Le deuxième élargissement: la Grèce

L'adhésion de la Grèce


Depuis l'Accord d'Athènes signé le 9 juillet 1961, la Grèce jouit du statut de membre associé de la Communauté. La Grèce a d'ailleurs été le premier État à demander, dès le 8 juin 1959, l'application de l'article 238 du Traité de Rome qui prévoit la procédure d'association d'un État tiers, d'une union d'États ou d'une organisation internationale à la Communauté. L'accord d'association, entré en vigueur en novembre 1962, prévoit notamment l'instauration, au terme d'une période transitoire de vingt-deux ans, d'une union douanière entre la Grèce et la Communauté ainsi que la conclusion d'un protocole financier et l'harmonisation de certaines politiques, notamment agricoles et fiscales. La libre circulation des personnes, des services et des capitaux est planifiée à l'expiration d'une période de douze ans. L'article 72 de l'accord d'association reconnaît aussi à la Grèce sa vocation d'adhérer, à terme, à la Communauté européenne. Un Conseil d'association et une Commission parlementaire mixte sont également mis sur pied.


Le coup d'État militaire du 21 avril 1967, qui inaugure une période de dictature armée et d'isolement diplomatique, entraîne la suspension du régime d'association, en pratique limité à sa gestion courante, jusqu'à sa réactivation au lendemain de la chute de la junte des colonels le 24 juillet 1974. La monarchie est abolie en juin 1973. Le retour à la démocratie républicaine, dans le pays qui dès l'Antiquité fut le berceau historique de l'idée politique de démocratie, déclenche une vague d'enthousiasme et de solidarité en Europe occidentale. Le 28 novembre 1974, la Grèce réintègre d'ailleurs le Conseil de l'Europe qu'elle a préféré quitter en décembre 1969 se sachant alors menacée d'exclusion pour non-respect des droits de l'homme par le régime des colonels.


La Grèce, portée par ces sentiments favorables et par ses aspirations au développement économique, dépose officiellement sa candidature d'adhésion à la Communauté économique européenne (CEE) le 12 juin 1975. Ce faisant, le pays espère en même temps consolider la démocratie renaissante et renforcer son ancrage occidental tout en s'affranchissant de la tutelle politique et économique américaine favorisée par les militaires. Le 17 août 1974, la Grèce annonce d'ailleurs son retrait de la structure militaire intégrée de l'OTAN comme l'avait fait la France du général de Gaulle. Le Marché commun apparaît aussi comme la promesse d'un progrès économique. Alors que le Parti conservateur ND-Nouvelle démocratie (Nea Dimokratia), dirigé depuis sa fondation en octobre 1974 par Constantin Karamanlis, soutient activement la procédure d'adhésion, le Parti socialiste (Panhellinio Socialistiko Kinima ou PASOK), fondé en septembre 1974 par Andréas Papandreou, et les communistes pro-soviétiques du KKE (Kommounistiko Komma Ellados) s'y opposent fermement car ils craignent une plus grande dépendance économique et politique du pays. Par ailleurs, les communistes donnent priorité au développement des relations commerciales avec le Conseil d'assistance économique mutuelle (CAEM ou Comecon) qui, depuis 1949, regroupe les pays d'Europe centrale et orientale d'obédience soviétique. Karamanlis, qui s'est installé à Paris après avoir quitté le pouvoir en 1963, compte en revanche sur le soutien de la France pour défendre la candidature grecque auprès des institutions communautaires et des États membres de la CEE.


Jusqu'au début des années 1970, la CEE était à la fois dominée par la façade atlantique, protestante et catholique de l'Europe. L'adhésion de la Grèce change cependant le visage de la Communauté en renforçant son caractère méditerranéen tout en y ajoutant une dimension balkanique et orthodoxe. Le centre de gravité de l'Europe communautaire, jusque-là plutôt orienté au Nord, tend du même coup à se rééquilibrer avec l'entrée de la péninsule ibérique. Mais le niveau de développement économique et l'isolement géographique de la Grèce, qui ne partage aucune frontière commune avec un des États membres de la Communauté européenne, renforcent davantage les disparités régionales des Dix.


