La BITD: la conception et la production d’armements

La BITD: la conception et la production d’armements

 

La standardisation des armements dans le cadre d’une alliance militaire présente plusieurs intérêts. Elle permet la dispersion des fabrications de guerre dans tous les territoires de la coalition, ce qui, en cas de conflit, favorise l’approvisionnement et limite les effets des bombardements. Elle facilite les économies d’ordre industriel et scientifique par la mise en commun des bureaux de recherche. Elle facilite l’interopérabilité entre alliés et la maintenance des unités en temps de guerre, en permettant la mise en commun et les échanges de munitions, de pièces de rechange, etc. La standardisation apparaît donc comme un moyen d’améliorer les capacités militaires de l’alliance, en réduisant les coûts.

La BITD et la question de la production et du contrôle des armements

La standardisation des armements, au moment de la mise en place du Traité de Bruxelles en 1948 puis de l’OTAN en 1949, est réalisée de facto pour le court terme. Les armées d’Europe continentale sont surtout équipées de matériel américain ou britannique, obtenu pendant la guerre ou après dans le cadre de l’aide mutuelle. Mais cette standardisation n’est pas appelée à perdurer. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ne comptent pas offrir indéfiniment du matériel à leurs alliés. Et ces derniers sont désireux de relancer leurs propres industries d’armement.

Au sein de l’OTAN, le Comité militaire de production est créé dès novembre 1949. Il est chargé de collecter des renseignements sur les besoins militaires des alliés, d’examiner la situation des approvisionnements, d’établir des recommandations en vue d’accroître ces derniers et de favoriser la standardisation des pièces détachées et produits finis. Le 18 décembre 1950, il est remplacé par un Bureau de production de défense, doté de pouvoirs accrus et chargé « d’intensifier la production et de faciliter l’utilisation à des fins mutuelles des ressources industrielles des États membres de l’organisation atlantique »[1]. Après la réorganisation des structures civiles de l’OTAN en 1952, c’est son Secrétaire général qui est chargé d’élaborer des programmes de production coordonnés pour les principaux matériels militaires.

L’objectif est «d’une part, de permettre que la production de défense des pays européens dans le cadre de leurs budgets nationaux s’effectue de la façon la plus économique et, d’autre part, de rendre plus efficace la production de défense européenne»[2]. Dès lors, la standardisation est définie de façon précise par le Groupe permanent et le Comité militaire, et dépasse la production d’armement: «Par standardisation militaire OTAN, on entend l’adoption par toutes ou partie des nations OTAN : a) dans les domaines autres que celui du matériel, de procédures opérationnelles, logistiques et administratives identiques ou similaires. […] b) dans le domaine du matériel, de matériels identiques ou similaires tels que ensembles, pièces détachées, munitions et approvisionnements»[3]. Les principes sont énoncés comme suit par le Comité Militaire : la standardisation est volontaire; elle n’est pas une fin en soi; elle est considérée comme essentielle lorsque la mise en œuvre efficace des plans d’opérations en dépend; elle est estimée désirable lorsqu’elle influe favorablement sur la mise en œuvre des plans d’opérations et sur l’économie OTAN; elle n’est pas à rechercher lorsqu’elle entrave les recherches, la mise au point de matériel et de techniques opérationnelles et la production de matériel de guerre; la standardisation dans l’ensemble de l’OTAN et la standardisation par groupes de pays à l’intérieur de l’OTAN sont deux aspects complémentaires. Les échanges d’information en vue de réaliser la standardisation sont régis par les directives nationales en matière de sécurité[4]

Or, le processus qui se met en place consiste plus en des négociations bilatérales entre les pays européens et les États-Unis qu’en une véritable coopération dans le domaine des armements. Les États-Unis passent des contrats off shore pour relancer le réarmement occidental. En 1958, le mandat du Comité de production est élargi à la recherche et au développement, notamment des armements de pointe, et en 1966, après que la France a quitté le commandement intégré de l’OTAN, il devient la « conférence des Directeurs nationaux des armements » (CDNA). Quel que soit le nom, les résultats sont peu concluants, étant données les réticences anglo-saxonnes.

