La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne


L’attention portée aux citoyens et à la dimension humaine dans la construction de l’Union européenne, déjà marquée par les dispositions du traité d’Amsterdam et la création de l’Espace de liberté, de sécurité et de justice, se traduit également par l’élaboration de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. A la demande du Parlement européen, le Conseil européen de Cologne (2-4 juin 1999) décide de faire codifier les droits des citoyens européens dont « le respect est un des principes fondateurs de l’Union et la condition indispensable de sa légitimité ».


Certes sur le plan des droits de l’homme, les États membres des Communautés européennes avaient souscrit à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du Conseil de l’Europe (4 novembre 1950) et à l’Acte final de la Conférence sur la sécurité et la stabilité en Europe (1er août 1975). Si les traités fondateurs des Communautés ne font pas mention explicite aux accords internationaux, la jurisprudence de la Cour de justice a établi que les droits de l’homme doivent représenter une référence privilégiée dans l’exercice des compétences communautaires. Le Parlement et le Conseil ont maintes fois affirmé leur attachement aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales. A partir de l’Acte unique européen (17-28 février 1986), leur sauvegarde est expressément mentionnée dans les traités parmi les objectifs de l’Union.


Toutefois, il apparaissait nécessaire d’élaborer un texte englobant l’ensemble des droits des citoyens européens, c’est-à-dire non seulement les droits fondamentaux tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres et des principes généraux de la Convention du Conseil de l’Europe, mais aussi les droits civils, politiques, économiques et sociaux propres à l’Union européenne. Une telle charte devrait être intégrée aux traités pour que chaque citoyen puisse s’y référer et, le cas échéant, s’en prévaloir devant la justice.


Pour élaborer cette Charte, le Conseil européen a choisi une méthode plus ouverte que la négociation diplomatique. En est chargée une « enceinte composée des représentants des chefs d’État et de gouvernement et du président de la Commission européenne ainsi que des membres du Parlement européen et des parlements nationaux », avec les observateurs de la Cour de justice. Des représentants du Comité économique et social (CES) et du Comité des régions (CdR) seront entendus ainsi que des experts. Le travail doit être mené à bien avant le Conseil européen de Nice prévu pour décembre 2000. Le Conseil européen de Tampere (15 octobre 1999) précise la composition de l’« enceinte » de 62 membres qui prend elle-même le nom plus prestigieux de Convention.


La Convention tient sa réunion constitutive le 17 décembre 1999 et élit à sa présidence Roman Herzog, ancien président de la République fédérale d’Allemagne (RFA). Elle délibère dans la plus grande transparence : les débats publics et les documents préparatoires sont diffusés sur internet. Sont associés aux travaux les représentants de la Cour de justice de l’Union, du Conseil de l’Europe, des syndicats, des organisations non-gouvernementales, des États candidats à l’adhésion. Les discussions sont très libres, parfois vives, mais il ne se produit pas de blocage, le président Herzog tenant à dégager un consensus afin de rendre le texte acceptable à tous les États, d’où le caractère de compromis de certaines clauses et la prudence de leur formulation.


Les difficultés à surmonter sont nombreuses. Sur le fond, il faut tenir compte de la différence des systèmes juridiques nationaux. Ainsi l’opposition entre l’attachement des pays latins au droit écrit et celui des Britanniques au droit coutumier. De même la différence d’interprétation par les Allemands, pour qui le droit est justiciable, c’est-à-dire que l’individu peut recourir aux tribunaux pour le faire appliquer, ou par les Français qui distinguent le principe général du « droit à » sans obligation précise et le « droit de » qui est effectivement justiciable. Sur le plan de la formulation, il s’agit d’élaborer un texte clair, accessible aux citoyens, et en même temps assez précis pour être source de droit au cas où la Charte serait intégrée dans les traités de l’Union. Toutefois, les travaux ont pu progresser rapidement. Le projet est achevé le 26 septembre 2000 et présenté au Conseil européen de Biarritz (12-13 octobre) en attendant la décision à son égard du Conseil de Nice.


Le préambule de la Charte rappelle que « les peuples d’Europe, en établissant entre eux une union sans cesse plus étroite, ont décidé de partager un avenir pacifique fondé sur des valeurs communes ». Consciente de son « patrimoine spirituel et moral » (formule qui a remplacé l’« héritage culturel, humaniste et religieux » proposée par les démocrates-chrétiens, mais non adoptée en raison de l’opposition de plusieurs pays et surtout de la France au nom de la laïcité), l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’État de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un « espace de liberté, de sécurité et de justice ». Le préambule précise que la préservation et le développement de ces valeurs communes doit se faire « dans le respect de la diversité des cultures et des traditions des peuples de l’Europe ainsi que de l’identité nationale des États membres dans le respect des compétences et des tâches de la Communauté et de l’Union ainsi que du principe de subsidiarité ».

Ces droits sont énumérés en six chapitres : Dignité, Liberté, Égalité, Solidarité, Citoyenneté et Justice.


