Le "rapport Delors"

Le «rapport Delors» sur l'union économique et monétaire dans la Communauté européenne

Le comité Delors débute ses travaux le 13 septembre 1988 et les clot le 12 avril 1989. Il tient des réunions selon un rythme mensuel à la Banque des règlements internationaux. Les débats sont confidentiels et ne donnent lieu à aucun procès-verbaux. Pendant une première phase (septembre 1988-janvier 1989), les membres sont invités, sur la base d'une liste de questions transmises par Jacques Delors, à soumettre leurs réflexions afin d'éclairer les débats. Un premier projet de rapport est préparé par Jacques Delors en décembre. Le travail de discussion et de rédaction collectif est engagé à partir de février 1989. Les débats se concentrent sur le rythme de progression vers l'union monétaire, l'exigence d'une évolution parallèle entre le volet économique et celui monétaire, l'harmonisation fiscale, la redistribution régionale, les principes gouvernant une banque centrale européenne, la gestion de la période intermédiaire et le caractère automatique ou conditionnel du passage des États membres et de la Communauté à l'union monétaire. Le rapport est approuvé à l'unanimité des membres du comité, y compris par le gouverneur de la Bank of England, Robin Leigh-Pemberton. La similarité des profils des membres, des conceptions de la politique économique proches, voire partagées, l'organisation de réunions régulières ont contribué à la réussite des travaux du comité1.

Sur le fond, le rapport Delors reprend la définition de l’Union économique et monétaire (UEM) déjà exprimée par le rapport Werner en 1970. Trois conditions doivent être remplies pour la réalisation de l'union monétaire: la convertibilité totale et irréversible des monnaies entre elles; la libération complète des mouvements de capitaux et l’intégration complète des marchés bancaires et autres marchés financiers; et l’élimination des marges de fluctuation et la fixation irrévocable des parités. L'adoption d'une monnaie unique est souhaitée sans être jugée indispensable. S'agissant de l'union économique, le rapport Delors la ramène à la réunion de quatre éléments: un marché unique à l’intérieur duquel les personnes, les biens, les services et les capitaux peuvent circuler librement; une politique de concurrence et d’autres mesures visant à renforcer les mécanismes du marché; des politiques communes visant à l’ajustement structurel et au développement régional; et une coordination de la politique macro-économique, comprenant des règles contraignantes en matière budgétaire. Sur le plan institutionnel, le rapport recommande l'attribution de la responsabilité de la politique monétaire unique à une nouvelle institution, une banque centrale européenne. Celle-ci, ainsi que les banques centrales nationales, seraient insérées dans un Système européen de banques centrales (SEBC) fonctionnant selon un schéma fédéral. Aucun arrangement institutionnel n'est prévu pour le volet économique2.

Pour parvenir à cette union économique et monétaire, le rapport Delors préconise un processus en trois étapes, comme en son temps le rapport Werner. La première étape – qui ne nécessite pas de révision des traités et qui peut être menée à bien par les institutions existantes – consiste dans l’achèvement du marché unique, dans la coordination renforcée des politiques économiques et de la coopération monétaire et dans l’adhésion de toutes les monnaies au mécanisme de change du SME. Pendant cette phase, doit être négocié et ratifié un traité d’UEM. L'institutionnalisation du Fonds européen de coopération monétaire sous la forme d'un Fonds de réserve européen pour stabiliser les taux de change pendant la phase de convergence est discutée sans être préconisée, les avis au sein du comité étant divisés. La deuxième étape s'ouvre avec l'entrée en vigueur du nouveau traité. Le SEBC et la structure de base de l'UEM sont mis en place. L'encadrement de la conduite de la politique économique se fait plus précis tout en demeurant non contraignant. Le SEBC favorise l’apprentissage de la décision collective, la coordination des politiques monétaires est accrue par l'adoption d'orientations monétaires générales; le réalignement des parités est limité à des cas exceptionnels et les marges de fluctuation progressivement réduites. Avec l'étape finale s’opèrent le transfert de toutes les compétences économiques et monétaires aux institutions de l’Union, le passage à des parités fixées irrévocablement. Une monnaie unique remplacerait les monnaies nationales. Dans le volet économique, les politiques structurelles et régionales de la Communauté sont renforcées, les règles et procédures dans les domaines macroéconomiques et budgétaires deviennent contraignantes et la Communauté se dote d'une forme unifiée de représentation sur la scène internationale. Dans le volet monétaire, le SEBC définit et conduit une politique monétaire unique, intervient sur les marchés des changes conformément à la politique de change de la Communauté et participe à la coordination des politiques de surveillance bancaire.

Selon le comité Delors, la réalisation de l'union économique et monétaire doit répondre aux principes de progressivité, de parallélisme, d'irréversibilité et de différenciation. Intégrée au sein d'un processus continu, chaque étape produit des effets juridiques et économiques croissants; la réalisation d'une étape ouvre la voie à la suivante, sous réserve d'une évaluation par le Conseil. Celle-ci porte notamment sur le degré de convergence économique et monétaire atteint. La décision d'entamer la première étape – que le comité propose de fixer à la date d'entrée en vigueur de la directive libérant les mouvements de capitaux (1er juillet 1990) doit être une décision d'engager tout le processus jusqu'à son terme. Le comité renvoie aux autorités politiques la responsabilité de fixer le calendrier et les échéances. Compte tenu de la diversité de situations des États membres, le comité défend l'application d' «une certaine flexibilité quant à la date et aux conditions auxquels certains pays membres adhéreraient à certains arrangements.» Cependant, tous les États membres doivent souscrire à l'objectif final et veiller, à terme, à participer pleinement à l'union monétaire.

Le rapport Delors se concentre sur les étapes concrètes devant conduire à l'UEM. Il ne s'attache pas à justifier l'UEM par une analyse coûts-avantages. Cette étude est en revanche conduite par la Direction générale pour les Affaires économiques et financières de la Commission pendant l'automne et l'hiver 1989 et publiée en octobre 1990 sous le titre «One market, one money»3. L'étude conclut à un impact positif à long terme sur la croissance de l'ordre de 5 % du PIB, à une stabilité des prix accrue, à une coordination plus étroite des politiques économiques et budgétaires. Parmi les autres avantages détaillées, l'union monétaire faciliterait les déplacements des particuliers et les échanges commerciaux en faisant disparaître les coûts de change des devises, supprimerait les risques de change et favoriserait ainsi les investissements.

1Verdun, Amy, The rôle of the Delors Committee in the creation of EMU: an epistemic community?, Journal of European Public Policy, 1999, vol. 6, n°2, pp. 308-328.

2Comité pour l'étude de l'union économique et monétaire, Rapport sur l'union économique et monétaire dans la Communauté européenne (dit «Rapport Delors»), Luxembourg, OPOCE, 1989, points 22-34.

3Commission européenne, One market, one money. An evaluation of the potential benefits and costs of forming an economic and monetary union (dit «Rapport Emerson»), European Economy, octobre 1990, n°44.

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