Themendossier

L'Eurogroupe

L'idée d'une structure propre aux pays de la zone euro est mentionnée la première fois par le ministre de l'économie allemand, Theo Waigel, en novembre 1995. Le conseil de stabilité européen (European Stability Council) doit contribuer à coordonner et surveiller les politiques budgétaires de ces pays dans le cadre d'un Pacte de stabilité pour l'Europe1. Un accord franco-allemand sur le principe est obtenu à Laval en mars 1996 en amont de l'ouverture de la conférence intergouvernementale à Turin. Toutefois, la divergence de conception entre la France et l'Allemagne concernant le rôle exact du Conseil de stabilité conduit à ce que le sujet ne puisse être approuvé lors du Conseil européen de Dublin de décembre 1996, alors que les grands principes d'un Pacte de stabilité et de croissance sont arrêtés. Paris souhaite faire de ce conseil le contre-poids politique de la Banque centrale européenne et le responsable du prononcé des sanctions contre les États membres de la zone euro. Berlin envisage cet organe comme un instrument au service d'une application stricte des règles et le prononcé quasi-automatique de sanctions à l'égard des États membres indisciplinés. La rencontre des ministres des finances et des gouverneurs de banque centrale de chaque pays à Lyon en mars 1997 permet l'obtention d'un compromis: le conseil de stabilité sera informel et ne pourra en aucune façon affecter l'indépendance de la Banque centrale européenne2. Le changement de gouvernement en France en juin 1997 conduit à relancer les discussions, s'agissant notamment de la possibilité pour ce conseil de préparer les positions de la zone euro en matière de politique de change en amont des réunions du Groupe des sept. Le compromis de mars est néanmoins repris par le Conseil européen lors de sa réunion de Luxembourg des 12 et 13 décembre 19973.

Le Conseil européen convient que les Ministres des États participant à la zone euro puissent se réunir entre eux de façon informelle pour discuter de questions liées aux responsabilités spécifiques qu'ils partagent en matière de monnaie unique. La Commission, ainsi que, le cas échéant, la Banque centrale européenne, sont invitées à participer aux réunions. Chaque fois que des questions d'intérêt commun sont concernées, elles sont discutées par les Ministres de tous les États membres. Dans tous les cas où une décision doit être prise, celle-ci l'est par le Conseil ECOFIN selon les procédures fixées par le traité.

La première réunion informelle des ministres des finances se tient en juin 1998, un mois après la désignation des onze États membres autorisés à adopter la monnaie unique au 1er janvier 1999. Il se réunit la veille au soir du Conseil Ecofin. Initialement présenté sous le nom d'Euro-11, cet espace de discussion prend le nom d'Eurogroupe à compter de l'année 2000.

L'Eurogroupe constitue un organe extra-juridique dépourvu de compétences juridiques, mais non d'une forte influence politique. De par son format restreint, il favorise un dialogue franc et direct, les échanges de vue rendus malaisés par le format du Conseil Ecofin qui est devenu, même avant l'élargissement à douze nouveaux États membres en 2004/2007 une assemblée très nombreuse4. Au fur et à mesure de ses réunions, les thèmes des sujets abordés s'élargissent (par exemple le problème du vieillissement démographique, l'évolution des coûts salariaux, la représentation extérieure de la zone euro). Les mesures propres à la zone euro (grandes orientations de politique économique, régime de sanctions spécifique, etc.) que le Conseil peut adopter en application du nouvel article 136 du traité FUE inséré par le traité de Lisbonne, sont discutées préalablement par l'Eurogroupe. Enfin, les réformes de la gouvernance économique initiées depuis 2010 impliquent l'Eurogroupe dans la surveillance des déséquilibres macroéconomiques ou dans le dialogue macroéconomique avec le Parlement européen. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance le charge également de la préparation des réunions des sommets de la zone euro.

Alors qu'il est initialement convenu que l'Eurogroupe ne communiquera pas, les circonstances exigent de revenir sur ce principe à travers l'adoption d'un communiqué officiel concernant la hausse des prix des produits pétroliers en septembre 2000. Il est aussi régulier que l'Eurogroupe adopte des déclarations (statements), comme c'est le cas à propos des caractéristiques de la Facilité européen de stabilité financière en juin 2010.

