Une relecture du rapport Werner du 8 octobre 1970 à la lumière des archives familiales Pierre Werner

Genèse de la pensée monétaire de Pierre Werner dans les années 1960

Genèse de la pensée monétaire de Pierre Werner dans les années 19601


Les années d’études universitaires à Paris et le contact avec des professeurs éminents, parmi lesquels Jacques Rueff, Charles Rist, Wilfrid Baumgartner, Fernand Collin ont donné à Pierre Werner le goût de l’étude des phénomènes économiques et monétaires. Celui-ci est renforcé par son entrée dans les milieux bancaires luxembourgeois, où il commence sa carrière. Dès son arrivée au sein des institutions gouvernementales, on lui confie la responsabilité de mettre sur pied le commissariat au contrôle des banques. Ensuite, son parcours au ministère des Finances le conduit aux négociations européennes et internationales, notamment dans le cadre du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, dès la naissance de ces institutions. Sa culture économique et sa formation dans le monde de la finance lui permettaient de comprendre l’essence des problèmes analysés. Ses fonctions politiques lui fournissaient les moyens d’action et son esprit rassembleur suscitait l’engagement de ses collaborateurs appelés à mettre en œuvre des solutions pratiques. Sa présence constante, vingt-cinq ans durant, dans le cercle fermé des ministres des Finances et ses échanges avec les experts ont toujours su garder vif cet intérêt, même si les circonstances ont fait que l’action politique fut souvent privilégiée et plus visible aux yeux de l’opinion publique.


Mais au-delà du côté officiel, Pierre Werner nourrissait une véritable passion pour la problématique économique et monétaire et ses archives privées en font largement état. Elles nous dévoilent des dossiers documentaires détaillés2, d’une surprenante richesse, qu’il a constitués méthodiquement et classés lui-même dès 1952. Elles contiennent des textes, pour la plupart manuscrits, au sujet de l’intégration monétaire européenne, accompagnés de nombreux articles, souvent commentés, parus dans la presse luxembourgeoise, européenne et internationale. Pierre Werner avait une pensée économique et monétaire bien à lui, échafaudée sur des idées et contributions personnelles. Cette pensée évoluait en interaction avec le monde académique et universitaire européen auquel il restait lié et il la transmettait notamment lors des forums politiques3 dans lesquels il était convié de par ses obligations et fonctions officielles.


C’est ainsi que, lors d'une conférence intitulée «Significations d’une intégration monétaire4» donnée à Strasbourg le 21 novembre 1960, Pierre Werner présente ses premières réflexions sur l’intégration monétaire européenne. Puisant son inspiration dans les enseignements de l’union du Benelux (fondée sur un accord monétaire), Pierre Werner met en évidence qu’«une coopération et une intégration économiques se réalisent plus directement par l’instrument monétaire», mais que les décisions unilatérales, donc brutales, ne sont pas souhaitables. «Entre pays souverains, le rapprochement monétaire ne peut être que progressif et concomitant au rapprochement des politiques économiques […] et l’unification monétaire intervient à la fin, plutôt qu’au début du processus d’intégration»5. Un marché commun nécessite non seulement un ordre financier à l’intérieur de la communauté, mais un ordre financier sur un plan plus vaste, international, continental ou mondial. Quant à l’aire financière des Six, il ne suffit pas qu’elle s’intègre dans un système monétaire plus vaste, mais «une orientation communautaire plus poussée devra être donnée à leurs politiques financières».


Pour remplir ces objectifs, il propose «l’application progressive d’une monnaie de compte européenne», capable d’atténuer les dangers résultant des mouvements des capitaux spéculatifs liés aux dévaluations et réévaluations des monnaies. Une extension de l’usage de cette unité de compte sera possible et ne supposera pas nécessairement une révision des traités. Dans les relations internationales de la CEE, cette monnaie européenne «fournirait un étalon de valeur soustrait aux vicissitudes nationales, faciliterait l’extension des échanges internationaux et constituerait un encouragement au développement de l’épargne». L’usage privé pourrait être graduellement introduit, par exemple à propos d’emprunts et de titres de voyage, pour «faire surgir peu à peu l’accoutumance à cette monnaie collective». En partant de l’unité de compte équivalent au dollar adoptée comme «monnaie de comptabilité» par l’Union européenne des paiements (UEP), appelée «Epunit»,– Pierre Werner avance plusieurs propositions de noms: «Euror», «Goldeur» et «Gramor», avec une préférence pour la première. Pourquoi «Euror»? «Par sa double consonance avec l’aurore et l’or devrait incontestablement inspirer confiance».


Pierre Werner se situait donc en concordance avec les idées de Robert Triffin6 (inspirées par le dollar et le déficit américain), ainsi qu’avec celles de son homologue belge, Pierre Wigny7, ou encore celles de Fernand Collin8. Cet universitaire et banquier belge, réputé pour être parmi les pionniers de la création d’une monnaie européenne9 et que Pierre Werner connaissait depuis 1956, l’a beaucoup encouragé à poursuivre sa propre réflexion sur la problématique monétaire et à l’exposer publiquement. C’est lui qui l’incite à prendre régulièrement part aux congrès et conférences des économistes. Leurs échanges intellectuels se poursuivront constamment, avec une intensité particulière durant les travaux du «groupe Werner». Fernand Collin a activement participé à la mise en place de certaines spécialisations de la place financière luxembourgeoise et ses suggestions portant sur la monnaie de compte et les clauses de change «se sont largement réalisées au sein de la filiale de Kredietbank à Luxembourg, qui pendant longtemps était pionnier dans l’exploitation de ces nouvelles formules de numéraire»10.


