Les accords bilatéraux de paiement

Les accords bilatéraux de paiement

La pénurie de dollars

Au niveau européen, les monnaies qui participent au système monétaire établi à Bretton Woods, demeurent inconvertibles entre elles en raison de la modicité des stocks d'or et de la pénurie de devises étrangères. Cette situation ralentit les efforts de reconstruction et la réactivation des canaux commerciaux intra-européens. Faute d'or ou de dollars, les autorités monétaires du pays d'importation n'ont d'autres solutions que d'utiliser leurs réserves en monnaie du pays exportateur, d'utiliser les créances en devises étrangères qu'il tire d'excédent de sa balance des paiements avec d'autres pays, d'emprunter la devise exigée pour le paiement... ou d'imposer des restrictions sur les importations. C'est ainsi qu'en 1947 la France interdit momentanément toute importation depuis la Belgique et la Suisse.

Pour faciliter la reprise des échanges, les pays européens multiplient les accords de paiement. Plus d'une soixantaine sont signés entre 1945 et 19501. Tous épousent un modèle assez similaire: les banques centrales, agissant pour le compte de leurs États, fournissent leur propre monnaie à un cours de change fixe sur un compte ouvert dans leurs livres. Au-delà d'un certain montant, le crédit constaté sur le compte donne lieu à paiement en dollars, en or ou en une autre devise convertible (le franc suisse ou la livre sterling). Ce dispositif permet ainsi au pays le plus pauvre de payer ses achats en sa propre monnaie, le pays à balance excédentaire lui faisant crédit. Mais, ces crédits sont limités et ces accords ne permettent aucune compensation triangulaire2.

À compter d'avril 1947, la livre sterling n'est plus convertible en or, les paiements des crédits se font alors en dollars, dont les pays européens viennent à manquer. C'est la «pénurie de dollars». Les créanciers réduisent les facilités de crédit, n'étant plus certains de pouvoir être réglés. La relance économique progresse peu, les tensions sociales s’exacerbent.

Le premier accord pour la compensation monétaire multilatérale

En raison d'une balance très excédentaire, la Belgique est particulièrement exposée: le pays prend l'initiative du premier projet d'un système de compensation multilatérale. Il est examiné dans le cadre du comité de coopération économique européenne – structure provisoire réunissant les seize pays bénéficiaires du Programme de relèvement européen (ou European Recovery Program, ERP), c'est-à-dire de l'aide du plan Marshall3 - pendant l'été et l'automne 1947. Le projet aboutit au Premier accord pour la compensation monétaire multilatérale, conclu le 18 novembre par la France, l'Italie et les trois pays du Benelux. Les autres pays européens bénéficiaires adhèrent à l'accord peu de temps après.

L'accord ne se substitue pas aux accords de paiements bilatéraux antérieurs pour se limiter à l'organisation de la compensation entre les soldes résultants de leur fonctionnement. La compensation est automatique lorsqu'elle contribue à réduire les soldes qu'ils soient débiteurs ou créditeurs. Les opérations de compensation sont organisées mensuellement sur la base d'échanges statistiques entre les banques centrales. Les aspects techniques sont examinés par une structure administrative très légère, un comité composé des délégués des parties contractantes. L'accord est ouvert à la participation d'autres pays et réévalué annuellement.

Les résultats obtenus se révèlent modestes: la compensation multilatérale ne joue automatiquement que pour les soldes existants à la date d'entrée en vigueur de l'accord et que pour les signataires initiaux, ainsi que pour la zone anglo-américaine d'occupation en Allemagne. Dans les autres cas, elle est facultative. Ainsi, sur un total de 762 millions de dollars de dette, seul 1,7 million se trouve annulé sous l'effet de la compensation!

La multiplication des accords de paiements et de compensation intra-européens

Afin que le programme de redressement européen produise ses pleins effets, la question monétaire et des paiements doit progresser significativement. La convention du 16 avril 1948 qui établit l'Organisation européenne de coopération économique (OECE) fait obligation aux États participants de «développe[r] dans la plus large mesure possible et de façon concertée leurs échanges réciproques de biens et de services.» A cet effet, ils doivent

«poursuivr[e] les efforts entrepris pour parvenir aussitôt que possible entre [eux] à un régime de paiement multilatéraux et coopére[r] pour atténuer les restrictions à leurs échanges et à leurs paiements réciproques, en vue d'abolir dès que possible celles qui les entravent actuellement.» (article 4)

Sur cette base, des accords de paiements et de compensations intra-européens sont signés le 16 octobre 1948, puis le 7 septembre 1949. Épousant une logique proche de l'accord du 18 novembre 1947, ils en reproduisent les défauts. Tout au plus, établissent-ils des droits de tirage multilatéraux en substitution partielle des droits de tirage définis dans les accords de paiements bilatéraux. Les droits de tirage permettent à un pays débiteur de disposer d'un montant limité de monnaie d'un pays participant pour régler un solde déficitaire auprès d'un autre pays. Le tiré est tenu de mettre le montant demandé à disposition, à condition d'avoir reçu préalablement un montant équivalent en dollars de la part de l'Agence américaine chargée de la gestion du plan Marshall (Economic Cooperation Administration, ECA). La Banque des réglements internationaux assure la conduite de ces opérations techniques. L'OECE est chargée de la surveillance, de trancher les questions liées à l'interprétation ou l'application des accords, ainsi que de procéder à un examen général annuel du système.

Selon cette approche, les échanges intra-européens se maintiennent grâce à l'aide financière américaine versée au titre du plan Marshall: le paiement des déséquilibres des balances des paiements en absorbe un tiers4. Cette situation n'est pas tenable, d'autant que l'aide américaine est programmée pour cesser le 1er juillet 19525. Les propositions se multiplient pendant l'année 1949. L'Economic Cooperation Administration fixe à la date du 1er juillet 1950 la création d'un véritable mécanisme de compensation multilatérale, dont elle présente les grandes lignes en décembre 1949: l'Union européenne des paiements (UEP). Transitoire, ce dispositif devrait être remplacé par une union monétaire européenne à la fin du programme d'aide américain6. Cette union monétaire serait dotée d'une banque centrale et d'une monnaie européenne nommée europa et qui flotterait librement vis-à-vis du dollar.

1Concernant les seuls pays de l'Europe de l'Ouest. De plus, 42 accords sont conclus entre ces pays et les pays d'Europe centrale et orientale d'une part, et entre les seuls pays d'Europe centrale et orientale d'autre part. Énumération établie par l'auteur sur la base du registre des traités multilatéraux déposés auprès du Secrétariat général des Nations Unies. [URL] http://treaties.un.org/ Consulté le 7 août 2013.

2Soit deux accords bilatéraux entre A et B, et B et C; les créances détenues par A sur B ne peuvent être compensées par les créances que B détient sur C. L’apurement des dettes et créances ne peut s’établir qu’au sein de chaque accord bilatéral.

3Le comité est transformé en organisation de coopération économique européenne en 1948.

4Barbezat, Daniel, The Marshall Plan and the origin of the OEEC, dans Griffiths, Richard T., (ed.), Explorations in OEEC History, Paris, OECD, 2009, OECD Historical Series, p. 36.

5L'ERP s'arrête finalement le 31 décembre 1951 en raison de l'escalade du conflit en Corée.

6Milward, Alan S., The reconstruction of Western Europe, 1945-1951, London, Methuen, 1984, p. 296.

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