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L'Union européenne des paiements

L'Union européenne de paiements (1950-1958)

Après des négociations difficiles liées aux situations particulières du Royaume-Uni et de la Belgique, ainsi que des rapports à organiser avec le Fonds monétaire international, l'Union européenne de paiements (UEP) est créée le 19 septembre 1950 par les dix-huit pays membres de l'Organisation européenne de coopération économique (OECE) avec effet rétroactif au 1er juillet 1950. Son adoption est concomitante de celle d'un code de libéralisation du commerce, pour l'essentiel une compilation des directives adoptées par l'OECE accompagnée d'objectifs à atteindre à échéance convenue. Ces deux instruments, l'UEP et le code, vont de paire: le premier soutient la réalisation des objectifs commerciaux, le second exige une libération des paiements.

L'objet de l'UEP

Créée dans le cadre de l'OECE, l'UEP a pour objet, comme les accords de 1948 et de 1949, de faciliter par un régime de paiements multilatéraux le règlement de toutes les transactions commerciales entre les zones monétaires des pays participants. Au-delà de cet objectif immédiat, l'UEP entend aider ces pays à ouvrir leur commerce. Son existence est déliée du Programme de relèvement européen: l'accord prévoit que l'Union se maintienne «aussi longtemps qu'il sera impossible d'établir, par d'autres méthodes, un système multilatéral de paiements européens.»

L'UEP est prolongée au-delà de 1952 pour être liquidée au 31 décembre 1958 lorsque toutes les monnaies des pays participants sont à nouveau inter-convertibles.

Le fonctionnement de l'UEP

Le fonctionnement général de l'UEP obéit à des règles automatiques, ce qui réduit l'exigence d'une structure administrative élaborée, voire supranationale1. Placés sous l'autorité du Conseil de l'OECE, un Comité de direction et la BRI sont en charge de l'exécution de l'accord. Le Comité se compose de sept membres nommés par le Conseil parmi les personnes proposées par les pays participants. Le vote par défaut y est acquis à la majorité absolue de ses membres. Les directives du Conseil, ainsi que les décisions du Comité sont obligatoires pour les membres. Le Comité peut émettre, par l'intermédiaire du Conseil de l'OECE, des recommandations à l'attention d'un État participant dont la politique économique et monétaire menace le fonctionnement de l'UEP.

La BRI est à nouveau chargée de l'exécution des opérations techniques. Sur le plan financier, l'UEP dispose d'un fonds d'un montant initial de 350 millions de dollars versés par les États-Unis. C'est via ce fonds que les règlements des soldes des balances des paiements des pays à l'UEP s'opèrent.

L'UEP se distingue des dispositifs précédents car la compensation se réalise vis-à-vis d'elle seule et non plus au regard de tel ou tel pays. En outre, elle postule que les monnaies des pays participants sont interchangeables aux fins des opérations de compensations, quand bien même elles demeurent inconvertibles les unes les autres. Lors de l'établissement mensuel des soldes de chaque pays participant, la BRI convertit les montants transmis en unité de compte retenue par l'UEP, à savoir la valeur du dollar en or (un trente-cinquième d'once d'or fin). Le taux de conversion (ou parité) entre les monnaies nationales et l'unité de compte est défini par les pays respectifs. Les règlements des excédents ou des déficits se réalisent auprès de l'UEP de façon automatique, en or et sous forme de crédit. La proportion or/crédit varie selon l'importance des soldes par rapport aux quotas. Plus le solde s'approche du quota, plus le débiteur devra régler en or et le créancier se fera payer sous forme de crédit. Définis pour chaque pays au regard de l'importance de leurs échanges de biens et de services, les quotas constituent la limite au-delà de laquelle l'excédent ou le déficit de la balance des paiements est jugé excessif. Lorsque la limite est dépassée, l'UEP n'accorde plus automatiquement un crédit au débiteur ou ne règle plus les excédents en or au pays créditeur. Dans l'intervalle des règlements mensuels à l'UEP, chaque pays est tenu de mettre à la disposition de tout autre pays participant des crédits intérimaires libellés dans sa propre monnaie2.

Les résultats de l'UEP

L'UEP assure à l'Europe d'après-guerre une stabilité complète des changes et une libération des paiements. Durant les 102 mois d'activité de l'UEP, le total des excédents bilatéraux bruts s'élèvent 23,2 milliards de dollars: 73% donnent lieu à une compensation à l'intérieur de l'UEP3. L'Union favorise la libération des échanges commerciaux entre ses États membres et facilite, ce faisant, la mise en place et le développement de la Communauté européenne du charbon et de l'acier4. L'Union permet l'harmonisation des politiques monétaires nationales à travers l'examen mensuel des situations économiques et des balances des paiements auquel se livre le Comité de direction. Pour l'économiste américano-belge Robert Triffin, l'UEP porte en germe tous les éléments d'une institution monétaire européenne. «[i]l ne resterait alors qu'à les amplifier quantitativement et progressivement pour faire de l'Union une véritable banque centrale européenne et pour faire de l'Unité de compte une monnaie Européenne unique.»5

L'amélioration constante de la situation économique des pays participants à l'UEM permet une reconstitution des réserves en devises et en or. L'octroi de crédit autorisé dans le cadre de l'Union se réduit alors progressivement au profit de paiements au comptant, c'est-à-dire dans des conditions proches de celles prévalant dans un système de convertibilité mondiale. De fait, dans le courant de l'automne 1958, les monnaies des dix-sept pays européens membres de l'UEP sont rendues convertibles en dollars ou en d'autres monnaies les unes après les autres, la livre sterling ouvrant la voie6. Le 27 décembre 1958, toutes sont convertibles. L’UEP n'a plus lieu d'être: elle est dissoute à cette date. Ses dernières opérations sont liquidées le 14 janvier 1959 au soir.

1Hirschman, Albert O., The European Payments Union. Negotiations and the Issues, The Review of Economics and Statistics, February 1951, vol. 33, n°1, p. 52.

2von Mangoldt-Reiboldt, Hans-Karl, De l'Union européenne de Paiements à la convertibilité monétaire, Revue économique, 1957, vol. 8, n°1, p. 86.

3Banque des règlements internationaux, 29e Rapport annuel, 1er avril 1958-31 mars 1959, Bâle, 8 juin 1959, p. 250.

4von Mangoldt-Reiboldt, Hans-Karl, De l'Union européenne de Paiements à la convertibilité monétaire, Revue économique, 1957, vol. 8, n°1, p. 76.

5Triffin, Robert, Système et politique monétaires de l'Europe fédérée, Actes du Congrès international pour l'étude des problèmes économiques de la Fédération européenne, Gènes, 11-14 septembre 1953, dans Economia Internazionale, Camera di Commercio di Genova, Genova, 1953, p. 211.

6Leboutte, René, Histoire économique et sociale de la construction européenne, Bruxelles, Bern, Berlin, [etc.], P. Lang, 2008, pp. 207 et s.

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