Vers les "états généraux" de l'Europe à La Haye

Vers les "états généraux" de l'Europe à La Haye


Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est en ruine. Partout le désordre social et la misère. L’Europe semble moralement disqualifiée. L’Allemagne vaincue est la plus durement touchée. Les Occidentaux envisagent la création d’une Autorité internationale pour le contrôle du charbon et de l’acier de la Ruhr. Sur le continent, des millions de personnes sont déplacées. Les pénuries et les mesures de rationnement sont maintenues. Il n’y a pas de transaction libre sur les monnaies. Les échanges sont contingentés et l’Europe souffre d’une pénurie de dollars. Dans le même temps, les premiers signes de la décolonisation sourdent en Indonésie, en Indochine, en Inde ou à Madagascar. L’Europe, vulnérable, recule. Grands vainqueurs du conflit, les États-Unis et l’Union soviétique ne tardent d’ailleurs pas à s’opposer sur l’échiquier européen. Le rideau de fer s’abat sur l’Europe et la Guerre froide s’installe pour plus de quarante ans. L’Europe démocratique est réduite à sa partie occidentale et atlantique. Les États-Unis, qui cherchent à endiguer l’influence communiste, s’empressent de subvenir aux besoins les plus urgents des Européens. Ils les poussent aussi à s’unir. L’Organisation des Nations unies (ONU), créée sur les cendres de la Société des nations (SDN) d’avant-guerre, est dominée par un directoire des «Cinq Grands». L’heure des grands ensembles géopolitiques semble venue. Divisée en États longtemps rivaux, l’Europe semble désormais souffrir d’anachronisme. Et son déséquilibre reste une menace pour le monde. Les difficultés politiques et économiques mettent en évidence combien la faiblesse de l’Europe résulte de son morcellement. Le problème de l’unité européenne est donc clairement posé. L’Europe doit s’unir avant que la pression du danger ne soit trop forte. Il faut désormais reconstruire pour ne pas disparaître et préparer la paix.


Un peu partout, les initiatives se mettent en place. Déjà pendant la guerre, certains mouvements de la Résistance s’étaient employés à défendre l’idée européenne. Mais il faut attendre le 1er septembre 1946 pour que l’ancien Premier ministre britannique Winston Churchill, auréolé du prestige de la victoire sur la barbarie nazie, déclare dans un discours retentissant à l’Université de Zurich: «Nous devons créer quelque chose comme les États-Unis d’Europe […] Le premier pas sera de constituer un Conseil de l’Europe». Le 5 juin 1947, le général Marshall, secrétaire d’État américain, prononce à son tour à l’Université d'Harvard un discours historique dans lequel il propose à tous les pays européens d’accroître l’aide économique des États-Unis à condition toutefois que les États bénéficiaires s’organisent pour gérer ensemble l’aide américaine. Une conférence de coopération économique européenne s’ouvre à Paris le 12 juillet 1947. Mais l’Union soviétique boycotte la réunion et met son veto à la participation des pays d’Europe centrale et orientale. Au contraire, l’URSS crée dès le 22 septembre 1947 le Kominform qui assure la liaison entre les représentants des partis communistes et ouvriers européens. Le coup de Prague du 25 février 1948, qui impose un régime communiste en Tchécoslovaquie, met un terme définitif aux derniers espoirs d’entente. Car à Paris, un bilan des besoins économiques est rapidement dressé. C’est le prélude de l’Organisation européenne de coopération économique (OECE) dont la convention sera signée à Paris le 16 avril 1948. Sur le plan économique toujours, Benelux est sur les rails et une union douanière entre la France et l'Italie est également à l'étude.


Sur le plan militaire, c’est la France et le Royaume-Uni qui montrent l’exemple en signant, le 4 mars 1947 à Dunkerque, un traité d’alliance et d’assistance mutuelle. Bientôt suivi, le 17 mars 1948, par le traité de Bruxelles de collaboration en matière économique, sociale et culturelle et de légitime défense collective. Il regroupe la France, le Royaume-Uni et les trois pays qui forment désormais le Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg).


Dans le même temps, apparaissent des mouvements privés, toujours plus nombreux, qui militent activement en faveur de l’unité européenne. Toutes les obédiences politiques, hormis le courant communiste, sont représentées. Mais les moyens dont disposent ces mouvements et les doctrines européennes qu’ils défendent sont hétérogènes. L’unification de tous ces mouvements pro-européens devient alors une tâche urgente. Il apparaît en effet qu'il faut mieux canaliser les efforts pour rendre l’action plus efficace et le message plus audible. Y compris auprès des opinions publiques. C’est ce qui explique la création, le 11 novembre 1947 à Paris, du Comité international de coordination des mouvements pour l’unité européenne (CICMUE). Il rassemble l’Union européenne des fédéralistes (UEF) que préside le Néerlandais Henri Brugmans, l’United Europe Movement de l’ancien Premier ministre Winston Churchill, la Ligue indépendante de coopération européenne (LICE) de l’ancien Premier ministre belge Paul van Zeeland, le Conseil français pour l’Europe unie que préside Raoul Dautry et les Nouvelles équipes internationales (NEI) du Français Robert Bichet. L'Union parlementaire européenne (UPE) qu'anime le comte Richard Coudenhove-Kalergi ne les rejoindra qu'en avril 1948. Très vite, les Britanniques prennent rapidement les choses en main. Le député et ancien ministre conservateur Duncan Sandys, gendre de Winston Churchill et secrétaire général du United Europe Movement, devient le président du Comité dont les secrétaire général et secrétaire général adjoint sont respectivement le Polonais Joseph Retinger, cofondateur de la LICE, et le Français Georges Rebattet.


Le Comité international de coordination, qui dispose d’un siège à Londres et d’une antenne à Paris, se donne immédiatement pour objectif d’organiser un grand congrès en faveur de l’Europe unie. Ce sera, du 7 au 10 mai 1948, le congrès de l’Europe à La Haye. Le député catholique néerlandais Pieter Kerstens, vice-président de la LICE, est alors désigné président du comité d’organisation. Pendant six mois, la préparation du congrès mobilise toutes les énergies.



Consult in PDF format