Themendossier

Le FECOM


Durant la difficile année 1973, la seule véritable avancée est la création du Fonds européen de coopération monétaire (FECOM), préconisé par le rapport Werner.


La résolution du Conseil des ministres de la Communauté du 22 mars 1971 relative à l’UEM stipule précisément la création d’un Fonds européen de coopération monétaire. Le FECOM est considéré comme une étape souhaitable, mais toutefois non indispensable, dans l’organisation communautaire des banques centrales1.


Le 21 mars 1972, le Conseil demande au comité monétaire et au Comité des gouverneurs des banques centrales de réfléchir et de rédiger un rapport sur l’organisation, les fonctions et les statuts d’un tel fonds. Des suites pratiques doivent intervenir jusqu’à la fin de l’année.


La problématique du FECOM suscite beaucoup de débats. Les plus réticents quant à sa création sont la France et l’Allemagne, mais leurs raisons sont différentes. Les Français se méfient par principe des nouvelles institutions communautaires qui tendent à accroître leur autonomie aux dépens des organismes existants. À leurs yeux, les décisions monétaires doivent rester du ressort des autorités gouvernementales. Les Allemands craignent qu’à travers ce fonds leurs finances soient mises à contribution pour soutenir des partenaires moins développés et dont la gestion économique est peu rigoureuse. Paris et Bonn se contenteraient ainsi d’un «simple organisme de concertation monétaire et d’information statistique»2. Les Pays-Bas, l’Italie et le Royaume-Uni, tout comme l’Irlande et le Danemark ont une approche moins restrictive: le fonds doit effectuer des interventions communautaires multilatérales, avec une comptabilisation en unité de compte européenne. L’Italie demande aux États membres carrément de confier au FECOM une fraction de leurs réserves jusqu’à la concurrence d’un montant de 2,4 milliards de dollars ce qui semble à une tentative de parer aux accès de faiblesse de la lire italienne. La Belgique, qui représente également le Luxembourg en raison de leur association monétaire, a une vision plus généreuse. Elle considère que le Fonds doit être doté de moyens d’interventions propres et remplir le rôle d’écluse entre l’extérieur et les réserves nationales à travers un mécanisme de multilatéralisation. Ce mécanisme permettrait de passer, de façon quasi automatique, des crédits à très court terme (15 jours) nécessaires aux interventions communautaires aux soutiens monétaires à court terme et aux aides intergouvernementales à moyen terme déjà prévus par la CEE. Le FECOM marquerait ainsi serait le début d’une banque centrale européenne3.


Le rapport des experts, qui prend la forme d’un projet d’avis au Conseil et à la Commission, est finalisé le 10 août 19724. Dans cet avis, le FECOM est considéré comme contribution à la réalisation progressive de l’UEM et comme expression de la volonté des États membres de renforcer leur coopération monétaire. Il pourrait, en même temps, servir d’instrument d’exécution de la politique communautaire de réduction des marges de fluctuation. Suivant le degré de solidarité monétaire recherché, le Fonds pourrait remplir des fonctions de plus en plus complexes5, y compris, à terme, la mise en commun d’une partie des réserves des pays membres. La comptabilité du Fonds, ainsi que certains paiements seront libellés en «unité de compte européenne».


Quelques semaines plus tard, les ministres des Finances et des Affaires étrangères de la Communauté élargie conviennent d’instituer le FECOM dès la première étape de l'UEM, mais optent pour une approche prudente: ce fonds sera une simple structure d’accueil et de coopération entre les banques centrales6.


Les chefs d’État ou de gouvernement des Neuf, réunis les 19-21 octobre 1972 à Paris à l’invitation du président Pompidou, adoptent une déclaration commune solennelle énonçant l’objectif de parvenir à l'Union européenne. Cette déclaration réaffirme la volonté d’édifier l’UEM jusqu’au 31 décembre 1980 au plus tard: «Les chefs d’État ou de gouvernement réaffirment la volonté des États membres des Communautés européennes élargies de réaliser d’une façon irréversible l’Union économique et monétaire, en confirmant tous les éléments des actes adoptés par le Conseil et par les représentants des États membres les 22 mars 1971 et deuxième étape de l’Union économique et monétaire au 1er janvier 1974 et en vue de son achèvement au plus tard au 31 décembre 1980. Les chefs d’État ou de gouvernement ont réaffirmé le principe de progrès parallèles dans les différents domaines de l’Union économique et monétaire»7.


En réaffirmant le principe des parités fixes mais ajustables entre les monnaies communautaires comme base essentielle pour la réalisation de l’UEM, la déclaration envisage la mise en place du FECOM avant le 1er avril 1973, dont la gestion sera assurée par le Comité des gouverneurs des banques centrales. Les Neuf réitèrent la nécessité de renforcer la coordination de leurs politiques économiques, ainsi que la volonté d’une attitude commune dans la réforme du système monétaire international, basé sur parités fixes mais ajustables et la diminution du rôle du dollar américain en tant comme monnaie de réserve.


