La stratégie monétaire

La stratégie monétaire

Deux voies s'offrent en théorie à une banque centrale pour maintenir la stabilité des prix. Elle peut encadrer le crédit, à travers un contrôle direct des quantités de crédit distribuées par les établissements de crédit. Abandonnée dans la majorité des pays développés, cette approche se heurte en droit communautaire au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre. L'autre solution consiste à agir sur la liquidité bancaire, ce qui peut prendre plusieurs formes d’intervention: l’achat ou la vente de titres sur le marché monétaire, l’action sur le coût des ressources bancaires via le marché interbancaire et l’action exercée sur le besoin en financement des banques par l’obligation de constitution de réserves obligatoires auprès de la banque centrale. C'est cette seconde voie que retient la BCE – comme la quasi-majorité des banques centrales dans le reste du monde1.

L'action sur la liquidité bancaire correspond à une action indirecte des instruments de politique monétaire sur le niveau général des prix via la fixation du taux directeur (ie. taux des opérations principales de refinancement). Ce taux correspond au taux d'intérêt auquel les établissements de crédit peut se refinancer auprès de la banque centrale. Le niveau du taux directeur influence le niveau général des prix selon des mécanismes de transmission complexes. Il se diffuse principalement à travers deux canaux de transmission, celui du taux d'intérêt et du crédit. La complexité tient à ce que chaque canal «présent[e] des délais qui sont à la fois longs et variables et qui ne peuvent être antièrement anticipés. En outre, le mécanisme de transmission lui-même évolue constamment sous l'effet de modifications intervenues dans les comportements économiques et les structurels institutionnelles»2 des marchés financiers.

Pour maîtriser au mieux cette complexité, la BCE se dote d'une stratégie de politique monétaire dont les principaux éléments sont rendus publics à l'automne 1998. Cette stratégie constitue «la démarche générale retenue par la BCE pour atteindre son objectif principal de maintien de la stabilité des prix.»3 Elle est le cadre dans lequel s'inscrivent la préparation, la discussion et la présentation des décision de politique monétaire et grâce auquel la BCE tente d'influencer le niveau des taux à court terme sur le marché monétaire. Par sa qualité et sa crédibilité, la stratégie doit aussi convaincre le public que l'objectif de stabilité des prix poursuivi sera réalisé. Elle est un instrument de communication.

La stratégie repose sur cinq principes-clefs4:

  • elle veille au bon fonctionnement des mécanismes de transmission et, par extension, des marchés monétaires (marché interbancaire et marché des titres de créances négociables). C'est à leur niveau que les établissements de crédit vendent la liquidité qu'ils ont en excès ou qu'ils empruntent si elle leur fait défaut. En cas de dysfonctionnement, la BCE doit pouvoir y suppléer à travers l'adoption de mesures dites «non conventionnelles» et la fourniture de liquidité aux établissements de crédit. La BCE agit alors comme un «intermédiaire en dernier ressort» des banques5.

  • Elle est orientée vers l'avenir (forward-looking) et anticipatrice. La transmission de la politique se réalise à moyen terme. Il est donc nécessaire de pouvoir anticiper les changements de la situation économique, financière, etc.

  • Elle se garde de tout activisme à court terme.

  • Elle favorise l'ancrage des anticipations des établissements de crédit et des marchés. Cela suppose qu'elle définisse son objectif de stabilité des prix de façon claire, qu'elle se dote d'une méthode d'analyse cohérente et facilement compréhensible et qu'elle soit transparente.

  • Elle prend en compte toutes les informations nécessaires à la compréhension des facteurs expliquant les développements économiques.

Ce cadre précisé, la stratégie de politique monétaire comprend deux éléments.

Le premier, une définition quantitative de l'objectif de stabilité des prix. Depuis mai 2003, la stabilité des prix correspond à une progression sur un an de l'indice des prix à la consommation harmonisé dans la zone euro à un niveau inférieur à 2 %, mais proche de ce pourcentage à moyen terme. «Une définition quantifiée fournit un point d'ancrage stable aux anticipations en matière d'évolution des prix, contribuant ainsi à établir la crédibilité de la […] stratégie.»6

