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Repères biographiques

Repères biographiques


Pierre Werner naît le 29 décembre 1913 à Saint-André près de Lille (France), de parents luxembourgeois.


Après les classes primaires, il poursuit une école industrielle et commerciale1 (où l’anglais est de mise) afin de prendre la relève de son père à la tête de l’entreprise familiale2. Au vu de ses résultats scolaires et sous l’incitation de ses professeurs désireux de le voir approfondir la filière humaniste pour pouvoir aborder toute carrière ultérieure, il refait une année terminale en latin au lycée classique de Luxembourg où il décroche son baccalauréat. Il s’inscrit à Luxembourg au cours supérieur préparatoire en droit (1934-1935) avant de partir à Paris pour suivre les cours dispensés par la Faculté de Droit (1935-1937) tout en fréquentant les cours de l'École libre des Sciences politiques. En janvier 1938, Werner passe son doctorat en droit à Luxembourg.


Rapidement, Pierre Werner milite dans les associations estudiantines à Luxembourg où il préside l'Association des universitaires catholiques (1935-1937). Au plan international, il devient en 1937 vice-président du mouvement Pax Romana3. Durant ses années parisiennes, Werner est hébergé à la «Fondation Biermans-Lapôtre»4 où il prend part aux activités du «Cercle historique»5 qu’animent plusieurs de ses compatriotes. C’est dans ce contexte que Pierre Werner intègre les milieux européens de réflexion catholiques et établit des contacts fructueux avec bon nombre de personnalités, parmi lesquelles ses professeurs Jacques Rueff6, Charles Rist, Wilfried Baumgartner, Fernand Collin, qui ont beaucoup influencé sa formation intellectuelle et ont stimulé son intérêt pour l’étude des phénomènes monétaires. À Paris, il rencontre également Robert Schuman7 qu’il a été amené à côtoyer par la suite, au début des années 1950, lors de l’installation à Luxembourg de la Haute Autorité de la CECA.


Jeune avocat au barreau de Luxembourg et intéressé par le domaine des finances privées, Pierre Werner décroche en 1938 un stage à la Banque Générale de Luxembourg, où il reste jusqu’en 1944. Comme il le révèlera plus tard dans ses mémoires, il échappe aux poursuites nazies8 en raison des intérêts financiers de la Deutsche Bank dans la banque luxembourgeoise9. Ses activités au sein du secrétariat général de la BGL incitent Pierre Werner à rédiger un rapport sur la situation monétaire, financière et bancaire luxembourgeoise de 194210 qu’il parvient à transmettre au gouvernement luxembourgeois en exil à Londres via le réseau Martin11 de la Résistance française.


En 1946, Pierre Werner est chargé de réaliser une étude sur la réorganisation du système bancaire au Luxembourg12. Il est ensuite nommé commissaire au contrôle des banques, responsable de la mise en place d’une autorité de régulation, de l’organisation du marché du crédit et de la collaboration financière internationale. Il représente à plusieurs reprises le Luxembourg dans des négociations internationales, notamment en Suisse et au sein du Benelux. Très tôt, il se familiarise avec les deux nouvelles institutions financières internationales multilatérales13 que sont le Fonds monétaire international et la Banque mondiale.


En 1949, Pierre Werner est nommé conseiller de gouvernement et secrétaire ad interim du Conseil des ministres. Cette fonction lui permet d’entrer en contact direct avec les affaires générales du pays14 et de travailler étroitement avec le président du Gouvernement, Pierre Dupong15, qui voit rapidement en Pierre Werner son meilleur successeur possible aux Finances. Cette succession se produit en décembre 1953 quant, suite au décès du ministre d’État, Pierre Werner, fraîchement élu à la Chambre des Députés est appelé à faire partie du nouvel exécutif16 formé et dirigé par Joseph Bech17.


Suite aux élections de 1959, Pierre Werner devient ministre d’État et président du gouvernement, fonctions qu’il remplit de 1959 à 1974 et de 1979 à 1984. Cette fonction est combinée avec d’autres portefeuilles ministériels pour des domaines considérés comme prioritaires: les Finances (1959-1964 et 1969-1974), le Trésor (1964-1969 et 1979-1984), les Affaires étrangères et la Justice (1964-1967), la Fonction publique (1967-1969), les Affaires culturelles (1969-1974 et 1979-1984).


En 1974, le Parti Chrétien-Social (CSV) – au pouvoir depuis 1926 – passe dans l’opposition. Durant cette législature (1974-1979), Pierre Werner siège à la Chambre des Députés (en tant que président du groupe parlementaire de son parti) et également au conseil communal de la ville de Luxembourg.


