Les antécédents


Dès les origines de l’Europe communautaire, la rédaction d’une véritable Constitution était préconisée, surtout par les militants fédéralistes, afin d’inscrire l’intégration économique, commencée avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier (18 avril 1951), dans un cadre véritablement politique et démocratique. Avec le traité de Communauté européenne de défense (CED) en 1952, la nécessité était apparue d’instituer une Communauté politique européenne (CPE). A la demande des gouvernements, l’Assemblée de la CECA avait élaboré un projet complet combinant le système fédéral avec Parlement et exécutif à la nécessaire présence des gouvernements nationaux. Remis le 9 mars 1953 aux ministres des Six pays membres de la CECA, ce texte, jugé trop fédéraliste par certains (France, Belgique) ne fut pas pris en considération et rendu inutile par le rejet, le 30 août 1954, du traité de CED par l’Assemblée nationale française. En sens contraire, le général de Gaulle, revenu au pouvoir, proposera en 1961-1962, dans le cadre du plan Fouchet, une « Union d’États » de caractère intergouvernemental, refusée par les petits pays craignant la mise sous tutelle du système communautaire qui leur est favorable.


Avec les traités de Rome (25 mars 1957) la construction européenne reprenait son cours avec l’extension du système communautaire à deux domaines nouveaux : la Communauté économique européenne (CEE) avec marché commun général et politiques communes et l’Euratom à vocation pacifique. L’intégration économique et technique se poursuivait mais d’autres domaines étaient également abordés (politique régionale, politique sociale, coopération en politique étrangère, politique monétaire…). La nécessité apparaissait de « globaliser » les relations de nature différente – communautaires et intergouvernementales – des pays appartenant aux trois Communautés européennes. D’où la décision du sommet de Paris (19-21 octobre 1972) de « transformer, avant la fin de l’actuelle décennie et dans le respect absolu des traités déjà souscrits, l’ensemble des relations des États membres en une Union européenne ». Le terme était choisi pour éviter le mot « confédération », chère au président français Georges Pompidou mais refusée par le chancelier allemand Willy Brandt et les partisans de l’intégration, comme le mot « fédération » préféré par ceux-ci mais récusé par les Français et les Britanniques. Ces divergences expliquent pourquoi, après avoir adopté le vocable d’Union, les gouvernements s’avérèrent incapables de s’entendre sur ses structures et donc de la concrétiser.


C’est le Parlement européen qui, élu pour la première fois au suffrage universel direct en 1979, décida sous l’impulsion du fédéraliste italien Altiero Spinelli d’élaborer un projet de Constitution de l’Union européenne, se comportant ainsi en Assemblée constituante en se prévalant de sa légitimité démocratique mais sans mandat des gouvernements. Le projet d’Union adopté par les parlementaires le 14 février 1984 est original. Ce n’est pas une construction abstraite. Il tient compte des réalités en s’appuyant sur le système communautaire et en prévoyant son extension progressive aux domaines de la coopération intergouvernementale dans un cadre démocratique assurant la séparation des pouvoirs entre le Parlement, centre d’impulsion législative, et la Commission, fortifiée dans son rôle d’exécutif. La représentation des États membres est assurée dans la seconde chambre du Parlement et au Conseil des ministres où le vote majoritaire sera généralisé. Les compétences de l’Union sont considérablement élargies mais le principe de subsidiarité est affirmé : l’Union n’assumera que les tâches qui peuvent être menées en commun plus efficacement que par les États membres séparément. La distinction est donc faite entre les compétences exclusives de l’Union (essentiellement achever le marché commun, gérer la politique commerciale commune) et les compétences concurrentes partagées avec les États (la plupart des politiques communautaires). La politique étrangère et la défense restent du domaine de la coopération intergouvernementale, du moins dans une phase initiale.


Les gouvernements ne prirent pas ce projet en considération d’autant plus qu’il prévoyait une ratification par les parlements nationaux qui seraient saisis directement. Ils ne voulaient pas être écartés de l’élaboration d’une Constitution et les parlementaires nationaux eux-mêmes ne voulaient pas court-circuiter leurs gouvernements. Le projet ne fut donc discuté ni au niveau ministériel ni au niveau parlementaire (sauf en Italie). Toutefois, l’initiative du Parlement européen fit comprendre la nécessité d’aboutir enfin à la définition de l’Union européenne et de le faire à partir de la volonté des gouvernements.


