Note sur la limitation quantitative des stocks d'armes atomiques (Avril 1966)

Text
En avril 1966, l’Agence pour le contrôle des armements (ACA) de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) émet une note récapitulative sur le problème du contrôle de la limitation quantitative des stocks d’armes atomiques sur les territoires des membres de l’UEO sur le continent européen et de l’interdiction de fabrication de ces armes en République fédérale allemande (RFA). La note met en exergue la déclaration du 15 février 1961 faite par l’ambassadeur français Jean Chauvel concernant les transformations dont a fait l’objet le problème du stockage des armes nucléaires, qui affectent la notion des niveaux maximums établis dans le traité. Elle souligne aussi le rôle des questions et des recommandations de l’Assemblée de l’UEO pour l’approfondissement du débat dont la portée politique dépasse le cadre de l’UEO.

Quelle und Copyright

Quelle: Agence pour le contrôle des armements. Note. 04.1966. 6 p.

Archives nationales de Luxembourg (ANLux). http://anlux.lu/. Western European Union Archives. Armament Bodies. ACA. Agency for the Control of Armaments. Year: 1957, 01/01/1957-31/12/1963. File ACA-035. Volume 1/1.

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CONFIDENTIEL
Avril 1966

NOTE

Le double problème de la limitation quantitative des
stocks d'armes atomiques sur les territoires des Pays membres
sur le continent européen, et de l'interdiction de fabrication
de telles armes en R.F.A., ainsi que le contrôle du respect de
ces deux dispositions, ont fait l'objet des préoccupations des
négociateurs des Accords de PARIS en 1954.

A la lumière des évènements qui se sont produits depuis
cette date, du bouleversement introduit par l'arme nucléaire
et des changements radicaux qui en résultent, il n'est pas
sans intérêt de mesurer le chemin parcouru, en notant au
passage les tapes les plus marquantes des délibérations du
Conseil, si l'on veut tenter une approche politique de la
compatibilité des dispositions prévues en 1954 à l'égard de
la situation de 1966.

L'examen par le Conseil de l'U.E.O. des possibilités de
contrôle des armes atomiques a été abordé, il y a dix ans.
Lors de la 45ème séance du Conseil, le 11 Avril 1956
[CR(56)11], le Président a soulevé la question, prévue à
l'article I du Protocole III, de la mise à jour et des préci-
sions
relatives aux définitions des types d'armes ABC
soumis à contrôle par le Protocole III du Traité de BRUXELLES
modifié
. Un groupe de travail fut constitué à cet effet.

D'autre part, le principe des contacts à établir entre
l'Agence de l'U.E.O. et l'EURATOM en vue de l'étude et de la
mise en oeuvre d'un système approprié de contrôle des armes
atomiques
et des matières fissiles a été défini par les
Ministres réunis en Conseil à ROME le 5 Mars 1958 [CR(58)8].
Le Conseil permanent de LONDRES reçut le mandat d'élaborer
des directives à ces fins.

A de fréquentes reprises, le Conseil s'est penché sur les
demandes du Directeur de l'Agence d'obtenir un expert pour que
l'Agence soit en condition technique de répondre aux besoins
qui pourraient être exprimés par le Conseil le moment venu.

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CONFIDENTIEL

Un point marquant est à noter, à propos de la 172ème
séance
du 15 Février 1961 [CR(61)3], où le Représentant
français
, l'Ambassadeur CHAUVEL, fit au Conseil une très
importante déclaration. Celle-ci était fondée sur les conclu-
sions
de l'étude du Gouvernement français à propos des inci-
dences
éventuelles de certaines dispositions du Traité de
l'U.E.O. à l'égard des productions d'armes nucléaires, objet
de la loi programme militaire du 8 Décembre 1960, tant en ce
qui concerne la fixation du niveau des stocks sur le continent
que le contrôle de la production qui en découle. Il résultait
de cette étude que "le problème du stockage des armes nucléaires
"en Europe avait subi une complète transformation depuis la
"signature des Protocoles." "Des stocks d'armes atomiques
"ont été constitués sur notre continent en nombre sans cesse
"croissant" et les armes sont "destinées à être utilisées
"par les forces des Pays membres sans que le Conseil soit inter-
"venu
pour fixer le niveau des stocks", et "sans qu'il exerce
"le moindre contrôle. Il y a là un état de choses qui n'avait
"manifestement pas été prévu par les auteurs du Traité, mais
"qu'il faudrait prendre en considération aujourd'hui où
"l'existence de stocks importants est devenue un des éléments
"fondamentaux de la situation militaire. La notion de fixation
"du niveau des stocks prévue aux Accords de PARIS en est
"affectée dès lors qu'elle ne s'appliquerait qu'à une fraction
"de l'ensemble des moyens nucléaires répartis sur le continent."

