La deuxième candidature du Royaume-Uni au Marché commun

La deuxième candidature du Royaume-Uni au Marché commun


Au Royaume-Uni, les élections d’octobre 1964 amènent les travaillistes au pouvoir. Le leader du Parti travailliste, Harold Wilson, succède ainsi au Premier ministre conservateur Harold Macmillan qui s’était heurté à l’opposition du président français Charles de Gaulle dans sa quête d’adhérer aux Communautés européennes (CE). Le nouveau Premier ministre, qui s’était jusqu’alors opposé à l’entrée du Royaume-Uni aux CE, se tourne pourtant progressivement vers une politique plus européenne. Ce changement de direction dans la politique étrangère s’explique en grande partie par les difficultés qu’éprouve l’économie britannique au milieu des années soixante. Les relations avec le Commonwealth continuent de s’affaiblir et les relations commerciales au sein de l’Association européenne de libre-échange (AELE) augmentent moins vite que prévu. La participation à la Communauté économique européenne (CEE) paraît alors comme la meilleure solution pour relancer l’économie britannique, d’autant plus que les exportations en direction des pays membres de la CEE sont en hausse continue. Par ailleurs, le Marché commun européen semble offrir le cadre nécessaire pour combattre le déficit de la balance des paiements et pour procéder à la dévaluation indispensable de la livre sterling. Finalement, l’adhésion offre au Royaume-Uni la perspective de participer activement au développement des Communautés en pleine croissance et de réduire sa dépendance vis-à-vis des États-Unis en prenant la direction d’une Europe émergente.


Pourtant, durant le premier mandat d’Harold Wilson, les conditions ne sont pas encore propices pour opérer ouvertement un changement en faveur d’une adhésion aux CE. L’opposition à l’adhésion au sein même du Parti travailliste est trop importante et l’échec en 1963 de la première candidature est encore trop présent dans l’opinion publique. Ce n’est qu’après un travail de persuasion au sein de son parti et suite aux élections de mars 1966 qu’Harold Wilson dispose d’une majorité suffisante pour prendre la décision de présenter une deuxième fois une candidature aux CE. Par ailleurs, la crise de la chaise vide a souligné l’opposition du général de Gaulle au vote majoritaire et à l’évolution des CE vers une structure fédérale, ce qui conforte les dirigeants britanniques. Car si Harold Wilson est prêt à accepter les conditions économiques d’une adhésion aux CE, le Premier ministre n’est pas disposé à accepter la moindre limitation de la souveraineté britannique en matière de politique étrangère et de défense. Le 10 novembre 1966, le Premier ministre annonce devant la Chambre des Communes sa décision de faire le tour des capitales européennes afin de vérifier si les conditions pour une candidature britannique sont réunies.


En début de 1967, Harold Wilson et son ministre des Affaires étrangères, George Brown, entament ainsi une série de visites auprès des dirigeants des Six. La réaction dans les capitales est en grande partie favorable, dû au fait que Londres se dit prêt à accepter les conditions des traités et de remplir les mêmes obligations que ses futurs partenaires. L’accueil le plus réservé vient une fois de plus de la France, en raison notamment des difficultés économiques du Royaume-Uni et de la special relationship avec les États-Unis en matière de politique étrangère, ce qui risque aux yeux du président français, d’entraver les projets franco-allemands pour une coopération politique. Mais le Premier ministre britannique est persuadé d’avoir tiré les leçons de l’échec de la première candidature et de pouvoir convaincre cette fois-ci le général de Gaulle de la nécessité de l’adhésion britannique.


Après s’être assuré des réactions de la part des membres du Commonwealth et de l’AELE, Harold Wilson annonce le 2 mai à la Chambre des Communes la décision du gouvernement de demander l’adhésion aux CE. L’annonce du Premier ministre est approuvée par une large majorité. Fort du soutien de la majorité au sein des grands partis ainsi que de l’opinion publique devenu favorable à une adhésion, le gouvernement britannique présente le 11 mai sa deuxième candidature à l’adhésion aux CE à Bruxelles. Comme ce fut le cas pour la première demande en 1961, la demande d’adhésion du Royaume-Uni s’accompagne de celles de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège.



La réaction des Six à la deuxième candidature du Royaume-Uni


Dans une première réaction, le président français laisse planer le doute sur ses intentions. Il s’exprime en faveur d’une association entre les CE et le Royaume-Uni, mais ne s’oppose pas formellement à l’élargissement des CE, ce qui permet à ses membres d’examiner la demande britannique. Les partenaires de la France, quant à eux, réagissent favorablement à l’engagement du Royaume-Uni et se prononcent en faveur d’une Europe à Dix.