Le deuxième élément consiste en une analyse des risques pesant sur la stabilité des prix qui s'appuie sur deux piliers, l'un monétaire, l'autre économique. Selon la théorie monétaire aujourd'hui dominante, l'inflation est à long terme un phénomène monétaire. Dans cette perspective, l'évolution de la monnaie reçoit une attention toute particulière qui se traduit par l'annonce d’une «valeur de référence» quantifiée pour la croissance de l’agrégat monétaire M3. Celui-ci désigne les actifs monétaires liquides et assimilés7 qui sont au cœur des transactions entre établissements de crédit sur les marchés monétaires. La croissance de cet agrégat est considéré comme un indicateur avancé de l'évolution du niveau des prix. Tout écart à court terme entre les évolutions de M3 et la valeur de référence n'exige pas une réaction mécaniste. La valeur de référence n'est pas un objectif monétaire intermédiaire. Ce premier pilier de l'analyse s'inscrit dans une perspective de moyen et long terme. Depuis l'adoption de la stratégie en 1998, la valeur de référence de M3 est fixée à 4,5 % par an8. Elle demeure inchangée depuis.

En complément de ce premier pilier monétaire, l'analyse des risques prend en compte une large gamme d’indicateurs économiques relevant du court et moyen terme: les salaires, le cours de change, les cours des obligations, la courbe des taux d’intérêt, les différentes mesures de l’activité réelle, les indicateurs de politique budgétaire, les indices de prix et de coûts et les enquêtes auprès des entreprises et des ménages. Ces indicateurs forment le pilier économique de l'analyse de la BCE. Ils doivent permettre de prendre en compte les facteurs non monétaires entrant dans l’inflation. La variété des indicateurs utilisés aide à distinguer les causes temporaires des changements de fond et à expliquer la signification des écarts de l’inflation constatée par rapport à la tendance.

Les commentateurs ont fait observer que le maintien de deux piliers pouvait nuire à la qualité de la communication de l’autorité monétaire, car les informations transmises par chacun d’eux pouvaient conduire à des prescriptions différentes. En réponse à ces critiques et parce qu’elle a aussi gagné en crédibilité, la BCE révise sa stratégie en mai 2003. La croissance de M3 est toujours prise en compte par l’analyse monétaire mais constitue dorénavant «as a means of cross-checking, from a medium to long-term perspective, the short to medium-term indications for monetary policy derived from the economic analysis.»9 Le maintien des deux piliers garantit que l'analyse de la BCE n'omet aucun indicateur et qu'elle n'en surestime par certains au détriment d'autres. L'approche diversifiée qu'elle applique pour interpréter les conditions économiques et leur évolution garantit la robustesse de la stratégie de politique monétaire de la BCE alors qu'elle se déploie dans un environnement incertain.

1Allemand, Frédéric, La politique monétaire en zone euro, dans Jouno, Thurian (dir.), Questions européennes. Le droit et les politiques de l'Union, Paris: PUF, 2009, p. 637.

2Banque centrale européenne, La stratégie de politique monétaire axée sur la stabilité de l'Eurosystème, Bulletin mensuel de la BCE, janvier 1999, p. 45.

3Banque centrale européenne, The monetary policy of the ECB, Frankfurt-am-Main: ECB, octobre 2011, p. 55.

4Ibidem, pp. 62-63.

5Crédit agricole, Banques centrales : évolution ou révolution ? Eco Focus, 6 mai 2013, n°13/34. Source: http://etudes-economiques.credit-agricole.com/medias/EF13_34_Banques_centrales_20130422_FR_v2.pdf consultée le 15 octobre 2013.

6Banque centrale européenne, La stratégie de politique monétaire axée sur la stabilité de l'Eurosystème, Bulletin mensuel de la BCE, janvier 1999, p. 48.

7M3 comprend la monnaie fiduciaire (pièces et billets), les dépôts à vue, les dépôts à terme d’une durée de deux ans maximum, les dépôts remboursables avec préavis de trois mois au plus, les pensions, les titres d’OPCVM monétaires et les instruments de marché monétaire, et les titres de créance de deux ans au plus.

8Cette valeur résulte de l’addition du taux de croissance potentielle de l’économie européenne estimée à 2,0 %-2,5%, de la vitesse de circulation de la monnaie de 0,5 % à 1,0 % et d’une hausse des prix inférieure de 1,0 % à 2,0 %. La variation dans le temps de la formule M.V=P.Y s’écrit sous la forme : ∆M/M=∆P/P+∆Y/Y-∆V/V. Ce qui donne une fourchette de croissance de M3 comprise entre 3,5 % et 5,5 %. La BCE a tranché en faveur de la valeur moyenne.

9Banque centrale européenne, The monetary policy of the ECB, Frankfurt-am-Main: ECB, octobre 2011, p. 69.

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