En juillet 1984, alors que son parti sort victorieux des élections législatives, Pierre Werner se retire de la vie politique tout en restant actif sur la scène publique. Ses domaines de prédilection sont la promotion de l’Union économique et monétaire et de l’euro et le développement des médias et de l’audiovisuel18, à travers notamment le projet de la Société Européenne des Satellites. En 1991, il publie ses mémoires intitulées Itinéraires luxembourgeois et européens. Évolutions et souvenirs: 1945-1985.


Sensibilisé aux enjeux européens depuis ses études universitaires, l’engagement de Pierre Werner en faveur de l’unification européenne se cristallise dès 1949, quand il devient convaincu «de la nécessité impérieuse pour les pays de l’Europe occidentale d’entreprendre la construction économique et politique de l’Europe unie. L’expérience de son travail international, notamment la prise de conscience de la faiblesse et de la division de l’Europe, en faisaient presque une obligation intellectuelle»19.


Associé de plus en plus étroitement, par ses fonctions au sein du gouvernement luxembourgeois, aux grands dossiers de la construction européenne, Pierre Werner, qui sera amené à agir en Luxembourgeois et Européen à la fois, laissera son empreinte sur des événements-charnière de cette édification20.


En hommage à son engagement de longue date dans l’édification de l’Europe unie, Pierre Werner reçoit la médaille en or Robert Schuman (1971), ainsi que le prix du Prince des Asturies (1998) «pour sa contribution au processus d’unification monétaire qui a culminé dans la création de l’Euro».


Pierre Werner décède à Luxembourg le 24 juin 2002.


1 Il s’agit de l’école commerciale de Limpertsberg (Luxembourg), où les cours étaient dispensés prioritairement en anglais, mais également en allemand et en français. Pierre Werner fréquente également des cours intensifs d’italien.

2 Son père Henri Werner, détenait à Luxembourg une société de produits pétroliers, rachetée en 1932 par la compagnie Shell (Robert Franck, Biographies luxembourgeoises: Pierre Werner, Éditions Saint-Paul, Luxembourg, 1988, p 17.).

3 Pax Romana est le Mouvement International des Intellectuels Catholiques (MIIC), créé le 20 juillet 1921 à Fribourg. L’Association Luxembourgeoise des Universitaires Catholiques (AV-Akademikerverein) fait partie des membres fondateurs. En 1934, le secrétariat social du mouvement international fut installé au Luxembourg et Pierre Werner, avec Lambert Schaus et l’abbé Pierre Elcheroth devinrent, sur proposition de l’AV, membres du directoire du secrétariat. En 1936, Pierre Werner fut élu vice-président de la Pax Romana.

4 La Fondation Biermans-Lapôtre à Paris a été fondée en 1926 grâce à une donation du couple Jean-Hubert Biermans - Berthe Lapôtre avec le souhait «d‘accueillir des activités académiques, scientifiques ou culturelles organisées notamment par les universités belges, françaises et luxembourgeoises», devenant ainsi le fruit «d'une coopération exemplaire entre la Belgique, le Luxembourg et la France». Connue aussi sous le nom de «Maison des Étudiants Belges et Luxembourgeois à Paris» et localisée à la Cité Internationale Universitaire de Paris (C.I.U.P.), la Fondation a hébergé, depuis la création, plus de 25 000 étudiants, professeurs et chercheurs venus de tous les horizons.

5 Groupe de débat des étudiants luxembourgeois et belges, animé par Joseph Guill et Georges Bourg, voué à servir à l’approfondissement des connaissances sur l’histoire nationale et à développer des arguments contre l’idéologie clamant le retour du Luxembourg au Reich.

6 Pierre Werner poursuivra durant toute sa carrière les échanges intellectuels avec Jacques Rueff, qu’il rencontrera ultérieurement et qui l’encouragera sur la voie de l’intégration monétaire. (Cette conclusion ressort de nos recherches dans les archives familiales Pierre Werner, notamment dans les documents classés dans les cartons portant les références: réf PW 036, intitulée 1962-1971.La monnaie de compte. L’unité de compte. Le dollar comme monnaie de réserve, réf PW 046, intitulée L’intégration monétaire de l’Europe 1962-1969, réf PW 047, intitulée Groupe Werner: Antécédents, préparatifs et réunions 1968-1970 et réf PW 048, intitulée Intégration monétaire de l’Europe. Le Plan Werner: 1970, réf PW 054, intitulée 1972-1973. Union Economique et Monétaire. Fonds Européen de Coopération Monétaire.

7 À l’époque des études de Pierre Werner, Robert Schuman était député à l’Assemblée nationale de France. C’est par un concours de circonstances que Robert Schuman, natif luxembourgeois, lui fera visiter le palais Bourbon et lui servira de guide. Sa rencontre avec Robert Schuman est évoquée dans le témoignage oral de Monsieur Henri Werner, fils de Pierre Werner, enregistré au CVCE le 1er juin 2010.

