Le problème du siège unique du Parlement européen

Le problème du siège unique du Parlement européen


Le problème récurrent du siège du Parlement européen (PE), refait surface en début des années 1980. Un nombre croissant de parlementaires européens manifestent de plus en plus ouvertement leur préférence pour Bruxelles et réclament un siège unique et définitif pour leur institution, alors que, sur la base d’une décision du Conseil des ministres de la CEE du 8 avril 1965, «Luxembourg, Bruxelles et Strasbourg demeurent les lieux de travail provisoires des institutions des Communautés». Cette convention, qui prévoit de regrouper à Luxembourg les institutions financières et judiciaires de la Communauté, conduit à une spécialisation des sièges1. De 1967 à 1981, le PE se réunit en séances plénières aussi bien à Strasbourg qu’à Luxembourg.


Les démarches du siège unique, dont l’avant-garde est assurée par les Français, inquiètent au plus haut point le Grand-Duché qui voit ainsi ses intérêts fondamentaux menacés. En même temps, la ville de Strasbourg sollicite à plusieurs reprises qu’une antenne du secrétariat général du PE y soit transférée, avec, en contrepartie «un amical appui [du maire Pierre Pflimlin] pour des compensations par le développement complet du pivot financier communautaire au siège de la capitale luxembourgeoise»2. Pour éclaircir ces aspects, Pierre Werner rencontre à Paris le 19 décembre 1979 le président français. Dans les pourparlers, Valéry Giscard d’Estaing revient sur l’idée de l’antenne administrative tout en l’accompagnant d’un feu vert français pour le déroulement au Luxembourg de trois sessions plénières par an. Werner prend acte de ces éléments qui constituent à ses yeux une base de départ pour des négociations plus poussées entre les deux villes. En même temps, Werner et la diplomatique luxembourgeoise commencent une offensive pour sensibiliser les gouvernements des partenaires au sujet de la compétence exclusive des États en matière des sièges de travail des Communautés.


Le PE s’exprime à plusieurs reprises sur un siège unique. Dans une résolution du 20 novembre 1980, les députés dénoncent la carence décisionnelle dont ils sont victime et expriment leur désir «de voir mis fin au régime concernant les lieux de travail». Ils demandent aux gouvernements des États membres de prendre leur décision au plus tard au 15 juin 1981. Dans la négative, ils «n’auraient pas d’autres choix que de prendre [eux-mêmes] les dispositions nécessaires pour améliorer les conditions de fonctionnement. Par deux autres résolutions – datant du 12 janvier et du 13 mars 1981– le PE décide de ne plus tenir session à Luxembourg.


Discuté au Conseil européen de Maastricht (24-25 mars 1981), ce dossier suscite des discussions animées. La solution d’une répartition forfaitaire des sièges – le Parlement à Strasbourg, le Conseil des ministres à Luxembourg et la Commission à Bruxelles – est loin de faire l’unanimité. Dans ces circonstances, le statu quo des lieux de travail des Communautés est confirmé. Le Conseil européen de Luxembourg (29-30 juin 1981) consacre toute une journée à la question du siège des institutions et Pierre Werner, ainsi que son ministre des Affaires étrangères, Colette Flesch, multiplient les contacts avec leurs interlocuteurs, dont le président Mitterrand semble le moins flexible.


Le PE stigmatise cette indécision et, dans sa session du 7 juillet 1981, adopte une résolution qui prévoit de revoir le fonctionnement du secrétariat et des services techniques. Cette résolution – appuyée par une autre en date du 16 décembre 1981– semble présager leur transfert à terme, à Bruxelles.


Compte tenu qu’une telle décision s’avère contraire au traité de la fusion des exécutifs de 1965, le gouvernement luxembourgeois dépose un recours devant la Cour européenne de justice. Dans son argumentaire, «le gouvernement luxembourgeois fait valoir, en premier lieu, que le Parlement serait incompétent pour prendre des décisions sur le siège de l’institution, cette matière étant réservée à la compétence des États membres. Tant par son intitulé que par son contenu, la résolution litigieuse concernant le siège du Parlement, domaine où l’incompétence du Parlement serait absolue, indépendamment de l’existence et du contenu de décisions des États membres en la matière. De surcroît, la résolution litigieuse enfreindrait les décisions prises par les gouvernements concernant les lieux de travail provisoires des institutions, décisions relevant de cette même compétence. En abandonnant la pratique établie des périodes de session à Luxembourg, le Parlement aurait enfreint la décision de confirmation du statu quo, prise par les chefs d’État et de gouvernement des États membres à Maastricht, les 23 et 24 mars 1981, ainsi que dans le cadre de la conférence sur le siège des institutions de la Communauté, le 30 juin 1981. En prévoyant la révision du fonctionnement du secrétariat et des services du Parlement en fonction des périodes de session à Strasbourg et des réunions des commissions et groupes politiques à Bruxelles, le Parlement aurait violé l’article 4 de la décision du 8 avril 1964».


L’arrêt de la Cour finit par donner pour l’essentiel raison au gouvernement luxembourgeois, tout en acceptant des arrangements administratifs limités concernant les transferts de personnel, mais excluant le transfert des services ou de directions.


La question des sièges n’est pourtant pas réglée et, suite aux actions que le PE entreprend entre 1988 et 1990, le Luxembourg s’adresse, à deux autres reprises, à la Cour de Justice pour faire respecter la décision de 1965 et préserver son statut. Mené par Jacques Santer, qui a succédé à Pierre Werner en 1984, le gouvernement luxembourgeois réussit à s’opposer au dépeçage du Secrétariat général du PE et obtient des garanties qu’en cas de départ du Secrétariat général il devrait bénéficier d’une compensation du même ordre. «Personne ne doute que les conditions de fonction du Parlement issues de l’évolution historiques ne sont pas idéales et qu’il faut un jour y remédier par un accord global. Mais ceci devra se réaliser dans la légalité, avec la pleine prise en considération des droits acquis, c’est-à-dire sans déchéance des sièges historiques»3.


Le 12 décembre 1992, lors du Conseil européen d'Edimbourg, les États membres s’accordent sur la fixation des sièges des institutions et de certains organismes et services des Communautés européennes. Cette décision confirme le siège du Parlement à Strasbourg et la tenue de sessions extraordinaires à Bruxelles. Toutefois, le PE déclare qu’il ne se considère pas lié par une décision qui, ayant pour effet de scinder à titre définitif ses activités entre trois États membres différents, serait incompatible avec les traités et avec ses prérogatives.


Confirmant la décision d'Edimbourg, un protocole sur la fixation des sièges est annexé au traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997.



1 Sur cette base, le Secrétariat général du Parlement européen et la Cour de justice restent à Luxembourg. Les sessions du Conseil des ministres y sont tenues périodiquement. La Banque Européenne d’Investissement et divers services (la Cour des comptes, l’Office des statistiques, l’Office des publications officielles) sont installés au Luxembourg.

2 WERNER. Itinéraires. T II, p. 311.

3 WERNER. Itinéraires. T II, p. 312.

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