La création de l'UEO

La création de l’Union de l’Europe occidentale


Entre la signature du traité de Bruxelles de 1948 organisant l’Union occidentale et le traité de Bruxelles modifié fondant l’Union de l’Europe occidentale (UEO) en 1954, plusieurs événements et initiatives diplomatiques peuvent expliquer le cheminement erratique des projets politiques en matière de sécurité et de défense commune et expliciter la naissance d’une UEO, première organisation européenne de sécurité et de défense commune.


D’une part, le traité de Washington et la création en 1949 de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) entraînent assez rapidement la prédominance américaine sur la défense de l’Europe occidentale et de l’Atlantique nord et la mise sous contrôle indirecte des initiatives européennes en matière de défense. La désignation du général américain Dwight D. Eisenhower comme premier commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) symbolise cette situation.


D’autre part, les tensions autour de la guerre froide poussent à accélérer l’intégration de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans les organes de défense occidentale. La France propose le 24 octobre 1950 la création d’une structure de défense européenne commune à cet usage, opérant néanmoins dans le cadre de l’Alliance atlantique. Cette Communauté européenne de défense (CED) fut proposée par René Pleven à la signature en mai 1952 avec la participation de la Belgique, de la France, de l’Italie, du Luxembourg, des Pays-Bas, de la France et de la RFA. L’objectif était de renforcer la défense occidentale par une contribution allemande à la défense dite «de l’avant»(1), tout en espérant aboutir également à une structure fédérale dans le domaine de la défense (à l’instar de la Communauté européenne du charbon et de l'acier). Un objectif sous-jacent était d’empêcher les Allemands d’avoir pleine souveraineté sur leurs propres soldats.


Les oppositions politiques en France (principalement les gaullistes, les communistes et une partie des socialistes) à propos du réarmement allemand, les tensions parlementaires subséquentes et les désaccords entre hauts gradés militaires français créent les conditions d’une crise; d’autant mieux que l’avènement de cette CED allait sonner le glas d’une autonomie stratégique européenne au profit d’un transfert de moyens à la disposition de l’OTAN (article 18 traité de la CED), comme ce fut fait auparavant avec l’ODUO(2). En outre, la CED ne pouvait disposer d’une autorité politique européenne souveraine, quand bien même l’Assemblée ad hoc(3) adopta, le 10 mars 1953, un projet de «Communauté européenne de caractère supranational» dans le projet de statut de la Communauté politique européenne.


L’importance accordée aux États-nations, la méfiance vis-à-vis des aspects supranationaux dans le domaine régalien, la peur hexagonale de «disparaître» en tant qu’État indépendant et l’absence des Britanniques dans le processus sont quelques uns des arguments qui entraîneront l’échec du projet présenté à l’Assemblée nationale française le 30 août 1954. L’Europe économique se poursuivra avec les traités de Rome alors que l’Europe de la défense reposera en grande partie sur l’Alliance atlantique.


Cependant, la question allemande reste prégnante. Il s’agira dès lors d’intégrer la RFA en voie de réarmement sous contrôle européen à travers l’ouverture du traité de Bruxelles et surtout l’adhésion à l’Alliance atlantique. L’initiative devait cependant venir des Européens au vu du dossier. Celle-ci fut essentiellement portée par Winston Churchill et Anthony Eden avec le soutien beneluxien.


Lors d’une conférence dite des Neuf puissances(4), tenue à Londres entre le 28 septembre et le 3 octobre 1954, plusieurs décisions furent prises, qui ne s’appliquaient d’ailleurs pas nécessairement de façon uniforme à tous les États, sous forme des «accords de Paris»: proposition de règlement du problème de la Sarre, contrôle du réarmement allemand en modifiant le traité de Bruxelles de 1948, fin du régime d’occupation en RFA, organisation du stationnement des forces alliées en RFA, invitation faite à Bonn d’adhérer à l’OTAN et à Rome(5) au traité de Bruxelles modifié. L’engagement britannique à maintenir des troupes sur le continent européen permit également de rassurer la France à propos du réarmement allemand mais aussi d’empêcher le retrait des forces américaines.


Parmi les accords de Paris, il y eut la signature du protocole modifiant et complétant le traité de Bruxelles de 1948. Le traité de Bruxelles dit «modifié» permit à la fois de rassurer la France face à la RFA autorisée à réarmer sous contrôle (cf. les protocoles au traité), de confirmer la solidarité commune automatique en cas d’agression territoriale, de renforcer la confiance entre capitales européennes, «d’atlantiser» indirectement la défense occidentale européenne et de favoriser temporairement les relations diplomatiques entre Londres et les États qui fondèrent la Communauté économique européenne (CEE).


Mais assez vite, l’UEO vit ses tâches progressivement altérées par le poids des instances de l’Alliance atlantique et l’affirmation des Communautés européennes. Cette situation rendit peu visible l’organisation européenne de sécurité et de défense qui, progressivement, tomba en léthargie. Le refus des doubles emplois en termes militaire, économique, culturel, social et politique se fit donc au détriment du traité de Bruxelles modifié, quand bien même le Conseil de l’UEO continuait à veiller à ce que l’OTAN développe une perception européenne de la sécurité et non exclusivement américaine. De son côté, l’Assemblée parlementaire de l’UEO était attentive au maintien de toutes les compétences du Conseil de l’UEO.


Aussi, vit-on l’UEO se faire discrète entre 1973 et 1984 après la résolution de la question sarroise et les quelques débats fin des années cinquante et au cours des années soixante concernant le rôle de l’arme nucléaire en Europe et ou encore l’élargissement des Communautés. L’organisation du traité de Bruxelles modifié fut alors considérée comme une sorte d’outil de contrôle européiste au sein de l’Alliance tout en devenant un organe transitoire facilitant l’avènement des Communautés européennes.


(décembre 2009)



(1) La «défense de l’avant» est un concept qui concernait l’engagement des forces nucléaires et conventionnelles de l’OTAN dans la défense de la frontière entre la RFA à la République démocratique allemande. Ce concept a évolué dans le temps, depuis le retrait à l’ouest du Rhin avant de lancer la contre-attaque jusqu’à l’organisation des unités militaires alliées en RFA au plus près du «rideau de fer» afin de défendre le territoire de l’OTAN et tenter de réduire la surface géographique hypothétiquement concédée à l’adversaire en cas de confrontation militaire entre blocs à partir des deux Allemagne.

(2) Organisation de défense de l’Union occidentale. Relevons que c’est le 20 décembre 1950 que le Conseil des Cinq de l’Union occidentale décida de fusionner l’ODUO avec l’OTAN et le SACEUR.

(3) Assemblée composée des membres de l’Assemblée commune de la Communauté européenne du charbon et de l’acier auxquels se sont ajoutés neuf membres de l’Assemblée consultative du Conseil de l’Europe.

(4) Les cinq États parties au traité de Bruxelles, la RFA, l’Italie, les États-Unis et le Canada.

(5) L’Italie étant déjà membre de l’OTAN.

Im PDF-Format einsehen