Dossiers thématiques

Les vains efforts de médiation de la Communauté européenne et des Nations unies

Les vains efforts de médiation de la Communauté européenne et des Nations unies


Devant la crise, les Douze font connaître leur préférence pour le maintien de la République socialiste fédérative de Yougoslavie liée à la Communauté économique européenne (CEE) par un accord de coopération depuis 1980. Ils craignent que la remise en cause des frontières constitue un dangereux précédent en Europe centrale et orientale et décident de ne pas reconnaître l’indépendance de la Slovénie et de la Croatie. Puis, avec le début des combats en juin 1991, ils vont se saisir de l’affaire, puisque l’ONU considère alors que la crise yougoslave est une affaire interne et que l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), où l’Union soviétique soutenait la Serbie, paralysée par la règle de l’unanimité, s’était bornée à donner mandat à la Communauté européenne.


Les Douze, après avoir tenté d’obtenir un cessez-le-feu et la suspension des déclarations d’indépendance, précisent le 29 juillet 1991 l’inviolabilité des frontières internes de la Fédération, ce que rejettent Slobodan Milošević et les Serbes de Croatie, qui refusent de faire partie d’une Croatie indépendante. Les combats redoublent en Croatie où les Serbes se livrent au bombardement sauvage de Vukovar. Les Douze organisent alors une conférence de paix à La Haye à partir du 7 septembre 1991 sous la présidence de Lord Carrington, ancien ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni et ancien secrétaire général de l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN). Mais les Douze, en raison de leurs divisions, ne parviennent pas à imposer l’arrêt des combats, ni à se mettre d’accord sur une solution politique.


Pour tenter d’arrêter les combats, la présidence néerlandaise de la Communauté, soutenue par la France et par l’Allemagne, propose en septembre l’envoi d’une force d’interposition de l’Union de l'Europe occidentale (UEO), mais la Grande-Bretagne, appuyée par le Danemark et par le Portugal, s’oppose à tout engagement de troupes. Les États membres de la CEE qui ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’envoi d’une force européenne d’interposition, en appellent au Conseil de sécurité de l’ONU (novembre 1991). De plus, la France demande alors l’envoi d’une force d’urgence des Nations unies, mais le Conseil de sécurité se borne à décider l’embargo sur les livraisons d’armes à la Yougoslavie, ce qui va pénaliser les Croates et les Bosniaques dans leur résistance aux Serbes, déjà largement pourvus.


Sur les ruines de la Fédération yougoslave, la Serbie et le Monténégro proclament la République fédérale de Yougoslavie (27 avril 1992), à laquelle les Serbes veulent intégrer les enclaves à peuplement serbe en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Renonçant à imposer une solution militaire, l’ONU et la CEE coopèrent à la recherche d’un règlement pacifique en ex-Yougoslavie. À la suite de la poursuite de la guerre civile en ex-Yougoslavie et en raison de la «purification ethnique», une force de protection des Nations unies (FORPRONU) de près de 15 000 hommes est créée le 21 février 1992. La FORPRONU est d’abord uniquement déployée en Croatie, Milošević s’était opposé à ce qu’elle le soit également en Bosnie où les milices serbes, aidées par l’armée fédérale, commencent le siège des villes musulmanes, en particulier de Sarajevo, avant de procéder à des raids purgatifs contre les musulmans. Une FORPRONU II forte de 6 000 hommes n’est envoyée en Bosnie qu’en octobre 1992 ayant bien du mal à faire respecter les trêves et à protéger les convois humanitaires.


Quant à la solution du conflit, le plan Carrington-Cutileiro présenté en février 1992 et résultant de la conférence de paix tenue depuis septembre 1991 sous les auspices de l’UE, a pour objectif d’éviter l’éclatement de la guerre en Bosnie. La proposition européenne tient compte de la volonté d’indépendance déjà exprimée par la Slovénie et par la Croatie, puis par la Macédoine (le 15 septembre 1991) et par la Bosnie-Herzégovine (le 15 octobre 1991), renonce au maintien d’une Fédération yougoslave, mais subordonne la reconnaissance des républiques à un accord général sur les droits des minorités, assurés par une Cour de justice, à un statut spécial de certaines régions et à une union douanière. Milošević refuse le plan puisqu’il contrôle déjà un tiers du territoire croate. Pour lui, l’arrivée de la FORPRONU aura l’avantage de «geler» les conquêtes serbes. Et surtout, les Douze se divisent sur le problème de la reconnaissance. Le chancelier allemand Helmut Kohl, sous la pression de son opinion, veut aller vite en ce qui concerne la Slovénie et la Croatie, en raison des affinités de ces pays avec le monde germanique, alors que la France, craignant l’extension de l’influence allemande et mieux disposée à l’égard des Serbes, aurait préféré le maintien d’une certaine unité yougoslave ainsi que l’Espagne à cause des poussées séparatistes basques et catalanes et de la Grande-Bretagne, préoccupée par le problème de l’Ulster.


