Dossiers thématiques

Le rapport Werner et les propositions de la Commission des C.E.

Le rapport Werner et les propositions de la Commission des C.E.


Après avoir pris officiellement connaissance du rapport Werner, la Commission des C.E. soumet au Conseil, le 29 octobre 1970, ses propres propositions d’institution par étapes de l’Union économique et monétaire1 et recommande au Conseil des ministres de décider, avant la fin de l’année 1970, la mise en route du processus2.


Dans ses propositions, la Commission adhère aux points clés du plan Werner qui dégage les options fondamentales d'une Union économique et monétaire, dont l’achèvement est prévu en trois étapes étalées sur dix ans (1971-1980). L'objectif final est de parvenir à la convertibilité irréversible des monnaies des États membres, à la libération totale des mouvements de capitaux et à la fixation irrévocable des taux de change, voire au remplacement des monnaies nationales par une monnaie unique. Seule la première étape d’une durée de trois ans (censée commencer au 1er janvier 1971), fondée sur le principe de l’irréversibilité de l’UEM est définie en détail3.


L'aboutissement de l'union économique et la réalisation de l'union monétaire doivent s'accompagner du transfert à l’échelon communautaire de certaines compétences incombant jusqu’alors au niveau national. Un tel transfert devra pourtant se limiter à ce qui est nécessaire à la cohésion de l’unité et à l'efficacité de l'action communautaire. Les politiques communautaires seront soumises au contrôle démocratique exercé par le Parlement européen, tout comme à des consultations régulières avec les partenaires sociaux. Pour la maîtrise de la politique économique et monétaire à l'intérieur de l'union sont envisagé deux organes supranationaux indispensables – un centre de décision pour la politique économique et un système communautaire des banques centrales. Des progrès dans le domaine de l'unification politique s’avèrent également nécessaires.


Comme le rapport Werner se limite à des indications générales sur certains sujets, la Commission préconise des approfondissements4. Le premier cible le système communautaire de banques centrales, ainsi que la définition de sa nature et de ses responsabilités dans la gestion monétaire de l'union. Le deuxième se réfère à la définition complète de la notion de «conduite de la politique économique et monétaire de l'union». Il en va de même pour la nouvelle architecture institutionnelle communautaire et la répartition des compétences entre les institutions communautaires d'une part, entre ces institutions et les autorités des États membres d'autre part. Ce système devra répondre à la nécessité d'assurer aux institutions de la Communauté une réelle efficacité et une assise démocratique valable.


Bien que l’objectif de l’UEM soit l’intégration à moyen terme, l’accord entre les États membres ne va pas au-delà de la première étape de trois ans. L’achèvement du processus dans une décennie apparaît rétrospectivement comme quelque peu décalée par rapport à la difficile réalité européenne. Manifestement trop optimiste, le projet initial a néanmoins le mérite d’avoir cristallisé les discussions et tracé une vision de perspective.


Faute d’un accord entre les États membres en raison notamment du clivage entre la France et ses cinq partenaires, le Conseil est mis dans l’impossibilité de statuer. Par conséquent «[…] le calendrier fixé par le communiqué de la conférence de La Haye n’a pas été respecté et une grande décision politique n’a pas eu son couronnement pratique comme il aurait été possible»5. Le problème est qu’au 1er janvier 1971, la France prend les rênes de la présidence semestrielle du Conseil. À ce titre, il lui appartient de fixer, en accord avec ses priorités, les ordres du jour des prochaines sessions du Conseil. Or, pour Paris, l’UEM n’est pas une urgence.


Pierre Werner décide d’agir afin de contribuer à dénouer le blocage. Le 29 décembre, en tant que Premier ministre du Grand-Duché de Luxembourg (et non pas comme président du comité Werner), il écrit aux cinq chefs de gouvernement. Se montrant inquiet pour le retard de la mise en route de l’UEM, il exprime néanmoins sa confiance dans une solution rapide et unanimement acceptable6.


Suite aux réunions du Conseil de janvier et février 1971, au sommet franco-allemand déroulé les 25 et 26 janvier, ainsi qu’à bon nombre de consultations informelles entre leaders européens, un compromis est trouvé. Cet accord intervient lors de la session du 8-9 février 1971 quand «le Conseil a marqué son accord sur une résolution concernant la réalisation par étapes de l’union économique et monétaire dans la Communauté, […] ainsi que sur deux décisions concernant, d’une part, le renforcement de la collaboration entre les banques centrales des Etats membres et, d’autre part, le renforcement de la coordination des politiques économiques à court terme des Etats membres»7.

Cette réunion marque également la dissolution de facto du comité Werner, qui ne fut plus convoqué ou rétabli dans l’avenir.