Afin de lui permettre de réaliser ses différentes tâches, l'Eurogroupe bénéficie d'un secrétariat hébergé par la Commission. Ses travaux sont préparés par le groupe de travail Eurogroupe (Eurogroup Working Group) constitué au sein du comité économique et financier.

L'Eurogroupe démontre rapidement son utilité. Le Conseil européen de Nice de décembre 2000 juge l'action de l'Eurogroupe comme susceptible d' «accroître la coordination des politiques économiques [et de contribuer à renforcer le potentiel de croissance de la zone euro.» Pendant la Convention sur l'avenir de l'Union européenne (2002-2003), la Commission propose que le Conseil puisse se réunir en formation «euro», ce qui aurait ouvert la voie à l'adoption d'actes juridiques contraignants pour les seuls États membre de la zone euro5. Si cette option n'est pas suivie par la Convention, elle prend en compte la nécessité pour la zone euro de disposer d'orientations et de mesures qui lui soient propres. Le statut extra-juridique de l'Eurogroupe est maintenu mais une plus grande efficacité de son fonctionnement est recherchée à travers la possibilité qui lui est reconnue de se doter d'un président stable. Jusqu'alors la présidence est exercée par le ministre des finances qui assure la présidence du Conseil; lorsque celle-ci revient à un État qui n'appartient pas à la zone euro, la présidence de l'Eurogroupe est exercée par le pays de la zone euro qui assure la présidence semestrielle suivante. La Belgique assure ainsi la présidence de l'Eurogroupe pendant toute l'année 2001, la présidence du Conseil étant à la Suède au 1er semestre.

Le conflit qui oppose la Commission au Conseil au printemps 2004 concernant la suspension de la procédure pour déficit public à l'égard de la France et de l'Allemagne se traduit par l'initiation de réformes du Pacte de stabilité et de croissance, parmi lesquelles la mise en œuvre anticipée de la présidence stable de l'Eurogroupe. Depuis le traité de Lisbonne, l'existence de l'Eurogroupe est officiellement reconue à l'article 137 du traité FUE. Les modalités d'organisation des réunions informelles sont fixées dans un protocole annexe. En outre, l'avis des représentants des États membres dont la monnaie est l'euro est dorénavant requis dans le cadre de la procédure d'adoption de la monnaie unique6.

Désigné à la majorité simple par ses pairs pour un mandat de deux ans et demi renouvelable parmi les membres de l'Eurogroupe, le président de l'Eurogroupe est chargé de présider les débats, de les préparer conformément au programme de travail à long terme qu'il établit. Il entretient des consultations régulières avec les autres institutions de l'UE et représente des États membres de la zone euro auprès des institutions tierces, telles que le Fonds monétaire international7. Jean-Claude Juncker, premier Ministre du Luxembourg, est le premier à être désigné à cette fonction qu'il occupe à compter du 1er janvier 2005. Il est renouvelé dans se fonctions par la suite. Il est remplacé par Jeroen Dijsselbloem, ministre des Finances des Pays-Bas, le 21 janvier 2013.



1«German Finance Minister unveils a New Proposal on EMU», The Associated Press, 5 novembre 1995.

2«Germans endorse stability council», The Financial Times, 13 mars 1997.

3Pour une description détaillée: Puetter, Uwe, The Eurogroup: how a secretive circle of finance ministers shape European economic governance, Manchester, New York: Manchester University Press, 2006.

4LOUIS, Jean-Victor, Éditorial. Vers un renforcement de la gouvernance économique?, Cahiers de droit européen, 2004, n°5-6, p. 524.

5Commission, Communication Un projet pour l'Union européenne, Bruxelles, 22 mai 2002, COM(2002) 247 final.

6Article 140, paragraphe 2, du traité FUE.

7ALLEMAND, Frédéric, La présidence stable de l’Eurogroupe: une amélioration toute relative de la gouvernance économique européenne, RMCUE, février 2005, n°485, pp. 79-85.

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