Luxembourg, capitale permanente des institutions communautaires

Luxembourg, capitale permanente des institutions communautaires



Depuis 1952, le Luxembourg était le lieu de travail et le siège de la Haute Autorité de la CECA. Dès la mise en place de la Communauté économique européenne (CEE), la localisation des institutions européennes alimente des querelles politiques et juridiques. Les États membres ne parviennent en effet pas à se mettre d'accord sur un siège définitif d'autant plus que l'idée d'un district européen, lancée par Jean Monnet, n'a trouvé que peu de supporters1. Depuis 1958, les Commissions de la CEE et de la Communauté européenne de l'énergie atomique (CEEA ou Euratom) siègent à Bruxelles.



En attendant que les États membres se mettent d'accord sur un siège unique et définitif des institutions communautaires, les fonctionnaires européens sont répartis entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg, ce qui entraîne notamment un accroissement considérable des frais de fonctionnement. Bruxelles est choisie comme siège de la Commission unique et du Conseil des ministres. La majorité des fonctionnaires européens y sont installés. La ville de Luxembourg réclame des compensations pour la perte de la Haute Autorité et du Conseil spécial des ministres de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) qui sont tous deux transférés à Bruxelles. La capitale grand-ducale obtient alors la nouvelle Banque européenne d'investissement (BEI) et reçoit l'assurance que certaines réunions du Conseil des ministres se tiendront en avril, en juin et en septembre à Luxembourg. La Cour de justice, l'Office statistique commun, l'Office des publications officielles de la Communauté, le Comité consultatif et les services financiers de la CECA et le Secrétariat de l'Assemblée parlementaire restent également à Luxembourg. De son côté, la France refuse de renoncer à Strasbourg comme siège de l'Assemblée parlementaire. Un compromis aboutit à ce que les députés se réunissent en séance plénière à Strasbourg, mais les réunions des commissions parlementaires ont lieu, quant à elles, à Bruxelles. Quelques réunions plénières ont également lieu à Luxembourg, ville où se trouve le secrétariat général du Parlement européen.



Les hésitations et les réticences du gouvernement luxembourgeois2 ainsi que sa préférence pour un «siège éclaté» fragilisent la permanence d’un statut de capitale communautaire. Dans ces circonstances, la priorité du gouvernement Werner issu des élections de juin 1964 est la défense de la position du Luxembourg comme siège européen3. Décidé à participer directement et de manière permanente à la défense des intérêts luxembourgeois, le Premier ministre Pierre Werner s’attribue le portefeuille ministériel des Affaires étrangères4. Il prend ainsi une part active aux difficiles négociations qui aboutissent à la signature du traité de fusion qui institue un Conseil et une Commission uniques des Communautés européennes5.



Le 2 mars 1965, il obtient du Conseil des ministres de la CEE la signature d’un document qui spécifie que «Luxembourg, Bruxelles et Strasbourg demeurent les lieux de travail provisoires des institutions des Communautés». Cette convention, qui prévoit de regrouper à Luxembourg les institutions financières et judiciaires de la Communauté, conduit à une spécialisation des sièges6.



Le Luxembourg continuera son combat dans la «politique des sièges», compte tenu de son caractère récurrent. Le 7 juillet 1981, le Parlement européen adopte une résolution qui prévoit de revoir le fonctionnement du secrétariat et des services techniques, alors qu'un nombre croissant de parlementaires européens réclament un siège unique et définitif pour leur institution. Cette résolution semble présager leur transfert à terme, à Bruxelles, mais elle va à l'encontre du traité de fusion des exécutifs de 1965, qui prévoit l’installation à Luxembourg du secrétariat et de ses services. Par la suite, le Conseil européen de Maastricht (23-24 mars 1981) décide le maintien du statu quo pour les lieux de travail des communautés.

1Jean Monnet mentionne l’idée d‘un siège unique «qu'il aurait volontiers vu à Luxembourg» et il parle de la création d'un district européen, selon le modèle américain. Le gouvernement luxembourgeois est réticent et défend plutôt la thèse du siège éclaté. (Henri Rieben, A Luxembourg, au coeur du chantier européen avec Jean Monnet et Pierre Werner. Fondation Jean Monnet pour l’Europe, Centre de recherches européennes. Lausanne, 1993.)

2«Le Luxembourg voulait à la fois garder la CECA et ne pas perdre son âme» selon l'expression de Joseph Bech, qui craignait une seconde invasion européenne.

3C’est dans la perspective de faire du Luxembourg un pays moderne tourné vers l’avenir et une véritable plate-forme internationale, que le grand programme d’urbanisation et d’aménagement du plateau de Kirchberg démarre en 1961. Précisément, ce «quartier européen» de Luxembourg est aménagé pour constituer un atout majeur du pays dans la bataille des sièges.

4En tant que ministre des Affaires étrangères, Pierre Werner a également contribué à l’organisation d’une diplomatie luxembourgeoise propre et autonome – en continuant ainsi le processus entamée par Joseph Bech à l’aube de la Seconde Guerre mondiale – et à la constitution des élites diplomatiques et intellectuelles luxembourgeoises. Au ministère des Affaires étrangères, Pierre Werner travaille en étroite collaboration avec le professeur et juriste Pierre Pescatore, secrétaire général du ministère entre 1950 et 1967. Pierre Pescatore, qui était également son beau frère, présida en 1957 et 1958, la délégation luxembourgeoise lors des négociations établissant l’Union économique Benelux.

5Après trois années de négociations difficiles, le traité de fusion des exécutifs des Communautés est signé à Bruxelles le 8 avril 1965. Il entrera en vigueur le 1er juillet 1967. Désormais, la Commission des Communautés européennes est l’organisme unique des trois Communautés européennes (CECA, CEE et Euratom).

6Le secrétariat du Parlement européen et la Cour de justice restent à Luxembourg. Les sessions du Conseil des ministres y sont tenues périodiquement. La Banque Européenne d’Investissement et divers services (la Cour des comptes, l’Office des statistiques, l’Office des publications officielles) seront installés au Luxembourg.

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