Ceux-ci le comprirent et s’engagèrent dans la voie – pourtant écartée par la déclaration de 1972 – de la révision des traités communautaires. Ce fut d’abord l’Acte unique européen des 17-28 février 1986 comportant deux volets : l’un consacré à l’élargissement des traités communautaires (avec l’objectif du grand marché intérieur), l’autre constitutionnalisant la coopération intergouvernementale en matière de politique étrangère, le tout fonctionnant dans un cadre institutionnel commun. Puis le traité de Maastricht sur l’Union européenne (7 février 1992) définit une architecture d’ensemble juxtaposant un « pilier » communautaire élargi à une union monétaire et deux « piliers » intergouvernementaux pour les affaires de justice et la politique étrangère et de sécurité. Alors que l’Union monétaire était réussie avec l’adoption de l’euro, le fonctionnement des deux derniers « piliers » laissait à désirer. Le traité d’Amsterdam (2 octobre 1997) n’apporta que des améliorations partielles. Surtout, une réforme d’ensemble du cadre institutionnel devenait nécessaire pour l’adapter aux élargissements successifs et permettre de concilier efficacité et démocratie. Le traité de Nice (26 février 2001) n’y est pas parvenu. Il s’avérait donc nécessaire d’adopter une autre méthode que des négociations intergouvernementales.


Dans le même temps, des suggestions étaient faites sur la nature des réformes nécessaires et sur la nécessité d’une Constitution européenne. Le Parlement européen, en 1994 avec le rapport du député belge Fernand Herman, revenait à son projet de Constitution inspiré du fédéralisme coopératif. Le 18 octobre 1999, il adopte une résolution demandant la simplification et la rationalisation des traités et propose que la future Constitution se limite aux objectifs de l’Union, aux droits fondamentaux, aux dispositions institutionnelles, aux compétences et aux procédures décisionnelles. Seul cet ensemble exigerait la ratification de tous les États membres. Une seconde partie traitant des politiques de l’Union n’exigerait pas de ratification et, pour tenir compte de l’évolution des situations, pourrait être modifiée par le Conseil à l’unanimité ou à la majorité qualifiée afin d’éviter la révision constante et difficile des traités. C’est une solution également adoptée par la Commission européenne qui propose en outre, le 10 novembre 1999, un véritable programme de réformes : généralisation du vote à la majorité qualifiée au Conseil avec codécision du Parlement européen, révision du système de pondération des voix pour mieux prendre en compte le facteur démographique et limitation du nombre de membres de la Commission afin d’assurer l’efficacité des institutions de l’Union élargie. Enfin, les gouvernements eux-mêmes commencent à parler de Constitution européenne tout en divergeant sur sa nature, de caractère fédéral pour le ministre allemand des Affaires étrangères Joschka Fischer, beaucoup plus intergouvernemental pour le président français Jacques Chirac.


Quant à la méthode à suivre pour rédiger ce nouveau texte, l’expérience d’Amsterdam et de Nice a montré que la seule conférence intergouvernementale (CIG), où s’affrontent conceptions différentes et intérêts nationaux antagonistes, ne permet guère de progresser et qu’il faut élargir le débat. A cet égard, la façon dont a été élaborée de décembre 1999 à septembre 2000 la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est exemplaire : la tâche a pu être menée à bien par une Convention formée de représentants des gouvernements, des Parlements européen et nationaux, de la Commission, délibérant publiquement et utilisant les contributions de nombreuses associations et organisations non gouvernementales. C’est de ce modèle qu’il convient de s’inspirer si l’on veut parvenir à établir un texte s’inspirant de l’intérêt général et qui servira de base aux discussions entre gouvernements. Une déclaration jointe au traité de Nice à la demande du chancelier Gerhard Schröder, s’en inspire en prévoyant qu’un large débat serait organisé sur l’avenir de l’Union européenne par le Conseil européen de Laeken prévu pour décembre 2001. Or, dès octobre 2000, un mémorandum du Benelux avait suggéré d’organiser un tel débat. La présidence belge l’aura particulièrement à cœur.

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