Sans être encore membre du Comité d’action pour les États-Unis d’Europe, et sans avoir, dans ce cadre, des échanges structurés avec les personnalités qui le composent, mais en contact avec son président Jean Monnet11, Pierre Werner est au courant dès l’été 1961 de la proposition du comité visant la création d’une union européenne des réserves monétaires des Six, «prélude à une politique monétaire commune et une monnaie commune»12. Il se tient en permanence informé de l’évolution de la pensée et des débats économiques et monétaires et il teste certaines de ses idées et initiatives dans les cadres les plus divers. Parmi ceux-ci, les réunions systématiques avec les chefs des gouvernements européens, dont l’affiliation à la démocratie-chrétienne lui donnait des affinités supplémentaires, et les discussions dans le cadre de l’UEBL et du Benelux, tout comme sa participation, des années durant, aux réunions des ministres des Finances des Six occupent une place de choix. Il établit des bonnes relations de confiance et d’estime mutuelle avec ses homologues européens, notamment avec Valéry Giscard d’Estaing, le baron Snoy d’Oppuers, Karl Schiller, Franz Etzel, ainsi qu’avec les gouverneurs des banques centrales et d’autres banquiers, tout particulièrement avec le baron Hubert Ansiaux, Guido Carli, Jelle Zylstra, Bernard Clappier, Karl Blessing, ou encore Hermann Abs (banquier à la Deutsche Bank13). Leurs échanges seront réguliers sur un long terme. Pierre Werner entretient également des rapports cordiaux avec les britanniques, tout spécialement avec Edward Heath14, et il montre un intérêt particulier tant pour les démarches d’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté, que pour la problématique complexe que la livre sterling soulevait dans le cadre d’une identité monétaire européenne15. Ses bonnes connexions de longue date dans les milieux politiques et d’affaires outre-Atlantique joutaient à sa vision une nécessaire dimension globale, s’agissant notamment des conclusions à retenir du libéralisme économique américain et du rôle du dollar comme monnaie nationale et internationale à la fois.


L’idée d’une politique monétaire commune transparaissait dans le traité de Rome de 195716. Même la notion de monnaie de compte y figure17 mais, une monnaie unique pour l’ensemble des pays membres des CE n’était pas prévue. Presque au même moment (1958), on assiste au rétablissement de la libre convertibilité entre les monnaies des principaux pays industriels, mais l’illusoire paix monétaire fondée sur la confiance dans le système de Bretton Woods n’incitait pas les partenaires européens à s’engager sur la voie de l’intégration monétaire, pourtant synonyme d’indépendance par rapport au dollar. Cette idée fait sa première percée officielle dans le «Programme d’action pour le deuxième étage de la Communauté économique européenne (1962-1965)»18, qui se proposait de réformer le traité de Rome et d’agir en faveur d’une «union économique et monétaire véritable». Pour combler les lacunes du traité de Rome, trois comités spécialisés sont créés: le comité des Gouverneurs des banques centrales (avec comme principal but la coordination des politiques monétaires des États membres), le comité de Politique budgétaire et le comité de Politique économique à moyen terme. Le comité Monétaire (institué par l’art. 105 du traité CEE), chargé de suivre la situation monétaire et financière des États membres et de la Communauté ainsi que le régime général des paiements des États membres était opérationnel dès 1958.


Cette initiative rend compte de l'intégration économique croissante des États européens, plus que jamais soumis au besoin de stabiliser leurs taux de change, une politique commerciale commune ne pouvant, adéquatement, se passer d'une politique monétaire commune. Sorti de la plume conjointe de Robert Marjolin et Robert Triffin19, réputés pour leurs idées avancées en la matière, le programme en question suivait une proposition des mêmes coauteurs prônant la création d’un «fonds de réserve européen»20, ainsi que la création d’une nouvelle unité de compte européenne. En fait, dès 1962, une unité de compte européenne est créée pour servir de dénominateur commun pour les prix agricoles, ainsi qu’à exprimer les montants du budget communautaire.


Pourtant, des banquiers centraux mettaient déjà en garde contre une union monétaire prématurée. Le président de la Bundesbank, Karl Blessing21 émettait, en 1962, l’opinion que «l’union monétaire ne pouvait être envisagée que dans le cadre d’un État fédéral européen préalablement constitué. Il se prononçait aussi contre une mise en commun d’une partie des réserves monétaires dans l’état d’alors de la Communauté. Les autorités monétaires néerlandaises partageaient plus ou moins cet avis»22. Le baron Hubert Ansiaux, président de la Banque Nationale de Belgique, que Pierre Werner rencontrait régulièrement dans le cadre de l’UEBL et avec lequel il débattait fréquemment des questions monétaires, était très réservé quand l’idée d’une monnaie européenne a émergé. Quelques années plus tard, lors de sa participation au comité Werner, son optique changera radicalement.


Proche des idées de Marjolin et partageant la vision de la Commission européenne contenue dans le Programme d’action pour le deuxième étage de la CEE, Pierre Werner approfondit sa propre conception de l’intégration monétaire des Six et, dans une conférence donnée le 27 novembre 196223 à Bruxelles, réaffirme la pertinence d’une unité de compte européenne définie par rapport à l’or pour «amorcer un système monétaire européen». Il souligne la nécessité de la fixité des taux de change, d’une discipline commune et de la solidarité monétaires dans un cadre institutionnel précis, à savoir un «Institut monétaire, qui pourrait développer concomitamment son rôle de Chambre de compensations entre les banques centrales». Pierre Werner précise que «la méthode ainsi préconisée permettrait à l’intégration monétaire d’épouser la ligne de développement des tâches communautaires sans empiéter sur les responsabilités nationales et sans dépossession prématurée […] L’unification des politiques économiques ne sera jamais absolue: à des moments déterminés des actions conjoncturelles peuvent s’imposer suivant les pays»24.


Ce n’est qu’en 1964 que certaines des préconisations de la Commission européenne en matière de politique monétaire commencent à se matérialiser, notamment par la mise en place de la collaboration entre les États membres en matière de relations monétaires internationales25 et par la création du Comité des gouverneurs des banques centrales26, avec le souci accru d’accomplir davantage de progrès.


