La commission culturelle

La commission culturelle


Lors de la préparation du congrès de l’Europe, plusieurs personnalités intellectuelles sont pressenties pour assurer la présidence de la commission culturelle. Notamment le philosophe libéral italien Benedetto Croce et son compatriote l’écrivain et député social-démocrate Ignazio Silone. Mais c’est finalement l’essayiste et ancien ambassadeur espagnol Salvador de Madariaga y Rojo, professeur de littérature à l’Université d’Oxford et président de l’Internationale libérale, qui est retenu. Il travaille alors en collaboration avec le fédéraliste français Alexandre Marc, le publiciste suisse Denis de Rougemont assurant la fonction de rapporteur général.


La première tâche de la commission culturelle est de rédiger le préambule au congrès de La Haye. Ce texte, qui doit être lu lors de la première séance plénière, est particulièrement important en ce qu’il définit l'esprit qui guidera tous les travaux du congrès. Pour Rougemont, le préambule doit en effet constituer «une sorte de charte européenne». Il estime que le succès du congrès et son utilité dépendront de la cohérence des décisions prises dans les trois commissions. D’où la nécessité pour les participants de parler un même langage et de s'inspirer d’un même idéal démocratique. Le deuxième objectif de la commission culturelle est la rédaction d’un rapport sur les aspects culturels de l'unité européenne et sur les institutions à créer en vue de la favoriser. Enfin, la commission doit élaborer le projet de résolution culturelle qui sera soumis aux congressistes.


Constituée plus tardivement que les commissions politique et économique et sociale, la commission culturelle élabore son rapport sur les bases qu’ont établies Rougemont aidé par le député britannique Kenneth Lindsay, par le Professeur belgo-polonais Stefan Glaser et par les philosophes français Robert Aron et Paul Gaultier. Mais les travaux préparatoires donnent lieu à des tensions. Les conflits de personne s'ajoutent aux divergences doctrinales. Les unionistes (surtout présents au sein de l’United Europe Movement et de la Ligue indépendante de coopération européenne) s’opposent plusieurs fois aux tenants des thèses fédéralistes (proches de l’Union européenne des fédéralistes et du Conseil français pour l'Europe unie). Rougemont s’insurge contre l’attitude des responsables du United Europe Movement qui, sans l’avoir informé, désignent directement les délégués britanniques à la commission culturelle. Dans le même temps, Duncan Sandys, qui préside à Londres le Comité international de coordination des mouvements pour l’unité européenne, sème la confusion dans les milieux fédéralistes suisses en rendant visite à Zurich aux professeurs Emil Brunner, théologien, et Walter Spoerri, spécialiste de l'Antiquité gréco-romaine, pour les inviter à former la commission culturelle à La Haye. C’est que Rougemont, qui n’ignore pas que les commissions politique et économique sont majoritairement composées de militants unionistes, est un ardent défenseur des idéaux fédéralistes. Il est aussi de ceux qui refusent une Europe unie qui serait uniquement tournée vers les libertés économiques, estimant au contraire que la culture et les droits de l'homme sont le fondement de toute construction politique, sociale ou économique en Europe.


Sans tarder, Denis de Rougemont adresse à toutes les personnalités qui ont accepté de siéger à la commission culturelle un rapport préliminaire. Pragmatique, il rappelle notamment que l'échange de vues ne doit pas aboutir «à un manifeste de plus». Il s’agit en effet d’amener l'élite intellectuelle de l'Europe à se prononcer en faveur de l’union européenne. Pour Rougemont, il faut démontrer la réalité de l'Europe fondée sur une culture commune et «une certaine conception de l'homme, qui diffère de la soviétique et de l'américaine ou de l'asiatique». Aussi fustige-t-il le nationalisme et le totalitarisme qui détruisent les valeurs européennes et la diversité des peuples du vieux continent. Les débats qui s’ensuivent portent surtout sur l’identité, sur l’unité et sur les qualités spécifiques de l’Europe.


A La Haye, la commission culturelle réunit une centaine de congressistes. Son bureau comprend, outre Salvador de Madariaga, Denis de Rougemont et Alexandre Marc, le député indépendant britannique Kenneth Lindsay, C. Rodd et Raymond Silva. Ses débats sont finalement moins agités que ceux des deux autres commissions. Après avoir longuement discuté du préambule et de la conception européenne de l’homme, les participants évoquent la nécessité de créer une Université européenne et une sorte d’Unesco européenne. Mais faute de temps, ils ne peuvent que survoler le rapport préliminaire d’Alexandre Marc sur la création d’une Cour suprême et la protection des droits de l’homme.


A la suite des interventions de l’écrivain Charles Morgan, de Stefan Glaser, professeur à l’Université de Liège et membre des Nouvelles équipes internationales (NEI), de l’Académicien Étienne Gilson, de Paul Bret, directeur de l’Agence France Presse, de Claire Saunier, présidente de la commission française de l’Éducation nationale, et de plusieurs représentants des Églises, un texte de résolution peut être établi par le comité de rédaction et adopté à l'unanimité par les congressistes dès le dimanche 9 mai au cours d'une séance plénière spéciale.


Dans sa résolution, la commission culturelle constate que l’unité profonde de l’Europe «au sein même de nos diversités nationales, doctrinales et religieuses est celle d’un commun héritage de civilisation chrétienne, de valeurs spirituelles et culturelles et d’un commun attachement aux droits fondamentaux de l’homme, notamment à la liberté de pensée et d’expression». Les efforts d’union «doivent être soutenus et vivifiés par un réveil de la conscience européenne». Aussi la commission plaide-t-elle pour la création d’un Centre européen de la culture qui serait indépendant des gouvernements. Elle préconise aussi la création d’un Centre européen de l’enfance et de la jeunesse chargé notamment de favoriser les échanges entre les jeunes Européens. Enfin, considérant que la défense des droits de l’homme est à la base des efforts vers une Europe unie, la commission culturelle estime nécessaire d’établir une Cour suprême chargée d’assurer le respect juridique d’une Charte européenne des droits de l’homme.



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