8 Sa famille ne fut pourtant pas épargnée par la guerre. En juin 1944, le frère de Pierre Werner fut forcé au

«Arbeitsdienst» et tomba dans le camp de travail de Prusse orientale le 15 janvier 1945.

9 «[…] L‘emploi à la Banque Générale, dans laquelle la Deutsche Bank avait pris une participation décisive, me valut d’échapper aux poursuites nazies. Monsieur Weicker et moi-même avons refusé de joindre le mouvement “Heim ins Reich” malgré les recommandations insistantes d’un directeur qui avait été détaché par la banque allemande. […] Entretemps mon apprentissage bancaire tirait à sa fin. À la suite du départ du secrétaire général, qui était de nationalité belge, je fus affecté audit secrétariat avec le rang de fondé de pouvoir. À ce titre je fus chargé de suivre de près l’évolution de la législation introduite par l’occupant ainsi que les réformes précipitées et bouleversantes qu’il introduisit dans les différents secteurs de la vie financière et économique». C’est dans ces mêmes circonstances que Pierre Werner fera la connaissance de Hermann J. Abs, président du conseil d’administration délégué par la Deutsche Bank dont l’activité bienveillante permit d’éviter le pire à ceux qui, comme Werner et Weicker, refusèrent de rejoindre les organisations nazies. Pierre Werner, Itinéraires luxembourgeois et européens. Evolutions et souvenirs: 1945-1985, 2 tomes, Éditions Saint-Paul, Luxembourg, 1992, Tome I, pp. 15-16.

10 «Rapport sur la situation monétaire, financière et bancaire luxembourgeoise de 1942» rédigé par Pierre Werner en 1943 et envoyé au gouvernement en exil à Londres via le réseau Martin. Centre de Documentation et de Recherche sur la Résistance, Luxembourg. Publication ultérieure dans «Rappel-Organe de la Ligue luxembourgeoise des prisonniers et déportés politiques, Luxembourg», Année 49 (1994), no. 1.

11 Pierre Werner, Itinéraires luxembourgeois et européens. Evolutions et Souvenirs: 1945-1985, 2 tomes, Éditions Saint-Paul, Luxembourg, 1992, tome 1, p. 16.

12 Il accepte cette mission à l’incitation de Léon Schaus, secrétaire général du gouvernement luxembourgeois durant l’exil au Canada, que Pierre Werner a rencontré quelque temps après la libération. (Source: Pierre Werner, Itinéraires luxembourgeois et européens. Evolutions et Souvenirs: 1945-1985, 2 tomes, Éditions Saint-Paul, Luxembourg, 1992, tome 1, p. 17).

13 Notamment auprès de l’OCDE issue du plan Marshall, FMI, UEBL et Benelux. En tant que conseiller des Finances, Pierre Werner, sollicité par Pierre Dupong, participe également aux tractations dans le domaine de la défense: mise en oeuvre de l’UEO, le projet de la Communauté Européenne de Défense, l’OTAN.

14 Pierre Werner sera associé notamment aux opérations de la réintroduction du franc, du renflouement de la vie bancaire paralysée par des placements forcés et irrécupérables en Allemagne, du «recensement de la fortune de l’ennemi» (recensement des avoirs allemands dans les banques basées au Luxembourg), le rétablissement de la Banque et Caisse d’Epargne de l’Etat, etc.

15 Ministre d’État et président du gouvernement luxembourgeois en exil, Pierre Dupong (1885-1953) fut, après la libération, ministre d’État, président du gouvernement et ministre des Finances.

16 Pierre Werner devient ministre des Finances et de la Force armée, fonctions qu’il détient de 1953 à 1959.

17 Ministre des Affaires étrangères et de l’Instruction publique depuis 1936, y compris dans le gouvernement luxembourgeois en exil à Londres, Joseph Bech (1887-1975) garda ces fonctions jusqu’en 1953 quand il deviendra ministre d’État et président du gouvernement (1953-1958). De 1958 à 1959 il est à nouveau ministre des Affaires étrangères et ensuite président de la Chambre des Députés (1959-1964).

18 Pierre Werner assume la présidence de la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (1985-1987), ainsi que celle de la Société Européenne des Satellites (1989-1996).

19 Pierre Werner, «Itinéraires luxembourgeois et européens. Evolutions et souvenirs: 1945-1985», 2 tomes, Éditions Saint-Paul, Luxembourg, 1992, tome I, p. 35.

20 Voir la section 2 « Pierre Werner et la construction européenne dans les années 1960-1969 » et la section 3 « Le rapport Werner – élaboration et tentatives de mise en œuvre (1970-1974) ».

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