Mais Londres ne veut pas se contenter d’une association. D’autant moins que le gouvernement britannique se dit prêt à accepter, sous réserve de quelques ajustements financiers et d’une période de transition pour certains échanges commerciaux, l’acquis communautaire et les termes des traités. En outre, le Royaume-Uni apporte son savoir-faire dans le domaine nucléaire ainsi que ses capacités dans les technologies de pointe, ce qui lui permet d’autre part d’ouvrir de nouveaux marchés et de développer ses industries technologiques. Fort de cet apport ainsi que de l’appui des Cinq, Harold Wilson continue à demander la pleine adhésion


Commence alors une longue période de discussions entre la France et les Cinq sur l’ouverture de négociations d’adhésion et sur les conditions dans lesquelles celles-ci devraient se dérouler. Finalement, en juillet, les Six décident de demander, conformément à l’article 237 du traité de Rome, l’avis de la Commission des CE sur la demande d’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège. Le 29 septembre 1967, la Commission publie son avis dans lequel elle propose d’ouvrir immédiatement les négociations d’adhésion avec les pays candidats.



Le deuxième veto du général de Gaulle


Malgré l’avis de la Commission, les partenaires de la France, favorables au premier élargissement des CE, continuent à se heurter à l’opposition du général de Gaulle. Le président français avance les difficultés économiques que connaît le Royaume-Uni et exige qu’une solution aux problèmes majeurs soit trouvée avant son adhésion aux CE. Contrairement aux Cinq, Paris est persuadé que l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun, même sous condition d’accepter les conditions des traités, change fondamentalement la nature de la CEE qui évoluerait vers une grande zone de libre-échange.


En dehors des arguments économiques avancés pour bloquer l’adhésion du Royaume-Uni, les préoccupations du président français sont d’une autre nature. En effet, contrairement aux engagements pris dans le domaine économique, le Premier ministre britannique ne se rallie pas aux conceptions françaises en matière de politique étrangère et de défense. Harold Wilson continue à préconiser la nécessité de l’engagement des États-Unis dans la défense de l’Europe et rejette la création d’une force nucléaire européenne. Le président français craint alors que dans une Communauté élargie, la France ne risque pas seulement de rencontrer plus de difficultés à défendre ses intérêts économiques, mais également de perdre son leadership au profit d’une orientation plus atlantiste avec l’arrivée des nouveaux membres.


Le 18 novembre, le gouvernement britannique est contraint de dévaluer la livre sterling. La réaction du président français ne se fait pas attendre. Pour lui, il s’agit de la preuve que l’économie britannique n’est pas prête pour remplir les conditions du Marché commun. Le 27 novembre 1967, avant même que des négociations d’adhésion avec les pays candidats aient pu commencer, le général de Gaulle s’oppose dans une conférence de presse une deuxième fois à l’entrée du Royaume-Uni aux CE. Dans sa déclaration, le président français insiste surtout sur l’incompatibilité de l’économie britannique avec les règles communautaires et souligne qu’une adhésion du Royaume-Uni aux CE exige d’abord de la part de celui-ci une transformation radicale d’un point de vue politique et économique. Il réitère sa proposition d’une association entre la CEE et les pays candidats pour favoriser les échanges commerciaux, mais Londres rejette aussitôt l’association qui l’exclurait du processus décisionnel de la Communauté.


Les partenaires de la France ne sont pourtant pas prêts à accepter cette décision unilatérale. Ils essaient alors de trouver des solutions alternatives pour sortir de l’impasse et pour maintenir la perspective d’adhésion aux pays candidats. Mais toutes les propositions se heurtent à l’opposition du général de Gaulle qui va même jusqu’à menacer de quitter la Communauté dans le cas d’une adhésion britannique, s’isolant ainsi de plus en plus de ses partenaires. La divergence entre la France et ses partenaires sur la candidature britannique se répercute ainsi sur l’activité des CE. En effet, il est devenu indispensable qu’une solution à la question britannique soit trouvée afin de débloquer la situation et de poursuivre le développement des Communautés. La méfiance des Cinq envers la politique européenne de la France s’accroît, quand, en février 1969, le président français propose à l’ambassadeur britannique à Paris, Christopher Soames, de faire entrer le Royaume-Uni dans une grande zone de libre-échange européenne qui remplacerait les structures communautaires. Le Premier ministre britannique Harold Wilson non seulement rejette la proposition française, mais révèle la teneur de la proposition aux Cinq, ce qui contribue davantage à l’isolement de la France. Il faudra attendre le retrait de Charles de Gaulle trois mois plus tard du poste de président de la République française pour pouvoir relancer les négociations.



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