En février 1965, alors que l’idée d’un système monétaire régional en Europe émerge de plus en plus, le président français se prononce en faveur d’une réforme du système monétaire international qu’il considère déséquilibré et fragile. La position est imprégnée par la critique gaullienne de l’impérialisme du dollar27, ainsi que par l’opposition aux États-Unis quant à l’opportunité et les modalités d’une refonte du SMI28. Ces propositions s’inscrivent dans une vision très cohérente des relations internationales et forcément de la construction européenne que le général de Gaulle forge, de pair avec une politique de grandeur et d’indépendance nationale («une certaine idée de la France»), dès son arrivée au pouvoir en 1958. En souhaitant l’avènement d’une «Europe européenne», avec une propre identité politique et militaire, indépendante des États-Unis et influente dans le monde, mais surtout d’une «Europe des États» où chacun reste maître de sa souveraineté, il envisage d’enrayer toute évolution vers la supranationalité29. C’est sur ces coordonnées que de Gaulle exerce à l’époque son leadership et qui sont les causes de bon nombre de frictions entre la France et ses partenaires (retrait de la France du commandement intégré de l’OTAN et une certaine remise en cause de l’Alliance atlantique, la crise de la chaise vide, le deuxième veto à l’adhésion britannique).


Dans le sillage des propositions avancées par le général de Gaulle, Pierre Werner réitère quant à lui la nécessité «d’établir au plus tôt les fondements d’une coopération monétaire plus serrée entre les Six pays membres de la CEE, afin de préserver le Marché Commun d’interventions financières et monétaires désordonnées»30. Cette déclaration officielle prononcée devant le parlement luxembourgeois par le Premier ministre, ministre des Finances et ministre des Affaires étrangères, fonctions que l’orateur exerçait simultanément à l’époque, contient l’indication des priorités dans la politique étrangère, notamment européenne du Grand-Duché, dans laquelle l’intégration économique occupe une place de choix. Le vecteur monétaire, ayant en Pierre Werner un défenseur engagé, est devenu un axe primordial de l’action gouvernementale à long terme et la place financière internationale, en pleine éclosion au Luxembourg, y est graduellement associée31, avec ses moyens spécifiques32.


Au premier semestre de 1966, le Grand-Duché est appelé à exercer la présidence du Conseil des Communautés Européennes et Pierre Werner, qui conduit les travaux, contribue à l’obtention du «compromis du Luxembourg» qui met un terme à la «crise de la chaise vide»33. Dans son discours de bilan devant le Parlement Européen à Strasbourg et en évoquant les thèmes-phare qui ont concentré les énergies de la présidence luxembourgeoise (la crise européenne et sa résolution, l’entrée en vigueur du traité instituant un Conseil unique et une Commission unique des Communautés, le financement de la politique agricole commune et les négociations multilatérales au sein du GATT), Pierre Werner souligne «la nécessité de mettre en place […] des procédures monétaires communes et […] la nécessité de consacrer dans un statut monétaire la fixité des taux de change»34. Cette thèse, ainsi que l’idée d’une unité européenne de compte généralisée, et la nécessité d’une discipline monétaire commune, assortie d’une coordination des politiques économiques des Six, ont été étayées quelques jours auparavant devant des hommes d’affaires et politiques américains dans une conférence où Pierre Werner s’est exprimé comme «porte-parole de la politique monétaire européenne»35. Il fera de même de la tribune du FMI et de la Banque mondiale, lors de l’assemblée annuelle des gouverneurs de 1966, où il parle en tant que président en exercice du Conseil des CE36.


En mai 1967, le 20e Congrès économique du Benelux, accueilli au Luxembourg, donne à Pierre Werner l’occasion d’exposer une nouvelle fois sa vision sur l’impératif d’une solidarité monétaire européenne à travers une monnaie européenne, dont une des principales vertus sera celle «de résoudre le problème de la fixité des taux de change». Une solidarité d’action doit se mettre en place dans ce domaine, qui reste dominé par un très fort particularisme national. Même s’il considère que «la création d’une monnaie européenne unique, par un institut d’émission serait prématurée», il estime que le resserrement de la discipline monétaire est non seulement nécessaire, mais possible vu que les pays du Marché commun sont aussi étroitement associés dans la poursuite de leurs objectifs économiques. De la même tribune, Fernand Collin, président de la Kredietbank, appelle à la création d’une monnaie européenne37 et définit ses caractéristiques.


Jusqu’aux années 1967-1968, la coopération monétaire européenne apparaît comme le prolongement de l’intégration des marchés et de la création d’un véritable marché commun industriel et agricole. Les règles de la politique agricole commune, notamment avec la fixité des prix communs agricoles établis en unité de compte, a imposé de facto une discipline monétaire. «Le fonctionnement de la PAC a ainsi entretenu l’illusion d’une union monétaire européenne acquise comme par magie»38. Mais un facteur externe viendra dissiper cette illusion: les turbulences du système monétaire international et la fragilisation du système de Bretton Woods. «Dès que des doutes sur la viabilité du système se faisaient jour et que les premiers signes de déstabilisation apparaissaient (notamment dans la crise de la livre sterling de 1967), l’idée de constituer en Europe une zone de stabilité monétaire et de préserver ainsi les économies européennes des remous qu’entraînerait la dissolution du système de Bretton Woods pouvait acquérir plus de force»39. La demande d’adhésion de la Grande-Bretagne implique la nécessité d’une réflexion approfondie sur les monnaies et la solidarité monétaire.


En tenant compte de ces nouvelles circonstances, Pierre Werner donne un éclairage supplémentaire à sa conception sur la solidarité monétaire en Europe qu’il expose le 26 janvier 1968 à la tribune du congrès Europaforum40, à laquelle il est invité aux côtés de Jean Monnet et de Walter Hallstein. D’abord, il plaide en faveur de l’adhésion de la Grande-Bretagne, qui apporterait dans la Communauté une monnaie de réserve et une des monnaies véhiculaires du commerce mondial, et dont la demande d’adhésion «[…] obligera les instances des Six à une prise de conscience de leurs objectifs de politique monétaire»41. Dans son discours, traitant des perspectives de la politique financière et monétaire européenne dans un contexte international de plus en plus imprévisible, il assortit l’échafaudage théorique des moyens et instruments d’action pratique, dans l’esprit du plan adopté par la Commission en 1962. Six mois avant l’entrée en vigueur de l’union douanière entre les pays membres de la CEE, Pierre Werner présente ainsi un plan d’action en cinq points pour une intégration monétaire européenne42, basé sur la création d’une unité de compte européenne, la consultation, la fixité des taux de change entre les monnaies européennes et la solidarité, interne et externe. Un fonds de coopération monétaire est ainsi évoqué. Il clôture son exposé en développant quelques idées qui lui tenaient particulièrement à cœur sur la libéralisation des flux des capitaux et sur le développement spontané des marchés en euro-devises43, phénomènes qu’il a pu étudier au sein de la place financière du Luxembourg. Pierre Werner anticipe ainsi la problématique que la Commission des Communautés européennes présente dans le «Mémorandum Barre» soumis en février 1968 à la réunion des ministres de Finances, proposant de réaliser des études sur certains thèmes susceptibles à intensifier la solidarité monétaire.