Soucieux de manifester leur solidarité alors qu’ils vont signer le traité d’Union européenne à Maastricht, les Douze décident, le 16 décembre 1991, de reconnaître toutes les républiques qui le désireraient à condition qu’elles respectent les droits de l’homme, les droits des minorités et le recours à l’arbitrage. Mais cette façon de procéder a l’inconvénient de faire disparaître le préalable de l’accord global entre les parties, qui était l’objet de la conférence de la paix. L’Allemagne reconnaît unilatéralement la Slovénie et la Croatie dès le 23 décembre, suivie par ses partenaires le 15 janvier 1992 après que la commission d’arbitrage de la conférence ait constaté que ces deux républiques satisfont aux conditions requises. Pour la Bosnie, la commission suggère un référendum qui a lieu les 29 février-1er mars: la majorité musulmane et croate vote pour l’indépendance, les Serbes s’abstiennent mais proclament une «République serbe de Bosnie» et intensifient la guerre. La Bosnie est reconnue le 6 avril, mais en raison de l’opposition grecque, la Macédoine ne le sera qu’en décembre 1993 sous le nom d’ex-République yougoslave de Macédoine. Même si les principes du plan Carrington-Cutileiro ont été acceptés par les trois ethnies composant la Bosnie-Herzégovine en avril 1992, les propositions du plan de paix sont finalement refusées par le leader bosniaque Alija Izetbegović. Dès lors, le conflit s’intensifie en Bosnie.


Ainsi la Communauté européenne n’a pas réussi à mener une politique cohérente dans la crise yougoslave, d’ailleurs très complexe, en raison essentiellement des divergences de vues entre les États membres. Cela augure mal de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) prévue par le traité sur l’Union européenne. La Communauté a dû faire appel à l’ONU qui va désormais jouer le rôle principal dans la crise yougoslave, non sans insuffisances. La conférence de paix devient une entreprise conjointe CEE-ONU et siège à Genève à partir de septembre 1992 en tant qu’enceinte de négociation permanente, mais sans résultats. En janvier 1993, l’envoyé spécial des Nations unies Cyrus Vance et le représentant de la Communauté européenne Lord Owen prennent la relève du couple «européen» Carrington-Cutileiro. Mais, Lord Owen déclare le 18 juin 1993 que le plan Vance-Owen, prévoyant la division de la Bosnie en dix régions semi autonomes, est définitivement mort. Vance, qui renonce en avril à sa mission est remplacé le premier mai par le ministre norvégien des Affaires étrangères Thorvald Stoltenberg. Les deux médiateurs agissent sous le mandat des Nations unies. Dorénavant la Communauté européenne se trouve écartée du cœur des négociations. C’est sous l’impulsion du duo Owen-Stoltenberg que le mandat de la FORPRONU est élargi à la Bosnie. Par la suite, les effectifs des casques bleus sont renforcés. Mais, le plan Owen-Stoltenberg est rejeté le 29 août 1993 par les Bosniaques.


Enfin, l’Union européenne retrouvera une certaine cohésion avec l’adoption, en novembre 1993, à l’initiative franco-allemande d’un plan d’action pour l’ex-Yougoslavie (plan Juppé-Kinkel) qui inspirera l’action diplomatique européenne jusqu’aux accords de paix de 1995: intégrité territoriale de la Bosnie-Herzégovine, concessions territoriales entre les communautés. L’Union européenne apportera la majeure partie de l’aide humanitaire. Mais elle ne dispose pas d’une capacité militaire autonome. Ce sont les États européens, individuellement, qui fournissent les contingents nécessaires aux forces de maintien de la paix de l’ONU et qui participent aux actions militaires de l’OTAN qui obligeront les Serbes à céder. Un «groupe de contact» composé de l’Allemagne, des États-Unis, de la France, de l’Italie, du Royaume-Uni et de la Fédération de Russie est constitué en février 1994. Sous son impulsion, les tractations en vue d’une paix négociée avancent très vite. Mais en imposant un embargo sur la rivière Drina, Slobodan Milošević empêche l’avancée des négociations. Les Serbes de Bosnie refusent de continuer les négociations en octobre 1994.


À l’instigation du président français Jacques Chirac, l’ONU vote le 16 juin 1995 une résolution créant la Force de réaction rapide (FRR), dont la mission consiste à appuyer les Casques bleus en Bosnie. Grâce à la fermeté retrouvée, un cessez-le-feu intervient en octobre 1995 sur l’ensemble du territoire de Bosnie-Herzégovine.

Consult in PDF format