Les trois premiers, relatifs aux droits civils et politiques, n’ont guère posé de problèmes. La dignité humaine est déclarée inviolable, toute personne a droit à la vie, ne peut subir la peine de mort et a droit à son intégrité physique et mentale d’où l’interdiction des pratiques eugéniques et du clonage d’êtres humains, de la torture, de l’esclavage et du travail forcé. Le chapitre des libertés donne une longue liste : droit à la liberté et à la sûreté, respect de la vie privée et familiale, protection des données à caractère personnel, droit de se marier et de fonder une famille, liberté de pensée, de conscience et de religion, liberté d’expression et d’information, liberté de réunion et d’association, liberté des arts et des sciences, droit à l’éducation, liberté professionnelle et droit de travailler, liberté d’entreprise, droit de propriété, droit d’asile, protection en cas d’expulsion, d’éloignement et d’extradition. Le chapitre sur l’égalité énumère l’égalité en droit, la non-discrimination, le respect de la diversité culturelle, religieuse et linguistique, l’égalité entre hommes et femmes, les droits de l’enfant et ceux des personnes âgées, l’intégration des personnes handicapées.


Le chapitre sur la solidarité a été plus difficile à rédiger. Son intitulé a été adopté à la place de celui « droits sociaux » en raison des divergences apparues à la Convention entre les pays du Sud attachés à une affirmation des droits économiques et sociaux et à leur réglementation et les pays du Nord qui préfèrent s’en remettre au simple dialogue entre partenaires sociaux. La Grande-Bretagne et l’Irlande avaient même tenté de s’opposer à l’inclusion dans la Charte du droit de grève et du droit de former des syndicats, finalement retenus. D’où le caractère très général de ce chapitre qui reste au niveau des grands principes : droit à l’information et à la consultation des travailleurs au sein de l’entreprise, droit de négociation et d’action collectives, droit d’accès aux services de placement, protection en cas de licenciement injustifié, conditions de travail justes et équitables, interdiction du travail des enfants et protection des jeunes au travail, protection de la vie familiale et professionnelle (maternité, congé parental). Le droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et des services sociaux est affirmé, mais non le droit à la sécurité sociale. De même le droit à l’aide sociale et à l’aide au logement mais non le droit au travail et au logement. Enfin, la Charte mentionne la protection de la santé, de l’environnement et des consommateurs. Dans tous ces domaines, les modalités de réalisation sont celles établies par le droit communautaire et par les législations et les pratiques nationales. Or celles-ci restent différentes et inégales.


Le chapitre sur la citoyenneté énumère les droits des citoyens européens - qui sont par définition les citoyens des États membres - dans le cadre de l’Union : droit de vote et d’éligibilité aux élections du Parlement européen et aux élections municipales de leur pays de résidence, droit à une bonne administration par les institutions et organes de l’Union et, à cet effet, droit de saisir le médiateur de l’Union, d’avoir accès aux documents du Parlement, du Conseil et de la Commission et droit de pétition devant le Parlement, droit à la protection diplomatique et consulaire sur le territoire d’un pays tiers par tout État membre si celui du ressortissant n’y est pas représenté. Quant aux nationaux des pays tiers résidant dans l’Union, ils ne pourront bénéficier que de la liberté de circulation et de séjour.


Le chapitre sur la justice se borne à rappeler les principes essentiels : droit à un recours effectif devant un tribunal impartial pour toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, présomption d’innocence et droit de la défense, légalité et proportionnalité des délits et des peines, droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction.


Les dispositions finales stipulent que « les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions et organes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ». Ils les appliquent « dans le respect de leurs compétences respectives ».


Au total, en dépit des insuffisances et des timidités dues aux divergences de conceptions et de politiques, la Charte a l’avantage de constituer un ensemble cohérent. Mais sa nature juridique reste à préciser. S’il s’agit d’un acte constitutionnel engageant les États, elle doit faire l’objet d’un traité soumis à ratification. Le Conseil européen de Biarritz, en recevant le projet ne veut pas aller aussi loin et décide qu’il fera l’objet d’une simple approbation par le Conseil. A Nice, avant l’ouverture formelle d’un Conseil européen particulièrement difficile, les chefs d’État ou de gouvernement se contentent de proclamer, avec le Parlement et la Commission, la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, renvoyant ainsi à plus tard toute discussion sur la valeur juridique du texte. C’est la Convention sur l’avenir de l’Europe qui l’intégrera, sans modification, dans son projet de Constitution pour l’Europe adopté le 13 juin 2003 et remis officiellement, le 18 juillet 2003 à Rome, à Silvio Berlusconi, qui assure la présidence italienne du Conseil de l'Union européenne et qui ouvrira la Conférence intergouvernementale (CIG). Le « traité établissant une Constitution pour l’Europe » est solennellement signé le 29 octobre 2004 à Rome par les représentants des Vingt-cinq.




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