Guido Carli44, à l’époque gouverneur de la Banque centrale italienne, activiste de marque au sein du comité Monnet et partisan de la première heure de l’idée d’une monnaie européenne45, manifeste un intérêt particulier pour «le plan en cinq points», qu’il souhaite rendre accessible au monde italien de la finance. Les perspectives de la politique financière et monétaires européens sont ainsi publiées et diffusées sous l’égide de l’association italienne des banques46, donnant un plus de publicité et visibilité aux propositions ébauchées par Pierre Werner et engendrant des débats autour de ces thèmes dans les milieux spécialisés47. Au courant de l’année 1968, Pierre Werner devient de plus en plus actif au sein du Comité d’action pour les États-Unis d’Europe et, dans la période suivante, entretient des échanges intenses avec Jean Monnet et Robert Triffin.


Le «plan d’action en cinq points» suscite l’intérêt et l’accueil favorable dans les milieux politiques et bancaires et Pierre Werner est invité quelques mois plus tard à le détailler à ses collègues du Benelux48. Pierre Werner, dont la conception monétaire était inspirée justement des enseignements de la coopération Benelux, met en évidence que la réussite d’un tel plan consistant en la «stabilité garantie des relations financières entre les États membres» de la Communauté serait assurée par une prise d‘engagements comparables à ceux pris dans le cadre du Benelux. Le plan qu’il présente reste inchangé par rapport à sa forme de janvier, mais une condition importante est ajoutée quant à la procédure de consultation, à savoir qu’ «à des modifications de change on ne pourra procéder que d’un commun accord».


Lors de la réunion des ministres des finances des pays membres des Communautés à Rotterdam (9-10 septembre 1968), Pierre Werner réitère son «plan d’action en cinq points», qu’il étaye et nuance – mettant l’accent sur l’engagement et la volonté politique – dans le discours officiel qu’il prononcera devant ses collègues des autres États membres49. Ce qui retient l’attention, c’est la mise en évidence de la nécessité d’un parallélisme entre la coordination des politiques économiques et l’intégration monétaire. «La solidarité monétaire ne s’établira que laborieusement au fur et à mesure du renforcement de la politique économique et elle en dépend. D’un autre côté, la mise en place des procédures et d’instruments juridiques orientés vers une politique monétaire commune constituera un puissant levier pour opérer le rapprochement des économies nationales». L’équilibre subtil qu’il envisage se retrouvera dans l’élaboration du plan d’une union économique et monétaire par étapes (le plan Werner), qu’il sera amené à coordonner quelques mois plus tard.


«Mon ébauche de plan […] reçut une publicité non soupçonnée en Europe et ailleurs, comme venant d’un membre du Conseil des Ministres et répondant aux anxiétés de l’heure. Mais je n’étais plus seul à préconiser une action […] les propositions du professeur Triffin […] articulaient l’intégration monétaire avec la réforme du système monétaire international»50. En effet, Robert Triffin envisage d’abord une unité de compte européenne indépendante du dollar et convertible en monnaies européennes, suivie de la création d’une autorité monétaire européenne et ensuite, d’une politique monétaire commune.51


La genèse et l’évolution de la pensée monétaire de Pierre Werner jusqu’en 1968 témoignent qu’il a été un militant de la première heure en faveur d’une monnaie européenne commune, qu’il voyait aussi bien à usage intra-européen (y compris privé), qu’international, propre à stimuler les échanges. Cette monnaie, issue de la solidarité, donc d’une politique monétaire commune des Six, devait ainsi échapper aux faiblesses nationales. Soutenant la nécessité de la fixité des taux de changes entre les monnaies européennes par rapport aux devises, il propose la création d’un institut monétaire en charge de cette politique. Pierre Werner est parmi les premiers à souligner la nécessité de prendre en considération le rôle de la livre sterling dans une monnaie européenne commune, dans la perspective d’une adhésion inéluctable de la Grande-Bretagne à la Communauté, qu’il a soutenue et pour laquelle il a beaucoup œuvré.


Fidèle à sa ligne d’équilibre et de la juste mesure, il considérait que l’édification graduelle de la solidarité monétaire devait être menée en parallèle avec la coordination des politiques économiques des États membres, venant ainsi à l’encontre des opinions, et de la ligne politique, défendus par les Allemands et les Néerlandais. Par sa propre vision en la matière, il se place déjà sur une position médiane dans la controverse entre les courants monétaristes et économistes et qu’il a été amené à arbitrer pour la réussite des travaux du comité Werner.


Pierre Werner était catégoriquement opposé à une solidarité monétaire obtenue par une décision unilatérale (et forcement brutale), qu’il considérait comme indésirable et inacceptable. Il avait à l’esprit l’expérience que le Luxembourg avait subie à l’introduction forcée du Reichsmark et, ultérieurement, à la suite de l’introduction du franc après la Libération52. C’est d’ailleurs cette succession de transitions qu’il a vécues de l’intérieur, comme banquier à la KBL et puis comme fonctionnaire gouvernemental au ministère des Finances, qui l’ont incité à réfléchir sur la monnaie et les processus monétaires de conversion-reconversion. Et ce, en l’absence d’une monnaie nationale spécifique et d’une banque d’émission.