Le 22 mars 1971, le Conseil adopte formellement le programme de réalisation de l’UEM par étapes, appuyé par trois décisions spécifiques8. La première est relative au renforcement de la coordination des politiques à court terme, comprenant notamment trois examens annuels de la situation des pays membres. La deuxième concerne le renforcement de la collaboration entre les banques centrales, étant axée sur la coordination des politiques en matière de monnaie et de crédit. La troisième porte sur la mise en place de concours financier à moyen terme. Le parallélisme des mesures à prendre devrait être sauvegardé. Par ailleurs, les banques centrales avaient été invitées à entreprendre, sur une base expérimentale et officieuse, le rétrécissement des marges de fluctuation des changes à partir du mois de juin.


Conformément à cette résolution, avant la fin de l’année 1973, le Conseil des ministres est appelé à se prononcer sur l’entrée dans la deuxième étape de l’UEM. D’une durée de trois ans, elle est censée débuter au 1er janvier 1974.


Dans la résolution relative à l’UEM, seule la première étape – prévue du 1er janvier 1971 au 31 décembre 1973 – est clairement définie. Elle suppose la mise en place d’un mécanisme de concours financier à moyen terme et le rétrécissement progressif des marges de fluctuation entre les monnaies européennes accompagné par un Fonds européen de coopération monétaire. Cette première étape marquera l’adoption progressive des positions communes dans les relations monétaires avec les pays tiers (notamment les États-Unis), ainsi qu’au sein des organisations financières internationales (FMI).


Sur le fond, la résolution sur l’UEM du 22 mars 1971 opte pour une approche minimaliste. Le concept de «centre de politique économique» stipulé par le rapport Werner n’y figure pas. Il est néanmoins précisé que l’UEM suppose que les principales décisions de politique économique soient prises au niveau communautaire et que les pouvoirs nécessaires à cet effet soient transférés du plan national au plan de la Communauté. Cependant, elle possède une signification forte, car c’est la première fois qu’une résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres évoquent ouvertement la volonté d’approfondir l’intégration monétaire, financière et fiscale.


L'évolution du système monétaire international, en pleine crise à partir de la décision américaine du 15 août 1971 de dévaluer le dollar, va cependant contrarier l'ambition commune du rapport Werner déjà fragilisée par l'absence de réelle volonté politique.


1Communication et propositions de la Commission des Communautés européennes au Conseil relatives à l’institution par étapes de l’Union économique et monétaire, document COM(70)1250, 29.10.1970. In Journal officiel des Communautés européennes, annexe C 140 du 26 novembre 1970, supplément au bulletin 11/1970, Luxembourg, 11 novembre 1970, p. 1.

2La date limite pour cette prise de décision a été fixée au 31 décembre 1970. Le sommet de La Haye a demandé que le plan par étapes soit élaboré «au cours de l’année 1970». Le choix de lancer la première étape de l’union économique et monétaire le plus rapidement possible est préconisé par la Commission dans le «plan Barre II» (COM(70)300) et approuvé par le Conseil Ecofin des 8 et 9 juin. Dans ses conclusions, le Conseil indique que «le point de départ du processus à engager doit être trouvé dans l’achèvement [des] actions préconisées dans le mémorandum de la Commission au Conseil le 12 février 1969. Cela implique que le Conseil statue d’ici la fin de 1970 […]». Cf. Bulletin CE, août 1970, 8-1970, p. 83.

3Notons que les propositions de la Commission sont articulées autour du rapport Werner intérimaire du 9 juin 1970. Ce document expose les grands principes de l’UEM, mais le rapport final du 8 octobre 1970 va beaucoup plus loin en précisant non seulement le contenu de la première étape du processus, mais surtout les points forts de l’UEM, dont la construction institutionnelle et le transfert des responsabilités des États vers la Communauté. Ce sujet s’avère particulièrement sensible pour la France.

4Le comité Werner a déclaré d’emblée son incompétence pour faire des propositions en matière de structures politiques et a retiré ce domaine de son périmètre de réflexion. Parmi les éléments dont la Commission indique l’approfondissement figurent le marché des capitaux européens et certains aspects de la fiscalité, auxquels la Commission et Raymond Barre en particulier portaient un intérêt considérable. La Commission se déclare toutefois satisfaite des prévisions du rapport Werner au sujet de la réduction des marges (le régime spécifique des changes au cours de la première étape).

5Déclaration de Karl Schiller. Communication à la presse. Bruxelles: 15 décembre 1970. Archives familiales Pierre Werner.

6Le chancelier Willy Brandt répond quatre semaines plus tard par une longue lettre, centrée sur les perspectives du plan par étapes telles que précisées suite au sommet franco-allemand de fin janvier 1971, faisant mention notamment d’une «clause de prudence» proposée par le président Pompidou. Lettre de Willy Brandt à Pierre Werner, 1er février 1971. In Archives familiales Pierre Werner, réf. PW 048.

7Communication à la presse. Conseil des Communautés européennes, Secrétariat général, D.G. II Affaires économiques et monétaires, réf. 304/71. Bruxelles: 09.02.1971, pp. 0255-0271. Archives familiales Pierre Werner.

8Résolution du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres du 22 mars 1971 concernant la réalisation par étapes de l’union économique et monétaire dans la Communauté. In Journal officiel des Communautés européennes, n° C 28, 27.03.1971.

Consult in PDF format