Par la suite, les questions et les recommandations d'origine
parlementaire se firent plus fréquentes et plus insistantes et
les réponses du Conseil eurent à élever le débat en touchant le
fond du problème.

C'est ainsi qu'au cours de la réunion commune entre le
Conseil et la Commission des questions de défense et des
armements de l'Assemblée
, le 27 Septembre 1962 à BRUXELLES,
le Ministre FAYAT, qui présidait, eut à faire état, pour
justifier la position du Conseil, de la complexité des aspects
juridiques et politiques en cause et de l'extrême difficulté
de trouver des solutions, en constatant qu'il était d'accord
avec le rapporteur"lorsqu'il déclare que la question a une
"portée politique qui dépasse le cadre de l'U.E.O.".

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CONFIDENTIEL

Un an après, dans des conditions analogues, le Ministre
LUNS
était amené à prendre comme président une position dans
le même sens.

Lors de la séance du Conseil du 10 Novembre 1964
[CR(64)23], le Représentant français, à propos de l'établis-
sement
de la réponse à la question N° 8 de l'Assemblée, ajoutait
que "si la Commission insistait sur le point qui fait l'objet
"de la question 8(a), on pourrait remarquer, comme M. LUNS
"l'avait fait l'an dernier en pareille circonstance, qu'entre
"Etats amis, l'on hésite toujours à prendre des décisions
"majoritaires lorsqu'il s'agit d'une matière à propos de laquelle
"l'un d'entre eux se voit obligé de manifester des objections.
"Il lui paraît préférable, en pareil cas, de rechercher une
"solution de compromis, ou même de laisser la question en l'état."

Dans d'autres circonstances, les réponses du Conseil à
l'Assemblée s'appuyèrent sur des considérations d'ordre technique.

La réponse du Conseil, établie au cours de sa 238ème réunion
le 27 Novembre 1963 [CR(63)24], tend d'une part à montrer à
l'Assemblée que la situation de fait était suffisamment connue
par leu informations scientifiques et techniques publiées, et
d'autre part que le contrôle des vecteurs possibles d'une
arme nucléaire était effectivement assumé par l'Agence.

Mais une sérieuse restriction a été apportée depuis au
dernier argument par la lettre du 24 Août 1964 du Ministre
des Armées
, faisant savoir à l'Agence de contrôle qu' "en ce qui
"concerne les forces navales et aériennes, aucune réponse ne
"peut être fournie aux questions portant sur les éléments des
"forces stratégiques françaises."
En conséquence, aucun contrôle
n'est effectué sur les Mirage IV, véhicules de l'arme nucléaire
pour la force stratégique française.

La presse a d'autre part révélé récemment que des
chasseurs-bombardiers F104G, dont les autres pays se sont dotés,
parmi lesquels la R.F.A., sont mis régulièrement en poste
d'alerte "quick reaction alert", avec un armement atomique
sous contrôle américain.

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CONFIDENTIEL

La réponse du Conseil à la Recommandation N° 109 de
l'Assemblée
, établie au cours de la 260ème séance du
21 Octobre 1964 [CR(64)20], donnait certaines indications
sur la forme de coopération possible (notamment par voie de
rapports) entre l'EURATOM et l'Agence, tout en faisant
observer que l'EURATOM n'avait pas encore résolu les problè-
mes
d'application de ses Règlements sur le contrôle de
sécurité
à certaines installations participant à l'exécution
"de programmes militaires." De ce fait, la frontière des
activités entre l'Agence et l'EURATOM ne pouvait encore être
esquissée.

Il convient d'ajouter maintenant que le 8ème Rapport
général de l'EURATOM
(1965) a annoncé que ces problèmes étaient
résolus et que le système "concilie les exigences imposées
"en matière de défense avec le respect des obligations fixées
"par le Chapitre VII du Traité" de l'EURATOM.