La fin de l’année 1969, marquée par la réévaluation du DM, la dévaluation du franc français et les événements monétaires internationaux annonçant la fin du système de Bretton Woods, mettent en évidence le manque de coordination en matière monétaire entre les Six et donnent une nouvelle impulsion à l’intégration européenne.

1 Cette sous section cible la période 1960-1968. Les plans Barre I et II, le plan Schiller, le plan Snoy, le plan luxembourgeois (connu aussi comme «le premier plan Werner»), etc. seront traités dans la section 1.3 intitulée «Environnement économique et monétaire à la fin des années 1960» et la section 3 «Le rapport Werner».

Sauf mention contraire, tous les documents cités dans la présente étude ont comme source www.cvce.eu.

2 Voir Inventaire des archives familiales Pierre Werner. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

3 Le fait que Pierre Werner a été beaucoup plus présent aux tribunes politiques qu’à celles universitaires était également dû au fait qu’à l’époque, le Luxembourg était dépourvu d’un enseignement supérieur que le nombre de la population en âge de suivre ces cours ne justifiait pas. C’est seulement en 1974 qu’un institut universitaire international voit le jour au Luxembourg.

4 Bulletin de documentation, no. 15 du 30 novembre 1960, 16e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, décembre 1960, pp. 3-11.

5 Pour les interventions de Pierre Werner sur le fonds du rapport Werner et dans les médiations politiques ayant conduit au consensus autour de ce document voir les sous sections 2.2 intitulée «Déroulement des travaux du comité Werner» et 3.4 intitulée «Économistes versus monétaristes: accords et divergences dans l’élaboration du rapport Werner».

6 Dans son ouvrage Gold and the Dollar Crisis. The Future of Convertibility, Yale, Yale University Press (New Haven Publisher), 1960, Robert Triffin prévoit une désintégration progressive du système monétaire international et prône la nécessité de créer une union monétaire européenne dotée d’une monnaie commune.

7 Juriste et homme politique belge, Pierre Louis Jean Joseph Wigny (1905-1986) fut ministre des Colonies (1947-1950), ministre des Affaires étrangères (1958-1961), ministre de la Justice (1965-1968), ministre de la Culture française (1966-1968). En 1959 il propose la mise en place d’une unité de compte européenne, pour que les pays de la CEE soient moins liés au dollar américain.

8 Universitaire, avocat et banquier belge, Fernand Collin, (1897-1990) est connu pour son rôle dans le développement de la Kredietbank Belgique qu’il présida de 1938 à 1973 et pour ses réflexions portant sur la définition et l’utilisation publique et privée de l’unité européenne de compte (ECU).

9 En 1958, Fernand Collin a publié l’étude intitulée L’utilisation d’une monnaie de compte européenne dans les emprunts internationaux. Genève: Institut international d'études bancaires, 1958.

10 WERNER, Pierre. Itinéraires luxembourgeois et européens. Evolutions et souvenirs: 1945-1985. 2 tomes. Luxembourg: Éditions Saint-Paul, 1992, tome II, p. 21.

11 De 1952 à 1955, Jean Monnet a été président de la Haute Autorité de la CECA, installée au Luxembourg.

12 WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 22.

13 En 1938, Pierre Werner décroche un stage à la Banque Générale de Luxembourg, dans laquelle la Deutsche Bank avait pris une participation décisive. C’est dans ces mêmes circonstances qu’il fait la connaissance de Hermann Josef Abs, président du conseil d’administration délégué par la Deutsche Bank dont l’activité bienveillante permit d’éviter le pire à ceux qui, comme Pierre Werner et Alphonse Weicker, refusèrent de rejoindre les organisations nazies. Cf. WERNER, Pierre. Itinéraires. T. I, pp. 15-16. Voir «Pierre Werner – une vocation européenne» (consulté le 10 octobre 2012). Concernant H.J. Abs, voir GALL, Lothar. Hermann Josef Abs. In POHL, Hans; BECKERS, Thorsten (Schriftleitung). Deutsche Bankiers des 20. Jahrhunderts. Stuttgart: Franz Steiner Verlag, 2008.

14 «Heath, prospecteur britannique, avant le veto du Général de Gaulle, était venu nous visiter en 1962 et j’avais entamé avec lui des relations amicales pour de longues années à une soirée à Vianden». Cf. WERNER, Pierre. Itinéraires. T. I, p. 278.

15 Dans les négociations d’adhésion de la Grande-Bretagne à la Communauté européenne, les questions monétaires ont représenté un enjeu de poids, récurrent. En 1967, le Général de Gaulle oppose son veto à l’ouverture des négociations en se référant à la situation économique, financière et monétaire britannique suite à la dévaluation du livre sterling, deuxième monnaie de réserve mondiale, intervenue quelques jours auparavant. Durant les années 1970, la question du livre sterling interfère avec le projet d’union économique et monétaire, avec le financement du budget communautaire, tout sur fonds des spéculations quant à la fin du système de Bretton Woods.

16 Troisième partie, titre VII (ex-titre VI), chapitre 2 intitulé «La politique économique et monétaire», articles 103 à 108. Le contenu synthétique de ces articles:

- l’art. 104 – chaque État membre était responsable de mettre en place «la politique économique nécessaire en vue d'assurer l'équilibre de sa balance globale des paiements et de maintenir la confiance dans sa monnaie, tout en veillant à assurer un haut degré d'emploi et la stabilité du niveau des prix»;

- l’art. 105 – stipulait la création «d’un comité monétaire», avec un rôle «purement consultatif»;

- l’art. 107 – prévoyait que «chaque État membre traite sa politique en matière de taux de change comme un problème d'intérêt commun».

- l’art. 108 – introduisait des mesures financières supranationales en mentionnant qu’en cas «de menace grave de difficultés dans la balance des paiements d'un État membre […] susceptibles notamment de compromettre le fonctionnement du Marché commun, la Commission procédera à un examen et recommandera des mesures à l'État intéressé». Si elles s’avéraient insuffisantes, elle «recommande au Conseil, après consultation du Comité monétaire, le concours mutuel et les méthodes appropriées» et le Conseil, «statuant à la majorité qualifiée, accorde le concours mutuel».