Dans le domaine de la standardisation des armements, un décalage important existe entre les Britanniques et les Américains d’une part, et les nations d’Europe continentale de l’autre, dans la recherche, le développement et la production. Alors que les continentaux, et la France en tête, ont soif d’échanges d’informations pour rattraper le temps perdu, les Américains et à un degré moindre les Britanniques ne voient aucun intérêt à une standardisation qui contrarie leurs préoccupations économiques, scientifiques ou militaires. Étant donné le déséquilibre initial, standardisation ne peut signifier que transfert de technologie au bénéfice du continent.

A l’échelle européenne, un Comité d’armement est mis en place au sein du traité de Bruxelles, mais dans le contexte de 1948, les pays européens manquant de moyens. Son impact se révèle très limité. C’est pourtant bien dans un cadre européen, mais parallèle, qu’une expérience de standardisation des armements est tentée : le groupe FINBEL[5] (France, Italie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg)[6]. Initiative française, ce groupe est propre aux forces terrestres des nations intéressées. Il naît de la « nécessité de créer en matière de standardisation des armements un palier de coordination intermédiaire et naturel entre chacun des pays de l’Europe occidentale continentale membres de l’OTAN, et l’OTAN, afin de pallier les insuffisances du Bureau Militaire de standardisation de Londres »[7]. L’organisation FINBEL comprend une série de comités dont la hiérarchie se rapproche sensiblement de celle de l’État-major de l’Armée : un organisme de décision, le Comité des Chefs d’État-major Terre, assisté du Comité des suppléants des chefs d’État-major (sous-chefs d’État-major); des organismes de travail (le Comité des experts militaires, des Comités de techniciens, le secrétariat). Sans autorité supranationale, FINBEL est doté d’une organisation collégiale, au sein de laquelle les solutions adoptées résultent de la bonne volonté des États membres. L’organisation se caractérise par sa souplesse et sa légèreté. L’OTAN est informée officiellement en décembre 1953 de la création de FINBEL et de ses objectifs. Au cours de ses travaux, FINBEL tient compte au maximum des décisions promulguées par le bureau de standardisation atlantique et des directives du Groupe permanent. En revanche, FINBEL choisit les problèmes qu’il estime devoir étudier. Il n’est pas lié par l’ordre de priorité fixé par l’OTAN sur le plan pratique. Pour accentuer les liens entre FINBEL et l’OTAN, ce sont en principe les mêmes experts et techniciens qui représentent leur pays dans les groupes de travail du Bureau militaire de standardisation et dans les Comités FINBEL. L’existence de FINBEL a fortement influé sur les travaux de l’OTAN, mais les résultats restent décevants. Le succès est réel sur la normalisation des pièces détachées, mais pas sur les produits complets[8], par exemple.

 

 


[1] OTAN, Communiqué du Conseil atlantique des 18-19 décembre 1950.

[2] OTAN, Communiqué du Conseil atlantique, 23-25 avril 1953.

[3] OTAN, Groupe Permanent, standardisation militaire OTAN, SGM-756-54, 2 décembre 1954.

[4] OTAN, Comité militaire de l’OTAN, principes de la standardisation militaire OTAN, MC020-2-définitif FRE, 1954.

[5] BURIGANA, David, DELOGE, Pascal, « Standardisation et production coordonnée des armements en Europe. Une voie vers l'étude d'une défense européenne (1953-2005) », dans RUCKER, Katrin, WARLOUZET, Laurent (dir./eds.), Quelle(s) Europe(s) ? Which Europe(s)? Nouvelles approches en histoire de l'intégration européenne, New Approaches in European Integration History. Bruxelles, Peter Lang, 2006, 388 p.

[6] Avec l’accession de l’Allemagne en 1956, FINBEL devient FINABEL.

[7] Ministère des Affaires étrangères français (MAEF), Service des Pactes, 52, secrétariat d’État à la Guerre, État-major de l’armée, cabinet, note d’information sur l’organisation FINBEL, n°5495EMA/CAB/SCI, secret, 24 janvier 1955.

[8] SHAT, 8Q270/2, note de la section économie de guerre pour le Secrétaire général permanent de la Défense nationale au sujet de la standardisation, n°1772EG, 9 novembre 1953.

 

 



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