La coopération économique et monétaire (1949-1988)
La coopération économique et monétaire (1949-1988)
Avec la fin de la deuxième guerre mondiale se pose la question de la reconstruction des économies européennes. L'Europe est exsangue et à bout de souffle. Les anciens courants commerciaux sont rompus, les industries lourdes et de première nécessité, partiellement détruites, tournent au ralenti dans une Europe meurtrie et peu préparée à accueillir les millions de personnes déplacées pendant et à la fin du conflit. Reléguée au second plan sur la scène internationale par la montée en puissance des États-Unis et de l'Union soviétique et par leur rivalité grandissante, l'Europe occidentale divisée prend rapidement conscience que son salut passe par les chemins de l'unité et par la mise en commun, fût-ce avec le soutien financier, matériel ou militaire des Américains, de ses ressources économiques et par la création d'institutions communes et efficaces. Les temps, marqués par une grande instabilité politique qu'accompagnent de vives tensions sociales, sont à l'urgence et à la recherche de solutions diplomatiques originales, y compris à l'échelle régionale. La stabilité monétaire est considérée dans ce contexte comme un facteur nécessaire au redressement de l'économie européenne. Les appels en faveur d'une monnaie unique, comme gage de la stabilité des relations monétaires intra-européennes, ressurgit. Dans un manifeste paru en novembre 1945, le Comité international pour la Fédération européenne juge que «The progressive abolition of custom duties on raw materials and manufactures throughout the continent. The economic legislation of European countries must be identical in its broad lines, and there must be a single European currency.»1
Quoique le principe de la monnaie unique soit largement soutenu2, sa mise en œuvre ne relève pas des objectifs politiques et économiques à réaliser à court terme. La première urgence consiste à restaurer les courants d'échanges et la convertibilité des monnaies européennes, ainsi que le conclut la résolution économique et sociale du Congrès de l'Europe réuni à La Haye en mai 1948. En outre, l’État demeure dans l’après-guerre la principale institution pouvant gérer l’état de nécessité: la situation économique et sociale est telle que l’emprise de l’État est sur les affaires publiques et privées est étendue: l’État investit des champs entiers de l’économie (privatisations de 1946 en France)3. Cela éloigne d'autant plus la perspective de toute de transfert de souveraineté monétaire. La coopération est au contraire privilégiée.
La tentative d'intégration monétaire engagée à compter de 1970, sur la base notamment du projet d'union économique et monétaire du comité dirigé par le Premier Ministre luxembourgeois Pierre Werner n'aboutit pas. La crise monétaire et économique qui frappe les pays développés suscite les réactions de repli plutôt que d'intégration. Il faut attendre les circonstances plus favorables de la fin des années 1980 pour qu'à l'initiative du président français François Mitterrand et du chancelier allemand Helmut Kohl, le cap de la coopération à l'intégration monétaire soit franchi et que l'intégration économique et monétaire se réalise.
1Comité international pour la Fédération européenne, Pamphlet, novembre 1945, dans Lipgens, Walter, and Loth, Wilfried, (eds.), Documents on the History of European Integration, vol. 3. The Struggle for European Union by Political Parties and Pressure Groups in Western European Countries 1945-1950, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1988, s/ n°6, p. 38.
2Dans son projet d'une constitution fédérale européenne, l'Union européenne fédéraliste plaide pour que la Fédération soit compétente pour établir un système monétaire fédéral et un système de banques fédérales. De façon proche, l'Union française des Fédéralistes juge, à l'issue de son 2ème Congrès (16 juin 1949), que le bon fonctionnement de l'économie européenne implique que les autorités fédérales aient le droit de contrôler le système monétaire – ce qui inclut la création d'une monnaie fédérale. Voir Michel Mouskely et Gaston Stefani, Draft of a European federal constitution, 5 mars 1948; Union française des Fédéralistes, Résolution du 2ème Congrès, 16 juin 1949. Reproduits dans Lipgens, Walter, and Loth, Wilfried, (eds.), Documents on the History of European Integration, vol. 3. The Struggle for European Union by Political Parties and Pressure Groups in Western European Countries 1945-1950, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1988, s/ n°15 et n°28.
3 V. Ewald, F., Histoire de l’État providence : les origines de la solidarité. Paris : Grasset, 1996 ; et Bec, C., De l’État social à l’État des droits de l’homme. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2007.