On peut retenir de ce bref rappel certains traits
caractéristiques de l'attitude des Gouvernements des Pays
membres
devant les problèmes posés au Conseil par l'appli-
cation
des Protocoles de 1954 :

- Le Conseil a été amené à se pencher fréquemment sur
certains aspects de ces problèmes. De 1956 à 1966, ils
ont été à l'ordre du jour du tiers environ du nombre des
séances.

- Pendant cette période, et nonobstant les divergences
d'arrière-plan, une attitude collective a été observée
vis-à-vis de l'Assemblée, comme en témoignent non seule-
ment
les réponses écrites, mais aussi les explications
verbales des Ministres présidant les réunions mixtes
avec les Commissions de l'Assemblée.

- La déclaration française du 15 Février 1961 [CR(61)3]
a mis en lumière le changement de situation apporté dans
le domaine des armes nucléaires, changement qui affecte
la notion des niveaux maximums telle qu'elle a été conçue
en 1954 dans les dispositions du Traité.

- Le Conseil a pris conscience que l'ensemble du problème
de limitation et de contrôle de l'armement nucléaire a une
portée politique qui dépasse le cadre de l'U.E.O.

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CONFIDENTIEL

Ces constatations se trouvent aujourd'hui renforcées et
étendues par une meilleure connaissance que l'on a du phéno-
mène
de mutation provoquée par l'introduction du facteur
nucléaire dans la façon de penser les grands problèmes
politico-stratégiques et les déterminants de la survie d'une
nation.

La limitation des forces et des armements nucléaires,
prévue en 1954 par les Accords de PARIS, dans l'esprit qui
présidait à la limitation des forces et des armements du moment,
est-elle encore concevable dans ces conditions ? Là est la
question de principe, et non dans le contrôle, car ce dernier
n'est que le moyen d'exécution de s'assurer que la limitation
est observée.

Dans les plus hautes instances des rapports entre les
nations, ce problème de politique vitale touche à l'éthique
même des sociétés humaines : une réunion de pays est-elle
fondée à fixer de concert, pour l'un d'entre eux, une limite
des forces et des armements nucléaires, comme elle a pu être
habilitée à le faire pour les forces et armements classiques,
dans la recherche en commun d'un équilibre numérique de forces ?

Dans la perspective nucléaire, la notion simple et
concrète d'équilibre numérique des forces classiques disparaît
pour faire place à une notion d'équilibre d'essence virtuelle,
la dissuasion, l'arme atomique étant l'arme qui ne doit pas
servir, sous peine d'holocauste. Le niveau approprié de la
sauvegarde doit atteindre le seuil de dissuasion. Le caractère
d'arme totale en cause confère exclusivement au pays, qui
entend ainsi garantir sa survie, la capacité morale de juger de
la valeur du seuil de dissuasion. Ce pouvoir suprême est l'apa-
nage
de la souveraineté. Il faudrait sans doute une nouvelle
organisation du monde pour infirmer un tel postulat.

En tout état de cause, les travaux nombreux et considérables,
effectués par les plus grands experts américains, avec l'assis-
tance
de machines électroniques, n'ont pu aboutir à un calcul
satisfaisant de la dissuasion minimum, tant en raison des
variables qui entrent en jeu que des inconnues qui pourraient
intervenir, puisque la loi de dissuasion repose sur une appré-
ciation
des risques par la partie adverse considérée comme
agresseur possible, et sur la crédibilité de la dissuasion.
L'intervention de l'irrationnel ne saurait même être exclus
dans le phénomène de dissuasion eu de non dissuasion.


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On ne voit donc pas sur quelles bases les considérations
de pays tiers pourraient être fondées dans la discussion,
en vue d'évaluer la dissuasion minimum pour un pays à l'égard
d'un ou de plusieurs adversaires possibles, qui pourraient
être plus ou moins marqués d'hypothèses variées.

Il semble qu'en fin de compte, une tentative d'adapter
dans son application l'article III du Protocole III à la
situation d'aujourd'hui ne pourrait aller au-delà de
l'acceptation du niveau de dissuasion minimum qu'un pays
concerné se fixerait comme but, ce qui, en pratique,
reviendrait à reconnaître sa capacité de production, qui res-
terait
vraisemblablement pendant les premières années infé-
rieure
au niveau de dissuasion visé.

Envisagé dans le cadre d'une telle hypothèse sur la limi-
tation
des armements nucléaires, le contrôle, simple
activité d'exécution, se trouverait dépouillé du contexte
politique, d'où il ne peut actuellement sortir.

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