Les problèmes économiques de la Grèce


Consultée par le Conseil, la Commission manifeste une attitude relativement réservée à l'égard de la candidature grecque. Le 29 janvier 1976, la Commission formule son avis détaillé dans un rapport transmis au Conseil. Consciente de l'importance politique de cet élargissement, la Commission pointe surtout du doigt le retard économique de la Grèce et de ses structures agraires par rapport aux neuf pays plus industrialisés qui composent alors la Communauté économique européenne (CEE).


Persuadée qu'une longue période de transition sera nécessaire pour permettre l'adaptation et l'intégration de l'économie grecque dans l'ensemble communautaire, la Commission propose aux Neuf de fixer une période de pré-adhésion. Elle met également les États membres en garde contre le danger d'impliquer indirectement la Communauté dans le contentieux qui oppose la Grèce et la Turquie, pays également associé depuis 1963, et qu'a ravivé la crise de Chypre, en juillet 1974, suite à l'occupation de la partie nord de l'île par les troupes turques. Certaines réserves contenues dans l'avis de la Commission provoquent en Grèce de vives réactions. Pressé d'asseoir sa légitimité retrouvée sur la scène intérieure et internationale, le gouvernement grec que dirige Constantin Karamanlis agite quant à lui surtout des raisons politiques, à savoir la consolidation de la démocratie, pour réclamer une adhésion aussi complète et rapide que possible. Il se dit aussi prêt à accepter l'ensemble de l'acquis communautaire.


En réalité, les relations économiques entre la Communauté et la Grèce sont bien antérieures à la demande d'adhésion de la Grèce. Depuis les années soixante, la CEE est en effet le premier partenaire commercial de la Grèce. En 1976, la Grèce exporte près de 50 % de sa production nationale vers les États membres de la Communauté tandis qu'elle importe de ces pays près de 40 % de ses importations totales. Et plus de 240.000 Grecs, héritiers d'une longue tradition de diaspora, travaillent déjà dans la Communauté européenne, essentiellement en Allemagne, au Royaume-Uni et en France.


Les difficultés économiques à surmonter sont importantes. La Grèce a en effet un produit intérieur brut (PIB) nettement plus faible et un taux de chômage plus élevé que ceux de ses futurs partenaires européens. Son PIB est de 50 % inférieur à la moyenne communautaire. Par l'adhésion, la Grèce espère notamment bénéficier des prix agricoles garantis et de certains fonds structurels communautaires. Elle escompte également une augmentation de la fréquentation touristique et l'apport de devises étrangères fortes. Mais les disparités entre les structures économiques grecques et communautaires rendent difficile l'application uniforme et immédiate de règles de fonctionnement d'un marché intérieur telles que celles prévues pour des économies développées. Plus de 26 % de la population active grecque reste employée dans l'agriculture alors que le secteur primaire n'occupe plus que 8 % des actifs dans la Communauté. Certains produits agricoles grecs (huile d'olive, vin, fruits et légumes) risquent par ailleurs de concurrencer des productions déjà excédentaires en Italie ou en France dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). D'où la suggestion de la Commission d'établir une période transitoire de sept à huit ans. Les Neuf craignent également de voir affluer sur leur territoire une abondante main d'œuvre grecque désireuse d'échapper au chômage chronique qui frappe le pays. Certains lobbies maritimes européens s'inquiètent enfin de la concurrence provoquée par l'arrivée de la marine marchande grecque qui ferait pourtant de la flotte des pays européens la plus importante du monde.


Le pari européen n'est pas non plus dénué de risques pour la Grèce. Face à la concurrence communautaire, la restructuration d'une industrie peu développée peut en effet entraîner la disparition des petites et moyennes entreprises les moins compétitives. Et l'accroissement des échanges avec le reste de la Communauté peut augmenter le déficit commercial avec la CEE.