17 L’article 207 du traité stipulait que le budget de la Communauté soit établi dans l’unité de compte à fixer à l’unanimité par le Conseil.

18 Présenté le 24 octobre 1962 par la Commission européenne aux gouvernements des Six, le Programme d’action propose la réforme des traités de Rome (notamment l’art. 108). Le deuxième étage, envisagé pour la période 1962-1965, introduit l’obligation des consultations préalables avant toute opération monétaire importante. Le troisième étage, correspondant à la période 1965-1969, ébauche les contours d’une union économique et monétaire avec des taux fixes entre les monnaies et une politique monétaire coordonnée entre les pays membres.

19 BOSSUAT, Gérard. Jean Monnet. La mesure d'une influence. In Vingtième Siècle. Revue d'histoire, n° 51, juillet-septembre 1996, pp. 68-84.

20 En 1962, peu avant la présentation du Programme d’action pour le deuxième étage de la Communauté économique européenne (1962-1965), Robert Triffin et Robert Marjolin rendent publique leur proposition commune de création d’un «Fonds de réserve européen». Ce fonds serait composé à partir des participations des banques centrales qui étaient appelées à contribuer à hauteur de 10 % de leurs réserves. La fonction de ce fonds serait destinée à donner à la Commission un rôle financier indépendant et supranational par rapport aux États membres.

Dans l’ouvrage Europe and the Money Muddle: from Bilateralism to Near-Convertibility, 1947-1956. Yale: Yale University Press (New Haven Publisher), 1957, Robert Triffin – conseiller économique du comité d’action pour les États-Unis d’Europe de Jean Monnet – exhortait déjà les Européens à aller dans la direction d’une union économique et monétaire et ce avant même l’existence du Marché commun.

21 Karl Blessing (1900-1971), est entré à la Reichsbank en 1920 et, après l’obtention du diplôme en études commerciales à Berlin (1925), il devient en 1929 l’assistant de Hjalmar Schacht, président de la Reichsbank, qu’il secondera ensuite en 1937 au ministère de l’Économie. Élu la même année membre du directoire de la Reichsbank, il est évincé deux ans plus tard sous l’accusation d’avoir critiqué la politique économique du régime nazi. En 1958, il devient le premier président de la Bundesbank après l’entrée en vigueur de son nouveau statut. (Suivant la Bundesbankgesetz du 26 juillet 1957, la Bundesbank succède à la Bank Deutscher Länder créée le 1er mars 1948 dans les secteurs d'occupation occidentaux et qui avait porté la responsabilité de la monnaie allemande lors de l’introduction, le 20 juin 1948, du Deutsche Mark. Les deux principes-clés de la Bundesbank, à savoir l'indépendance et la sauvegarde de la monnaie, sont devenus les particularités marquantes de la politique monétaire allemande). Sa désignation comme président est motivée par sa riche expérience acquise durant l’entre-deux-guerres en matière de fonctionnement de l’étalon-or, avec des taux de change serrés et la libre convertibilité entre les monnaies. Il exerce ces fonctions jusqu’en 1969. Voir LINDENLAUB von, Dieter. Karl Blessing. In POHL, Hans; BECKERS, Thorsten (Schriftstellung). Deutsche Bankiers des 20. Jahrhunderts. Stuttgart: Franz Steiner Verlag, 2008.

22 WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 119.

23 WERNER, Pierre. Problèmes de l’intégration financière de l’Europe. Causerie faite à Bruxelles par Pierre Werner, Ministre d’État, Président du gouvernement luxembourgeois, Ministre des Finances devant les membres de l’Association des Amitiés Belgo-Luxembourgeoises et du Cercle Royal Gaulois. Bruxelles: Cercle Royal Gaulois (édité par), 1962. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

24 Ibid.

25 Décision du Conseil, du 8 mai 1964, relative à la collaboration entre les États membres en matière de relations monétaires internationales (JOCE 77 du 21.5.1964, pp. 1207–1208).

26 Instauré en juin 1963 (Coopération monétaire et financière au sein de la Communauté Economique Européenne , Bruxelles : Commission CEE. In Bulletin des Communautés Européennes, 1963a, vol. 6, no 7, 24 juillet, pp. 33-40), le Comité des gouverneurs des banques centrales s’est réuni pour la première fois le 6 juillet 1964 à la Banque des règlements internationaux à Bâle.

27 Voir De Gaulle en son siècle, tome III: Moderniser la France, Institut Charles de Gaulle. Paris: Editions Plon, 1992. Voir La France et les institutions de Bretton Woods, 1944-1994. Colloque tenu à Bercy les 30 juin et le 1er juillet 1994. Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France (éd.), Ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Paris: 1998. Voir PRATE, Alain, Les batailles économiques du Général de Gaulle, Paris: Editions Omnibus, 1995. Les Français estimaient que le statut du dollar américain en tant que monnaie-clé du SMI procurait aux États-Unis des privilèges particuliers. D’une part, les américains pouvaient s’endetter gratuitement grâce aux stocks de dollars existants à l’étranger, surtout dans les banques centrales européennes. D’autre part, ils exerçaient – «au nom de la cohésion du système» – des pressions sur ces banques qui perdent assez rapidement l’usage de ces réserves. Pour de Gaulle, ce privilège était assimilé à une forme d’impérialisme: les engagements politiques extérieurs des États-Unis et, en même temps, les investissements dans leurs entreprises à l’étranger étaient ainsi facilités.

28 La position Française pour la réforme du système monétaire internationale peut être résumée de façon suivante. Dans un premier temps, le système doit être maintenu en état, tout en améliorant son fonctionnement. Les pays à monnaies de réserve, tout d’abord les États-Unis, doivent enrayer le déficit de leurs balances de paiement. À ce stade, il n’y avait pas besoin de liquidités supplémentaires dans le système international. En cas de création, à l’avenir, de nouveaux instruments de réserve ou de crédit, leur neutralité devait être assurée grâce au lien à établir entre ces nouveaux instruments et l’or, ainsi qu’à un contrôle spécifique.