Le FECOM est institué le 3 avril 1973, en tant que noyau dur de l’organisation future des banques centrales au niveau de la Communauté8. Son premier objectif est de veiller au bon fonctionnement du rétrécissement progressif des marges de fluctuation des monnaies communautaires entre elles. Il doit ensuite surveiller les interventions en monnaies communautaires sur les marchés de change. Enfin, il est en charge des règlements entre banques centrales tendant à une politique concertée des réserves. Le fonds est doté avec personnalité juridique et administré par un conseil composé des gouverneurs des banques centrales nationales, ainsi que par un représentant de la Commission (qui n'est pas membre stricto sensu, car, même s’il peut s’exprimer, n’a pas droit de vote)9. Comme règle de gestion, il doit reprendre les accords entre les banques centrales sur le rétrécissement des marges et sur le soutien à court terme. Toutefois, vu que la mise en commun des réserves n’a pas été adoptée, le Fonds ne dispose pas de ressources propres et ses pouvoirs sont limités.


Le siège provisoire du FECOM est installé au Luxembourg10.


Dans ses activités courantes, le FECOM est chargé de la comptabilité relative aux mécanismes de crédit, des interventions dans le cadre du mécanisme de change, ainsi que de la gestion du soutien à court ou moyen terme. En réalité, cet organisme n’est qu’un agent purement comptable, car ses réunions sont purement formelles et ses opérations sont effectuées par la Banque des règlements internationaux établie à Bâle. Aucun contrôle des mouvements de capitaux, en particulier des opérations en euro-dollars, n'a pu être institué.


1Résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres du 21 mars 1972 sur l'application de la résolution du 22 mars 1971, relative à la réalisation par étapes de l'union économique et monétaire dans la Communauté. In Journal officiel des Communautés européennes, n° 38, 18.04.1972, pp. 3-4.

2Cf. Note sur le Fonds européen de coopération monétaire, 26 juillet 1972, réf. GMC/GM, n° 227/CE. Ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française, Fonds CE, direction des Affaires économiques et financières, service de coopération économique, série PM, vol. 973 UEM, dossier PM 19.9. La Courneuve: Archives diplomatiques.

3Soixante et unième séance du Comité des gouverneurs des banques centrales des États-membres de la Communauté économique européenne. Bâle: Comité des gouverneurs des banques centrales, le lundi 10 juillet 1972 à 10h00. Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 041.

5Parmi les attributions plus complexes que le Fonds pourrait remplir comptent: la concertation entre les banques centrales européennes (et plus particulièrement en matière d’intervention sur les changes), les liens avec les banques centrales tierces, la multilatéralisation des règlements entre les pays membres (apurement périodique des positions des États membres à la suite des interventions collectives sur les places de change); l’ouverture de facilités de crédits à court terme.

6Voir Note pour M. le Président. Réunion des ministres des Affaires étrangères et des ministres des Finances des dix pays de la communauté élargie à Rome (10-11 septembre 1972, Paris: 14 septembre 1972, réf. 5AG2 7/PR/CT, ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française, Fonds CE, direction des Affaires économiques et financières, service de coopération économique, série PM, vol. 975, FECOM dossier PM 19.9. La Courneuve: Archives diplomatiques.

7Déclaration du sommet de Paris (19 au 21 octobre 1972). Section IV. Politique économique et monétaire. In Bulletin des Communautés européennes. Octobre 1972, n° 10. Luxembourg: Office des publications officielles des Communautés européennes.

8Règlement (CEE) n° 907/73 du Conseil du 3 avril 1973 instituant un Fonds européen de coopération monétaire. In Journal officiel, n° L 89, 05.04.1973, pp. 0002-0005. Au 1er janvier 1994, l’Institut monétaire européen, embryon de la future banque centrale européenne, prend le relais du FECOM.

9Il convient d’apporter une précision portant sur la situation particulière du Grand-Duché. Le Luxembourg est représenté de façon générale par la Banque nationale de Belgique (BNB), conformément à la convention d'union économique entre la Belgique et le Luxembourg. Le Grand-Duché aura un représentant qui pourra prendre part aux décisions du conseil des gouverneurs si les droits et obligations du Grand-Duché n'ont pas été exercés par la BNB. Cf. article 1, statuts du FECOM du 28 juin 1973. Reproduit in Monetary Committee, Compendium of Community Monetary Texts, 1958-1973. Luxembourg: OPOCE, 1974, p. 85.

10Décision des représentants des gouvernements des États membres, du 24 juillet 1973, relative à l'installation provisoire du Fonds européen de coopération monétaire (73/208/CEE). In Journal officiel, n° L 207 du 28/07/1973, p. 46. Luxembourg et Paris étaient candidats pour accueillir le siège du FECOM. C’est finalement le Luxembourg qui l’emporte, suite à une offensive diplomatique mettant en avant son statut de «lieu de travail provisoire des organismes financiers de la Communauté», fixé dans l’Acte de la fusion des Exécutifs de 1965. Voir Mémorandum du gouvernement luxembourgeois concernant le siège du FECOM, 8 décembre 1972, ambassade du Luxembourg en France. Archives familiales Pierre Werner. Voir aussi Adresse diplomatique à Paris: Conseil des 25 et 26 juin 1973: Lieu d’implantation du Fonds européen de coopération monétaire. Télégramme en provenance de Bruxelles, n° 2133-2141 du 15 juin 1973, ministère des Affaires étrangères et européennes de la République française, Fonds CE, direction des Affaires économiques et financières, service de coopération économique, PM, vol. 975-1, FECOM dossier PM 19.9. La Courneuve: Archives diplomatiques.

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