une politique sociale européenne. Les divergences sont pourtant vives entre les délégués des pays confrontés à un fort taux de chômage et les autres ou entre les représentants syndicaux et patronaux au sujet de la participation syndicale à la gestion des entreprises ou de l’harmonisation des charges sociales en Europe. L’idée d’un comité économique et social européen est une nouvelle fois étudiée. De même les congressistes envisagent-ils la création d’un commissariat européen à la main-d’œuvre et d’un fonds européen pour la reconstruction et le développement.


Pour faire entendre ses prises de position, le Mouvement européen international développe une propagande active auprès des responsables politiques, économiques, sociaux et culturels. Sans oublier l’opinion publique. Pour ce faire, il organise des débats publics et finance de très nombreuses publications dont la revue mensuelle Nouvelles de l’Europe. Aussi, en dépit des difficultés doctrinales, humaines et matérielles, le Mouvement européen constitue-t-il au début des années cinquante une force morale importante qui permet à l’idée européenne de passer à l’étape des premières réalisations concrètes.


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