29 En 1960 le général de Gaulle demande à Alain Peyrefitte de préparer «une note sur les moyens pratiques d’étouffer la supranationalité». Dans l’esprit de de Gaulle, l’Europe ne pouvait être, à terme, qu’une confédération et la délégation de pouvoir devrait être exercée non pas par un organe indépendant, mais par les représentants des États (ministres ou au plus haut niveau) disposant d’un droit de veto. Voir. PALAYRET, Jean-Marie. Le Mouvement européen, 1954-1969. Histoire d’un groupe de pression. In GIRAULT, René et BOSSUAT, Gérard, L’Europe brisée. L’Europe retrouvée. Nouvelles réflexions sur l'unité européenne au XXe siècle. Paris: 1994, pp. 374-377.

30 WERNER, Pierre. La politique étrangère du Grand-Duché de Luxembourg. Discours de Pierre Werner, ministre d’État, président du gouvernement luxembourgeois, ministre des Affaires étrangères, ministre du Trésor, ministre de la Justice, devant la Chambre des Députés du Grand-Duché de Luxembourg. In Bulletin de documentation, no 1, 25 février 1965, 21e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, pp. 1-11. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

31 «[…] Si le public montrait beaucoup de curiosité à propos d’une union monétaire européenne, les milieux financiers et économiques restaient sceptiques. En premier lieu les autorités monétaires». In WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 20.

32 Des emprunts en unités de compte européennes (et en devises) ont été émis sur la place financière en 1964 et, ensuite, à une échelle croissante. Voir TRAUSCH, Gilbert. Le Luxembourg face à la construction européenne. Luxembourg: Centre d’études et de recherches européennes Robert Schuman, 1996.

33 La politique de la chaise vide désigne la politique de blocage menée par le gouvernement français du général de Gaulle du 30 juin 1965 au 30 janvier 1966. Refusant d'accepter une extension du rôle du Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), chargé de la mise en œuvre de la politique agricole commune, et du Parlement européen, mais surtout la modification du principe de l'unanimité dans la prise de décision au profit de la règle majoritaire, de Gaulle suspendit la participation de la France aux réunions du Conseil des Ministres de la CEE, bloquant de fait les décisions. L’accord, signé le 29 janvier 1966 à Luxembourg, accorde des concessions à la France dans le domaine du droit de vote. Elles sont formulées ainsi: «Lorsque, dans les cas de décisions susceptibles d'être prises à la majorité sur proposition de la Commission, des intérêts très importants d'un ou plusieurs partenaires sont en jeu, les membres du Conseil s'efforceront, dans un délai raisonnable, d'arriver à des solutions qui pourront être adoptées par tous les membres du Conseil, dans le respect de leurs intérêts mutuels et de ceux de la Communauté». Voir Communiqué final de la session extraordinaire du Conseil (Luxembourg, 29 janvier 1966). (Document consulté le 10 octobre 2012).

34 WERNER, Pierre. Exposé de SEM Pierre Werner, Président des Conseils des Communautés Européennes devant le Parlement Européen à Strasbourg, 28 juin 1966. In Bulletin de documentation, no 9, 1er juillet 1966, 22e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, 1er juillet 1966, pp. 8-12. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

35 WERNER, Pierre. Exposé sur la politique monétaire européenne. Conférence donnée à Bruxelles par Pierre Werner, Ministre d’État, Président du gouvernement, Ministre du Trésor et de la Fonction publique à l’invitation de l’American and Common Market Club. Bruxelles: 5 juin 1966. In La Libre Belgique, 6 juin 1966, p. 3.

36 Depuis l'adoption du traité de Rome en 1957, le Luxembourg a exercé à dix reprises la présidence du Conseil: aux premiers semestres de 1960, 1963, 1966, 1969, 1972, 1976, au second semestre de 1980 et 1985, au premier semestre de 1991, au deuxième semestre de 1997 et au premier semestre 2005. Dans l’intervalle 1960-1976, les présidences luxembourgeoises sont gérées exclusivement par divers gouvernements Werner successifs et Pierre Werner, qui exerce à chaque fois en qualité de président, s’exprime au nom de la Communauté dans divers assemblées et forums internationaux.

37 Discours de Fernand Collin, président de la Kredietbank, 27 mai 1967. In Problèmes économiques, no 2597, 30 décembre 1998.

38 LEBOUTTE, René. Histoire économique et sociale de la construction européenne. Collection Europe plurielle. no 39. Bruxelles: PIE- Peter Lang, 2008, p. 215.

39 VAN YPERSELE, J. et KOEUNE, J-C. Le système monétaire européen, Perspectives européennes. Luxembourg-Bruxelles: 1988, p. 41.

40 WERNER, Pierre. Perspectives de la Politique Financière et Monétaire Européenne. In Bulletin de documentation, no 2, 26 janvier 1968, 24e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, 26 janvier 1968, pp. 1-8. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

41 Ibid., p. 5.

42 Les lignes du plan d’action sont les suivantes:

1. «Définition des opérations à caractère monétaire que les partenaires ne pourraient entreprendre qu’après consultation de leurs partenaires, soit dans le cadre du Conseil des ministres, soit dans celui du Comité monétaire, soit éventuellement dans un organe spécial, composé des ministres de Finances et des gouverneurs des banques centrales;

2. Mise au point et approbation de la définition de l’unité de compte européenne, à la suite d’une unification des formules utilisées dans les Traités européens et diverses régulations. L’usage de cette unité de compte dans les relations entre les Six se développerait très naturellement, suivant les nécessités de l’action communautaire, interne et externe;

3. Avec ou sans référence à la monnaie de compte, les Six devraient préciser leurs engagements réciproques pour le maintien des relations fixes entre leurs monnaies.

Je rappelle que les six gouvernements ont défini la parité de leur monnaie par rapport à l’or dans le cadre de leurs engagements vis-à-vis du Fonds monétaire international.

4. L’articulation de la coopération monétaire des Six avec celle qui se pratique sur le plan mondial du FMI est indispensable dans l’intérêt de la poursuite des objectifs de sécurité et de liberté des échanges que préconisent les organismes financiers créés à Bretton Woods.