L'appui de l'Allemagne et de la France


Alors que la France, et surtout le président de la République Valéry Giscard d'Estaing, appuie la candidature grecque pour des raisons avant tout politiques, la République fédérale d'Allemagne (RFA) la soutient davantage pour des motifs économiques. Le gouvernement grec peut donc compter sur le soutien de deux des plus influents pays de la Communauté. Pour la France, la consolidation du régime démocratique apparaît comme une priorité absolue. Il s'agit en effet d'assurer la stabilisation de la Grèce aux marges de l'Europe balkanique. Symboliquement, l'adhésion grecque doit également concrétiser l'appartenance pleine et entière de la culture hellénique à la civilisation européenne et occidentale. L'Allemagne se soucie plutôt de ses intérêts économiques. Elle a en effet des relations commerciales déjà très développées avec la Grèce, dont elle est le premier fournisseur, et mise sur l'adhésion du pays pour les intensifier davantage. Face aux hésitations de la Commission, les ministres des Affaires étrangères d'Allemagne, Hans-Dietrich Genscher, et des Pays-Bas, Max van der Stoel, décident d'activer la décision politique et persuadent leurs homologues européens de répondre positivement à la demande grecque. Le 9 février 1976, le Conseil des ministres des Neuf accepte la candidature grecque sans donner suite à la proposition de la Commission européenne d'imposer une période probatoire de préadhésion.


L'adhésion de la Grèce et les dispositions transitoires


Les négociations d'adhésion commencent officiellement le 27 juillet 1976. Elles s'achèvent le 23 mai 1979 et aboutissent à la signature du traité d'adhésion, le 28 mai 1979 à Athènes. Le Parlement hellénique ratifie l'Acte d'adhésion le 28 juin 1979 et la Grèce devient, le 1er janvier 1981, le dixième État membre de la Communauté européenne. Les conditions d'adhésion de la Grèce lui sont assez favorables. La volonté de consolider le régime démocratique constitue en effet un argument de poids suffisamment important pour faire fi des considérations économiques plutôt négatives de la Commission à l'égard de l'adhésion grecque.


D'une façon générale, la Grèce obtient une période transitoire de cinq ans pour adapter son économie aux règles communautaires. Au terme de ce délai, le pays doit pouvoir s'intégrer dans l'Union douanière et aligner ses prix agricoles sur ceux de la Communauté. Il est même prévu d'intégrer la drachme dans le Système monétaire européen (SME) où elle représente 1,3 % de la European currency unit (ECU).


Certains aspects de l'adhésion, jugés plus sensibles par les Neuf, font néanmoins l'objet d'une période transitoire portée à sept ans. Ainsi, la libre circulation des travailleurs grecs ou de produits agricoles tels que les pêches et les tomates ne pourra être effective qu'à partir du 1er janvier 1988. La dispense d'une certaine partie des versements au titre de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) permet aussi à la Grèce d'être un bénéficiaire et non un contributeur net au budget communautaire. Ce faisant, on espère éviter l'apparition du scénario de la renégociation financière qui envenime de façon récurrente les relations entre le Royaume-Uni et la CEE. A peine acquise, l'adhésion de la Grèce fut remise en cause par le gouvernement de gauche d'Andréas Papandréou, arrivé au pouvoir après les élections du 18 octobre 1981, qui exigeait des dérogations et des aides accrues pour rester dans la Communauté (à l'instar des travaillistes britanniques en 1974). Il n'obtint pas la modification des règles fondamentales des traités mais un accroissement des aides communautaires qui ne seront pourtant guère utilisées pour moderniser les structures de l'économie grecque.


Compte tenu du retard considérable de l'économie grecque par rapport au reste de la Communauté, de nombreux programmes d'aide sont aussi élaborés par la Commission, notamment dans le cadre de la politique régionale et de la Politique agricole commune (PAC).


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