C’est dire toute l’importance d’une consultation et d’une coordination des points de vue dans les relations avec ces organismes. Elles prendront une importance particulière à partir du moment où le plan des nouveaux droits de tirage spéciaux sur le Fonds entrera en vigueur.

5. A titre prévisionnel il faudrait arrêter le schéma d’un accord intergouvernemental, dans lequel s’inscrirait, au moment opportun, l’étendue des obligations de chaque pays en matière de concours mutuel en application des articles 108 et 109 du traité.

L’organisation du concours pourrait se faire à travers un instrument communautaire. Cet instrument serait constitué par un fonds européen de coopération monétaire qui canaliserait deux sortes d’opérations:

- vers l’intérieur, des concours mutuels tendant à corriger les déséquilibres des balances de paiement, sous réserve d’une coordination avec des tirages sur le Fonds monétaire international;

- vers l’extérieur, les opérations de crédit international dérivant soit de la politique commerciale commune, soit de concours à apporter dans le système des paiements internationaux.

Je ne plaide pas pour une précipitation inconsidérée dans cette matière, mais pour une action progressive et organique, conforme aux besoins réels du fonctionnement de notre communauté. Bien sûr, l’usage de la monnaie de compte et différentes actions de solidarité institutionnalisées, nous rapprocheront du système idéal et final, qui s’appuiera sur un fonds de réserve européen et la monnaie européenne».

43 Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et la Grande-Bretagne se lancent dans un vaste programme d’octroi d’aides pour la reconstruction des pays ouest-européens détruits ou affaiblis par la guerre. Les conséquences monétaires de cette politique ne tardent pas: la renaissance économique de l'Europe aidant, l'Allemagne, l'Italie, la Belgique, la France et le Luxembourg voient leurs réserves en devises s'accroître progressivement. Le phénomène se manifeste en premier lieu au niveau des banques centrales et gagne progressivement les banques commerciales, dans la mesure où les premières permettaient aux secondes de détenir une portion substantielle des dollars gagnés par les pays respectifs, dollars que les banques commerciales, à leur tour, laissaient en dépôt auprès des banques américaines aux États-Unis. Or, en vertu d'une réglementation en vigueur aux États-Unis depuis le début du XXe siècle, les banques américaines ne pouvaient pas à octroyer d'intérêts sur les dépôts à vue. Par conséquent, pour l’utilisation plus profitable pour leurs dépôts en dollars les banques européennes se dirigent vers les marchés de change. L'ouverture de ces marchés en Europe, qui se situe entre 1948 et 1953, permette ainsi aux banques européennes d'employer leurs dépôts dollars entre elles pour le financement du commerce de leurs pays respectifs avec les États-Unis, et graduellement pour le financement du commerce international en général. Voir NAHOUM, J.C. Les marchés monétaires internationaux. In: Politique étrangère. N°4, 1969, 34e année, pp. 437-449. Source: www.persee.fr. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

44 Banquier et homme politique, Guido Carli (1914-1993) fut président de la banque Mediocredito de 1953 à 1956 et président de l'Institut italien des changes de 1956 à 1957, ministre du Commerce extérieur (1957-1958). Il devient président de la Banque centrale italienne (1960-1975) et ensuite président de l’organisation des industriels italiens (1976 à 1980). Il est élu sénateur indépendant de la Démocratie chrétienne (1983-1987) et devient par la suite ministre du Trésor (1989-1992).

45 Voir CARLI, Guido. Pensieri di un ex governatore. Pordenone: Edizioni Studio Tesi, 1988. Voir CARLI, G. Cinquant'anni di vita italiana, Roma-Bari: Laterza, 1993. Voir MELCHIONNI, Maria Grazia et DUCCI, Roberto. La genèse des Traités de Rome: entretiens inédits avec 18 acteurs et témoins de la négociation. Centre de recherches européennes. Lausanne: Economica, 2007.

46 WERNER, Pierre. Perspectives de la politique financière et monétaire européenne. Roma: Bancaria. 1968.

47 L’article de Pierre Werner intitulé La réforme du système monétaire international, publié dans Academia. Nouvelle Revue Luxembourgeoise, 1968, n° 1 (mai-juin 1968), Luxembourg, pp. 53-62, suscitera également un vif intérêt des milieux financiers et bancaires.

48 WERNER, Pierre. Benelux et les perspectives de la politique financière européenne. Exposé fait à La Haye par Pierre Werner, Ministre d’État, Président du gouvernement, Ministre du Trésor devant le Comité Benelux, 1er avril 1968. In Bulletin de documentation, no 6, 30 juin 1968, 24e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, 30 juin 1968, pp. 8-11. (Document consulté le 10 octobre 2012.)

49 WERNER, Pierre. Exposé fait à Rotterdam par Pierre Werner, Président du gouvernement, Ministre du Trésor à la réunion du Conseil des Ministres des Finances des CE, 10 septembre 1968. In Bulletin de documentation, no 8, septembre 1968, 24e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, septembre 1968, pp. 5-11.

50 WERNER, Pierre. Itinéraires. T. II, p. 121.

51 GILLINGHAM, John. European Integration: 1950-2003. Superstate or New Market Economy. Cambridge: Cambridge University Press, 2003, pp. 59-60.

52 «[…] Tout le monde sait combien de ruptures, de dislocations, de déséquilibres, combien de souffrances humaines et sociales entraînerait un processus aussi radical. Il y a vingt ans, l’Alsace, comme le Luxembourg, subissait une expérience d’intégration précipitée sous l’égide du Reichsmark […]. Normalement une tel procédé signifierait pratiquement soit le retour au libéralisme économique du 19e siècle, soit si l’on veut atténuer les douleurs de l’adaptation, la mise sur pied d’une réglementation monstrueusement complexe». In WERNER, Pierre. Signification d’une intégration monétaire, conférence donnée par Pierre Werner à Strasbourg, le 21 novembre 1960. In Bulletin de documentation, no 15, 30 novembre 1960, 16e année. Luxembourg: Service Information et Presse, ministère d’État, Grand-Duché de Luxembourg, décembre 1960, pp. 3-11.

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